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Archive pour octobre 2011

« On a Volé Le Pont Transbordeur » de Jacques Breiz

« On a volé le pont transbordeur! » Par Jacques BREIZ. Éditions Mistral à Cavaillon. Collection: « Aventures Etranges »

Cinq heures du matin, Antoine Fougasse dit « Tintin », livreur de « croquants » arrête net sa bicyclette. Arrivé à la hauteur de la rue Fort Notre-Dame il se frotte les deux yeux avec stupéfaction, un fait incroyable vient de se dérouler: le pont transbordeur a disparu, entièrement volatilisé!

Sous l’emprise de la panique, il reprend alors sa course et ses mirettes fixées dans le vide laissé par le pont, il tombe à l’eau manquant de peu de se noyer. Fort heureusement, l’intervention inattendue d’un mendiant, accorde un sursis à sa jeune existence. Le quidam hurle, une fenêtre s’ouvre, deux, puis dix… et la populasse médusée constate par elle même l’objet de se singulier réveil matinal: la disparition du pont transbordeur !

La nouvelle se propage comme une traînée de poudre, avisant ainsi la presse dont deux des plus brillants représentants se rendent aussitôt sur place. Chastel et Faraux en conviennent, l’événement est fort singulier mais incontestable. Alors que sur le quai la foule hébétée se perd en conjecture, un homme, peut-être attiré par le goût de l’aventure, se met à escalader un des quatre piliers resté toujours en place, mais coupé net à une certaine hauteur.

Il s’élance, glisse, essaye de se rétablir et s’éclate la tête contre quelque chose d’invisible à cette distance. Chastel, le plus perspicace des deux, se frotte le menton, plisse les yeux et charge son associé de revenir porteur d’un rouleau de ficelle. Au même instant, l’aviation pratique une reconnaissance aérienne en basse altitude… et se disloque également devant une foule horrifiée. Le journaliste prend aussitôt les mesures des quatre piliers, note les chiffres tout en chargeant son collègue d’un incroyable calcul mathématique:

– « Où pourrait être l’axe d’une lame gigantesque pouvant sectionner en biseau les piliers du pont ? »

Faraux s’affaire, aligne les chiffres, consulte une carte, pose son doigt sur une zone précise:

- « Ici, à condition de se trouver à une hauteur de quatorze mètres! »

Faisant une paire indissociable, les hommes s’élancent s’élance aussitôt.

Arrivés sur place, dans une impasse sordide ils découvrent un immeuble de trois étages dont le dernier est habité par un certain Yves de la Tréguières « Professeur au Collège de France ». La porte est ouverte et dans la pénombre ils découvrent un véritable laboratoire, équipé de curieux instruments dont un qui attire plus particulièrement leur regard et qui est un étrange mélange entre le télescope astronomique et la mitrailleuse. Sur le côté, une sorte de culasse pleine de pièces miroitantes, reliée à un petit moteur électrique. «L’engin» se prolonge par un tube cylindrique en cuivre avec à son extrémité un objectif braqué vers l’extérieur. Hélas leur exploration prend fin, un homme fonce sur les deux journalistes, renverse le premier tout en tirant sur le deuxième, le manque de peu, s’engouffrer dans l’escalier comme s’il avait le diable à ses trousse !

Va suivre une course poursuite dans Marseille, dont le final sera la gare Saint Charles. Les journalistes se font discret, montent dans un train pour en descendre dans la banlieue Toulousaine. Leur agresseur se croyant seul va les conduire à l’entrée d’une maison abandonnée. Que faire?

Un événement va précipiter les choses. A l’intérieur de la maison un bruit de lutte se fait entendre, puis des appels au secours. A coeur vaillant rien d’impossible! Chastel et Faraux bondissent vers la porte qui s’ouvre, laissant passer quelque chose d’indéfinissable et de puissant. A l’intérieur un homme est ficelé aussi proprement qu’un rôti un dimanche de fête. Il s’agit bien du professeur Tréguière, celui-ci explique qu’il n’y a pas une seule minute à perdre, s’excuse pour sa conduite, mais il voyait en eux des comparses de Cordier, son assistant qui, non content de lui avoir volé son invention a également kidnappé sa fille. Entre les mains de ce maniaque son incroyable découverte peut avoir des répercussions terrible sur le monde : Un instrument diabolique, épouvantable et redoutable……la routine du savant en somme ! Il ne leur reste plus qu’à retourner à leur point de départ et c’est là qu’il leur révélera le formidable secret.

Je passe rapidement sur les détails du retour, de l’arrivée au troisième étage, du sauvetage de la princesse, heu!., de la fille du savant, pour soulever le voile si épais de ce mystère insoutenable qu’est la machine. La machine? Heum! Qu’elle machine? Seigneur! Suis-je bête, LA MACHINE!

Donc arrivés à l’appartement, tout leur vole à la figure, assiettes, chaises, bouteilles, le linge sale avec d’un côté le professeur à moitié K.O., de l’autre Faraux, violemment blessé à l’épaule et au milieu Chastel qui n’a que le temps de dégainer son arme et de viser en direction d’une barre en acier se dirigeant à grande vitesse vers son visage. La manœuvre est efficace, arrêtant tout net les manifestations surnaturelles. L’heure est aux implications. Trèguier est l’inventeur de la « paratransparence ».

Grâce à des cristaux de sa composition, un rayon lumineux ordinaire les traversant devient, par réaction doté d’un pouvoir bien particulier: dès qu’il atteint pratiquement n’importe quel objet, celui-ci se retrouve « paratransparent » c’est-à-dire se laisse « contourner » par les rayons du soleil et se retrouve invisible, même en plein midi .Cette machine d’une portée de plusieurs kilomètres peut produire l’effet inverse par simple changement des cristaux.

Voila l’invention que Cordier voulait dérober, ainsi s’explique la force mystérieuse cause de tous le tracas. Reste à annoncer la réapparition prochaine du pont transbordeur, honneur accordé aux deux journalistes ainsi que faire disparaître les traces invisibles du défunt assistant, la police est trop stupide pour en apprendre davantage et peut-être que plus tard quand le monde sera enfin prêt…..

Voir ou ne pas voir

Après avoir volé la bombe atomique ( «On a volé la bombe atomique »J.Dasit éditions Dumat, 1946), le canon du même nom ( « On a volé le canon atomique » C.A.Gonnet, éditions de la flamme d’or,1956), certains se sont amusés à voler la tour Eiffel (« On a volé la tour Eiffel » de Léon Groc, éditions Ferenczi 1923), le numéro 2 (« On a volé le 2 de la rue» de H.Suquet, éditions de Marly, 1974) d’une certaine rue, un transatlantique ( « On a volé un transatlantique » de H.Bernay , contes et romans pour tous,1928) et pourquoi pas la cuisse de Jupiter pendant que nous y sommes!

Voici donc le vol du pont transbordeur où l’illustrateur en manque d’imagination vola quant à L’idée de la superbe couverture d’Armengol illustrant le roman de Léon Groc où l’on voit un bras gigantesque dérober l’objet de ses convoitises. Il serait d’ailleurs assez intéressant de répertorier les ouvrages ou l’on voit en couverture cette main monstrueuse surgissant des nuages et attrapant l’objet de sa convoitise. On se souviendra de la magnifique couverture de la revue « Le rire rouge» N° 16 (6 Mars 1916) ou l’on voit une main titanesque écraser des dirigeables Allemands.

.Seulement la ressemblance s’arrête ici. Chez Groc la tour Eiffel a vraiment été dérobée à l’aide d’un gigantesque électro-aimant. A Marseille, on est dans le Midi et il ne faut pas trop se fatiguer, alors pourquoi forcer ? Té! Faisons le disparaître. Hop ! Un nouveau rayon invisible vient d’être inventé.

Petit roman d’un éditeur local (Cavaillon dans le Var) probablement rédigé pendant la guerre (la dernière page comporte un visa de censure datant du 24/7/42). Une des grandes originalités vient du nom de l’auteur bien de chez nous J. Breiz, histoire de bien brouiller les pistes. De tout cela au final, il reste un petit roman amusant où le savant, bien que très sympathique demeure un peu terne à côté de ses homologues qui hantent habituellement les pages de ce blog.

Quoiqu’il en soit, si vous parvenez à trouver ce chef-d’œuvre, un bon conseil: Achetez-le, peu…chère !

 



« L’expérience Du Docteur Hortner » De Maurice Perot:Prémisses D’une Invasion!

« L’expérience du Docteur Hortner » de Maurice Perot. Éditons Ferenczi « Voyages et aventures »N°198.1937. Couverture de Armengol.

Le docteur Hortner , scientifique Américain va révéler lors d’un congrès que l’homme n’est pas l’ultime étape pour accéder à cette fameuse « surhumanité ».Ces recherches viennent de lui permettre d’affirmer la possibilité de créer un être supérieur. Ainsi dans son laboratoire situé à Bornéo, le docteur va se livrer à une bien singulière expérience. Il opère un orang-outang dans le but dans faire un « surhomme ». La manipulation cérébrale opérée de manière chirurgicale est un réussite et voici notre « Ohuluh » doté d’une intelligence supérieure. Opération sur les cordes vocales…et il parle! Le seul problème c’est qu’a force de lui donner une éducation, ce dernier va avoir des envies de conquêtes: supplanter l’espèce humaine. Invasions de Bornéo, Sumatra… L’Australie sous la pression du monde civilisé, envoie plusieurs bâtiments de guerre afin de mettre un terme à cette « incroyable invasion ».

Avant de mourir Ohulhu fera son mea culpa et demandera l’absolution de son créateur. Tout rentrera dans l’ordre et Hortner quand à lui, blessé à la suite de cette aventure, ne sera même pas inquiété: L’’immunité légendaire des savants fous!

« La mort d’Ohulhu à calmé la révolte des indigènes auxquels on a réussi à faire croire que l’histoire de ce singe au cerveau humain était une légende. Ils sont de nouveaux persuadés que la science est un bienfait car beaucoup d’entre eux, gravement blessés, peuvent espérer la guérison grâce aux soins donnés.. »

Ah ! Les bienfaits de la science toute puissante….En tout cas les prémices d’une domination de l’humanité par une horde de primates, thématique que l’on retrouvera bien évidemment dans le roman de Pierre Boulle « La planète des singes » « éditions Julliard 1963) mais qui fut évoqué bien des décennies auparavant avec le savoureux roman d’Albert Robida « Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul dans les cinq ou six parties du monde et dans tous les pays connus et même inconnus de Mr Jules Verne » (Dreyfous 1879) où il sera question d’un homme élevé par les singes. De retour de manière fortuite chez les primates, il en fera par la suite une société instruite et constituera même sa propre armée. En 1941 L.S. de Camp (1961 pour la traduction Française, Hachette « Le rayon fantastique N°3)) avec son « Règne du gorille » participera également à l’édification du singe comme successeur légitime à la race humaine.

 

  expriencedudrhortner2 dans les auteurs et leurs oeuvres



Les Introuvables: « En L’an 2000″ de Gérard d’Houville

Cette nouvelle de Gérard d’Houville fut publiée dans la revue « Lecture pour tous » de Noël 1921. Ce numéro est assez spécial puisqu’il est consacré aux « Sept merveilles du monde moderne » : « Le villes flottantes, L’universel cinéma, L’acier roi, La Parisienne, Le ciel dévoilé, La fée électricité, Les Léviathans de l’air ».

Pour chaque sujet, un auteur sera en charge de rédiger une nouvelle en rapport avec la thématique et deux textes nous intéressent plus particulièrement pour leurs aspects conjecturaux :

- « En l’an 2000 » de Gérard d’Houville, que ou salez découvrir.

- « L’autobolide » de Marcel Gerbidon.

Gérard d’Houville est le pseudonyme de Marie de Hérédia. Très tôt elle fréquenta chez elle le milieu des artistes et rencontra par l’intermédiaire de son père, Leconte de Lisle, Anna de Noailles, Paul Valéry, Pierre Louÿs….Par la suite elle fut l’épouse de Henry de Régnier et la maîtresse de Pierre Louÿs avec qui elle eut un fils. Il semblerait que son pseudonyme provienne du nom de jeune fille de sa grand-mère paternelle. Autant de passionnantes rencontres qui développèrent en elle un goût prononcé pour l’art et la littérature, genre qans lequel elle excella. Elle écrivit de nombreux ouvrages et sous ce nom de plume elle reçut en 1918 le 1er prix de littérature de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre.

La nouvelle que vous allez lire est tout en finesse et délicatesse et cette vision d’une Parisienne en l’an 2000 vue sous trois aspects différents, ne manque pas de charme, ni de poésie. On y retrouve les thématiques habituelles de cette époque et si la vision des deux premières « prophétesses » est assez sombre et pessimiste, celle de la troisième est tout en délicatesse et déborde d’optimisme.

Cette nouvelle fut rééditée dans le N° 25 bis du « Bulletin des amateurs d’anticipation ancienne et de littérature fantastique » (Mars Juin 2001) et je ne sais pour quelles raisons, la dernière partie de la nouvelle consacrée à la « prophétesse inspirée », est absente du numéro. Voici donc l’intégrale de la nouvelle, bonne plongée dans ce Paris de l’an 2000…

 

En L’An 2000

 

Que sera vers l’an deux mille la journée d’une Parisienne? Très perplexe et ne voulant pas, sur ce sujet, tarder à renseigner les curieuses lectures, je me suis rendue successivement chez trois prophétesses. La première s’intitule « médium », la deuxième « voyante », la troisième « inspirée.

Le « médium » me débita ceci :

« Ce sera tout pareil… ou à peu près. La jeune Parisienne se lèvera tôt ou tard selon le rythme de sa santé et de ses habitudes, fera du sport ou du repos, ira marcher au Bois, toujours empoisonné par l’odeur des automobiles, lira les romans, passera des examens dont les jeunes gens ne se soucieront plus, ira dans les thés grignoter l’ennui et remplir, comme une tasse, le vide de certaines heures. Ce seront les mêmes propos, les mêmes coquetteries, les mêmes dîners en ville; on reviendra peut-être aux quadrilles et aux manches à gigots. C’est à peu près tout ce que je vois à vous signaler de nouveau; il y aura toujours des enfants, des vieillards, des maladies, des riches et des pauvres. Naturellement beaucoup d’avions rendront l’air aussi bruyant et dangereux que les rues ; on leur défendra de survoler certains espaces, par exemple les jardins, et les êtres alors n’y goûteront pas seulement le repos, les arbres, les fleurs, mais aussi les délices du ciel libre. Que vous signaler encore? Le Métropolitain, devenu inutile à cause de la circulation aérienne, se transformera en un vaste bazar souterrain; et tous les magasins y seront réunis sous d’étincelantes lumières…. Le Jardin d’acclimatation sera réservé néanmoins à l’exposition des modes nouvelles; là se grouperont, toutes les saisons, des femmes de tous les pays, accoutrées selon les coutumes de leurs climats et les nécessités de leur esthétique; les couturières en renom viendront examiner, étudier, choisir, copier, puis exhiberont le résultat de leurs inspirations dans une autre partie du jardin. Le bassin des otaries verra s’ébattre des jeunes filles montrant les derniers modèles des costumes de bain. Car on nagera beaucoup; on aura dérobé aux poissons le secret de certaines ondulations rapides, et, lasses des moyens de transport bruyants, des troupes de jeunes gens voyageront ainsi au fil des fleuves avec une remarquable rapidité. N’en concluez pas à un plus parfait bonheur : celui du « poisson dans l’eau » Les instincts et les sentiments, en dépit de quelques évolutions, seront toujours s les mêmes et ne donneront jamais à l’humanité la joie parfaite…. Je ne vois plus rien. J’ai bien l’honneur de vous saluer. »

La voyante prétendit :

« La vie sera presque un enfer. Le triomphe des machines dépassera tout ce qu’on peut imaginer; elles finiront par asservir les hommes qui les auront créées ; ce sera le royaume du bruit ; la puissance des moteurs assourdira l’univers et les émanations des matières employées à créer le mouvement détruiront peu à peu les végétations. On plantera des parcs artificiels où des feuillages stérilisés abriteront des bambins ignorant que leurs ancêtres pouvaient se promener dans de vivantes forêts. Le premier soin de la jeune Parisienne, lorsqu’elle viendra se promener à l’air libre, sera de préserver sa tête et ses oreilles des vibrations, des secousses et des ronflements dont l’air et la terre frémiront et retentiront sans répit. Elle habitera une caverne capitonnée. Dans son cabinet de toilette, elle possédera non seulement un système d’hydrothérapie, mais toute une installation d’héliothérapie. Les rayons du soleil lui seront là distribués par des conduits et des miroirs ; car elle ne connaîtra guère autrement la douceur du jour, la planète entière étant à toute heure obstruée, assombrie, air et terre, par des forces en marche Tout se fera par les machines ; les jeunes filles n’apprendront plus à danser, mais à manœuvrer certaines petites boîtes à musique sur lesquelles elles s’installeront seules ou avec un danseur, comme des poupées, et un système de clefs les fera tourner, virer, onduler et pirouetter selon le rythme choisi. On ne lira plus rien, même pas les Lectures. Les journaux? On ne s’en souviendra pas plus que des : feuilles mortes. Chaque matin un spécialiste viendra, dans chaque caverne, dérouler un film étonnamment perfectionné et passionnant où se succéderont : tous les événements, présentant un quelconque intérêt, qui se seront accomplis : dans tout l’univers en vingt-quatre heures.

« Après cette merveilleuse cérémonie toutes les curiosités se trouvèrent satisfaites et apaisées. Donc les arts seront morts. La science régnera. La chimie supprimera ou à peu près la pauvreté. Le seul moyen de faire la charité sera de confectionner sa part de ces boulettes savantes qui seront distribuées aux populations pour les nourrir, les engraisser et les satisfaire. Partant plus d’herbages, de récoltes, de moissons, de troupeaux. Les millionnaires feront élever à grands frais quelques dernières bêtes et se réuniront en secret : pour les dévorer dans des repas qui prendront l’apparence de ces cérémonies à la fois horribles et sacrées des temps antiques, où les idoles dévoraient des petits enfants.

- Mais tout cela ne me renseigne pas sur la journée d’une Parisienne?

- Mais si. Vous n’avez plus qu’à l’imaginer…. Ah ! J’oubliais : un des seuls grands plaisirs sera de recevoir de temps à autre la visite de quelques habitants de Mars ou de Vénus ou de toute autre de ces planètes avec lesquelles on aura fini par entretenir des rapports moins lointains.

- Vraiment? Leur donnera-t-on des fêtes comme aux derniers rois ou présidents de la République? De belles fêtes publiques?

- Oui. On ira en troupe les voir mourir, seule chose qu’ils sauront faire peu après leur arrivée… car on ne saura pas encore les comprendre ni deviner les lois de leur vie. Ils seront d’une taille monumentale; on les traînera en d’immenses hippodromes, et là, avec avidité, des milliers de personnes viendront s’enivrer des soubresauts de leur agonie. Ils expireront avec de grands mouvements étranges et dégageront d’incompréhensibles clartés….

- Peste, elle ne sera pas tendre la Parisienne de l’an deux mille!

- Pardonnons-lui d’avance! Elle s’ennuiera tellement, la pauvre enfant qui, vêtue de scaphandres bizarres, passera toute sa vie à apprendre le maniement de mécaniques compliquées et la manipulation d’ingrédients chimiques sans lesquels on ne saura plus vivre.

- Hélas !

- Laissez-moi me réveiller. J’aime encore mieux ce temps-ci,

- Et je vous comprends…. »

Mais, incrédule et satisfaite, j’allai consulter la personne qui s’intitulait une « inspirée ». Je lui racontai les révélations plates ou consternantes du médium et de la voyante, et elle se mit à rire de bon cœur.

Puis elle ferma les yeux, renversa la tête, ronfla cinq minutes, et me raconta son rêve :

« La Parisienne de l’an deux mille n’habite plus les villes. Celles-ci sont abandonnées à de dernières industries et aux souvenirs historiques. La jeune femme vit dans une maison rouge et blanche et à peu près construite sur le plan du palais de Minos en Crète, c’est-à-dire à la fois confortable et un peu barbare. Les mécaniques? Les machines? Les avions? Les autos? Les locomotives ? De tout cet attirail démodé il n’est plus question. L’homme, épouvanté par la puissance démoniaque sortie de ses mains, l’a à peu près anéantie. Et la façon de vivre des anciens âges revient.

« L’air est doux, car le climat, d’évolution en évolution, rappelle à présent beaucoup celui de la Grèce qui fut toujours nourricier des belles formes et inspirateur des belles pensées.

«A l’aube, la jeune Parisienne s’éveille. A demi vêtue d’une tunique de lin, elle court jusqu’au ruisseau et s’y baigne ; elle peigne ses beaux cheveux avec un peigne d’ivoire, elle les relève et les noue de bandelettes pourprées. Ses pieds nus brillent dans les sandales. Elle court réveiller ses amies. Dans la rose aurore elles accourent, se retrouvent, se réunissent et dansent dans les prairies fraîches. Leurs chants sont d’une poésie naïve et toute pure où, de nouveau, l’amour, la beauté, ont repris leurs pouvoirs sacrés.

« Comme Nausicaa, elles vont chercher le linge au logis et reviennent le laver au fleuve ; les serviteurs sont leurs amis ; elles se mêlent à leurs travaux et filent l’antique quenouille ; elles gardent les troupeaux dans les pâturages.

« Et, avec la splendide simplicité de la vie naturelle où les loisirs permettent les rêves, les arts, de nouveau, s’épanouissent et toutes leurs formes, musicales, sculpturales ou poétiques, redeviennent précieuses au cœur renouvelé des êtres.

« Il y a des mythes et des amours, des dieux et des déesses, des poètes et des penseurs ; l’âme et le corps sont libres ; le ciel aussi, et les oiseaux y sont heureux et l’herbe est délicieuse au sommeil des bergers.

« La Parisienne de ce temps-là écarte en souriant les branches pour mieux écouter le joueur à la lèvre habile ; sa tunique flotte au vent du soir et ses cheveux sont couronnés de violettes.

- Ah! C’est vous que je crois et que je veux croire. Et qu’il est donc triste de vous réveiller tout à fait au moment où l’horrible autobus, hélas ! Fait trembler vos vitres….»

Gérard d’Houville

 

Les Introuvables:   lecturepourtousnoel1921 dans les Introuvables



« Les Aventures Du Nyctalope » De Jean De La Hire: Illustration N°6

Dans cette troisième aventure du Nyctalope, point de redoutable adversaire ni de génie du mal. Notre héros suite à l’organisation d’une expédition sur l’Himalaya découvre une civilisation disparue et détentrice d’une technologie à la pointe du progrès. Classique histoire de monde perdue, thématique très fréquente à cette époque.

- « L’amazone du Mt Everest » Pré originale dans le journal « Le matin » en 1925.

- « L’amazone du Mt Everest » éditions Ferenczi « Les romans d’aventures » 2éme série N°1.1925. Couverture illustrée couleur par Armengol

- « La madone des cimes » éditions Ferenczi « Voyages et aventures » N° 2.1935. Version abrégée du texte précédent. - « Le mystère de l’Everest » éditions André Jaeger « Les grandes aventures du Nyctalope » N° 5.1953. Couverture illustrée couler de Brantonne. Texte modifié par rapport à l’original

 

 

 Une inspiration quasi identique et entre les deux nos cœurs balancent…..
  verest dans les auteurs et leurs oeuvres



Camille Flammarion et « La fin Du Monde »

« La fin du monde » de Camille Flammarion 1ére édition en revue dans la « Revue Illustrée » du N°182 au N°189 en 1893 puis dans « La science illustrée » nos 314 à 339 (du 2 Décembre 1893 au 26 Mai 1894). Première édition en volume en 1894 aux éditons Flammarion. suivront de nombreuses rééditions.L’édition reproduite en fin de page est celle de 1917 chez ce même éditeur, avec de nombreuses illustrations intérieures, identiques à l’originale.

Nous assistons dans l’ouvrage à l’histoire de l’humanité du 25éme siècle jusqu’à une époque très éloignée dans le futur. Ce volume illustré par de nombreux dessinateurs dont Albert Robida, nous dépeint l’évolution de notre civilisation, tant sur le plan scientifique que moral et morphologique. Dans la première partie : « Au 25éme siècle, les théories », un chapitre nous intéresse plus particulièrement : « Comment le monde finira ».Dans un immense amphithéâtre le directeur de l’observatoire de Paris transmet à une assemblée de savant et ce par l’intermédiaire d’un « Téléphonoscope » un message sous forme d’image venant de la planète Mars. Le texte « Photophonique »( tout cela embaume le génie de Robida!) est très clair : Les astronomes de la ville équatoriale de Mars, préviennent les habitants de la terre qu’une comète gigantesque s’approche d’elle risquant de la détruire complètement. Fort heureusement, comme nous l’apprendrons plus tard dans la seconde partie : « Dans 10 millions d’années » le globe échappera à la catastrophe. Cette thématique de la fin de notre globe terrestre se trouvant d’une manière récurrente dans une bonne partie de son œuvre.

Il semble d’ailleurs que Flammarion connaisse bien ces « classiques » puisque dans la seconde partie de l’ouvrage « Dans dix millions d’année » un des personnages se nomme « Omégar » faisant en cela référence à l’ouvrage de Mme Elise Gagne « Omégar, le dernier homme proso-poésie dramatique de la fin des temps en douze chants » (Didier et Cie, libraires- éditeurs 1859).

l est également à préciser que l’homme fut un passionné avant la lettre du domaine de « l’anticipation » puisqu’il réalisa un ouvrage faisant encore référence de nos jours « Les mondes imaginaires et les mondes réels, revue critique des théories humaines scientifiques et romanesques, anciennes et modernes sur les habitants des astres ». Un copieux volume de 400 pages (en fait le volume fait 577 pages mais c’est la deuxième partie qui commence page 169 qui nous intéresse plus particulièrement). L’auteur y aborde tout de même pratiquement une cinquantaine de romans et nouvelles des origines à nos jours et traitant de voyages extraordinaires tant terrestres que sur d’autres planètes et de la rencontre avec maintes contrées et populations étranges et fabuleuses.

Nous aurons ainsi le plaisir d’y rencontrer : « L’homme dans la lune » de Godwin, « Le monde dans la lune » de Wilkins, « Voyage dans la lune, Histoire des états et empires du soleil » de Cyrano de Bergerac, « Le voyage extatique céleste » du père Athanase Kircher, « Nouvelles de la lune » de Mercier, « Voyage de Milord Céton dans les sept planètes » de Lambert et de Kant, « Les hommes volants » de Rétif de la Bretonne etc….Des romans phares mais rarissimes pour une grande partie. Un ouvrage unique en son genre et indispensable plaçant de ce fait Camille Flammarion comme un précurseur du genre.

Un auteur vraiment passionnant dont je ne peux que vous recommander la lecture de toute son œuvre romanesque, tant les thématiques abordées sont d’une richesse et d’un intérêt certain.

Suite à cet article diffusé sur mon groupe de « Savanturiers »sur Facebook, je me permets de reproduire le commentaire laissé par un des membres, Philippe Turpin, amateur de Camille Flammarion. Commentaire qui, comme vous pourrez en juger, ne manque pas d’intérêt.


« La bibliothèque personnelle du poète-Astronome, qu’il lut quasi entièrement, est conservée dans sa quasi intégralité à l’observatoire de Juvisy sur Orge dans l’Essonne…Une bibliothèque truffée d’ouvrages polychromes par milliers devenus rares de nos jours, sans compter ses propres publications d’époque d’invendus…Et d’ailleurs ce n’est là qu’une partie des objets personnels de feu le grand Sage-Ecrivain, car c’est tout le mobilier personnel d’époque dans ses moindres détails, l’observatoire dans son intégralité et la propriété arborée toute entière sans oublier le dôme et la lunette astronomique qui dans un délai plus ou moins proche reprendront vie pour le plus grand plaisir de certains passionnés admiratifs et nostalgiques…Un sérieux travail de réhabilitation d’une portée considérable mené « tambours battants » sous divers auspices au sein même de la Société Astronomique de France et des Amis de Camille Flammarion…L’observatoire devrait donc devenir musée Flammarion ouvert au public en même temps qu’école d’initiation à l’Astronomie…Tout devrait donc être replacé comme l’avait laissé feu Flammarion ainsi que sa deuxième épouse Gabrielle qui lui survécut de 1925 à 1962…

Cette année là, les volets de la propriété se refermèrent sur une demeure éteinte, sans héritiers, qui demeura intacte livrée qu’elle fut cependant aux araignées et à quelques vandales qui notamment furent surpris par la maréchaussée en train de jouer au foot avec la mappemonde de Flammarion »

 

Camille Flammarion et   lesmondesimaginairesetl dans les auteurs et leurs oeuvres



« L’odyssée Jules Verne » de Jean Demerliac

« Auteur de 62 nouvelles et romans,  » le très curieux Jules Verne « , comme l’appelait déjà le poète Mallarmé, reste une énigme pour le paysage littéraire. L’odyssée Jules Verne fait le pari d’explorer l’œuvre par le biais des images, et l’écrivain par l’homme de spectacle. Ce livre illustré redessine le monde toujours actuel des Voyages extraordinaires en réunissant une somme foisonnante de connaissances et d’images sur la géographie, les sciences, le théâtre et les débuts du cinéma. »

Un ouvrage en image tout a fait passionnant qui avec ses 300 illustrations, nous fait découvrir Jules Verne et son époque, la société, les sciences et les techniques, le monde du spectacle…..

Un univers riche et fascinant où les auteurs, loin de nous proposer une redite sur le monde de l’auteur Nantais, viennent l’enrichir de pièces supplémentaires qui ne pourront que ravir les inconditionnels du genre et titiller la fibre de d’aventurier  qui sommeille en chacun de nous. De plus ce magnifique ouvrage est accompagné d’un dvd où le lecteur se délectera, sans suis certain, d’un film rare inspiré du célèbre ouvrage de Albert Robida « Les voyages extraordinaires de Saturnin Farandoul dans les cinq parties du monde et dans les pays connus et même inconnus de Mr Jules Verne » un ouvrage drôle et admirable dont je n’arrête pas de vanter les attraits.

Il s’agissait à l’origine d’une série en film longue de 372 minutes tournée en Italie par Marcel Fabre et Luigi Maggi en 1914 et dont il ne reste que quatre épisodes présents sur cette galette :

– « L’île des singes ».

– « A la recherche de l’éléphant blanc ».

- « La reine de Makalo ».

- « Farandoul contre Philéas Fogg ».

Un film qui justifie presque à lui seul l’achat de cet ouvrage fort plaisant.

« L’odyssée Jules Verne » de Jean Demerliac, Michel Serres et Jean-Yves Tadié. Albin Michel et Arte Éditions.2005

 

 



Les Introuvables: »L’immortel » De Régis Vombal. 2éme Partie

Les Introuvables:

CHAPITRE III

Qui pourrait s’intituler : des souvenirs et des larmes…

Après le dernier accident du docteur Jacobus van Brucktel, accident qui l’avait réduit, on s’en souvient, à sa plus simple expression, puisqu’il ne restait de lui que sa tête, le gouvernement de l’époque, le Conseil des Justes, avait décrété des mesures spéciales, lorsque dans son automobile ou dans son ballon, la tête extraordinaire accomplissait quelque sortie.

Les voitures devaient marcher sur son passage à une vitesse de quinze kilomètres à l’heure, et son aéronef à deux places avait la permission d’évoluer entre les murs des maisons, dans la cité, ou alors, très haut, dans les zones d’azur que ne sillonnaient jamais les autres ballons.

Un jour de mai de l’année 2450, la tête du docteur témoigna le désir d’aller visiter, au Louvre, les salles où l’on conservait les costumes, les meubles el tout ce qu’on possédait de notre siècle.

Il n’avait jamais fait ce pèlerinage vers les reliques d’un passé lointain dont il se souvenait pourtant comme d’hier.

Le vieux et sombre Louvre, massif et solide, n’avait guère changé d’aspect.

Le conservateur du Palais vint au-devant de sa machine et prit lui-même dans ses bras la tête du docteur pour l’introduire et lui faire gravir les larges degrés de marbre.

Les salles de peinture présentaient un aspect lamentable.

Le bitume des toiles avait remonté et il ne restait presque plus rien des chefs-d’œuvre que nous admirons.

La Joconde de Léonard de Vinci, le pur visage au divin et troublant sourire, était une tache noirâtre où se devinaient à peine quelques traits ; seuls les vieux tableaux sur bois et peints avec des couleurs préparées par de consciencieux et savants artistes subsistaient encore.

Des modernes qui achètent leurs tubes chez les marchands, c’était simple, il ne restait rien du tout. Tout de suite, la tête du docteur Jacobus demanda à être menée vers les salles du XIX eme siècle.

Dans les vitrines on pouvait voir des costumes pareils à ceux dont nous sommes vêtus.

Tous les uniformes de nos soldats, avec les armes, les fusils à courte portée, les sabres primitifs et barbares, étaient rassemblés et étiquetés, comme les glaives courts, les casques rouillés et brisés des soldats romains, les boucliers et les piques, que nous voyons en visitant les salles des antiques dans nos musées.

Devant ces costumes et toute cette défroque séculaires, le docteur Jacobus van Brucktel se souvenait exactement !

Il avait porté un uniforme semblable à celui-ci, lorsqu’il avait fait, il y avait plus de cinq cents ans, son service militaire dans une petite ville du midi de la France.

Il demanda, au conservateur qui l’écoutait parler, à rester seul pendant une heure dans la salle, et lorsque ce fonctionnaire eut posé la tête sur un fauteuil et eut refermé la porte, le docteur Jacobus van Brucktel s’abandonna à ses souvenirs…

Ils sortaient de tous ces meubles, de ces costumes, de ces objets dont on ne faisait plus usage ; ils l’entouraient, ces souvenirs, comme une marée, et pour la tête qui triomphait des années meurtrières, l’émotion était infiniment puissante et douce…

Sa jeunesse se levait… Il revoyait le sérieux et fin visage de sa mère, dans le petit appartement qu’ils habitaient près du Jardin des Plantes ; les repas aux beaux soirs d’été devant la fenêtre ouverte sur une houle de feuillages, tandis qu’une jeune fille dont il avait été amoureux jouait du piano au-dessous d’eux. Il entendait distinctement, après des siècles, la musique légèrement assourdie par le plafond.

Cela commençait par une valse d’un musicien célèbre à l’époque et dont on ne savait même plus le nom ; et ensuite, la jeune fille jouait un tas de chansons populaires, tristes, lentes et sentimentales à pleurer, et dans le silence solennel de la vaste salle, il murmura :

Souvenez-vous-en, souvenez-vous-en !

Oui, c’était cet air qu’elle jouait avant de fermer son piano, les soirs d’été, rue de Buffon ! Et il y avait des siècles, mon Dieu, des siècles de cela !..,

Ce qui l’émouvait surtout, c’étaient les toilettes des femmes du XIX eme siècle.

D’élégants mannequins de cire portaient des robes étroites qui les moulaient comme des gaines.

Une jeune femme aux cheveux blonds envolés sut le front, et troussant sa jupe, semblait vivre encore et sourire.

Une longue jaquette de dentelle flottait sur sa robe d’été ; entre ses souliers blancs à hauts talons et sa jupe claire, s’arrondissait un bas noisette à coins d’argent, et sous une ombrelle de soie cerise, son immense chapeau de paille blonde nimbait son beau visage de grande enfant élancée et mutine.

Puis le blanc crémeux d’une robe en satin broché attira son regard, et ce fut à sa noce à lui qu’il pensait.

Sa noce !… C’était en 1865. Valentine avait vingt ans et lui vingt-six. Il venait d’achever ses études et une petite fortune lui permettait d’envisager sans crainte l’avenir.

Quel jour ! On était en mai, il se souvenait bien, et jamais le ciel n’avait été si bleu. Lavé par les averses de la veille, il avait l’air d’une immense opale.

L’église Saint- Etienne-du-Mont, à côté du Panthéon, embaumait l’encens, et lorsque la cérémonie fut terminée, en sortant, ils se heurtèrent à une jeune fille rousse qui vendait des roses blanches.

Il avait acheté toute la corbeille, et en avait fleuri les genoux de Valentine dans le coupé capitonné de velours blanc.

Des pigeons s’envolaient du toit de la bibliothèque Sainte-Geneviève, c’était l’heure où les étudiants sortaient par bandes bruyantes des écoles. Leur jeunesse souriait au cortège nuptial, et dans la voiture qui les emportait, il respirait l’odeur des roses fraîches mêlée au parfum d’étoffe neuve montant de la robe de sa blonde mariée…

Etait-elle blonde ! Était-elle jolie, Seigneur ! Sous sa légère couronne de fleurs d’oranger qu’enguirlandait sa chevelure, avec ses frisons rebelles et ses veux de bleuets.

Ah ! Quelle vie, quel rêve plutôt, s’il avait découvert son élixir à ce moment, s’il avait pu immortaliser sa jeune femme, et vivre tous deux avec leurs corps éternels !

Mais comme une large tache de sang, dans une vitrine proche, éclatait le rouge garance d’un pantalon de lignard, et jacobus van Brucktel immédiatement, revécut l’année terrible : 1870 !

Il avait laissé sa jeune femme avec sa mère et repris du service comme médecin-major, à la suite de l’armée, car malgré le nom hollandais, sa famille était française depuis plusieurs gérérations.

Il avait été blessé à Beaune-la-Rolande, et décoré de la main même de Gambetta.

Il faisait partie du 20e corps, général Crouzat et ils se battaient contre les troupes du grand-duc Mecklembourg.

Encore quelque chose qui était loin ! Et pourtant aucun détail ne lui échappait, car cette année et celle qui suivit avaient été épouvantable pour lui, si elles avaient été désastreuses pour la France.

Il revoyait tout : les routes boueuses et détrempées, où s’enlisaient les hommes et les canons ; les mornes et longues colonnes incertaines, marchant têtes courbées, tandis que sur les flancs des brigades, passaient au galop des estafettes, des généraux, des états-majors qui se hâtaient vers des coteaux couronnés à chaque seconde d’un flocon de fumée, tandis que les Prussiens, pareils à de patients, à d’innombrables cancrelats, resserraient tous les jours leur cercle de fer.

Il avait supporté la fatigue, la faim, le froid, et, lorsque après la guerre, il était rentré à Paris, sa mère seule l’attendait, vêtue de noir.

Il avait compris tout de suite… Valentine était morte pendant le siège, et la lettre ne lui étant jamais parvenue à travers la Patrie, désorganisée, il n’en avait rien su.

Le coup avait été dur ; puis les jours avaient passé, et il avait abordé, pour oublier, des études qui l’avaient pris entièrement.

Il avait rallumé les fourneaux éteints des vieux alchimistes, des fous, des chercheurs que l’Eglise brûlait au moyen âge, des savants occultes et prodigieux, et au soir de sa vie, alors qu’il n’espérait plus rien, il avait vu le miracle se produire et la liqueur merveilleuse tomber en gouttes violettes de sa cornue, comme des améthystes liquides…

Lorsque le conservateur du Louvre, l’heure étant écoulée, ouvrit la porte, la tête du docteur, sur le fauteuil de damas rouge, pleurait

CHAPITRE IV

Ou l’on assiste à une grande fête et à…

De grands espaces de temps se déroulèrent encore. Les générations se succédaient, chacune apportant sa découverte, et la tête immortelle du docteur jacobus van Brucktel assistait à ces passages et à ces victoires de l’homme sur les forces naturelles et les vieux mystères.

Les conquêtes, scientifiques s’enchaînaient logiquement comme une longue suite de théorèmes, découlaient mathématiquement les unes des autres, et l’on n’eut à déplorer qu’une seule fois un crime de savant fou.

Le scandale fut énorme, mais cela nous entraînerait trop loin de raconter cette terrifiante histoire dont le XXVII eme siècle tout entier garda une insurmontable horreur.

Heureusement que vers la fin du même siècle, un astronome trouva un appareil qui permettait de voir la vie dans la planète Mars ! Cela ressemblait vaguement à nos cinématographes d’aujourd’hui.

Sur de grandes toiles s’imprimaient les aspects d’un monde jusque-là inconnu, et les théâtres n’existant plus, les hommes s’étaient fatigués des vieux drames usés et caducs, les foules de l’an 2600 allaient surprendre, sur des transparents lumineux, les agitations de ces êtres qui habitaient dans une étoile, à des millions de lieues de la terre.

L’immortel docteur jouissait d’une immense popularité, et, chaque soir, de puissantes projections lumineuses détachaient sur les nuages sa tête illustre.

Ce fut dans le courant de cette année 2600 que le gouvernement décida de fêter solennellement le sept centième anniversaire de Jacobus van Brucktel.

Le président du Conseil des Justes débarqua, l’heure fixée pour la cérémonie, de son astronef sur le balcon de la maison où habitait le docteur Jacobus.

On l’introduisit dans la salle où il prononça un discours ; puis, lui-même, prenant dans ses mains la tête célèbre, l’emporta dans la nacelle et la plaça au milieu des membres du gouvernement sur un socle mécanique admirablement orné de feuillages.

La machine s’enleva dans l’azur au-dessus de la ville colossale.

Elle planait seule dans les solitudes bleues du ciel lorsque, à quelque signal donné, de partout, montèrent des ballons.

Au bord de chaque nacelle, une jeune fille vêtue d’incroyables soies lançait des fleurs vers la machine où se trouvaient les membres du gouvernement, présidés par la tête du docteur.

Le peuple de Paris planait sur la cité déserte.

Dans un immense dirigeable peint en bleu et tout enguirlandé de ramures qui formaient des porches de verdure, de charmants arc- triomphaux, un chœur de femmes, choisies parmi les plus belles, chantaient un hymne, et sous les étincelles, des fusées qui se volatilisaient à de vertigineuses hauteurs, le ciel laissa pleuvoir des gerbes de perles diaprées, de feux vermeils, des grappes d’étoiles claires.

Peu à peu, cependant, l’azur se déblaya, et à midi il ne restait de nouveau dans l’air libre que le dirigeable du gouvernement.

Alors, on entendit aux horizons de sourds roulements de tonnerre, et les ballons de guerre, toute l’escadre internationale arriva, ainsi qu’une trombe de monstres. Ils s’arrêtèrent à une centaine de mètres de la nacelle fleurie, immobiles, formant un cercle immense et rangés comme pour une revue.

L’aéronef où était la tête évolua et passa lentement devant eux, pareil à une délicate corbeille de fleurs devant un peuple de baleines.

Les équipages applaudissaient ; de grandes banderoles rouges flottaient aux cordages, portant en lettres blanches des inscriptions célébrant la gloire du docteur.

Le Président des Etats-Unis d’Amérique quitta son bord et vint poser lui-même sur les cheveux de neige de la tête immortelle une couronne de laurier !

Après les réjouissances populaires qui durèrent toute la journée, il y eut le soir un grand banquet à la présidence de la France.

Quoique ne menaçant pas, la tête du docteur assistait, à la meilleure place, sur un socle fleuri, couronne offerte par les Etats-Unis à son front.

Puis le repas fini, les invités gagnèrent les salons du palais où recevait le docteur Jacobus van Brucktel. Jusqu’à minuit ce fut un interminable défilé.

En quelques heures on pouvait venir de l’Allemagne, de la Grèce, de Vienne ou de Constantinople, et l’air fut sillonné cette nuit-là de feux fuyants qui étaient les fanaux des dirigeables emmenant toutes les personnalités de l’Europe à la réception du docteur. Lui, sur la stèle décorée, avait un mot pour tout le monde, saluant ces passants inclinés et ces belles éphémères du haut de son immortalité. Sans doute il n’avait que sa tête, et tout sauf le plaisir des yeux lui était interdit, mais du moins il vivait, il pensait, ses sensations étaient aussi fraîches que lorsque, jeune et possédant tous ses membres robustes, il frappait les pavés d’un Paris disparu, de ses talons solides.

Ceux qui défilaient devant sa vivante ruine s’enchantaient certes de leur beauté, de l’harmonie complète de leurs corps. Le vin les réjouissait, ils pouvaient marcher sous les arbres, sur des tapis de mousse et d’herbe, se presser et s’étreindre ; mais qu’importait cela puisqu’ils devaient finir, puisque chacun avait en lui son squelette comme un monstre livide et caché, guettant, attendant sournoisement le moment de la mort pour montrer sa blancheur crayeuse d’os !

Il philosophait ainsi lorsque derrière lui une jeune voix fraîche éclata :

– Maître, voulez- vous m’accorder quelques instants ?

C’était la fille du Président du Conseil des justes, une grande enfant de vingt ans. Elle s’accouda au socle fleuri où reposait la tête enlaurée, à côté de la fenêtre ouverte sur la délicieuse nuit de printemps semblable à celle où Jacobus van Brucktel avait trouvé le secret de la vie.

De ce quarantième étage du palais bâti sur une colline artificielle au milieu; des parcs, Paris s’étendait piqué d’astres qui étaient des lampes aux croisées.

La jeune fille parlait à la tête, qui répondait à présent d’une voix changée :

– Oui, mademoiselle, c’est à vous, à vous surtout que je voudrais donner la formule de mon élixir. Ne m’en veuillez point, on a cru longtemps que je ne livrais point la recette de ma découverte par jalousie pour tous ces gens robustes et sains… Ce n’est pas vrai…

Je vais tout essayer ; venez vous-même demain, peut-être découvrirez-vous dans mes papiers, que vous me montrerez, un indice, un signe qui me mettra sur la voie ; mais j’en doute et pourtant je voudrais faire cela pour vous.

Je le voudrais pour vous conserver d’abord cette jeunesse et cette pureté charmantes, mais je le voudrais surtout parce que vous me rappelez les plus chers souvenirs.

Il y a plus de sept siècles, ma chère enfant, j’ai conduit à l’autel d’une église dont il ne reste plus grand’chose aujourd’hui, une jeune fille qui voua ressemblait.

Pardonnez à mon émotion, vos yeux ont la même couleur de violette, vos lèvres le même dessin.

Tenez, voulez-vous m’accorder une grâce, voulez- vous me donner un baiser ?…

  Les belles lèvres de la jeune fille étaient près de la bouche du docteur.

Elle se pencha, mais la tête en équilibre sur ce coussin fleuri s’inclina en arrière au choc de la pure carcasse, et la fenêtre étant ouverte, la tête tomba du quarantième étage dans la rue.

Il y eut deux cris terribles, et on se précipita.

La jeune fille raconta ce qui s’était passé, et lorsqu’on retrouva la tête, elle n’avait plus aucune forme !

Seul, un œil vivait encore, aussi clair, aussi lucide qu’un œil d’enfant. L’âme de Jacobus van Brucktel s’était réfugiée là. Il n’était pas encore mort.

Le Conseil condamna la jeune fille à porter cet l’oeil vivant, serti dans un bracelet d’or et protégé par une mince feuille de cristal, un cristal préparé chimiquement et que rien ne pouvait entamer ni briser, et lorsqu’il ne restera plus rien du monde, lorsque les monuments de granit ne seront que des pans de murs écroulés, que la Seine sera tarie dans une plaine dévastée, après des siècles et des siècles, à la fin de tout, au soir de tout, sous une touffe d’herbes, l’étrange prunelle continuera seule à vivre et à se souvenir, dans l’or terni du bracelet !…

FIN

 

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« Irons-Nous Passer Un Jour Nos Vacances Sur La Lune ? »

Avant de découvrir la seconde partie de la passionnante nouvelle de Régis Vombal, voici un petit intermède scientifique qui, j’en suis certain, ravira nos lecteurs. Encore une théorie des plus distrayante qui use de raccourcis aussi amusants qu’invraisemblables…..l’ombre de la Cavorite et de la Répulsite  n’est pas loin!

Article paru dans la revue « Nos loisirs » N° 36. 7 septembre 1913

Nous irons peut-être un jour passer nos vacances dans la lune

Les rêves de Jules Verne et de Wells, à la veille de se réaliser. Vénus, Mars, la lune et autres mondes à la portée des voyageurs blasés sur les beautés de notre petite planète, voilà ce que verra sans doute la génération de demain.

Nous avons accoutumé de nous émerveiller sur nos propres progrès et il faut avouer que les découvertes scientifiques, surtout depuis un quart de siècle, nous y autorisent. Mais vous rencontrerez communément des pessimistes qui croient que le génie humain a fourni le maximum de son effort.

Ces gens-là ne croyaient pas à l’automobile : « De sales machines, puantes et geignantes qui s’arrêtent tous les cent mètres, quand elles ne tuent pas les passants. » Leur confiance dans l’aéroplane n’était pas plus grande et aujourd’hui encore quand on leur demande ce qu’ils pensent des progrès réalisés, ils vous disent froidement :

– Bon, c’est entendu, les autos marchent bien, les aéroplanes peuvent devenir pratiques, la télégraphie sans fil élargit chaque jour son champ d’action, etc., etc., mais l’époque des grandes inventions est terminée. Que voulez-vous découvrir maintenant?

- Les hommes ont conquis des territoires sauvages, inconnus, sous un soleil de feu ou dans les neiges éternelles, répond l’astronome Krauss Nield, ils iront maintenant conquérir d’autres mondes, en plein ciel et l’œuvre qu’ils ont accomplie jusqu’ici n’est qu’une petite chose infime comparée à celle qui s’offrira à eux.

M. Krauss Nield n’est pas le premier venu. La théorie qu’il expose mérite donc de retenir l’attention. Membre de la « Royal Astronomical Society d’Angleterre », il dirigea en 1905, la mission scientifique installée à Burgos, eu Espagne, pour étudier l’éclipsé de soleil, comme il avait étudié celle de 1900 au cap Matifou en Algérie.

Le moyen préconisé par ce savant pour franchir les immenses espaces éthérés qui nous séparent des autres planètes est l’utilisation d’un gaz : le coronium. Ce gaz est tellement plus léger que l’air qu’un petit ballon d’enfant gonflé avec, suffirait à enlever un éléphant. C’est dire tout de suite le parti qu’on en pourrait tirer en l’appliquant à l’aérostation.

Qu’est-ce donc que le coronium?

Ce gaz se trouve autour du soleil, lui constituant une sorte d’enveloppe que l’on peut seulement observer au moment des éclipses. M. Krauss Nield a pu photographier cette espèce d’auréole à l’aide de plaques spéciales.

La grosse difficulté du problème consiste à se procurer du coronium. L’astronome espère que l’on y réussira un jour, car il doit en exister aussi dans l’atmosphère terrestre. Il s’agira de l’isoler pour pouvoir en tirer parti. Quand ce sera fait – et les découvertes scientifiques de ces dernières années permettent de croire que ce n’est nullement irréalisable – un voyage dans la lune ou à Vénus deviendra sans doute possible.

Le savant et ceux de ses amis qui s’intéressent à la question ont déjà défini dans ses grandes lignes, l’appareil qui permettra d’accomplir cette randonnée gigantesque.

C’est la réalisation de l’ingénieux rêve de Wells: Les premiers hommes dans la lune.

La machine volante construite en acier et d’une solidité exceptionnelle affectera la forme d’un poisson. Les voyageurs placés à l’intérieur et qui emporteront une réserve d’air liquéfié suffisante pour rester longtemps hors de notre atmosphère respirable, pourront actionner et diriger facilement la machine, laquelle ne différera pas sensiblement d’un aéroplane actuel.

A l’extérieur seront disposés de petits réservoirs contenant le gaz précieux et construits de telle sorte qu’ils pourront résister à toutes les pressions extérieures ou intérieures. La question du poids est totalement négligeable puisque le coronium ne pourrait entraîner à une vitesse fantastique un appareil extrêmement lourd. En raison même de la tendance qu’aura celui-ci à s’élever, il sera nécessaire de l’ancrer au sol avant son départ par un système offrant toutes les garanties de sécurité et qui reste à inventer.

Disons enfin que la puissance du coronium est telle que les explorateurs du ciel n’auraient pas à craindre de voir leur engin s’arrêter une fois franchie la couche d’air qui entoure notre planète. Leur randonnée continuerait dans l’éther.

Qui sait, si plus tard, nos descendants n’utiliseront pas l’engin de M. Krauss Nield pour émigrer en masse vers d’autres mondes ?…La terre se refroidit lentement et c’est peut-être dans les autres planètes comme Vénus qu’ira se perpétuer la race des petits hommes modifiée par les siècles.

Combien nous apparaîtront ridicules alors les guerres meurtrières que nous nous livrons pour nous disputer entre peuples quelques kilomètres carrés de territoire…

Les colonies des grands Etats seront des mondes éparpillés dans le ciel.

Et peut-être l’appareil de l’astronome Nield nous permettra-t-il aussi d’entrer enfin en relations avec les habitants de la planète Mars qui, depuis si longtemps – à ce que l’on croit –multiplient leurs signaux pour attirer notre attention.

On se plaît à attribuer à ces habitants de la planète voisine une civilisation plus développée que la nôtre. Quelles surprises ne nous révélerait pas un voyage chez eux !…

Mais cela c’est encore le rêve. Attendons sans trop de scepticisme que la science nous le transforme en réalité.

 

 

 nosloisirs dans en feuilletant les revues



Les Introuvables: « L’immortel » de Régis Vombal. 1ere Partie

         Les Introuvables:

 

« L’immortel » Roman fantastique de Régis Vombal. Première parution dans la revue « Nos loisirs ». Du N°48 (13éme année) le 29 Novembre 1908 au N° 49 le 6 Décembre 1908.En outre cette longue nouvelle fut rééditée dans le N° 6 du « Bulletin des amateurs d’anticipation ancienne et de littérature fantastique » Mars /Avril 1991.

Dans cette plaisante nouvelle de Régis Vombal, plusieurs thématiques seront à l’honneur : Immortalité, voyage dans le temps, invasion jaune, guerre futures…..En faisant preuve d’une certaine dose d’humour noir, nous assistons au périple d’un immortel d’un genre bien particulier qui finira son existence d’une bien étrange façon : un pur régal !

Cette longue nouvelle sera reproduite en deux parties.

 

immortel1 dans les Introuvables 

A l’époque où il était encore « entier »

 

CHAPITRE 1

Dans lequel il est question d’une étonnante découverte et de quelques amputations sensationnelles.

Minuit sonnait à Saint-Jacques-du-Haut-Pas lorsque le docteur Jacobus van Brucktel éleva vers sa lampe l’éprouvette pleine jusqu’au bord d’un liquide qu’il surveillait depuis une heure.

Le vieux savant venait de découvrir tout simplement L’élixir de vie, la divine liqueur qui assurerait à celui qui en prendrait quelques gouttes, l’immortalité.

Il demeura un moment pensif.

Cette fiole d’eau violette bouleversait le monde, qui ne se doutait de rien.

La mort était désormais un mot vide de sens, l’ordre était détruit, et pourtant à cette heure les sonnettes des médecins retentissaient ; des fils, au bord d’un lit, recevaient le dernier souffle de leur mère ; on souffrait, on pleurait, on mourait partout.

Tout était changé cependant, les hommes n’étaient plus des hommes. Et lui, Jacobus van Brucktel, venait de faire à Dieu un vol semblable à celui pour lequel le Titan Prométhée avait, il y a des millénaires, subi l’outrage lancinant du vautour qui lui dévorait le foie.

Oui, comme lui, mais moins heureux, Prométhée avait jadis volé le feu sacré au Maître des dieux et des hommes, au redoutable Zeus tonnant qui, l’ayant fait enchaîner sur un rocher, envoyait un oiseau de proie qui fouillait tout le jour ses entrailles renaissantes d’un bec de corne crochu et rouge…

Dans la rue, depuis longtemps silencieuse, des étudiants qui regagnaient leur hôtel et qui sortaient de la brasserie passèrent en riant ; une jeune femme chanta, et le couplet léger monta vers la fenêtre du savant, célébrant dans la paix de la nuit printanière les parties carrées à Robinson, les escarpolettes dans les jardins, les soupers à deux, sous les tonnelles enguirlandées de liserons, et la mélancolie de toutes les choses humaines dont on se lasse et qui finissent après quelques saisons.

Le vieillard eut un étrange sourire et regarda ardemment la fiole de cristal où brillait le clair liquide violet.

Il ne pensa qu’à lui-même, Puisqu’il avait découvert le remède à la mort, il allait d’abord l’essayer. Il était vieux, certes, mais robuste et sans aucune des infirmités qui font de la vieillesse une interminable agonie ; il allait boire, devenir immortel.

Il s’en fut chercher un petit verre tans sa cuisine, y versa le contenu de l’éprouvette et leva le verre vers sa lampe.

C’est à Prométhée qu’il pensait toujours, et c’est lui qu’il salua avec une emphase un peu puérile, portant à ce supplicié des légendes mythologiques un toast radieux avec la plus précieuse des liqueurs.

« Salut, dit-il, ô Prométhée, ancêtre lointain, précurseur, père de tout ceux qui ont voulu ravir le feu et dévoiler les grands secrets! Salut, voluer admirable, car c’est en l’honneur de ta mémoire que je vais boire cet élixir que tu avais pressenti à l’aube des siècles, ô foudroyé!…»

Et, d’un trait, il avala la liqueur encore tiède, puis il demeura seul dans le silence de la nuit, à écouter décroître, au fond de la rue Gay-Lussac, un roulement de voitures, et la chanson de la jeune femme et les rires des étudiants…

                                                                                        *

Lorsqu’il s’éveilla le lendemain, le soleil de mai entrait dans sa chambre dont il avait oublié de fermer les volets, et se rappelant dans un éclair sa découverte de la veille, il se leva avec allégresse. Dès qu’il fut habillé et que sa gouvernante lui eut servi son chocolat, il sortit, ayant à prendre chez un pharmacien quelques drogues dont il avait besoin pour ses expériences.

Il est inutile d’expliquer ce qui lui arriva en sortant de la boutique, ces choses-là ne s’expliquent pas. Distrait sans doute, il ne put se garer à temps et un énorme autobus chargé de voyageurs lui passa dessus ; on le transporta chez lui, et un de ses amis lui coupa les deux jambes.

Il faut avouer que l’élixir qu’il avait découvert ne rendait le corps ni plus jeune ni invulnérable, mais faisait que l’âme, principe de la vie, se retirant des parties mutilées, pouvait animer la plus petite parcelle, le plus humble organisme demeurés intacts.

De plus, la liqueur embaumait en quelque sorte tout l’être, et il n’était plus besoin de se nourrir après l’avoir absorbée.

Mais le choc et l’amputation avaient eu sur la mémoire du savant un effet que l’on a souvent remarqué. Une amnésie curieuse suivit l’opération, et jacobus van Brucktel ne se souvint plus de la formule miraculeuse.

Les cas d’amnésie sont plus fréquents qu’on ne le croît et souvent assez bizarres. On connaît l’histoire de ce banquier qui portait dans une valise un demi- million et qui fut la victime d’un déraillement en chemin de fer.

Aucun papier dans son sac, aucune carte dans son portefeuille.

Il fut soigné dans une petite station du Midi où il se fixa et où il vécut pendant cinq ans. Il avait oublié son nom, sa femme, ses enfants, et allait se marier, lorsqu’un jour il lut sur une affiche de café-concert :  » Débuts de Mme Georgette Stella. « 

Il fut pareil à un homme qui marche sous une épaisse nuit d’orage et qui voit dans un éclair flamboyer tout un livide horizon rougeâtre, crayeux, et pourtant très net, avec les créneaux des roches sur la montagne, et les arbres exactement découpés dans la brusque lumière

Du plus profond de sa mémoire engourdie, un nom, son nom oublié montait lent, hésitant ; il le sentait comme une petite bulle claire qui n’attend que l’air vif pour éclater Egaré, il suivait confusément l’ascension douloureuse, plein d’espoir, épouvanté de nuit, dans l’espace d’un quart de seconde, et soudain le mot qu’il cherchait chanta dans son cerveau comme un son de cloche, bourdonna dans son cœur joyeux, lui emplit la bouche :  » Georges Estel !  » il s’appelait Georges Estel !…

Le docteur Jacobus, lui, n’avait oublié que la formule.

Le médecin qui n’espérait pas le tirer de là, à cause de son grand âge, fut tout étonné de le voir au bout d’une semaine, non pas sur pieds, puisqu’il n’en avait plus, mais aussi gaillard qu’au temps où, chaussé de fortes bottines américaines, il faisait après déjeuner, sa promenade régulière au Luxembourg. Jacobus van Brucktel était riche. Il prit un valet de chambre, acheta la plus perfectionnée des voitures et ne sacrifia aucune de ses habitudes.

Il n’abandonna pas non plus ses travaux ni ses recherches scientifiques, et il était en train d’inventer une poudre nouvelle lorsque sa cornue éclata, lui déchiquetant cette fois les bras, de telle façon qu’il fallut les amputer près de l’épaule.

Il guérit.

Son valet de chambre le prenait comme un paquet, le mettait sur les coussins de l’automobile et le promenait au Bois, chaque après-midi.

Les manches de son veston dissimulaient assez bien les membres absents et parmi les promeneurs et les maîtres des équipages élégants que croisait la machine du docteur, personne n’aurait pu penser que ce tronc humain avait su les secrets de la vie.

Il était d’une humeur égale, l’expérience l’amusait prodigieusement, et quel est l’infirme qui, avec le temps, ne s’habitue à son état ?

Les jours passaient et les années.

De partout, les savants venaient voir ce qui restait du docteur Jacobus van Brucktel.

Il avait suivi dans sa voiture les convois funèbres de tous ses amis, des fils, des filles et des petits-fils de ses amis, et il demeurait seul d’une époque dont on commençait déjà à démolir les maisons.

On venait le consulter à propos de tout ; les historiens assiégeaient sa porte, car son journal, écrit au jour le jour par ses secrétaires, était le plus complet des livres d’histoire.

Il était pour les générations de l’an 2300 ce que serait de notre temps un vieillard qui aurait connu Louis XI et qui dirait :  » je vis le roi le soir même de la mort de Charles le Téméraire, il avait mal aux dents, mais il riait. Sa joue était enflée…  » Un jour, il confessa à un journaliste qu’il se repentait d’avoir porté un toast à Prométhée, lorsqu’il avait bu l’élixir encore tiède qu’il venait de découvrir. Il croyait que Dieu l’avait frappé comme Jupiter avait frappé le Titan,

Il durait, il durait toujours, et cela lui paraissait d’une suprême ironie ; il assistait, lui dont il ne restait presque plus rien, à la mort de tous ces êtres robustes ; il voyait partir les jeunes femmes qui passaient, ivres de jeunesse et de printemps, sous ses fenêtres, les générations s’éteindre, les gouvernements se succéder, et les siècles défiler devant lui, borne humaine mais impérissable, pareil à ces Dieux- Termes qui ont assisté dans leur gaine de pierre aux fêtes de la Rome antique, à l’envahissement des Barbares, à la dévastation de quelques milliers d’années, et qui sont demeurés malgré tout, malgré les jours et les temps meurtriers.

Il avait loué une campagne dans un frais paysage des bords de la Marne et donna des ordres, un soir de juillet, pour le départ. Le lendemain matin, l’automobile vrombissait devant sa porte comme un gros insecte de tôle vermillonnée, et son valet de chambre le descendit jusqu’à la voiture.

La légère machine l’emporta vers ce qui est de nos jours la gare de l’Est, à travers des avenues larges de deux cents mètres et bordées de maisons de cinquante étages.

Aucun des lourds véhicules que nous connaissons n’encombraient les rues de leur lenteur et de leur fracas ; seules, quelques automobiles rapides, silencieuses et infiniment perfectionnées, sillonnaient les boulevards gigantesques ; mais dans les airs le spectacle était prodigieux !

Trains aériens, de vastes aéroplanes emportaient à mille pieds dans l’azur des foules de voyageurs. L’aérostation n’avait plus de secrets pour cette époque, et des escadres de ballons évoluaient en plein ciel.

Il y en avait de toutes les dimensions et de toutes les formes. Les plus gros étaient allongés comme des navires, d’autres étaient pareils à des poissons, à des corbeilles, à des oiseaux, et tous s’entrecroisaient, filaient, volaient dans l’air bleu avec leurs drapeaux ; les étoffes qui paraient leurs nacelles et les voiles des femmes flottant au vent.

L’automobile du docteur Jacobus van Brucktel roulait sur l’immense avenue, au-dessous des aéronefs splendides, lorsqu’un chien que le mécanicien n’aperçut pas fut écrasé et fit faire à la machine une embardée fatale. L’homme lâcha le volant et la voiture alla s’écraser contre un mur…

CHAPITRE II

Où l’on ne voit plus qu’une tête, mais où on lit, un numéro du « petit parisien » 405 ans a l’avance.

Lorsqu’on releva le docteur Jacobus van Brucktel, on demeura épouvanté ; sur le tronc écrasé, la tête seule vivait !

A l’hôpital où on le transporta tout de suite, il fit demander le chirurgien. Il lui expliqua que tant qu’il resterait de lui un morceau intact, il ne périrait pas ; on pouvait couper, enlever tout ce que l’on voudrait.

On le débarrassa de son tronc en bouillie : il fut réduit à sa plus simple expression, et ne conserva que sa tête. Le soir de l’accident tous les journaux portaient de grosses manchettes où l’on pouvait lire :

LE DOCTEUR JACOBUS, L’IMMORTEL. VICTIME D’UN ACCIDENT

Sa tête seule est épargnée. – Il vit toujours.

Et de grands transparents lumineux montrèrent en plein ciel, toute la nuit, dans toutes les villes, la tête illustre sur la couchette de l’hôpital, la tête sereine et douce aux souriantes lèvres rasées !

Lorsque la section sanglante fut cicatrisée, le docteur qui avait fait l’opération prit la tête et l’emporta. De sa même voix, Jacobus van Brucktel salua ses domestiques, plaisanta sur son entrée, et ne voulant pas demeurer sur la table où on l’avait posé, comme un melon, il fit exécuter par un ouvrier une sorte de socle, à hauteur d’homme, une stèle rembourrée où il habiterait désormais.

Il semblait ainsi dans la salle, à côté de la bibliothèque, un vivant morceau de sculpture. Il y demeurait jusqu’au soir. Il lisait ; sa bonne tournait les pages du livre qu’elle tenait devant lui ; parfois on traînait le socle jusqu’à la fenêtre et la tête du docteur regardait le mouvement de la rue, reconnaissait des passants, s’intéressait toujours à la vie.

Le Temps passait, mais sa faux symbolique se serait ébréchée en vain au seuil du docteur Jacobus van Brucktel.

Comme les Dieux-Termes de l’ancienne Rome auxquels nous l’avons déjà comparé, il assistait impassible à toutes les révolutions.

D’ailleurs, rien de bien sensationnel ne s’était produit, après l’année 1989. Lorsque nous disons  » Rien de bien sensationnel ce n’est point évidemment ce que nous devrions dire, mais rien de brusque n’avait bouleversé le monde. Les sûres conquêtes scientifiques, liées les unes aux autres, les progrès que nous ne pouvons même pas soupçonner, paraissaient des choses naturelles et inévitables, venant à leur temps avec une précision mathématique. Du grand choc de 1989 on se souvenait à peine.

Après des agitations sourdes, des mécontentements, une guerre abominable qui avait fauché plusieurs générations, l’antique charpente sociale avait craqué simplement ainsi qu’une chose trop vieille, trop usée, et un ordre nouveau avait triomphé. La vie était élargie, de puissantes machines réduisaient à rien la part de travail et de peine ; l’humanité enfin paisible se reposait.

Avec l’argent d’un déjeuner aux restaurants des aéronefs, on allait à Venise ou à Moscou.

La distance n’existait plus.

Les gens les plus sédentaires, les plus casaniers, avaient vu fuir sous leurs pieds, dans les nacelles oriflammées, les solitudes marines des océans, les déserts et les hauts plateaux africains, les pitons glacés des Cordillères, les îles mystérieuses et les pays inexplorés.

Les nouveaux mariés allaient faire leur voyage de noces à Tahiti ou Ispahan parmi les champs de roses et les jardins de jasmins. Toutes les maladies qui nous déciment existaient à peine. Des sérums puissants en préservaient ; il semblait d’ailleurs que les vieux vins eussent perdu toute leur force, et que le Mal, fatigué d’être le Mal, fût vaincu.

Seule, la Mort n’avait pas désarmé. Elle était comme aujourd’hui h l’horizon de tous les espoirs, de toutes les joies et de toutes les vies, ainsi qu’un grand trou mystérieux et noir, et l’esprit humain n’avait conquis que la terre, mais celle-là il l’avait bien conquise, elle n’était plus la vallée de larmes, la halte douloureuse, la mauvaise auberge pleine de cris et de révolte, l’homme en avait disposé à sa fantaisie pour y attendre dans la paix…

UN NUMÉRO DU « PETIT PARISIEN » EN 2313

La tête du docteur Jacob van Brucktel, posée sur sa stèle, au loin de la fenêtre, regardait ce matin de mai 2313, le ciel léger où flottaient des aéronefs innombrables, lorsque Clarisse, sa bonne, frappa à la porte et entra.

Elle tenait à la main un journal ; c’était le Petit Parisien, le seul dont le titre eût duré jusque-là !

Clarisse était vêtue non point comme les femmes d’aujourd’hui, mais d’une sorte de tunique rose, de voiles drapés selon la mode grecque ; car, à cette époque, des vêtements larges, commodes et de couleurs gaies avaient remplacé les gaines où nos corps pont à l’étroit.

Les sports que l’on était presque tenu de pratiquer faisaient les membres plus robustes et plus souples, et Clarisse montrait deux bras nus, ronds, mais mus- clés, des bras adorables de jeune fille et de lutteuse. Ses pieds étaient nus aussi dans des sandales attachées à. sa cheville par un ruban vert pomme.

Une bandelette bleue serrait ses beaux cheveux blonds. Elle se mit à côté de la tête du docteur, dans le cadre de la croisée, et le soleil léger du printemps naissant se joua dans ses frisons dorés, immatériels comme une fumée.

Bien qu’il fût interdit aux ballons de passer entre les maisons, le fiancé de Clarisse, un mécanicien aux courtes moustaches brunes, faisant exécuter au dirigeable à deux places qu’il pilotait une savante courbe, s’arrêta une seconde près de sa fenêtre et envoya de la main un baiser à la jeune fille rougissante.

- L’amour est toujours imprudent ! Murmura le docteur Jacobus de ses lèvres séculaires, toujours imprudent et toujours heureux…

Le visage de Clarisse était encore fouetté de rose lorsqu’elle vint s’asseoir sur un divan recouvert d’étoffes dont la couleur nous étonnerait beaucoup, et elle déplia le journal qu’elle était chargée de lire à son maître.

Elle avait la diction soignée d’une sociétaire de la Comédie-Française, et l’instruction d’un professeur de Faculté, comme toutes les jeunes filles de ces temps. Elle commença :

« LE PERIL JAUNE »

« Enfin, l’inquiétude dans laquelle nous virions s’est dissipée. La flotte asiatique a été anéantie ait large de l’océan Pacifique!

Certes, jamais les Jaunes coalisés n’auraient pu débarquer dans les ports européens, mais on n’espérait pas un anéantissement aussi prompt.

« Quelques cuirassés japonais ont pu échapper au désastre, mais les lourds transports chinois ont tous sombré.

L’escadre internationale des aéronefs de guerre est arrivée au petit jour, tous ses fanions éteints, sur l’immense flotte asiatique, comme un vol soudain de formidables oiseaux de proie.

Le spectacle était prodigieux. 

Une querelle séculaire allait être idée. 

L’Europe, la vieille Europe redoutable, savante, ayant tout conquis, planait au-dessus de toutes les forces menaçantes de l’Asie !

A l’infini, au-dessous des nacelles blindées, les solitudes du Pacifique s’étendaient ainsi que des plaines houleuses. Des milliers de navires formaient dans ce désert marin comme une ville mouvante.

Il était quatre heures du matin, lorsque l’ingénieur en chef, le Français Jacques Desaix, donna le signal de l’attaque. 

Les soupapes s’ouvrirent, la pluie terrible, la pluie de fer et de feu des immenses bombes tomba, tandis que les aéroplanes remontaient hors de l’atteinte des canons de la flotte qui répondirent à peine. 

Sous les torpilles et les explosifs, sous les grands tubes chargés de notre effroyable poudre bleue, là mer eut l’air de se cabrer vers nous, puis des gouffres s’ouvrirent, engloutissant les navires démontés, enflammés, hachés.

Les canons énormes des vaisseaux toussaient lugubrement et s’abîmaient dans la mer. Le désastre est complet et nous voilà tranquilles pour un siècle…’ »

La tête immortelle du docteur Jacobus souriait.

Il se souvenait de l’année 1905, des cuirassés européens sautant dans les baies japonaises, des armées russes vaincues dans les plaines pelées et torrides de la Mandchourie !

- Continuez, je vous prie Clarisse, demanda-t-il, Et la jeune servante acheva le sensationnel article.

« Les dirigeables étaient de retour le soir même, et au cours des fêtes que l’Europe entière va donner ces formidables oiseaux de fer, sortis de leurs hangars, évolueront dans l’azur ensoleillé !… »

Dernières nouvelles

« Le Conseil des Justes a décrété ce matin que des pièces d’or et d’argent retirées de la circulation on fabriquerait des couronnes pour les jeunes femmes ayant déjà deux enfants.

– On annonce, de Saint-Pétersbourg, la mort du Président de la République russe, le docteur Yvan Sianeski, le petit-fils du savant qui découvrit le microbe du cancer et trouva le sérum contre le terrible mal qui ravagea le XXéme siècle.

– On annonce également la mort de la célèbre cantatrice Bianca Dantellina. Elle était âgée de dix-huit ans. On lui fera à Rome des funérailles nationales.

– Les Anciens ont réglé l’ordonnance des fêtes du Printemps. Des ballons lanceront, toute la nuit et tout le jour, des pétales de fleurs sur les Villes. »

A suivre……

 

immortel2  nosloisirs



« L’archipel Des Demi-Dieux » de Charles Mague : Suite et Fin de la Célébre Trilogie !

« L’Archipel des demi-dieux » de Charles Magué. Tallandier, «le Livre National», «Bibliothèque des grandes aventures» (1° série) N° 379. 1931. Broché in-12 de 222 pages. Couverture illustrée en couleur de Maurice Toussaint.

Après une période idyllique passée chez les « Micropolites », le temps recommence à être bien long. Un peu en mal d’aventures, nos héros commencent à s’ennuyer. De plus, le réservoir de l’avion montre de sérieux signes de sécheresse et il serait bon de retourner sur Puerto Rico afin de faire le plein de carburant. Frétillon, Pastèque et Arramburu s’embarquent donc pour un vol de ravitaillement.

Ils voulaient de l’action, ils vont en avoir et l’appareil une fois en plein ciel, sera mystérieusement attiré par une force colossale qui l’obligera à se poser sur une immense plate-forme métallique faisant office d’île flottante. Après un atterrissage des plus délicat, l’équipage constate qu’il se trouve sur un gigantesque ascenseur dont la plateforme semble vouloir les descendre inexorablement vers se qui sera sans doute la plus formidable de leurs aventures.

Arrivés à destination, un homme se présente à eux : Myrtha, personnage étrange au corps frêle et au crâne volumineux. Ils seront alors conduits séance tenante devant le maître des lieux. Celui-ci, sympathise avec notre petit groupe et après les formalités d’usage, se lance dans un incroyable récit. Il leur explique qu’ils sont également des descendants des Atlantes et lorsque leur cité fut détruite deux communautés furent préservées : les « Micropolites » que nos amis connaissent déjà, et la leur, composée en grande partie de savants qui préservèrent toute la science Atlante.

Commence alors pour les trois aventuriers une fabuleuse visite de cet empire « caché ». Le territoire est divisé en six îles (naturelles et artificielles). Celles-ci portent un nom et une caractéristique spécifique: l’île principale s’appelle Eugée servant de refuge à la population. Vient ensuite Iconogène et ses laboratoires spécialisés dans l’optique, Phonimone où la technologie permet de capter le moindre son de la planète, Philergine et Philoxénie où sont effectuées toutes les tâches manuelles et enfin Déterobie, l’île de la résurrection que nous retrouverons plus tard.

Le capitaine, ne comprenant toujours pas la raison de sa présence sur l’île, se trouve complètement stupéfait lorsque le « maître » va lui révéler qu’il a été choisi pour être le messager, le dépositaire et l’héritier de cette science millénaire. En effet toutes ces îles sont construites sur une zone très dangereuse et menacent de disparaître au fond de l’océan. Les Atlantes acceptent le sacrifice mais expriment le désir avant de mourir, de faire partager leur savoir.

Ainsi, petit à petit, Arramburu va être l’objet de révélations fantastiques: l’Océanium et sa fameuse mousse, métal aux propriétés incroyables, Pistolets électriques à balles réfrigérantes, l’Endropyromètre détectant à l’avance séisme et raz de marée (dont l’engloutissement du Japon)….. Inutile de citer toutes les inventions, elles sont trop nombreuses, pour insister sur une dernière du nom d’Ouranoscope, immense télescope enfoui dans les entrailles de Philoxenie.Cette invention nous apportera en effet l’un des chapitres les plus émouvants de l’ouvrage.

Cet appareil va permettre au lecteur un incroyable voyage dans l’espace avec la découverte de la Lune habitée par des vers géants, l’exploration des canaux de Mars construits de main « d’homme » et de toute une série de planètes de notre système solaire. Ce périple va se poursuivre au delà des limites de notre galaxie, où le froid des espaces intersidéraux va être synonyme de désolation et de mort . C’est une plongée vertigineuse dans l’espace à la découverte de Sirius, de Bételgeuse et d’une petite planète dans le système du « clocher», peuplée de créatures improbables. Ce monde recouvert de glace est en fait une planète à l’agonie suite à son brusque et tragique refroidissement. Sur celle-ci, nos « voyageurs immobiles » découvrent d’immenses sphères miniatures, mondes en réduction, dans lesquels s’engouffrent des êtres humanoïdes de sept mètres de haut et protégés du froid par des combinaisons en fourrure. Ils assistent au départ d’une des dernières capsules, apercevant au travers d’immenses hublots les visages désespérés de ce peuple contemplant pour la dernière fois leur planète mère. Face au destin tragique des cette civilisation, mis en parallèle avec celui des infortunés des Atlantes, cette vision revêt une dimension encore plus dramatique.

L’esprit encore submergé par tant de visons tant fantastiques que déprimantes, la visite se termine par l’île de Détérobie où les hommes sont régénérés par le changement systématique de tous les organes usés avec du matériel naturel ou artificiel, ceci après une exposition à des fluides spéciaux… Mais le temps presse et l’heure arrive pour nos héros de quitter tant de merveilles. Les Atlantes, fatigués de cette longue existence, préfèrent partir avec les derniers vestiges de leur civilisation au faîte de leur gloire et de leur puissance Arramburu et ses compagnons sont reconduit à leur appareil avec à bord une quantité incroyable d’appareils, de documents et d’échantillons, symboles d’une puissante civilisation ainsi qu’un important chargement de perles et de pierres précieuses.

De retour à Puerto Rico, l’argent sera placé en lieu sûr afin de pouvoir en user à des fins mystérieuses. La première des dépenses se fera par l’acquisition, d’une magnifique propriété avec l’intention d’y poursuivre quelques recherches prodigieuses. C’est bien plus tard, alors qu’ils voulaient repartir chercher leurs amis, restés sur l’île des « Micropolites » qu’ils vont découvrir l’incroyable vérité : tout comme Eugée, l’île est effacée de la surface de l’océan. Ne subsiste plus qu’un îlot minuscule où se sont réfugiés Banane, Mic et deux survivants de cette minuscule société, derniers témoins d’un monde défunt.

Le mystère va demeurer jusqu’au bout et le roman de se conclure sur un final énigmatique où une foule de questions resterons sans réponse. Concluons une fois de plus avec une phrase du narrateur de cette incroyable et célèbre aventure:

« Peu de temps après cette journée mouvementée, nous nous installions dans notre propriété à Miramar. Ce qu’y fut dès lors notre vie, les événements qui l’on illustrée ensuite, tout cela est assez intéressant pour que j’ai cru devoir le consigner dans un nouveau cahier; c’est à lui que je renvoie ceux de mes lecteurs qui voudraient connaître la suite de ces véridiques et singulières aventures ».

 

Une trilogie rare et originale

 

Voici donc résumée cette célèbre trilogie qui pourra selon l’humeur enthousiasmer ou décevoir. Il est clair que ce qui prime dans l’ensemble, c’est avant tout un goût prononcé pour l’aventure que l’auteur a voulu nous faire partager. Mariant subtilement exotisme, continent disparu et civilisations fabuleuses pour succomber une fois n’est pas coutume aux charmes mystérieux de la civilisation Atlante. L’idée de ce monde miniature vivant dans les traditions anciennes (la technologie n’existe pas chez les Micropolites) est assez plaisante, et ce moyen de pallier à un manque de place par une réduction de taille de toute la population particulièrement originale. Tout le roman se concentre d’ailleurs sur les vestiges d’une civilisation arrivée au sommet de sa puissance, ayant évoluée d’une manière adaptée à sa nouvelle proportion.

Ainsi, l’auteur fait preuve d’un sens assez développé du roman d’exploration, qui fut une constante à cette époque et qui plus est dans la fameuse « Bibliothèque des grandes aventures », en y introduisant tous les ingrédients nécessaires au dépaysement et transportant par la même toute une génération de lecteurs avides de sensations et de textes fantastiques. Il fut un temps où la lecture était le seul moyen de se laisser aller à des hypothèses les plus délirantes et les écrivains à cette époque, faisaient preuve d’une imagination débordante afin de repousser les limites de l’imaginaire.

Dans ces trois volumes, il y a comme une montée en puissance, un peu comme si Charles Magué voulait prendre le lecteur par la main et le conduire par paliers successifs à des révélations de plus en plus extraordinaires et extravagantes. Il suffit de découvrir au fur et à mesure cette « poussée imaginative » qui de la découverte d’une île mystérieuse, en passant par un étrange royaume souterrain peuplé de créatures troglodytes, va se conclure par cette civilisation Atlante dont le savoir et la technologie, vont conduire nos intrépides explorateurs par de là notre univers, et se plonger dans les gouffres abyssaux à la découverte de nouvelles planètes.C’est en cela que l’auteur fait preuve pour l’époque d’un incroyable tour de force car, des royaumes sous marins à l’agonie, il va nous faire passer aux civilisations éteintes, ou en voie de l’être, appartenant à d’autres galaxies.

Tout un constat finalement qui marque le tournant d’une époque avec ce déclin de grandes civilisations qui symbolise la fin d’une certaine forme de rêve, où le lecteur se complaisait à s’abandonner. Il fut rapidement ramené à la réalité de la science qui ne pouvait tolérer de telles visions fantasmées. Depuis trop longtemps l’homme s’est abondamment abreuvé aux fontaines de l’imaginaire, il est à présent grand temps de le ramener à la réalité. Ainsi, de nombreuses collections vont disparaître, l’imaginaire va être de plus en plus timide et l’on retrouvera de moins en moins ce souffle inspiré et très délirant qui firent le succès de ces éditeurs mythiques.

Bien sur, il y a les petites « ficelles » de l’époque tel cet « océanium » métal à tout faire selon la concentration, la pilule nutritive et autres armes sophistiquées…. Les personnages de cette trilogie, très stéréotypés pourront également prêter à sourire, avec leurs noms et surnoms caricaturaux, mais je crois que l’intention de l’auteur était avant tout le divertissement et il ne voulait pas de ce fait dérouter le lecteur, le noyer littéralement dans un univers totalement étranger en lui laissant une prise concrète avec une certaine forme de réalité. En somme des personnages bien de chez nous, drôles, cocasses, pouvant trembler face à tant de mystère, biens réels et donc parfaitement identifiables.

Une mention spéciale doit être attribuée à l’auteur pour le dernier volume, qui se détache nettement des deux autres. Comment oublier ces deux chapitres où nos héros assistent à la découverte puis à la mort de ce monde peuplé de géants. Il se dégage de ces lignes une force et un désespoir tout à fait pathétique.

Au final donc, nous retrouvons dans les ouvrages de Magué tous les éléments nécessaires à une bonne série d’aventure, et ces ouvrages restent parmi mes préférés parus dans les « Tallandier bleus ». Regrettons toutefois les quelques points obscurs que l’auteur négligera et le manque d’explications de certaines idées. Il faut croire que c’était là le défaut majeur de nombreux auteurs de l’époque. Que vont faire les personnages dans cette villa, à quoi vont leur servir les appareils et les documents des Atlantes? Une fin intentionnelle histoire de laisser le lecteur dans cette agréable ambiance de mystère ?

Beaucoup de rebondissements, quelques longueurs mais jamais de lassitudes. Une vision totalement différente de l’Atlantide que les écrivains s’obstinent à faire disparaître systématiquement dans leurs aventures après une découverte fortuite de leurs héros.

 

Trilogie des « Survivants de l’Atlantide » de Charles Magué :

Pour le lien cliquer sur le titre correspondant

– « Les survivants de l’Atlantide » Éditions Tallandier, « le Livre National», «Bibliothèque des grandes aventures» (1er série) N° 252. 1929.

- « La Cuve aux Monstres » Éditons Tallandier « Grandes aventures, Voyages excentriques » (1re série) N°332. 1930.

- « L’Archipel des demi-dieux » Éditions Tallandier « Grandes aventures, Voyages excentriques » (1er série) N° 379. 1931.



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