Le texte que vous allez découvrir aujourd’hui fut édité dans la revue « Gazette Dunlop » du mois d’Août 1936, N°192, dans un numéro spécial intitulé « Anticipations sur l’an 2000 ». On y trouvera quelques études sur la télévision, le cinéma, les différentes sources d’énergies de l’an 2000…et la nouvelle de G.de Pawlowski.
En fait il ne s’agit pas d’un inédit car les connaisseurs savent que « La révolte des machines » constitue un des chapitres du célèbre ouvrage de l’auteur « Voyages au pays de la quatrième dimension ». Texte dont la première édition date de 1912, publié par les éditions Fasquelle. Ce même volume sera repris en 1923, toujours chez Fasquelle mais en grand format avec de magnifiques compositions de L.Sarluis.
Ce court texte est intéressant non seulement pour la magnifique composition de Delarue-Nouvelliére, tout à fait délirante et humoristique, mais également pour sa thématique assez rare dans notre domaine puisqu’il s’agit de celle du « métal vivant ». René Thévenin par la suite dans son « Collier de l’idole de fer » (Tallandier « Bibliothèque des grandes aventures » N°22, 1924) utilisera cette singulière hypothèse. Abraham Merritt dans « Le monstre de métal » (1920 pour l’édition originale, édition Hachette Gallimard collection « Le rayon fantastique » N° 50, 1957) en fera également usage, bien que dans le cas présent, il s’agisse plus « d’êtres » métalliques, constitués d’un assemblage de formes géométriques.
Ceci va me permettre une petite digression concernant le métal, élément qui dans l’anticipation ancienne, ne sera pas souvent doté d’une vie propre mais soumis à l’esprit retors de quelques savants fous ou autres…. En effet bon nombre s’efforcerons de la détruire tout bonnement et simplement soit par un procédé qui va le désagréger (« Le fer qui meurt » de Raoul Bigot « Lecture pour tous » Décembre 1918), soit par les effets néfastes de quelques particules extra-terrestre (« Le fer qui meurt » de S.S.Held, éditions Fayard 1931) où la sidérite va littéralement ronger le fer.
Mais pour en revenir à la présente nouvelle et à G.de Pawlowski, son autre particularité est d’avoir décrit une véritable « révolte » de robots qui, si elle est la résultante de conditions bien particulières, n’en reste pas moins désastreuse ou presque quand à ses conséquences. En tout état de cause, elle fera figure de précurseur dans le domaine. Pour rencontrer la toute première véritable révolte « d’êtres mécaniques », il faudra remonter jusqu’au roman de Didier de Chousy et son prodigieux « Ignis » ( Éditions Berber- Levrault 1883, réédité aux éditions « Terre de brume« ) en où l’on assiste à la révolte des « Atmophites », véritables machines à vapeur, qui un jour voudront mettre à mal la suprématie des hommes.Un roman inventif et délirant dont je vous recommande chaudement la lecture, il n’a pas pris une ride.
Karel Capek dans son roman « R.U.R » ( Rossums Universal Robots) paru en 1920, nous décrit également une révolte de « robots » voulant éradiquer l’espèce humaine. Ici le terme se retrouve bien à propos puisque c’est dans cette pièce de théâtre que le célèbre qualificatif sera employé et « inventé » non pas par l’auteur mais par son frère Joseph Capek. « Robot » vient du Tchèque « Robota » signifiant : La corvée !
Vous trouverez en fin d’article comment fut introduit le terme dans « R.U.R » (Première parution Éditions Jacques Hébertot, Cahiers dramatiques N° 21, 1924, réédition « Quatre pas dans l’étrange », Librairie Hachette, Coll. Le Rayon fantastique, N° 79, 1961.
Par la suite cette thématique se rencontrera dans des œuvres de valeurs inégales que ce soit avec « La guerre des machines » de Antonin Seuhl (Éditions Baudiniére 1924, réédité sous le titre « Le rayon de l’amour » ( Baudiniére ,1924), « La fin des robots » de Jean Painlevé ( Paru dans le magazine « Vu » de Pars 1933 spécial « Fin de civilisation ) qui sera bientôt disponible en ligne sue le blog, « La guerre des robots » de Léopold Frachet (Éditions Ferenczi « Voyages et aventures N° 316, 1939), « La révolte des machines ou la pensée déchaînée » de Romain Rolland (Éditions P.de Wormes, 1947).
Il sera parfois difficile en conjecture ancienne de bien délimiter la frontière entre un « Robot » et un « Automate », c’est ainsi qu’il nous sera possible d’y rajouter le roman de Cami « Les mystères de la foret noire » (J.J.Pauvert 1987), « L’le aux merveilles » de Serge ( Librairie des Champs-Élysée, 1935) « La révolte des automates » de R.M.Nizerolles fascicule N° 10 de la série « Les aventuriers du ciel » (Éditions Ferenczi, 1935) réédité dans une version abrégée dans une autre série portant le même nom mais cette fois en 1950 sous le numéro 5, toujours chez Ferenczi.
Quoiqu’il en soit un domaine une fois de plus passionnant et je ne peux que vous reporter, du moins en ce qui concerne la thématique de l’automate, au billet que je lui avais consacré sur les pages de « L’autre face du monde ».
Origine du terme Robot:
« La mention du M.Chudoba comment le mot robot et ses dérivations ont fait fortune dans la langue anglaise d’après le témoignage du dictionnaire d’Oxford me rappelle d’une dette ancienne. Ce mot n’a pas été créé par l’auteur de la pièce R.U.R. Néanmoins c’est lui qui l’a introduit dans la vie. C’était comme ça : dans un moment d’inattention l’auteur ci-dessus mentionné a eu l’idée d’une pièce. Et il a tout de suite couru auprès son frère Josef, un peintre, qui était en train de peindre sur la toile. « Tiens, Josef, » a commencé l’auteur, « j’aurais une idée d’une pièce. « Quelle idée, » marmottait le peintre (et il marmottait vraiment parce qu’il tenait un pinceau dans sa bouche). L’auteur lui a dit le plus brièvement possible. « Alors écris-le, » a dit le peintre sans sortir le pinceau de la bouche et arrêter de peindre la toile. C’était presque injurieux comment il était indifférent. « Mais je ne sais pas », a dit l’auteur, « comment appeler les ouvriers ingénieux. Je les appellerais « les labors » mais ça me paraît un peu artificiel. » « Alors appelle-les les robots, » marmottait le peintre avec le pinceau dans la bouche et il continuait a peindre. Et ça y était. C’est de cette façon que le mot robot est né; alors soit adjugé à son inventeur réel. »
Karel Capek, Lidove noviny (Le journal populaire), le 24 décembre 1933
La Révolte Des Machines de G.Pawlowski
Nous avons demandé à notre collaborateur Delarue-Nouvelliére : « Que sera, selon vous, l’an 2000 ? ». Il nous a répondu : « L’an 2000 ? Mais c’est tout proche. Cherchons plus loin, ou plutôt ne cherchons pas. Voici, dans notre bibliothèque, l’admirable « Voyage au Pays de la Quatrième Dimension » du tant regretté fondateur de la «Gazette Dunlop », Gaston de Pawlowski. « Imaginons-nous que nous sommes reporter, envoyé spécialement par la « Gazette » dans l’espace et dans le temps, prenons force croquis sur notre carnet à quatre dimensions, et voici, mis au net dès le retour, un très sincère et très exact souvenir de voyage
Les 3 intercalaire de la première période scientifique, le contremaître H.G.28 pénétra en coup de vent dans le bureau de son chef d’usine en criant ;
- Ouvrier I Ouvrier! Venez vite, l’électricité tourne en eau de boudin !
Etant données les mœurs du temps, cette façon obséquieuse de s’adresser au patron de l’usine montrait suffisamment quel était l’état d’agitation d’H.G.28.
Le chef d’usine le suivit immédiatement dans les ateliers et là, dans la section des tours automatiques, il constata que d’étranges désordres se produisaient en effet.
Sans doute rien, dans la réalité, ne concordait avec les affirmations d’H,G.28, et l’électricité ne « tournait pas en eau de boudin ». Il y avait cependant d’inexplicables déperditions dans les transmissions de force et, des dynamos arrêtées, s’échappait comme une sorte de sueur huileuse qui coulait à torrent sans qu’il fût possible d’en démêler exactement l’origine.
Des sels, grimpant aux parois de leurs cuves, s’étaient évadés et restaient accumulés contre la grande porte de l’usine.
Certains tours automatiques s’étaient arrêtés brusquement en plein travail, brisant leurs organes principaux, tordant leurs commandes en tous sens, sans que’ l’intervention d’aucune force extérieure ait pu justifier de pareilles déformations du métal.
Les ingénieurs, en silence, contemplaient ces étranges phénomènes. Ils savaient, en effet, depuis de longues années déjà, de quelle vie étrange et inconnue était animé le métal ; comment on pouvait l’empoisonner, le fatiguer outre mesure, le stimuler, comme l’étain ou le platine, par exemple, avec du carbonate de soude, ou le calmer avec du bromure et du chloroforme.
On n’ignorait point non plus comment une barre de fer, après avoir reçu un choc ou subi une brusque dilatation en une place quelconque, réparait sa substance et devenait à cet endroit précis beaucoup plus forte, de même qu’un os cassé dans le corps humain devient plus résistant là où il se ressoude.
Cependant, on n’avait jamais été jusqu’à attribuer à la matière une vie véritable analogue à la vie des plantes et des animaux, et l’on se demandait avec angoisse si de nouvelles et inquiétantes découvertes n’allaient pas être faites à ce sujet.
Il fallait bien reconnaître, en effet, que depuis la formation du globe, rien de ce qui constituait la vie ne pouvait nous venir du ciel. Au début, la terre n’était qu’une masse gazeuse, puis de la matière en fusion ; c’est de cette matière primitive que sont sortis plus tard, par refroidissement, les plantes et les animaux, et cela donne à penser suffisamment que la vie telle que nous la connaissons préexistait dans les minéraux.
La cellule la plus primitive est déjà un édifice fort complexe. Au-dessous d’elle on a cru voir dans le bactériophage, véritable parasite du microbe, un être plus primitif encore mais vivant, puisque son influence suffit à modifier ies caractères héréditaires des microbes. Mais si l’on considère la vie comme émanant uniquement des propriétés physico-chimiques de certains corps : carbone, oxygène, hydrogène, soufre, phosphore et métaux catalyseurs, ne doit-on pas en rechercher les origines toujours plus loin, jusque dans la constitution même de l’atome élémentaire, ce véritable univers infiniment petit, dont les modifications de mouvements planétaires suffisent à créer ou absorber de l’énergie, et qui, merveilleux alchimiste, ne connaît d’autres différences entre ies corps que celle du nombre de ses électrons gravitant autour d’un noyau central.
La vie, mais n’est-elle pas déjà en puissance dans les mouvements, dans les gestes, pourrait-on dire, de la matière inerte entraînée par les remous de l’eau ou du vent ? Et si l’on peut penser que tout le système solaire n’est qu’une imitation grandiose du monde atomique, n’est-il pas évident que ce qui fait, pour notre esprit, le charme pénétrant des descriptions que les poètes nous donnent de la nature, c’est l’obscure parenté qui unit, au travers des siècles, les mouvements des nuages, des mers ou des forêts et ceux de notre pensée ondoyante et diverse.
Ces constatations faciles avaient été renforcées, dans les derniers temps, par de curieuses observations faites sur les machines perfectionnées. Les métaux particulièrement travaillés, que l’on employait pour leur construction, renforcés, doublés de nombreuses matières chimiques, étaient devenus des sortes d’organismes véritablement nouveaux, capables d’engendrer des phénomènes jusque-là imprévus. La perpétuelle transmission de courants électriques et le choc d’ondes hertziennes avaient pourvu ces métaux ultra-modernes de qualités plus curieuses encore. On avait même observé, dans certains cas, de véritables maladies volontaires se produisant dans les machines, quelque chosé comme des vices, identiques à ceux qui décimaient jadis la classe ouvrière. Sans doute, ne s’agissait-il pas, à proprement parler, d’alcoolisme ou de tuberculose, mais bien de tares analogues.
Il y eut enfin, comme dans les cas de cancer ou de fibrome, des transformations moléculaires de la matière, des transmutations de métaux qui eussent enchanté les alchimistes d’autrefois,
Certaines parties d’acier se transformaient petit à petit en bronze, des morceaux d’étain germaient dans du fer et des parcelles d’or furent observées dans des couvercles de boîtes à sardines,
Ce fut bientôt, dans l’usine, un véritable affolement, précurseur de la révolte définitive. Certaines machines devinrent comme ataxiques, d’autres furent affligées du mal de Pott. On dût, pendant de longues semaines, noyer l’usine dans des vapeurs d’iodoforme et l’on entoura les pièces principales des tours automatiques de tampons imbibés de chloroforme.
On sentait cependant qu’un travail sourd et angoissant se préparait dans toute l’usine, comme une grève générale, comme une révolte de la matière enfin libérée.
Le 4 intercalaire, la tension du courant ayant été par mégarde augmentée, brusquement toutes les machines volèrent en éclats comme du verre, tordirent leurs bras, s’effondrèrent et, durant toute la journée, on assista de nouveau avec terreur à de dangereux déplacements de la matière qui, par boules, roulait lentement mais avec souplesse, du côté des portes.
Un moment, on crut que le dépôt des membres humains, voisin de l’usine, allait être détruit par les blocs de matière en mouvement. Ce dépôt contenait d’incalculables richesses : des têtes, des bras, des intestins, des cœurs humains, tenus en réserve à la suite d’opérations et que l’on utilisait journellement pour des greffes animales en cas de remplacement d’un organe malade.
En pénétrant dans les salles de garde, les blocs de matière, chargés d’électricité, galvanisèrent en effet tous ces membres en réserve, qui se mirent à parler, à marcher et à s’échapper dans toutes les directions, Il fallut deux ou trois jours pour s’en rendre maître et pour ramener au dépôt tous ces organes épars dont les promenades folles et fantaisistes semèrent la terreur dans toute la ville, particulièrement auprès des femmes.
Quant à la matière, il fallut la dompter au moyen de gel artificiel et l’expédier ensuite, avec d’infinies précautions, par chalands, vers l’Océan glacial.
Ce fut là une des plus grosses inquiétudes de cette époque agitée…
G. de PAWLOWSKI.
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