Si la France ne connu pas son heure de gloire à l’instar des Etats-Unis qui à l’époque possédait de nombreuses revues spécialisées, elle n’en délaissa par pour autant notre genre de prédilection. Il n’était donc pas rare, comme il sera possible de le constater dans les pages de ce blog, de voir « fleurir » dans de nombreuses revues un grand nombre de textes, nouvelles, essais et illustrations ayant pour sujet les possibilités de notre avenir.
Quelques revues consacrèrent à ce sujet des numéros spéciaux et la lecture d’exemplaires aussi fameux que « L’assiette au beurre » et son numéro « A nous l’espace » (N° 37 14 Décembre 1901), le « Crapouillot de l’an 3000 » (Numéro spécial Noël 1919), pour ne citer qu’eux, sont des preuves suffisantes pour confirmer l’intérêt que pouvait susciter « l’anticipation ». Mais je crois que dans ce domaine, le numéro le plus exceptionnel consacré au thème du futur, est sans nul doute celui de la revue « Le miroir du monde » qui lui consacra un volumineux numéro spécial pour le Noël 1933 et intitulé à juste titre : « XXXéme siècle ». Un format géant de 72 pages ( la partie consacrée à la publicité est numérotée en chiffre romain de I à XXXII ) datant du 9 Décembre 1933, agrémenté pour chaque articles ou nouvelles de superbes compositions donnant à tout cela un aspect des plus enthousiasmant . Ce numéro spécial se complétera par un supplément gratuit, un roman de Paul-Louis Hervier, intitulé comme il se doit « La fin du monde ».
Mais avant de faire le détail de ce précieux exemplaire écoutons la préface faite pour l’occasion :
« Les numéros de Noël des revues s’emplissent souvent d’abondants souvenirs tirés d’un passé pittoresque. Cette année, le « Miroir du monde » rompt la tradition : pour divertir ses lecteurs, il les invite à tournée leurs pensées vers un lointain avenir.
2933. Que seront devenus les hommes et les choses dans un millénaire ? A ceux qui ont accepter de collaborer à cet essai d’anticipation, la plus grande latitude d’imagination a été laissée. Nous leur avons simplement demandé de se placer dans le cadre d’une hypothèse générale optimiste : La continuation pendant dix siècles du progrès technique. Non point que nous écartions la vraisemblance d’un avenir moins favorable ; mais des peuplades retournées après quelque subversions mondiale, à la vie primitive de la foret vierge, auraient offert un sujet de réflexion moins attrayant et plus monotone.
Au surplus, nous avons prié nos anticipateurs de s’identifier pour la circonstance avec les membres d’une docte assemblée qui vers la fin de 2933,tient séance, toutes sections réunies, dans le dessin d’évoquer mille ans d’histoire.
Qu’on ne s’étonne point si quelque contradictions peuvent être révélées parmi leurs discours : chacun était libre de rêver à sa guise.
Quant aux points d’interrogation, ils sont innombrables et on n’a que l’embarras du choix.
L’humanité sera telle plus intelligente et meilleure que celle d’aujourd’hui ? Vivra t-on plus vieux, dans un monde plus harmonieux ? Ira-t-on plus vite et plus loin, vers des buts et par des voies qui nous sont inaccessibles aujourd’hui ? Nos descendants sauront-ils mieux que nous, concilier le cœur et la raison, le travail et le loisir, l’individu avec la collectivité, la liberté avec l’ordre ? La beauté des femmes sera-t-elle plus éclatante et plus durable, l’énergie des hommes moins brutale et leur cerveau plus calme ? Les économistes auront-ils transformé leurs théories incertaines en rassurantes pratiques ? Les thérapeutes sauront-ils vaincre la douleur ? Les artistes auront-ils découvert une esthétique définitive ? Comment mangera t-on, comment parlera t-on, comment pensera t-on dans dix siècles ? Quelles joies nouvelles, quels nouveaux chagrins rempliront les heures des générations futures ?
Et puis, ces gens du XXXéme siècle, dont nous tentons de deviner ce qu’ils seront, comment se figureront-ils ce que nous aurons été ?
L’entreprise de répondre à un pareil interrogatoire était hardie ; mais les enquêteurs qui ont essayé de la mener à bien ont au moins l’assurance qu’aucun contradicteur ne pourra les démentir preuves à l’appui.
Et maintenant…place aux prophètes ! »
Cette entrée en matière, nous révèle bien qu’elles étaient les préoccupations de nos « ancêtres » dans le domaine conjectural et elle est assez symptomatique d’une époque ou finalement le bonheur de la descendance était la priorité absolue. Il faut dire que la France venait de traverser un conflit des plus horribles et que tout un chacun aspirait à un avenir des plus radieux. Je pense aussi que la politique de la revue était d’apporter de la joie et de la bonne humeur parmi ses lecteurs et donc qu’il était inutile de faire preuve d’un trop grand pessimisme…. surtout en période de fêtes. Les événements terribles qui arriveront par la suite ne rappelleront que trop bien la folie meurtrière des hommes.
Le but de ce numéro spécial n’était pas de faire peur mais au contraire de se vouloir rassurant quand au destin de l’humanité (même si le roman offert pour l’occasion est une histoire de « Fin du monde). Peu avant une autre revue « Vu », venait de se charger de cette peu recommandable « mission. En effet elle avait elle aussi réalisé un autre numéro spécial en Mars 1931 (N°152 du 11 Février) et du nom assez évocateur de « La prochaine guerre » où articles et nouvelles extrapolent sur les possibilités d’une guerre future et de toutes les « technologies » qui y seront mise en œuvre (avec force photos montages et documents d’époques). La couverture est assez évocatrice puisque l’on voit les personnages de « La Marseillaise de Rude » dans un habile photo montage, affublés de masques à gaz. C’est pour vous dire le traumatisme laissé par 14/18.
Toujours dans « Vu » dans son numéro 259 (du 1er Mars 1933), réitère sa vision assez sombre du destin de l’espèce humaine avec un superbe numéro intitulé « Fin d’une civilisation », tout est dans le titre (On voit en couverture une homme minuscule se faire véritablement broyer par les rouages d’une machine gigantesque). Une fois de plus des articles aux consonances terrifiantes : « La science coupable ou libératrice ? » ou ce « La machine rend l’homme inutile » sans oublier « Vie et mœurs du robot homme machine ». Mais ce numéro spécial est aussi très recherché pour la fameuse nouvelle de Jean Painlevé « La fin des robots » avec un photo montage tout simplement hallucinant.
Revenons toutefois avec notre « Miroir du monde » et de sa vison un peu plus optimiste de notre avenir. On s’amuse énormément à la lecture de ces « prédictions » à l’allure un peu désuètes et que les auteurs s’employèrent à imaginer. Si la lecture de ce copieux magazine verse parfois dans le burlesque le plus total, elle se fera par contre toujours d’une manière fort agréable. Certaines signatures faisant parfois même preuve de certaines qualités de visionnaires. Un numéro comme vous l’aurez compris assez indispensable dans votre collection, ne serait-ce que pour le visuel tout simplement splendide de la couverture. Les habitués du genre ne seront pas surpris de reconnaître quelques signatures célèbres au bas de quelques nouvelles
Pour les mauvaises langues qui ne jurent que pour les « Pulp’s Américain », la couverture est la preuve que nos « anticipateurs » avaient eux aussi des choses à exprimer.
Villes aux lignes limpides et à l’architecture cyclopéenne où sillonnent de curieux aéronefs!
Sommaire du Numéro :
- « Illustration de couverture par Andreini ». « Que seront les villes en l’an 2933 ? Dans ce domaine comme dans tous les autres, toutes les fantaisies sont permises à l’imagination des anticipateurs. L’aquarelle de notre collaborateur, s’inspire, pour représenter la cité future, des idées chères à quelques urbanistes contemporains. Au sommet des formidables édifices et des mats stratosphériques, que l’on voit sur l’image, l’auteur a placé des plates-formes d’où partiront les véhicule aériens et interplanétaires de l’avenir. »
- « Editorial ». Page une
- « Le toucher, sens du trentième siècle » par Abel Hermant. Illustrations de Baille-Hache. Pages 3 à 4. Tout est dans le titre
- « Hommage de Tombouctou à Paris » par Jacques Bainville. Illustrations de Marc Moallic. Pages 5 à 7. « L’auteur y dégage les physionomies diverses qu’a présentées le monde au cours des dix derniers siècles, et dédie un souvenir ému de l’ancienne capitale Française : Paris. »
- « Vivra t-on sans argent en 2933 » par Antoine-Louis Jeune. Illustrations de Paul Ordner. Pages 8 à 10. « Le plus grand brasseur de valeurs, Mr Euleja, souligne les disparitions des espèces monétaires et l’avènement du chômage intégral. »
- « Faillite des masses et des volumes » par Jean Labadié. Illustrations de Robert Black. Pages 11 à 14. « L’électrophysicien Najediebale, dont les lois ont détruit tous les principes connus depuis Archimède, développe ici les curieuses et extravagantes théories dont il est l’auteur. »
- « Le bruit source de joie » Texte et dessin de Rip. Pages 14 à 17. » Rapport du Dr Castigatry Dindeau sur les plaisirs de ce monde. »
- « Les robots nos esclaves » par Alain de Caters. Illustrations de Roubille. Pages 18 à 20.« L’ingénieur Ainde Restacal, dont les androïdes ont fait sensation à la dernière exposition laborieuse, indique ou en est la fabrication des classes ouvrières. »
- « La terre éternelle jeunesse » par Marcel Bol. Illustrations de O.Andreint. Pages 21 à 23. « Un récapitulatif de l’histoire de la terre et de ses avancées techniques des origines à 2933″.
- « Montmartre perdu et retrouvé » par Marc Daubrive. Illustrations de Julhés. Pages 25 à 27. « L’éminente intelligence Fatimiloara, de l’institut des étoiles Fianarantsoa, devant le micro destiné a transmettre aux planètes voisines de sa patrie, son rapport universellement attendu sur les recherches effectuées par la mission Chou Lan Po , pour découvrir l’emplacement de l’ex capitale de Paris. »
- « Le XXXéme siècle verra t-il la fin du monde » Grande planche illustrée (voir reproduction en bas de page) s’ouvrant en deux, composée par O.Andreini.
- « La fin du monde » Supplément gratuit détachable. Roman de Paul-Louis Hervier. Illustrations de André Hellé.
- « Un millénaire de gastronomie » par Cur XLVII. Illustrations de Yves Brayer. Pages 30 à 32. « Rapport discours de Cur XLVII, prince des dégustateurs et suavités interplanétaires. »
- « Déplacements 2933, voyages interplanétaires » Transmis de la salle des séances de l’académie des sciences par Raymond Saladin. Illustrations de Marcel Dhalenne. Pages 33 à 36. « L’histoire de la locomotion terrestre de la roue aux voyages vers l’infinie…et au-delà. »
- « Crimes instantanés : En pressant sur le bouton du Mandarin ». Par Léon Groc. Illustrations de Lalande. Pages 37 à 39. » L’expert bien connu Géo Clonr, révèle les moyens subtils dont usent les destructeurs, mais aussi leurs adversaires, les épureurs. »
- « Dix siècles de progrès médicaux ou le triomphe du Docteur Knock » Par André Arnyvelde. Illustrations de R. de Valerio. Pages 40 à 43. « L’éminent praticien Andrea Nyrvelde, digne successeur d’Esculape, indique ce qui différencie sa thérapeutique de celle des ages primitifs. »
- « En retournant vers Adam » Par André de Fouquiéres. Illustrations de Alexandre Lippmann. Pages 44 à 45. « Mr de Fouquiéres, qui compte parmi ses ancêtres des arbitres de la mode et du protocole, se livre à quelques considérations sur l’art de se bien vêtir. »
- « Sur le pont d’argent du temps » Par Paule Hutzler. Illustrations de Alexandre Lippmann. Pages 46 à 48. « La parole est à Mlle Coco, rénovatrice de la mode des deux hémisphères, qui à l’intention de reformer les élégances terriennes. »
- « La stérilisation des sentiments » Par Maurice Bourdet. Illustrations de Kelen. Pages 49 à 51. » Soucieux d’apporter une étude précise sur la psychologie de la tendresse, le Professeur Nietz Sche Bergson Rognonas, compare devant l’assistance, les conceptions actuellement admises et celles qui furent en faveur jadis, dans le monde entier. «
- « Toute la vie dans un fauteuil » Par Christian de Caters. Illustrations de Georges Pavis. Pages 52 à 54. « Le divinateur mondain Bernard Paulet, auquel nulle pensée n’échappe, craint que l’abus des détections psychiques, ne recèle une menace grâce pour l’avenir de la civilisation. «
- « L’air en cage » Par Mallet Stevens. Photos d’Albin Salaun, d’après des maquettes de Mallet Stevens. Pages 55 à 57. « L’art décoratif, l’architecture et l’urbanisme, sous l’impulsion de plusieurs « bâtisseurs » ont revêtu un nouvel aspect, qui s’est sans cesse renouvelé, ainsi qu’en témoigne ce rapport de l’édificateur Vensternol. «
- « 1933/2933 Images des quatre coins du monde » Pages 58 à 59.Montage photos de divers événements réels ou imaginaires ayant ponctués cette période.
- « 2933 Ere de l’astronautique » Par Michel Georges-Michel. Illustrations de Alexandre Lippmann. Pages 60 à 61. « Dans les sports pratiqués en 2933, la force physique et la détente ne jouent plus q’une rôle minime, ainsi que l’explique notre grande autorité athlétique Georges Michel-Georges. »
- « Les arts plastiques…ou la beauté qui renaît toujours » Par Eugène Marsan. Illustrations de Brunelleschi. Pages 62 à 64. » Sous le vaste dôme de l’institut de France perpétué, à Chartres, les trois éclairs pales, suivis d’un éclair bleu : il est quinze heures ; Paul Vic s’est levé pour produire son rapport sur l’évolution des arts plastiques depuis mille ans. En réalité les académiciens n’auraient pas besoin de se réunir. Les images sont transmises comme les sons d’une rive à l’autre du monde. Mais pourtant, les hommes tiennent toujours des assemblées auxquelles ils attribuent une signification spirituelle et presque religieuse. Il n’avait pas à parler. Il n’avait qu’à penser les phrases que les ondes spéciales reproduisaient mot à mot dans tout l’univers. »
- « Les armes éternelles de la femme » Par Martine Delhorbe. Sources photographiques diverses. Pages 65 à 68. « Mlle Coco a déjà initié l’auditoire aux secrets de la mode ; mais elle n’a pas parlé des artifices dont use la femme depuis cent siècles pour accroître et conserver sa beauté. Mme Marthe Delibron va vous entretenir de quelques-uns d’entre eux. »
- « Idylles rénovées » Par René Stevens. Photo montage par l’auteur. Pages 69 à 70. « Des hommes de 1933 semblent avoir eu l’intuition de ce qui se passerait mille ans après eux et le mémorialiste René Stevens soumet à l’auditoire l’étrange découverte qui a été faite, à cet égard, dans de vieux textes. L’auteur embarque sur un étrange véhicule aérien : « L’alérion ». »
Un numéro donc des plus copieux où le plaisir amusé de la lecture se joint aux plaisantes fantaisies des illustrateurs!
Des textes d’une grande diversité, agrémentés de savoureux petits dessins
La science du trentième siècle saura t-elle nous préserver d’une telle catastrophe?
ce serait pas mal un sujet plus complet sur les no speciaux de revues hors genre : tu en cites donc deja 4 , de tete je pense au no special de la gazette Dunlop 08 1936 no 192 ; 31 pages N&B avec illustrations ( photos du film » la vie future » , dessins originals de delarue-nouvelliere;articles de prevot; barthelemy; vigneau ; beucler; girardet ; lauwick ; petit ; nouvelle de G.de pawlowski ( fondateur de la revue ) http://forums.bdfi.net/viewtopic.php?id=1584
Salut Jean-Yves. Il serait effectivement intéressant de faire un billet spécial « numéros spéciaux », car il y a également ce numéro spécial de lecture pour tous en 1932 « Fééries de l’avenir » et il doit y avoir également un numéro de « Je sais tout » sur la même thématique. Encore une idée qu’il va falloir que je développe un jour ou l’autre. Merci et à bientôt.