Dans ce terreau formidable qu’est la vieille sf , a germé depuis ses origines, tout un monde peuplé d’êtres extraordinaires aux pouvoirs parfois surprenants. Humains hors du commun, sorte de héros de l’ombre qui à l’inverse du « savant fou » agiront de façon totalement désintéressée pour retourner dans l’anonymat le plus complet. Leurs caractéristiques seront presque toujours les mêmes, jeunes, athlétiques et faisant preuve d’un courage et d’une témérité exemplaire.
Si toutefois leur spécificité provient d’un force physique au dessus de la normale, les « pouvoirs » dont ils seront parfois les détenteurs, proviennent dans la majorité des cas de la magie, du spiritisme ou du savoir accidentellement retrouvé de quelques brahmes Indous. Ce concept de « super héros », qui ne prendra tout son sens que dans la bande dessinée Américaine, avait pourtant entamé ses premiers balbutiements dans les fascicules populaires, dont la prolifération fut relativement conséquente dans le premier quart du XXéme siècle.Mais « l’accouchement » sera difficile, car le concept n’est pas une des priorités de nos écrivains de l’époque qui choisiront, et cela peut se comprendre culturellement, un autre type de « héros ».
La genèse du « justicier » remonte à l’époque où de nombreux écrivains comme Féval, Alexandre Dumas, Xavier de Montepin, Eugéne Sue, Frédéric Soulié, Zévaco….créèrent un concept littéraire tout à fait innovent qui avait l’art de rassembler des genres aussi variés que le roman de mœurs, le roman sentimental,social, exotique. Mais ce qui le caractérisé le plus, c’était son coté sensationnel, qui foisonnait de situations imprévues, de rebondissements incroyables, souvent baigné dans des contrées exotiques et mystérieuses.
Curieusement, ce qui fascinait le plus le lecteur, et qui le fascine toujours autant, c’est la galerie de types louches, de malfrats, de confréries diaboliques, de génies du mal que l’on peut rencontrer dans ce genre d’ouvrages. Les exemples dans ce domaine sont légions et si l’on fait l’inventaire des trognes patibulaires, il faut reconnaître que nos romanciers firent pencher la balance plutôt du mauvais coté.
Afin que l’équilibre soit parfait, car de nature l’homme doit être « bon », il était nécessaire d’y inclure l’autre face du « coté obscur », un personnage à qui tout le monde pourrait s’identifier, un sauveur qui n’hésiterait pas à défendre la veuve et l’orphelin et mettre sa vie en danger pour sauver les valeurs fondamentales de l’humanité : Le héros !
Il faut dire que ce dernier ne manque pas de panache, aristocrate, reporter ou jeune sportif le jour, dés que tombe la nuit il revêt une tout autre apparence. Affublé d’un simple loup sur le visage ou d’une inquiétante cagoule,d’un chapeau à large bord ou d’une immense cape noire doublée à l’intérieur d’un rouge des plus vif, il sillonne la ville, investi d’une mission vengeresse des plus impitoyable. Souvent aidé par de petits gadgets, résultats des progrès scientifiques de son époque, il est rare que ce singulier personnage soit doté de pouvoirs surhumains. Les moyens qu’il utilisera pour arriver à ses fins, seront toujours à l’échelle humaine et ne dépasseront que rarement le cadre de sa simple force physique ou de son agilité. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, il existe quelques exceptions.
Dans notre domaine de recherche, la majorité des cas où nous avons affaire à un « surhomme » bien souvent celui-ci sera le résultat de recherches interdites qui ne vont, non pas créer un « super héros », mais un être complètement dépassé par des pouvoirs qu’il utilisera essentiellement pour faire le mal. Produit d’expériences douteuses, il terminera son existence de façon lamentable, détruit par son propre créateur ou par une humanité qui n’est peut-être pas encore prête à assumer une telle évolution.
Le « super héros » sera dans la littérature d’imagination scientifique souvent un simple justicier, un détective aux pouvoirs d’investigations exceptionnels, ou un savant génial dont les inventions seront mise au service d’une justice visant à contrecarrer les agissements de quelques sociétés secrètes ou autres génies du mal. Pour voir naître ce « super héros » au « super pouvoir » il fallait une vision toute neuve du héros et du justicier.
Notre littérature était trop « dépendante » d’une certaine tradition et d’un courant populaire, certes très inspiré, mais tributaire des contraintes d’une tradition romanesque bien en place. Pas ou peu de récurrences, à l’image du thème du « Savant fou ».Ce thème fort peu abordé sous l’aspect que nous lui connaissons actuellement, ne sera traité que de façon anecdotique, dans une littérature pourtant fort généreuse en ce qui concerne les inventions extraordinaires, les surhommes, les voyages dans l’espace, les invasions extra-terrestres, j’en passe et des meilleures.
La littérature dite de « genre » d’avant guerre n’est pas très généreuse en ce qui concerne les « gentils » et sera par contre beaucoup plus à son aise comme je le signalais précédemment,pour camper des figures maléfiques et tournées vers le mal . « Zigomar » de Léon Sazie, « Les vampires » de Meirs et Feuillade, « Fantômas » de Souvestre et Allain, « Férocias » et « Fatala » de Marcel Allain, « Démonax » de Robert Lortac « Fantax » le héros BD de Pierre Mouchotte, « Mme Atomos » de André Caroff, « L’ombre Jaune » de Henri Vernes autant de méchants qui participent à la consécration d’un genre qui continue encore de nos jours à rassembler de farouches partisans.
De l’autre coté du miroir, nous avons fort heureusement toute une kyrielle de héros, qui bien que tourmentés par des origines parfois douloureuses, se consacrent à véhiculer une image plus positive du vengeur masqué : « Judex » toujours de l’infatigable Feuillade, « Chantecoq » d’Arthur Bernéde, Léo Saint-Clair dit le « Nyctalope » de Jean de La Hire sans oublier notre dévoué Fascinax.
Au final, quelques auteurs se consacreront au genre, de façon discrète et établiront les bases, parfois à peine ébauchées, de ce super justicier aux pouvoirs formidables. Héla, si de nos jours ces derniers ont définitivement plongés dans l’oubli le plus total, ce n’est pas faute de leurs exploits hors du commun, mais en grande partie en raison de l’extrême fragilité du papier ou furent retranscrit leurs exploits.
Notons que ce qui les condamna d’une manière beaucoup plus radicale à une mort certaine, c’est essentiellement la grande rareté de ces éditions, qui en firent des objets introuvables, enfermés chez quelques collectionneurs paranoïaques. Autant de bonnes raisons pour que ces « héros de l’ombre » soient tombés dans l’oubli le plus total, victimes une fois de plus du dédain de nos éditeurs.
Il faudra attendre, une fois de plus la bande dessinée, pour que ressurgissent ces figures mythiques, grâce aux bons soins de Serge Leihman et de sa fameuse série de « La brigade chimérique ». Une multitude de personnages se détachent de cette formidable saga, dont le point de départ fut le rarissime ouvrage de Georges Spad « L’homme chimérique ». Je ne vais pas reprendre ici la genèse de ce mystérieux roman, je vous invite à vous rendre sur le site « La brigade chimérique » ou sur le blog de notre ami Ferocias, qui accorda une attention toute particulière au singulier personnage.
Au final, si nous faisons un petit inventaire de ces « super héros » à l’état embryonnaire, la liste pourrait être très longue ou très courte en fonction du sens que nous accordons à sa définition. Il me plait à imager le destin splendide qu’aurait pu être cette foule de personnages aussi mystérieux que redoutables, si le destin des éditions populaires eût été tout autre. Jean de la Hire et son « Nyctalope », Paul Féval fils et « Félifax », Jacques Spitz et « L’homme élastique », le « Rour » de Souvestre et Allain, le « Sâr Dubnotal » et surtout « Fascinax » objet du billet d’aujourd’hui. Car ce personnage, est à lui tout seul non seulement une énigme littéraire, car on ignore avec certitude son auteur, mais il reste à mon avis le personnage type du super héros, du justicier vengeur aux pouvoirs formidables.
Publié en 1921 à la « Libraire des romans choisis » cette série en 22 fascicules, bénéficiera pour ses couvertures du talent de Gino Starace et de son fils Jean. Pour le néophyte, la carrière de cet illustrateur hors pair, trouvera son plein essor pour les couvertures des éditions Fayard avec entre autres les superbes planches de la série des Fantômas.
Afin de mieux présenter le personnage, reportons nous au titre du premier fascicule : « Qui est-ce ? » Déjà à la vision de la couverture nous avons le portrait assez théâtral d’un personnage avec chapeau et cape, au un visage charismatique d’où ce dégage une force et une volonté des plus formidable. Le personnage nous est présenté comme un homme « Doué d’un pouvoir mystérieux qui protège les faibles et démasque les fourbes »
Le héros, Georges Leiceister est un jeune médecin en poste à Mendoro aux Philippines. Il sera contacté afin de réaliser une autopsie sur un Yogi du nom de Nadir Kritchna, exécuté par électrocution pour un crime dont il n’est visiblement pas responsable. Mais le « cadavre » ressuscite et grâce à l’aide providentielle de Georges, il parvient à s’enfuir et se mettre hors de danger. Voyant en lui un homme bon et destiné à un avenir hors du commun, le yogi décide de lui transmettre une partie de ses formidables pouvoirs. Car dit-il je vois en vous un homme incapable de faire un mauvais usage de cette puissance mystérieuse. Il va ainsi le conduire dans un endroit des plus secret, une crypte extraordinaire où sont représentées les divinités les plus sacrées du panthéon indien. Un rite de passage sera de mise et véritablement « enfermé » dans les bas reliefs de la salle, il devra, armé du « poignard qui repousse les ombres », repousser les attaque des dieux à tête d’éléphant, de crocodile et de tigre. Il sortira vainqueur de l’affrontement, les créatures redeviendront pierre, la crypte une salle des plus banale, mais Leiceister lui sera devenu « Fascinax ».
Volonté d’hypnotisme, dont de voyance du passé et de l’avenir, vitalité exceptionnelle, tel sont les pouvoirs de cet être exceptionnel. Cependant,cette formidable puissance, il va très vite l’apprendre à ses dépends, devra servir à contrecarrer les pouvoirs d’une autre créature tout aussi puissante mais dont les pouvoirs seront au service du mal : Numa Pergyll !
C’est ainsi que va naître le premier super héros de la littérature d’imagination scientifique qui, tout au long de sa vingtaine d’aventure va se trouver aux prises de situations les plus invraisemblables et des êtres les plus redoutables :
- Un univers étrange peuplé de chats dirigé par la mystérieuse Lady Agnès Gray dans l’épisode N°3
- Momie et princesse égyptienne dans le N°4
- Utilisation d’un véhicule révolutionnaire « La Fascine », entre l’automobile et l’aéroplane…
- Une pierre précieuse maléfique dans le N°6
- « Croquignolle » un gigantesque polichinelle, dirigé par « la reine des sirènes » dans le N° 10, cette même « reine » que nous retrouverons dans le fascicule suivant où il est aussi question de radioactivité et d’électro magnétisme.
- N° 13 et nous sommes confrontés à de redoutables martiens mais tout cela ne s’avère être qu’une supercherie…dommage !
A partir de cette décevante treizième aventure, le style s’essouffle, le délire des premiers numéros laisse place à la banalité. La saga va ainsi prendre une autre tournure, beaucoup plus tournée vers le fantastique, mais un fantastique de « bazar », aux ficelles grossières, aux idées mal exploitées. Pourtant les titres des exemplaires étaient prometteurs et alléchant mais hélas on retombe vite dans une littérature qui contribua malheureusement à entretenir la mauvaise réputation du genre.Changement d’auteur, lassitude de l’écrivain ou directives de l’éditeur ? Difficile à dire d’autant plus que les couvertures semblent également changer et le travail méticuleux des premières livraisons, laisse également place à un travail bâclé, atypique et sans conviction.
Dans un article consacré à la série et rédigé par Claude Hermier ( Bulletin des amateurs d’anticipation ancienne et de littérature fantastique N°11 Novembre 1992), l’auteur évoque le nom de Gustave Le Rouge, alors que dans un précédent article (le premier réalisé sur le sujet) paru quand à lui dans le N°10 du « Chasseur d’illustrés » de mai 1969, Georges Fronval avançait ce lui de Marcel Allain….Le mystère reste entier mais il est clair que face et je cite Claude Hermier :
« Style alerte, coloré, effets de surprise, dosage judicieux d’ingrédients qui sont l’exotisme, les pouvoirs paranormaux, les objets maléfiques, l’anticipation, le fabuleux, les mondes étranges….Je trouve dans Fascinax, du moins dans les premiers récits, style du « Mystérieux Docteur Cornélius » : même démesure, même magie, même couleur, même ton et certains thèmes récurrents : Le royaume des chats, le Lunatic Asylum (ainsi le numéro 7 du « Dr Cornélius » ne porte-t-il pas le titre « Un drame au Lunatic Asylum » ?). L’émeraude, pierre maléfique s’il en fut apparaît chez Cornélius (fascicule 14 « Le buste aux yeux d’émeraudes »
Je suis certain que si l’on y regarde de plus près, il serait probable de trouver d’autres similitudes. Un sacré gars le « Gustave » et sa production doit également se noyer dans un océan de pseudonymes et de textes anonymes.
Par la suite ce type de personnage ne se rencontrera quasiment plus, ce rôle sera plutôt attribué à d’autres personnages d’exception qui utiliseront une autre genre de pouvoirs afin de résoudre diverses enquêtes, à la limite du fantastique et du surnaturel pour certaines et d’autres pour affronter des génies du mal ou de redoutables bandes organisées.
En somme toute une page de tout notre patrimoine de la culture « populaire » dont nous nous devons d’être fier. Ébauche du super héros, prototype du vengeur masqué aux supers pouvoirs ? Quoiqu’il en soit nous avons dans ce personnage « fascinant » et énigmatique les premiers jalons du justicier impitoyable, cet homme au double visage, sur lequel pèse toute la folie et la méchanceté des hommes. Une figure emblématique, seulement vénérée par un petit groupe de passionnés, des nostalgiques du vieux papier qui savent fort heureusement qu’un jour viendra où ces figures légendaires ressortiront de l’ombre.
Liste des Fascicules :
- N°1 « Qui est-ce ? »
- N°2 « Le docteur aux yeux verts »
- N° 3 « La morte de Long Island »
- N° 4 « La momie sans pouce »
- N° 5 « La vapeur écarlate »
- N° 6 « La pierre fatale »
- N° 7 « L’avalanche vengeresse »
- N° 8 « Le saut de la mort »
- N° 9 « Au bord de l’abîme »
- N° 10 « Le jouet qui parle »
- N° 11 « Le sous marin volant »
- N° 12 « Le téléphone mystérieux »
- N° 13 « Un message de la planète Mars »
- N° 14 « Une caverne aux millions »
- N° 15 « L’escalier de feu »
- N° 16 « L’obus infernal »
- N° 17 « La cloche humaine »
- N° 18 « Le château du fantôme »
- N° 19 « La roche ensorcelée »
- N° 20 «Le pendu de l’Ile-aux-rats »
- N° 21 « L’auberge du diable »
- N° 22 « Les bijoux qui tuent »
Pour les passionnés du personnage, il est intéressant de savoir que Georges Leiceister fut de nouveau sollicité pour de nouvelles courtes aventures. En effet on retrouve notre héros dans l’excellente anthologie de Jean marc Lofficier « Les compagnons de l’ombre » (Six volumes à ce jour). Ainsi dans le volume cinq c’est Lovern Kindzierski qui le ressuscitera dans un affrontement des plus singulier avec….Irma Vep (« Les périls de Paris ») alors que dans le même volume Fascinax fera « équipe » avec Jules De Grandin pour affronter son ennemie de toujours : Numa Pergyll (« Cadavres exquis »). Ce même auteur, en grand passionné de littérature populaire Française avait déjà composé pour le volume quatre des « Compagnons » une incroyable nouvelle « Le gambit du traître » ou vont s’affronter : Flax, Belphégor, Fantômas Mabuse, Harry Dickson….Tout un programme !
Un remerciement tout particulier pour l’article de Claude Hermier cité précédemment et qui fut une source de précieux renseignements. Ce même article fut repris dans l’ouvrage paru aux éditions de« l’oeil du sphinx » et intitulé « L’archéologue du merveilleux » collection « les études du Dr Armitage » un supplément à D&M 1996
Quelques petites couvertures originales
Illustration de droite : « Fascinax versus Irma Vep…….le mythe revisité dans la savoureuse anthologie de Jean Marc Lofficier »