« Les protagonistes de l’histoire, une bien étrange galerie »
« Le Rour, grand roman sportif et policier »
De Pierre Souvestre et Marcel Allain. « Librairie de l’auto » Couverture couleur et illustrations n&b intérieures de Mich, 1909. Réédité en 1974 éditions « 10/18 » Union Générale D’éditions série « L’aventure insensée » dirigée par Francis Lacassin (Bulletin des amateurs d’anticipation ancienne et de littérature fantastique N° 6 bis Mars/Avril 1991)
Un mystère plane sur le château des Kercoat. La fille des St Edoc, Elisabeth disparaît subitement de sa chambre dans des conditions assez inhabituelles voir même surnaturelles. Une enquête est alors ouverte et confiée aux bons soins de Mr Fuselier, juge d’instruction et possédant une solide notoriété. Malgré toute l’aide apportée par les proches de la famille, le fiancé de la victime, Yves D’arzan Tregoff et d’un ami de la famille, Mr Durieux, les investigations piétinent. Les fausses pistes s’accumulent et le seuil indice sérieux semble être cette marque bizarre trouvée au pied de la fenêtre d’Elisabeth. Le Docteur Wumpt, inventeur local et constructeur d’un avion révolutionnaire, sera pour de diverses raisons suspecté, mais de ce coté également les preuves font défauts, rien ne concorde au plus grand désarroi des proches de la victime. Le cadavre de l’infortunée sera finalement découvert, le mystère reste complet et l’affaire faillit s’arrêter là, sans la ténacité du juge d’instruction et de Yves qui finissent par établir un lien entre le kidnappeur et le Dr Wumpt.
Le roman va alors prendre une toute autre tournure et se dérouler d’une façon totalement échevelée, dans la grande tradition du roman d’aventure fantastique, avec morts violentes, visite nocturne d’un cercueil ne contenant aucun cadavre, une étrange résurrection,la collision avec une étrange créature sous-marine,une poursuite endiablée et tout cela pour finir par la découverte d’un curieux homme/oiseau mécanique. Les masquent tombent enfin, le coupable possède en réalité plusieurs identités : Wumpt, Durieux….et bien d’autres encore.
A l’article de la mort, après une course poursuite digne des plus grands sérials, le sinistre individu ne sera plus avare de confidences et racontera son incroyable histoire. Depuis sa plus tendre enfance, condamné à vivre dans un corps chétif et fragile, il compensera ce déficit physique par une intelligence remarquable lui permettant de réaliser quelques géniales inventions. Pour commencer cette sorte de « corselet » électrique, équipé d’accumulateurs perfectionnés produisant une énergie constante à volonté. Grâce à un système spécial relié a ses membres atrophiés, cet appareillage lui donne vigueur et agilité, l’illusion d’une robustesse et d’une agilité qu’il n’a jamais hélas possédé. Par la suite,perfectionnant cette « armature » il y installa un système d’ailes lui permettant de voler mais aussi et surtout, fixées à ses jambes, des échasses télescopiques lui permettant de faire des bonds prodigieux tout en lui donnant l’élan nécessaire à son envol.
Mais l’aveu le plus extraordinaire est celui de son périple en Inde ou il fit la découverte d’un incroyable manuscrit et qui donne un nouvel espoir à sa vie d’infirme. Dans ce dernier, il est question d’un énigmatique « Rour » : « L’homme par le Rour, peut faire l’homme ! » une phrase qu’il prendra au pied de la lettre, aidé en cela par ce prodigieux traité qui n’est autre selon lui que le symbole de la science électromagnétique permettant aux initiés de créer artificiellement la vie et de donner à l’être humain « l’immortalité mécanique ! ». Par la suite il mettra en application une de ses théories selon laquelle « En donnant la principale importance au mouvement et à sa matérialisation, un peu de vie humaine suffirait à animer la matière libérée de tout risque de désagrégation ou de décrépitude » mais il lui faudra trouver pour finaliser son hypothèse, le corps correspondant devant réunir les critères très particuliers exigés par le livre sacré. Toutes ses conditions enfin réunies il pourra parfaire l’accomplissement du grand œuvre. Le sort désigna la malheureuse Elisabeth qui fût enlevée séquestrée et laissée pour morte.
Car ces diables d’hommes que sont Souvestre et Allain nous conduisent tout au long du roman sur des fausses pistes et Elisabeth que l’on croyait morte et qui fût enlevée de sa tombe lors du première chapitre était une ruse de l’infâme Wumpt afin de pouvoir utiliser librement son corps. Sans l’intervention rapide et efficace du Juge,de son fiancé et de l’énigmatique Gurgurah (« l’homme singe » ramené des Indes par Tregoff) elle serait probablement le produit de sa sordide chimère qui consistait en la création de l’être parfait,la créature mi humaine et mi machine qui lui assumerait sa postérité. Il ne lui manquait plus qu’à réaliser la dernière étape qui consistait à « réduire son intensité vitale dans une proportion telle que son cerceau et ses muscles survivraient aux os, à la chair désagrégée » Ce fou diabolique , à deux doigts de rivaliser avec dieu, aidé par son génie et un sens développé du déguisement mena seul cette formidable entreprise dont le but était « l’immortalité mécanique ». Condamné,il se suicidera détruisant par la même occasion son repère,antre de la science et du savoir.
En guise de conclusion
Publié pour la première fois dans « L’auto » et dédié à la gloire des pneus « Duscable », il vous faudra beaucoup de chance, si ce n’est un miracle, pour trouver ce petit volume, imprimé sur du papier assez fragile. Francis Lacassin ne s’est pas trompé lorsqu’il le réédita dans sa collection « L’aventure Insensée ». Il faut dire que ce petit roman a de quoi mettre vos papilles conjecturales en appétit car il regroupe tous nos genres de prédilection et ce avec brio. : Policier Fantastique, roman populaire dans la plus grande tradition du roman feuilleton, gothique et surtout…..conjecture.
C’est à la lecture d’un tel roman que l’on se rend compte du talent et du génie des pères de « Fantômas » : un sens du suspens, du rebondissement, avec des personnages hauts en couleur dans la pure tradition du roman d’aventure. Fort de leur habitude dans ce genre d’exercice ils utilisent avec intelligence les recettes qui feront le succès des « Fantômas ». Toutes les ficelles en ont été éprouvées et tout l’attirail du roman feuilleton y sera donc exploité pour notre plus grand bonheur. Injustement oublié de tous, ce texte fût honteusement délaissé par nos plus illustres spécialistes et ce qui est encore plus curieux, il n’est même pas cité dans l’excellente étude de Alfred Chapuis « Les automates dans les œuvres d’imagination » (Editions du Griffon, Neuchatel, 1947). Le thème de « L’automate » reste un sujet courant, mainte fois abordé dans notre domaine, toutefois il s’agit bien souvent de machines aux cerveaux artificiels « mécaniques ». Ici pour une des toutes premières fois nous avons l’ébauche d’un être mécanique possédant une conscience « organique ». Les exemples dans ce cas de figure sont déjà moins courants et je vous invite à consulter les références se trouvant dans le post consacré au texte « Les étranges études du Dr Krull » Rythme trépidant et audaces en matière d’innovations scientifiques sont les maîtres mots de cette époustouflante aventure, accompagné de la présence inquiétante de l’homme singe « Gurgurah » le prototype du « Presq’homme » rencontré également de nombreuses fois dans l’anticipation ancienne.
Je crois qu’il rentre dans la catégorie des romans « Kitch » et délirants qu’il est impératif de lire, dans la même logique « rocambolesque » d’un autre texte que j’ai dévoré avec une ardeur similaire : « Fulgur, grand roman d’aventures, de police et d’épopée » écrit à plusieurs mains, également réédité grâce aux bons soins de Francis Lacassin.
Commandé à l’origine par la revue « L’auto » afin de combler d’après Lacassin, « un vide laissé par la résiliation d’un important contrat publicitaire », je pense qu’il faut remercier cette formidable opportunité qui nous fît la grâce de découvrir une telle œuvre. Le titre « Rour » serait emprunté, dans la logique des choses, au bruit d’un moteur d’automobile au ralenti. La promotion du roman à venir est assez dithyrambique et au moment de la parution du roman en librairie, voilà ce qui était marqué sur un « prière d’insérer avec les remerciements des auteurs » :
« …le récit troublant d’un drame intime, mystérieux, singulier ; c’est l’émotionnante chasse à l’homme, la lutte acharnée contre les secrets non encore dévoilés de la science ultra-moderne. Le Rour est, en outre l’angoissante épopée d’un jeune sportsman lancé a la recherche de sa fiancée disparue. Le Rour est enfin la consécration de l’habileté professionnelle d’un juge d’instruction dont la subtilité remarquable excelle à dénouer les intrigues les plus embrouillées et à découvrir les crimes les plus audacieux »
Il est également à noter l’excellent idée de nos deux compères d’avoir,bien des années avant Lovecraft,inventé une œuvre mystérieuse et maudite,un ouvrage sacré renfermant des textes impies et un savoir au delà de l’imagination humaine :
« Et Tchar Kavartin ayant rejeté son manteau sur son épaule et mis le genou à terre, souffla dans ses mains et dit : Le trésor du Rour est le trésor, et l’homme par le Rour peut faire l’homme. Alors l’homme est heureux ; ce qui naît du Rour ne périt point…. »
La similitude avec d’autres textes, cités dans le cadre des livres maudits est assez troublante.
A l’époque, le roman fût un tel succès auprès des lecteurs de « L’auto » que le directeur d’un journal « Le Vélo » propose aux deux compères d’écrire un autre roman pour sa revue. De peur de créer un précédent et une rupture de contrat avec « L’auto » ils décident d’écrire une parodie du « Rour » de façon anonyme. Le roman s’intitule alors « Le Four » et de nouveau c’est un triomphe et la supercherie est telle que l’éditeur de « L’auto » ignorants les faits demandera à Souvestre et Allain de s’inspirer de « l’invention et de l’esprit » de l’auteur du « Four » Un petite anecdote qui ne manque pas d’humour, malheureusement ce texte est probablement perdu à jamais, à moins qu’un lecteur averti ne découvre dans une cave ou un grenier la collection complète de cette revue.
Si vous n’avez jamais lu cette petite merveille, précipitez-vous, Il est actuellement sur « Priceminister » je n’aime pas faire de la pub, mais à ce prix là, foncez car vous passerez certainement un agréable moment de lecture, agrémenté par une passionnante préface de Francis Lacassin qui nous livre une foule de détails sur les deux auteurs et leurs œuvres.
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