« La terre dans cent mille ans, roman de mœurs » Tome 1 : L’île enchantée. De A.Vilgensofer. Editions H.Simonis-Empis. In-12 Broché.1893 (Bulletin des amateurs d’anticipation ancienne et de littérature fantastique N°28 Juin 2008)
En 1900, le professeur Anima un éminent savant spécialiste de l’encéphale, disparaît mystérieusement après avoir fait la découverte d’un fluide révolutionnaire permettant de plonger tout être vivant en « animation suspendue ». La communauté scientifique pleure alors cette perte irremplaçable, privant ainsi l’humanité d’une telle sommité dont les travaux contribuèrent à améliorer considérablement les avancées dans le domaine médical. Seule une lettre sera retrouvée, avec quelques explications laconiques expliquant qu’il s’est retiré dans un endroit isolé du monde et qu’il est donc inutile d’entreprendre des recherches. Dans l’enveloppe, un testament qui stipule que sa fortune devra être gérée par son notaire de façon à ce que sa « descendance »puisse en jouir beaucoup plus tard quitte à ne revenir que dans « 100 000 ans ! ».Comme un malheur n’arrive jamais seul, la faculté tente de mettre en application sa fameuse formule et c’est bien évidemment un échec, car toutes les bonnes recettes de grand-mères, il manque le petit « truc » faisant toute la différence.
Les années puis les siècles s’écoulent, Anima restera pendant très longtemps une sorte de légende pour finir par s’effacer complètement des mémoires. Pourtant, à l’aube radieuse de ce « 19éme siècle de l’ère céleste », une compagnie creusant une immense galerie à travers le globe terrestre (une époque où les voies de communications terrestres sont exclusivement souterraines) découvre dans une grotte parfaitement isolée, à l’intérieur d’un caisson hermétiquement clos, un corps sans vie parfaitement conservé. Nul doute n’est possible, les hypothèses arrivent toutes à la même conclusion : il s’agit de la découverte du siècle, celle du professeur Anima. Malgré de nombreuses réticences, faut-il le garder comme une pièce de musée que chacun pourrait venir contempler ou faut-il le « ressusciter » ? C’est le Dr Max qui va assumer la lourde responsabilité de ranimer cette illustre relique. Un long processus qui va durer plusieurs semaines et au bout du compte c’est un savant radieux qui en présence de son fils va assister au réveil tant attendu. Le noble vieillard ouvre alors les yeux en prononçant la désormais célèbre réplique : « Où suis-je ? »
Aprés deux mois de rééducation intensive, arrive le jour où il nous faut présenter ce miraculé d’une époque révolue, au grand conseil suprême. Dans un premier temps il sera proclamé membre à part entière et bénéficiera en outre d’une coquette somme afin de subvenir à tous ses besoins. Un fois cette petite formalité effectuée, débute alors la découverte de ce monde extraordinaire dans lequel il vient de se réveiller. Pour commencer, le Français est devenu la langue universelle, histoire de régler notre aversion légendaire pour les langues étrangères. A bord d’une voiture électrique, la toute première tache sera de se rendre à la gare centrale, ils doivent en effet accueillir Bob, le sage des sages. Chemin faisant tout en regardant un monde bien étrange qui défile devant ses yeux, il apprend que la terre est désormais peuplée de cent milliards d’êtres humains et que tout fonctionne à l’électricité. Cette énergie nécessaire en grande quantité est tirée d’une source quasi inépuisable : La rotation de la terre !
Arrivés à la gare, le décor est grandiose, une multitude de routes s’entrecroisent sur plusieurs niveaux et l’on peut voir un ballet incessant de milliers de véhicules circulants dans un accord parfait. Le terminal quand à lui, s’étend sur plusieurs kilomètres avec une station pour chaque grande capitale de la terre. Ces dernières sont reliées par un tunnel, traversant notre planète de part en part et ce dans toutes les directions. Les déplacements se font à l’intérieur de capsules propulsées par un système d’air comprimé. Les voyages sont donc très rapides (une heure pour se rendre en Chine). Pour les transports urbains par contre la technique est plus conventionnelle, les trajets se font par l’intermédiaire des « déplaceurs », gigantesques tapis roulants. Puis c’est le retour à l’institut, un immense bâtiment de 600 mètres où tout le monde acclame le « héros du jour ». Toute la transmission se fera grâce à ce petit bijou de technologie le télémicrophone.
Après un discours bien enlevé accompagné des remerciements d’usage, Anima se laisse guider dans sa nouvelle résidence, un hôtel particulier où toutes les fonctions d’usage sont assurées par un système mécanique et pneumatique. De son balcon il peut en outre admirer le nouvel Arc de Triomphe avec une hauteur de 150 mètres mais qui semble bien ridicule à coté de cette gigantesque tour avoisinant les 1200 mètres. Max en profite pour lui monter les vestiges de l’ancien Paris, appelé désormais Eden et devenu depuis un immense parc d’attraction. Au dessus de toute cette merveille architecturale, un ballet incessant de dirigeables de toutes tailles donne au ciel de cette mégapole des airs d’une immense ruche bourdonnante. Après un copieux repas, le savant disserte un brin en abordant quelques points sur la structure de cette société du futur. Il existe en effet quelques règles déterminantes, comme cet indispensable « contrôle des naissances » en utilisant une stérilisation systématique des femmes jugées trop « légères intellectuellement » et ceci uniquement afin de prévenir l’augmentation des « indésirables ». D’autres par contre ne seront utilisées u’à des fonctions de reproduction et l’auteur en profite pour nous livrer une vision assez cocasse de la femme dans 10 000 ans : une soumission totale !
L’éducation est devenue la clef de voûte de ce système « bien huilé ». Chacun est scolarisé dés l’age de cinq ans et placé dans une école expérimentale. Plus tard et en fonction de leurs aptitudes, ils seront dirigés dans des écoles professionnelles afin d’y apprendre leurs futurs métiers. Pour ceux qui sortent du lot, un traitement »spécial » leurs seront réservés. Après une carrière bien remplie, lorsque viendra l’age de la retraite il semblerait que tout l monde soit sur le même pied d’égalité, avec le droit de posséder sa petite villa avec jardin.
Le lendemain, la visite se poursuit par un petit crochet par le « boulevard du monde », une immense ligne droite partant de la capitale, qui traverse allégrement l’Europe pour terminer sa course aux confins d l’Asie. Il en existe ainsi une bonne vingtaine de similaire et toutes sont bordées, dans les limites de la ville, par de luxueux hôtels et de splendides magasins.
Prenant ensuit ensuite l’avenue de la justice, le groupe arrive devant le temple de la loi. Une immense bâtisse, faisant plus office de symbole, dans un monde qui semble idéal et en dehors de toute idée de forfaitures. En effet ici, les petits délits sont rares et les affaires criminelles quasi inexistantes. La peine de mort est abolie car seul un esprit dérangé pourrait commettre de tels actes et l’on ne tue pas les fous, on les enferme dans une prison spéciale en Sibérie en leur donnant de saines occupations.
Tout ce qui l’entoure est donc absolument merveilleux, irréel mais pourtant une seule chose ne semble pas avoir beaucoup évoluée : le désordre amoureux. Et pour cause, pendant le récit, se déroule en fond une bien ennuyeuse histoire de cœur entre Lucien, fiancé à julienne et son meilleur ami Bernard qui lui doit épouser Constance. Le drame, comme d’habitude, c’est que Lucien aime Constance. Notre pauvre Anima, se sachant que faire devant ce chassé croisé sentimental et ne trouve rien de mieux à faire que d’offrir un collier à la pauvre Lucienne. Cet achat sera d’ailleurs une occasion supplémentaire de nous faire découvrir les comptoirs d’expéditions, envoyant en autre, la nourriture dans des milliers de foyers. Il ne mesure pas moins de 10 Kms, desservant des centaines de conduits souterrains.
Après tant d’inventivité, le roman va se poursuivre hélas sur le développement assez rébarbatif de l’idylle entre les jeunes tourtereaux, juste le temps d’apprendre toutefois qu’il n’existe plus qu’une seule religion universelle et ne comportant de ce fait qu’un seul dieu. Le culte s’effectue dans un immense temple ou le représentant de cette foi unique, récite les paroles sacrées, basées sur l’amour du prochain, au renoncement au « coté obscur de la force » à être productif et royal.
La fin du roman va se focaliser sur la préparation des futurs époux, nous donnant ainsi l’occasion de nous replonger une fois encore sur les merveilles de cette civilisation. Constance et Bernard vont en effet se marier et toute la famille se rend en cette occasion sur « l’île enchantée », un havre de paix et d’harmonie situé au centre d’Eden. Les architectes, dans un souci de rendre à la capitale un nouvel éclat, réussirent à édifier une œuvre colossale. Ce gigantesque parc d’attraction abrie à plus de 300 mètres d’altitude, un pont » aérien,ou s’active des centaines d’appareils de différentes tailles dont les plus magnifiques représentants sont sans nul doute les imposants « poissons » et les minuscules « mouches ». Au sol, un port souterrain recueille une armada de petits submersibles se déplaçant à l’intérieur de splendides grottes sous-marines. Mais le véritable « clou » du spectacle, est sans contexte une reconstitution miniature des chutes du Niagara, dont le débit est alimenté par tous les affluents de la Seine. Ce jour là, une immense joute aérienne doit avoir lieu entre les « poissons » et les « mouches ». Les spectateurs se trouvent disposés à la périphérie d’un immense dôme, pouvant ainsi assister au spectacle en toute sécurité. SE déroule alors une étrange féerie aérienne dont la ville a le secret, un spectacle étrange ou l’on assiste entre autre , à la projection d’immenses boules électriques par les puissants dirigeables, devant être récupérées par les petits « aéronefs insectes » qui virevoltent gracieusement autour des mastodontes. Après le spectacle, Anima ne peut s’empêcher d’aller admirer un de ces petits appareils dont toutes les parties, ailes, hélices…sont entièrement rétractables, leur donnant un aspect de grosses boules.
Hélas, nous touchons au terme de notre voyage. Bernard refuse le mariage, car il sait que le cœur de Constance vibre pour celui de Lucien et donc qu’il en soit ainsi. Comment faire obstacle à d’aussi nobles sentiments ?
L’amour !Toujours l’amour…..
Fort des ses quelques 500 pages d’une écriture bien tassée, ce roman se divise en deux inégales parties. La première est tout à fait passionnante puisqu’elle nous décrit une terre plus vieille de 100 000 ans, avec toute sa technologie, son cortège d’inventions fabuleuses et la description d’une structure sociale, que l’auteur se veut idéale. En ce qui concerne la seconde, et c’est hélas un des gros défauts de ce genre de textes produits à cette époque, l’auteur nous déstabilise un peu, quitte même à nous ennuyer profondément et noyer le lecteur dans un chassé croisé amoureux qui n’apporte pas grand-chose à la structure du roman.
Même si l’ensemble se lit avec un certain intérêt, il faudra malgré tout faire preuve d’une certaine « tolérance », car s’il est vrai que le roman ne manque pas d’originalité, la technologie terrienne dont fait montre Vilgensofer, n’est pas le produit d’un scientifique assez rigoureux, mais d’un rêveur idéaliste qui reste enraciné dans un certain classicisme. Donc pas d’innovation spectaculaire, « la fée électricité » reste en tête de liste et le symbole d’un modernisme triomphant. Mais à cette époque, un auteur que l’on a souvent tendance à oublier lui avait déjà fauché la vedette, il s’agit bien sûr de Albert Robida avec son célèbre « 20éme Siècle » et sa suite toute aussi fameuse « La vie électrique ». « La terre dans 10 000 ans » demeure avant tout comme le dit si bien Versins dans sa célèbre encyclopédie : « Un bonne anticipation utopique, à la mode au 19éme siècle ».
Toutefois, et c’est à mon avis une des forces principales du roman, on s’entichera quelque peu des descriptifs de cette gigantesque mégapole, construite tout autour de l’ancien Paris, dont il ne reste pour mémoire que ce parc d’attraction, Eden. L’auteur serait-il le précurseur du parc Eurodisney ? Un grand visionnaire en somme….Rajoutons également quelques idées « lumineuses », bien que non exploitées où du moins plus amplement développées et qui fusent de temps en temps à travers certains chapitres : L’utilisation de la force libérée par la rotation de la terre ( comme nous aurions aimé faire la visite guidée de cette immense centrale avec ces accumulateurs géants, ces bobines gigantesques et de l’activation de ces milliers de travailleurs/fourmis, occupés à entretenir ce mastodonte d’acier). Il en est de même pour ce système de communication « intra terrestre » permettant de se déplacer par l’intérieur du globe, « l’île enchantée » et tout son attirail de merveilles scientifiques. Il est aussi question à un moment d’un contact avec la planète Mars et de ses habitants. Beaucoup d’éléments faisant preuve de la part de Vilgensofer d’un certain sens de l’imagination, qui laissera hélas trop souvent la place au roman de mœurs.
L’autre point noir du roman et qui fait un peu « tache d’huile » face à un tel débordement d’optimisme, concerne les solutions radicales au développement de la race humaine, en excluant et éradiquant tout simplement les indésirables. En voulant obtenir une population exempte de toutes « tares » le discours en devient par trop radical en développant une certaine forme de sélection, où le hasard n’a plus de place, l’individu différent et non conforme, un boulet pour la société. Ce monde qui se veut parfait et productif, n’hésitera pas à exterminer les « hors normes » dans un premier temps et par la suite éviter, et ce de façon scientifique, que la descendance ne soit corrompue. Il existe de nombreux textes, encombrés par une telle marque de xénophobie, en trouvant des solutions expéditives tout en cautionnant leurs actes pour le sacro-saint principe du bienfait de l’humanité. Rappelez vous « La culture de l’humanité » de Eugène Conti, dont vous trouverez l’analyse dans les pages de ce blog. Il en est de même pour le conditionnement et l’éducation des enfants qui se fera, tout comme « Le monde tel qu’il sera » de Emile Souvestre et des années plus tard dans « L’île sous cloche » de Xavier de Langlais, d’une manière tout aussi brusque en déterminant le staut social des futurs adultes en fonction de leurs physiques et aptitudes intellectuelles, ou en fonction des besoins de la société.( Vous pouvez également retrouver une analyse un peu plus détaillée dans mon article consacré aux « Villes » et faisant suite au résumé de « Un monde sur le monde » de Henri Lanos )
Des idées assez brusques qui ne nous feront pourtant pas oublier la plus singulière d’entre toutes, à savoir le statut de la femme,de sa fonction de soumission totale et de sa réduction en un simple « objet » servant à la reproduction. Vision rétrograde qui reflète bien une certaine mentalité de l’époque nous prouvant si besoin est, que certains auteurs de l’époque n’étaient pas encore prêt d’accepter le véritable bouleversement social, en accordant un véritable statut à la femme et de son importance comme élément actif dans une société évoluée.. Mais une certaine forme de misogynie était monnaie courante à cette époque.
Pourtant, le roman n’hésite pas à s’enfoncer peu à peu dans une histoire d’amour qui vient casser un peu le rythme et il est probable qu’à cette époque, un roman sentimental pouvait être un argument de vente. A la fin du volume, il est précisé « Fin de l’île enchanté » et le héros nous parle d’un prochain voyage autour du monde dans le but d’approfondir ses connaissances sur sa nouvelle patrie. Utilisera t-il le boulevard du monde pour son exploration ou le tube pneumatique ?
Une chose est certaine, le périple ne se fera pas par la voie des airs, car si les transports aériens étaient l’apanage des moyens de locomotion de cette époque, un signe évident d’un progrès technologique, dans ce roman le bon vieux dirigeable quand à lui est relégué comme un outil de distraction et absolument pas LE véhicule de l’avenir. Comme pour vouloir marquer cette rupture, ils ne sont que des vestiges d’un passé très anciens, des antiquités juste bonnes à servir d’attractions pour touristes.
Une fois n’est pas coutume, un appel à la mobilisation générale est lancé afin de découvrir une suite éventuelle à cette aventure, malgré tout assez riche en thématiques.
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