« Comme je ne lis pas que des choses anciennes et surannées et que de temps en temps j’ouvre un livre dont la date n’affiche pas toujours le centenaire sur la page de garde, je me suis dit qu’il serait également sympathique de vous faire part de mes coups de cœur, ou de vous parler d’un ouvrage qui mérite toute notre attention. »
Présenter une œuvre reste en soi une chose assez délicate, car on ne sait pas si l’on va employer les mots justes, réussir à faire passer les émotions, le plaisir de lecture, la joie extrême de tourner les pages et de découvrir frémissant, ce qui se passe derrière…Il est à mon avis plus facile de démolir un texte et d’en vanter l’inutilité de sa lecture. En règle générale lorsque un ouvrage me déplait je le délaisse et l’ignore, non point par lâcheté, mais le temps est une chose trop précieuse pour l’utiliser en inutiles fadaises ou en méchancetés mal intentionnées. Alors pensez, lorsqu’il faut parler d’un roman écrit par un ami, la chose reste délicate et périlleuse. On pourrait en effet me targuer de favoritisme et de faire preuve d’un certain manque d’objectivité.
Pourtant, même s’il me faut reconnaître un certain enthousiasme pour l’auteur, je dois avouer que la lecture de son dernier roman « L’or et la toise » n’était pas tout à fait gagnée, car je n’ai pas une grande affinité avec le genre qu’il aborde dans ce premier volume de son nouveau cycle, à savoir la Fantasy. Peut-être que je classifie mal ce dernier et je prie l’auteur de bien vouloir m’en excuser, ma connaissance dans ce domaine se bornant à quelques classiques indémodables, du « Cycle des épées » de Fritz Leiber, à la saga d’Elric de Michael Moorcock, en passant bien entendu par RE.Howard, les ouvrages de Clark Ashton Smith et d’autres auteurs éparpillés dans cet océan de titres auxquels nous nous accrochons comme une bouée de sauvetage afin d’éviter de sombrer dans l’ennui et le dégoût.
Lorsque je suis arrivé à la dernière phrase du livre en question, je me suis rappelé de son interview pour le site « La confrérie de l’imaginaire » où il nous explique comment fonctionne son mode de travail, se confie sur sa technique d’écriture, et qu’il nous avoue avec toute la modestie qui l’anime :
« Je n’ai pas d’autres ambitions que de divertir, de faire passer un bon moment ».
Je crois que tout le secret de sa réussite est là, dans une démarche aussi humble et simple à la fois, d’avoir pour le lecteur cette notion de respect et de lui procurer au final quelque chose de simple et de complexe à la fois : Du plaisir !Mais ne vous faisons pas plus attendre et plongeons séance tenante dans cette palpitante et incroyable saga.
La Fagne est un pays maudit, fait de marécages putrides et nauséabonds où furent déversé jadis les produits d’expériences de mages peu scrupuleux. Elle fut aussi le siége de la malédiction du redoutable Vorpil, virtuose des maléfices et des incantations. Le pays est alors divisé en deux, la Fagne du Nord où choses et gens se mettent à grandir de façons démesurées et celle du Sud ou à l’inverse tout, à la fâcheuse tendance à diminuer à vue d’oeil. Dans cet univers où semble régner un chaos indescriptible, peuplé d’abominables créatures aux appétits féroces et « d’humains » dont l’apparence ne cesse de se modifier au gré de la fantaisie de chacune de leur morphologie, une singulière et dangereuse course au trésor se prépare.
Deux aventuriers (Jodork et Clincorgne) qui n’ont certainement pas froids aux yeux, s’embarquent pour une expédition somme toute assez incroyable,dans cette redoutable jungle dont le qualificatif d’innommable reste le terme le mieux approprié. Parviendront-ils à déjouer les nombreux piéges qui se cachent dans cette végétation en pleine liquescence, pourront-ils déjouer la perfidie de Renelle, dont toute la « grasse » n’a d’équivalent que sa cupidité, arriveront-ils à déjouer le fanatisme des moines pourpres, adorateurs du cadavre embaumé de Mûm, mystérieuse créature qui dit-on viendrait d’une lointaine planète ? Mais ceci, n’est qu’un avant goût de menaces plus terribles encore qui les guettent à proximité du château du seigneur Tillot. Dans les eaux boueuses de la sinistre bâtisse rôde le « grand grimacier » créature titanesque, aux excès de fureurs redoutables que rien ne semble vouloir calmer. L’issu de cette singulière aventure sera la découverte d’un trésor, assez peu banal et qui ne peut que vous laisser les bras ballants et la mine satisfaite.
Pour définir toute la richesse imaginative d’une telle épopée, le terme « passionnant » est à mon sens le mieux adapté. Il y a un tel sens du délire et d’une telle implication dans cet univers que Brice Tarvel vient ici de créer de toute pièce, qu’il me parait difficile de trouver ailleurs son équivalent. Chaque page foisonne d’une idée nouvelle, d’une situation à la fois drôle, cocasse, délirante ou tragique. Mais pour que cet univers soit le plus apte à marquer son territoire et porter en lui les germes d’une œuvre vraiment pensée et réfléchie, il va ainsi et ce pour notre plus grand plaisir, créer tout un langage, inventer des expressions, établir un dictionnaire. Des mots qui évoquent chez nous un passé moyenâgeux, mâtiné de quelques expressions d’une France bien profonde, agrémenté de quelques libertés phonétiques qui ne peuvent que nous réjouir et nous forcer à l’amusement. Les dialogues entre les différents protagonistes sont parfois d’un comique assez savoureux et l’on reste souvent dans l’attente de la prochaine réplique, tant l’auteur à le sens de la répartie truculente et savoureuse.
A la limite , pour donner un petit avis négatif sur le roman, c’est à ce niveau que le style bien que pour moi est un des atouts majeurs , pourrait rebuter certains lecteurs peu habitués à ce genre d’exercices. En fonction des personnes, sa force pourrait devenir sa faiblesse.
Mais je trouve personnellement que l’auteur fait montre d’une grande inspiration en y ajoutant cette touche très personnelle et concrétise ainsi toute une vie vouée à l’écriture et au domaine de l’imaginaire. Je n’aime pas faire ce genre de comparaison, car il y a ceux qui s’inspirent et ceux qui copient, mais l’on sent dans l’écriture de Brice Tarvel cette passion dévorante qu’il voue à certains écrivains qui ont marqués sa plume féconde. « L’or et le toise » c’est un subtil mélange de Rabelais, Jean Ray et Brussolo, mais le raccourcie serait vraiment trop abrupt si derrière ce style et cet univers inimitable, il n’y avait pas la patte d’un auteur imaginatif et méticuleux, qui loin de plagier leur style en fait un subtil mélange en pétrissant les mots de manière habile et par la magie de l’inspiration et du talent, affirme un style unique et nouveau. N’est-ce pas là, une sorte de consécration lorsqu’un auteur trouve ses marques d’une manière aussi personnelle, par une œuvre originale et innovante ?
Le talent de l’écriture ne saurait suffire, si en plus il n’y avait une telle abondance d’idées toutes plus incroyables les unes que les autres et l’on se demande parfois si l’auteur ne prend pas quelques substances illicites pour arriver à nous jeter ainsi sur la feuille des idées aussi farfelues et délirantes. Jamais il ne nous laisse reprendre notre souffle, et les événements s’enchaînent à une vitesse folle et chaque page tournée est le prémisse d’une découverte toujours aussi merveilleuse, d’une situation plus incroyable que la précédente : Les Aquachiens et leurs redoutables fringales, les Nuitons créatures charbonneuses dont l’expiration servent à gonfler une vessie de Palusore créant ainsi une singulière montgolfière, les moines pourpres adorateurs de Mûm, les Croquedurs, le Mâche-dru, les traînes-vase, le Grand grimacier, Ogres, Habitants des marées dont les curieuses décoctions à base de sang de dégénérés permettent la fabrication d’onguent qui vous évitent de vous transformer en poisson….Tout un monde fantasmagorique et dont la liste est beaucoup trop longue pour vous en citer toutes les créatures qui le peuple.
Un complexe univers créé de toute pièce, régi par ses propres lois, mais dont la logique et l’inspiration ne peuvent que charmer le lecteur. Je me suis laissé séduire par le charme envoûtant de la belle Candorine, frappée d’une étrange malédiction pour avoir goûté l’eau maudite de la Fagne et qui, suite à d’incroyables péripéties, se trouve transformée en « sirop de grenouille ». De nouvelles aventures attendent nos intrépides aventuriers et nous avons tous hâte de pénétrer dans ce pays « D’obscurie » évoqué par l’auteur, et qui nous semble tout aussi peu fréquentable car peuplée de vampires et autres abominations. Un second volume qui laisse présager d’autres palpitantes péripéties.
Alors plongez sans retenues dans l’eau saumâtre et pestilentielle de la Fagne. Vous y rencontrerez certes des créatures peu recommandables dans un air vicié qui vous laissera un goût amer de vase dans la bouche, mais avec un plaisir immense de lecture et la sensation d’avoir pénétré dans un univers original et unique ce qui, par les temps qui courent, est déjà une chose trop précieuse pour y passer à coté. Remercions l’éditeur d’avoir ainsi donner à l’auteur la possibilité d’affirmer un style inimitable et un sens du divertissement tout à fait remarquable.
»L’or et la toise, Ceux des eaux mortes« Tome 1 Par Brice Tarvel. Editions Mnémos, collection « Dédales »
La belle et mystérieuse Candorine sous le pinceau expert de Johann Bodin
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