«Cybèle, voyage extraordinaire dans l’avenir » de Jean Chambon. Editions Georges Carré.1891
Martigues (Bouches du Rhône) 1890. Le Lieutenant Numa Honorât de la marine Française se prépare joyeusement à assister au mariage de Jeanne, sa soeur, avec le jeune Marius Foulane, futur notaire. Les deux hommes sont très liés et chacun, doté d’une solide formation scientifique, dissertent un beau jour sur la périodicité des déluges universels et du triste avenir que les siècles futurs réservent à notre hémisphère, fatalement condamné à être un jour presque tout entier englouti sous les flots de l’océan. Le soir de cette conversation,veille de son mariage, Marius s’attarde à la contemplation des constellations célestes et semble plus particulièrement hypnotisé par une des étoiles, Gemma, qui par un extraordinaire pouvoir semble l’attirer à elle. Son esprit quitte alors son enveloppe terrestre et le voilà projeté à une vitesse folle dans l’espace intersidéral. Rapide passage près de la Lune et de sa face cachée.
« Mais ce qui était véritablement changé, c’était une coloration particulière des bas fonds, des reflets point trompeurs qui dénonçaient de véritables mares d’eau cette fois, soit au fond des cratères éteints, soit dans les plaines où se détachait une verdure donnant des idées vagues de fougères, de joncs et de roseaux. Ainsi, voilà que donnait raison à ceux qui supposent que ce qui reste de vie humaine s’est réfugié avec tous ses éléments indispensables du seul côté où la force centrifuge repousse les fluides dont il ne reste plus trace du côté qui nous regarde ». (P.48)
Après un survol des autres planètes de notre système solaire, un brusque changement de sa trajectoire se produit. Serait-ce le signe d’un retour à son point de départ ? Approche rapide de la Terre, chute vertigineuse vers la Méditerranée et final par un magnifique plongeon. Marius, sain et sauf est ensuite récupéré à bord d’un étrange navire où l’équipage parle une langue incompréhensible. L’un des passager est fort heureusement un scientifique, le Pr. Alcor, qui parvient à établir le dialogue avec « l’homme tombé du ciel » et ce en… Provençal !Les faits sont inouïs car le rescapé est en effet retourné sur Terre, mais un peu différente, semblable à la sienne cependant dans un autre système, éclairé par un soleil du nom de Gemma. A ce jour, sur Cybéle nous sommes le 31 Messidor de l’an 6642 de l’ère Australe.
« Il est donc établi par le fait que révèle votre aventure et votre présence au milieu de nous, que vous avez été précipité d’une terre semblable à celle-ci, qui traverse actuellement les mêmes états physiques ainsi que les même phases vitales, humaines et historiques que celles qu’a traversées notre monde à nous il y à 6000 ans, car c’est évidemment de tout ce temps-là que votre Terre est en retard sur la notre ». (P.66)
Non seulement notre aventurier vient de faire un voyage dans l’espace mais également dans le temps et plus précisément le futur de la Terre.
« Alors donc, reprit le jeune homme en s’exaltant, je suis le passé et vous êtes l’avenir. Il y eut un Marius tout semblable à moi qui vécut en Cybèle il y a soixante siècles et vous-mêmes vous ressuscitez tels que vous êtes, sur la Terre dans le même espace de temps. Je suis pour vous un ancêtre perdu dans la nuit des âges et vous êtes pour moi les rejetons de ma postérité la plus reculée. Je suis le vieillard et vous êtes les enfants ! » (P.73)
Pendant cet entretien, le navire se dirige vers Alger, capitale de la confédération Européenne. Tout au long de l’histoire, en raison d’un refroidissement progressif du Nord de l’Europe, Paris laissa la place à Marseille et enfin à Alger où des températures plus clémentes permirent le rayonnement de cette prodigieuse cité. Ville de lumière où chaque chose est sujette à d’innombrables questions. Artères immenses propres et dégagées, architecture raffinée de style oriental, trottoirs roulants, véhicules aériens et terrestres fonctionnant à l’électricité, astre artificiel illuminant la ville toute entière pendant la nuit….du grand classique !
La rencontre avec la famille du professeur Alcor reste pourtant une des plus grande surprise. Pourquoi retrouve-t-il des visages qui lui paraissent familiers alors qu’il vient ici pour la première fois? Cette sensation, se confirme au fil des jours avec la vision du sosie de Jeanne, sa fiancée terrestre qui se nomme ici Junie. Son rival de toujours, Comain est également présent et bien d’autres encore. Le pauvre Marius sombre dans un désespoir que seule son insatiable curiosité lui permet de vaincre. Il visite ainsi le palais des musées en compagnie de Hou (Houzard sur la terre) membre de la gente canine et dont l’évolution au cours des siècles parvint ici à atteindre une intelligence quasi humaine: compréhension de notre langage, développement et utilisation d’un vocabulaire « chien ». Arrivés dans le musée, découverte de l’histoire de la Terre et de ses différentes époques, ses guerres, son âge d’or. Ici, des prodigieuses machines ayant remplacées l’homme, là, des armes foudroyantes et infaillibles qui avaient rendu la guerre impossible: la science plus encore que l’art avait progressée. Des réserves de forces nouvelles étaient au service de l’homme et permettaient les plus gigantesques travaux. Le grand courant magnétique qui, du Nord au Sud, parcourt sans arrêt toute la planète, avait pu être utilisé au moyen de véritables barrages qui accumulaient des provisions illimitées d’énergie disponible. Sans oublier la présentation de cette boîte fabuleuse, une calculatrice : « capable d’effectuer toutes les opérations possibles en un temps record » et cet autre, permettant de visualiser sur un écran géant et en relief, n’importe quel endroit de toutes les planètes du système solaire de Gemma. Il s’agit du « système de projection » reliant les mondes entre eux car dans ce système « Mars, Jupiter et Vénus » comporte des races intelligentes, avec qui les bonnes relations sont d’une importance capitale.
Une fois la visite terminée, le professeur poursuit l’éducation de son nouvel élève. Dans le futur, l’apprentissage des problèmes les plus ardus se font lors du sommeil, à l’aide d’un appareil émettant des ondes électro-magnétiques, s’imprimant directement dans notre mémoire.
D’un point de vue géographique, la Terre est également modifiée de façon incroyable. Le Nord de l’Europe n’est plus qu’une immense étendue d’eau avec de ci de là quelques îles et archipels peu ou pas habités. La Russie, la Sibérie et presque tout le Canada font place à une mer libre, le territoire des Etats-Unis est lui même, de nos jours, envahi par des golfes qui s’avancent profondément en des régions qui avaient été autrefois couvertes de cités florissantes. Quant à l’Allemagne, la majeure partie de sa population avait émigrée en Australie, à présent puissant empire « teutonique ».
Dans ce monde futur chacun trouve sa place et la femme y occupe un rôle de tout premier choix. Terminé le vil statut de « reproductrice » car ici de toute manière les naissances sont contrôlées. Sa condition est égale à celle de l’homme. Envolés également les gros capitalistes tout comme les gens pauvres. Pas de dette nationale, au contraire, d’inépuisables fonds d’Etats se répandant comme une rosée bienfaisante, partout où celle-ci est nécessaire. La famine est complètement éradiquée grâce à l’agriculture qui, ne cessant de progresser, a trouvée des méthodes toutes nouvelles pour multiplier les récoltes. Le travailleur à bout de force, l’homme de toute classe trahi par la fortune et parvenu au terme de sa carrière, entre comme n’importe quel autre dans une de ces retraites champêtres pour la plupart où il trouve repos, assistance, soins et protection, en même temps qu’une place à remplir suivant ses aptitudes au sein de la société et de la famille. La présence du vieillard est devenue également dans cette société éminemment familiale, un élément de sagesse et d’expérience, un repère incontournable.
Une nouvelle journée se lève sur Cybéle et lors d’une promenade matinale, Alcor lui enseigne la constitution de la confédération Européenne, de la grande guerre navale contre les Etats d’Amérique du Nord au XXIIème siècle, de l’isolement de l’Angleterre en terminant sur la formation des trois grands états Africains: l’un blanc, l’autre noir et le dernier composé de métis. Au terme de cette petite marche, Marius se renseigne auprès de son ami sur une étrange structure baptisée « Hôtel des Endormis ». Il s’agit d’un centre spécial où l’on voyage à travers les siècles grâce à un puissant anesthésiant. Cette méthode basée sur l’étude des léthargies de fakirs et de certains animaux, permirent aux savants de Cybèle la mise au point d’un produit capable de reproduire celle-ci artificiellement. Placés dans un cocon spécial, le corps souvent visité et soumis à l’expert examen de surveillants intervenant immédiatement en cas de symptômes d’arrêt vital, « l’endormi » peut ainsi accéder à une vie quasi illimitée.
« Des centaines d’individus soumis au double sommeil léthargique et fakirique, attendent dans leurs alvéoles, soigneusement surveillés, les dates périodiques de leurs réveils temporaires. Ces hommes, dont certains sont âgés de près de mille ans et qu’une préparation toute spéciale retient dans un état de vie latente d’apparence presque cadavérique, ne sont rendus à l’existence active qu’à de longs intervalles de temps… Mais à leurs réveils ils ont retrouvé leur mémoire d’autrefois et après un an ou deux passés à ajouter à leur ancien bagage tout ce qui peut leur apprendre le monde renouvelé, après avoir revu des villes transformées, etc… ils rentrent pour une autre période dans la nuit de leur sommeil séculaire ». (P.231/232)
Hélas, tant de merveilles n’effacent en rien la morosité de notre héros et la vision de Junie, sa Jeanne terrestre, destinée à un autre n’arrange en rien les choses. Alcor propose alors à son jeune protégé une expédition lointaine en aérostat (ainsi qu’aux ruines de Paris…). Car, voyez-vous, l’avenir de la locomotion aérienne reste avant tout le dirigeable. Celui-ci est devenu plus léger et plus rapide, plus confortable également. Le gaz y est fabriqué artificiellement sur place, en fonction des besoins de l’appareil mais il n’en reste pas moins que ce bon vieux ballon reste à la mode. A bord de « L’Espérance » le must de sa catégorie, la sécurité y est de mise et en cas d’avarie, celui-ci compte plusieurs aérovols permettant soit d’évacuer en urgence.Si la fantaisie en prenait aux voyageurs ils peuvent de plus d’effectuer de courtes excursions dans le voisinage des stations d’arrêts. Actionné par de grandes ailes artificielles, alimenté par des accumulateurs électriques, le vol de celui-ci n’est pas sans rappeler le mouvement du papillon. Si par aventure, un malencontreux accident arrivait à l’ingénieux mécanisme, la sécurité du « nageur aérien » est à son tour garantie par un parachute que l’usager porte artistiquement plié sur la tête en forme de coiffure. Après un passage au-dessus de l’ancien désert du Sahara, devenu une forêt verdoyante, le dirigeable s’approche du spectaculaire sémaphore interplanétaire. Comme signalé précédemment, la vie existe sur toutes les planètes du système de Gemma:
« Ainsi en Mars, ces formes étaient un peu massives; dans Saturne au contraire, elles paraissaient sveltes et faites pour le vol à en juger par les sortes d’ailes que présentait le dessin; Vénus, elle, montrait les plus curieux et les plus gracieux êtres humains subissant des métamorphoses comme nos papillons, et terminant sans doute comme ces insectes favorisés, leur existence dans une dernière phase brillante toute de beauté et d’amour, à l’inverse des humaines amours terrestres. Mais les plus parfaits étaient certainement les Jupitériens. Les habitants de Jupiter dont l’image rappelait celle sous laquelle Bouddha tout puissant est représenté dans les pagodes de l’Inde, montraient des bras nombreux terminés par des mains différentes et compliquées, ce qui donnait l’idée d’une haute aptitude à des travaux extraordinaires et impliquait une intelligence supérieure. C’étaient eux d’ailleurs qui avait eu l’initiative de tenter de correspondre avec les autres humanités planétaires ». (P.254/259)
L’appareil effectue enfin sa première escale. L’aéroport se trouve à mi-hauteur du mont Etna, aménagé pour les besoins de cette navigation spéciale. C’est par centaine que Marius peut compter les vaisseaux, amarrés aux énormes et solides anneaux du port et battants pavillons de toutes les nations de Cybèle. Installés dans un des confortables hôtels de la station, le lendemain une nouvelle sensationnelle s’affiche sur le tableau des nouvelles. Encore une magnifique invention où sur un écran mobile s’affichent électriquement, d’instant en instant, tous les faits et événements importants qui se produisent sur n’importe quel coin du globe. Aujourd’hui, une race nouvelle d’hommes extraordinaires vient d’être découverte dans une vallée de Patagonie. Cette dépêche vient enfin confirmer les affirmations d’Alcor, disant que l’humanité, à force d’évolution, donnerait un jour naissance à une race qui serait la future maîtresse des continents. C’est l’homme « ultra-diluvien » qui, en sortant de son modeste berceau, se répandra pas à pas et régnera un jour sur le globe entier où la civilisation actuelle se verra effacée par la sienne. Mais ceci est une tout autre histoire….
Le lendemain poursuite du périple avec survol des côtes Méditerranéenne et escale en Egypte. Ici, la pyramide de Chéops rénovée, est devenue une immense aérogare (tout comme l’Acropole à Athènes). Lors du voyage, le savant fait une nouvelle leçon d’histoire et de géographie et une fois de plus, le paragraphe mérite le détour :
« Vers la fin du XXéme siècle, ancien style, était paraît-il, survenu un accord entre les divers états de l’Europe qui, après l’expérience de tous les siècles précédents, avaient à leur tour compris l’impérieuse nécessité d’éliminer cet élément dissolvant des sociétés qui s’appelle Juda. On s’était entendu pour se dé- barasser une fois pour toute de cette race parasite, partout inassimilable, mais si étonnamment propre à s’infiltrer parmi les peuples constitués qu’elle dépouillerait jusqu’à complet épuisement si l’on y mettait à la fin bon ordre. En nations policées qu’elles étaient, les puissances réunies en congrès résolurent, non plus d’expulser brutalement les Juifs mais de les réintégrer tous dans leur Judée de jadis où ils s’arrangeraient en famille et cesseraient ainsi d’être les sangsues de l’humanité, etc… » (P.281/282)
Le ballon arrive enfin pour clore son voyage au-dessus du sol de la France. Une douce brise les pousse vers ce qui fut jadis Paris et qui n’est à présent qu’un immense marécage. Tout le Nord de l’Europe gise désormais sous quelques mille mètres d’eau et d’herbes folles. Malgré les efforts des savants du XXVème siècle face au refroidissement précipité de l’Europe occidentale, la technologie fut impuissante face à mère nature. Pourtant l’entreprise ne manquait pas d’originalité puisqu’elle se proposait de détourner le Gulf Stream. Une jetée incomparable s’amorça aux Berlingues en vue des côtes du Portugal et s’avança peu à peu jusqu’aux îles Açores, barrant la voie à la partie méridionale du courant qui fut de force ramené dans la direction Nord, de manière à ne plus former avec sa branche Européenne qu’un seul et même courant. Non seulement on utilisa toutes les roches disponibles du Sud-Ouest Européen, mais la chaîne entière des montagnes de Kong de la côte des Mandingues et une partie de l’Atlas furent jetés à la mer. Hélas cette oeuvre titanesque fut limitée dans le temps et l’Europe du Nord ne put échapper à son funeste destin.
Dans la journée, tout en admirant d’un air triste le squelette d’un Paris sous les eaux, un message de la plus haute importance leur parvient par « téléphonoscope » : il est grand temps de rentrer à Alger pour la fête du changement de saison.
Arrivés à la ville de lumière, Marius se retrouve participant à cet extraordinaire événement où même toutes les races d’animaux s’y retrouvent représentées. On en profite également pour « ressusciter » quelques « endormis ». Brusquement, les festivités tournent court:
« Or les fêtes n’étaient pas encore terminées que cette même soirée un craquement sinistre des glaces antarctiques, tel qu’une secousse de tremblement de terre, ébranla les contrées voisines du pôle Austral et vint jeter l’effroi dans la planète entière à l’instant prévenu de tous côtés. Ce premier tressaillement de l’immense massif glacière ne devançait que de très peu sans doute l’effondrement total et final, et l’irrésistible poussée de tout un océan qui, refluant vers le Nord, allait sur le coup rompre et déplacer le centre d’équilibre du globe ». (P.326/327)
Un immense raz de marée venait ainsi de se former et dont l’impitoyable trajectoire allait tout engloutir sur son passage :
« Et maintenant le lointain roulement s’était rapproché et son bruit de cent tonnerres couvrait les cris de sauve-qui-peut de tout un peuple, et la voix même des sphinx qui avaient parlé pour la dernière fois. Enfin, s’élevant jusqu’aux nues, une chaîne de montagnes liquides accourut de l’horizon, balayant devant elle dans un déferlement inconcevable, villes et monuments qui se voyaient soulevés et roulés tous ensemble comme les galets de la plage ». (P.333)
La vision d’un tel déluge provoque chez Marius un malaise dont une voix familière le réveille avec insistance. Près de lui, Martine sa bonne gouvernante le regarde d’un air inquiet. Il est cinq heures du matin, autour de lui le jardin paisible et rassurant de sa maison, d’où Gemma l’attira quelques heures plus tôt. Tour cela n’était-il que le songe d’une seule nuit ? Junie, Alcor, Nomo… Gemma, Cybèle, la Nouvelle- France et le déluge, comment se peut-il que tant de choses, tant d’aventures étranges qui lui sont si présente aient pu tenir en quelques heures ? Quoi qu’il en soit, Marius épousera finalement la douce Jeanne mais de temps en temps, quelques visions de son extraordinaire aventure lui reviendront, véritable obsession le marquant à jamais. L’avertissement qu’il donnera à son épouse sera sans équivoque quant à la contemplation de cette magnifique étoile car il sait que Gemma possède un terrible et mystérieux pouvoir: attirer à elle les imprudents qui lui abandonnent trop longtemps leurs regards émerveillés. Alors, rêve ou réalité ?
Si loin, Cybèle……
La découverte de ce roman, d’une facture très agréable n’est pas sans nous laisser indifférent et bien des questions viennent alors se poser. Trois grands thèmes s’en dégagent très distinctement: Le voyage dans l’espace par l’intermédiaire de nôtre âme ou corps astral, le thème de l’anti-terre, le voyage dans le temps. Ce dernier se révélant le plus courant, il serait inutile de s’attarder sur les classiques progrès de la science qu’ils soient technologiques, sociaux ou culturels. Le roman de Chambon n’est pas avare de descriptions et le résumé que vous venez de lire prouve une fois de plus le talent de nos chers écrivains. Les deux autres thèmes, dans le contexte particulier de la date de parution, méritent quant à eux, que l’on s’y attarde quelque peu.
Les moyens imaginés pour quitter notre terre furent pendant très longtemps une source incroyable d’élucubrations les plus diverses. Ne figurent au palmarès des « voyages psychiques » que quelques textes désormais connus de tous, dont nous ferons un rapide tour d’horizon.
Le premier et le plus troublant fut sans contexte ce « témoignage authentique » de plusieurs voyages sur la planète Mars, effectués de 1894 à 1898 par une jeune femme: Hélène Smith. Ses expéditions se déroulaient lors de rêves et furent décrits dans un ouvrage de Th. Flournoy : « Des indes à la planète Mars » (Editions du Seuil 1983 pour sa réédition). Ce texte nous donne une description d’un monde de type terrestre habité par des hommes et dont le description nous est faite lors d’une séance de spiritisme, par Hélène Smith, qui vit lors de ses états de transe dans trois corps différents. En 1889 et 1897 deux ouvrages de Camille Flammarion : « Uranie » et « Stella». Nouveaux voyages sur Mars mais cette fois ci par l’intermédiaire d’âmes réincarnées. Quelques années plus tard trois auteurs utilisèrent la « projection psychique » afin d’explorer encore une fois la planète Mars : « La roue fulgurante » de Jean de La Hire, (dans « Le Matin » du 10 avril au 23 mai 1908); « Sur la planète Mars » et « Les robinsons de la planète Mars » de H. Gayar publiés en deux volumes en 1908 ( L.Laumonier & Cie éditeurs); « Le prisonnier de la planète Mars » et « La guerre des vampires » de Gustave Le Rouge, publiés respectivement en 1908 et 1909 ( Editions Méricant). A cette liste rapide il convient d’ajouter également la saga en deux volumes de Cabarel « Dans l’étrange inconnu » et intitulé « Roman de l’hypnose à travers le merveilleux fantastique, réellement vécu avec un dénouement terrible et vrai » ( Ch.Pelletan éditeurs1928). L’intention n’est pas ici de faire le procès de nos trois fameux auteurs et dont Pierre Versins fit la remarque de leur étrange ressemblance dans sa préface à la réédition de « Le prisonnier de la planète Mars » et « La guerre des vampires » chez Jérôme Martineau en 1966, sous le célèbre titre: « Qui a copié ? »
L’exhumation de ces quelques textes à jamais célèbres vient ici un peu afin de se rafraîchir la mémoire et conférer à « Cybèle » une place de choix tout en démontrant qu’en S.F. ancienne rien n’est acquis et les chercheurs patients et acharnés que nous sommes en savent quelque chose.
Mais, actualité cinématographique oblige, un autre fait encore plus troublant ne cesse d’une manière obsessionnelle, de me chatouiller les méninges. J’ouvre un ouvrage et je lis :
« Tandis que je demeurais ainsi à méditer, je détournais mon regard du paysage pour le porter vers le ciel où une myriade d’étoiles formaient un dôme splendide et digne des merveilles du paysage terrestre, Mon attention fut rapidement attirée par une large étoile rouge située au fond de l’horizon. Comme je la contemplais, je tombai sous un charme d’une puissante fascination: c’était Mars, le dieu de la guerre, et sur moi, il avait toujours exercé un magnétisme irrésistible. Comme je la contemplais, en cette nuit lointaine, elle parut m’appeler par-delà l’immensité du vide, m’entraîner à elle, m’attirer comme un aimant attire une parcelle de fer. Mon désir était trop puissant pour y résister; je fermai les yeux, étendis les bras vers le dieu de mon choix et me sentis transporté, avec la soudaineté de la pensée, à travers les vierges immensités de l’espace. Ce fut un instant de froid extrême et d’obscurité complète ».
J’ouvre ensuite le deuxième volume :
« C’était Gemma qui maintenant regardait, fixait Marius. Le doux et timide éclat de tantôt était devenu un regard fascinateur et impérieux qui semblait dire: Viens à moi, je l’ordonne ! Ce n’était sans doute qu’un cauchemar horrible qui allait cesser. Mais non ! le malheureux sentait dans son délire que la terre tournante le suspendait maintenant la face en bas, sur l’abîme infini qui était-là, béant sous ses yeux, sans autre soutient que son étreinte désespérée. Et ses forces s’épuisaient et l’attraction magnétique de l’étoile redoublait. La reine perfide de ce cercle magique dardait sur lui ses plus pressantes effluves et ordonnait de nouveau: Viens à moi ! L’infortuné Marius se vit perdu. Dans son angoisse il vit fuir loin de lui une vision suprême de toute sa vie, tout son bonheur: A moi ! à moi !… Tout à coup ses doigts à bout de force se détendirent, et jetant un grand cri, il tomba dans l’immensité… »
Le premier paragraphe est extrait du premier volume de la saga de John Carter « Les conquérants de Mars » d‘Edgar Rice Burroughs et le second de « Cybèle ». Deux ouvrages distants de quelques années (le cycle de Mars débutant en 1912) séparés de plus par une barrière liquide (l’océan) et culturelle (langues différentes, aucune traduction possible). Dans les deux cas la fascination et le pouvoir d’une planète peuvent attirer à elle l’infortuné rêveur. A l’examen de ces deux exemples précis, il serait difficile de trouver un dénominateur commun à cette façon peu commune de se rendre sur une autre planète. Toutefois si le roman de Burroughs nous plonge dans une épopée baroque, haute en couleurs où la force physique est un atout déterminant, celui de Chambon se concrétise par un thème beaucoup plus classique, dans la tradition Française, en quelque sorte un pur produit de science-fiction « rétro » avec cependant un bonus supplémentaire pour l’originalité du dernier thème abordé: celui de l’anti-terre.
Bien qu’ici un petit peu plus complexe, il ne s’agit pas vraiment d’un monde symétrique où tout se fera « à l’envers », Cybèle est un monde parfaitement identique au nôtre, plus vieux de 6000 ans. Dans cette catégorie, la règle est plutôt d’introduire des différences entre la terre et l’anti-terre tout en gardant un certain parallélisme. Il s’agirait de ce fait d’un voyage dans l’espace-temps par pseudo anti-terre interposée . Lors de la lecture il nous est impossible de savoir si les événements du passé de la planète d’Alcor sont rigoureusement identiques, à ceux qui se déroulent à l’époque où Marius quitte accidentellement sa bonne vielle terre. Peut-on dire que la différence d’époque justifie à elle seule de classer « Cybèle » dans cette catégorie ? Je préfère rester sur cette hypothèse pour le côté jouissif de la découverte puisqu’en ce domaine les précurseurs ne sont pas légions :
- « Qui est Charles Avison ? », « Argosy », avril 1916, réédité dans la revue « Antares » n° 6 (2ème trimestre 1986)
- « Planétoïd 127 » d’Edgar Wallace, 1929.
- « La dixième planète », du Russe Alexandre Beliaev, 1938.
- « La planète ignorée » de René Guillot, 1968. (« Bibliothèque Verte »)
Sans oublier le curieux « Journey to the far side of the sun » « Danger planète inconnue » pour le titre Français, film de Robert Parrish de 1969 avec le célèbre Roy « David Vincent » Thinnes où, fidèle à son amour pour la S.F, y interpréta son seul et unique grand rôle.
Un roman donc des plus curieux inventif et original où les idées ne manquent pas même si parfois hélas il affiche un racisme des plus lourd. Une de ces visons assez savoureuse et hallucinante, que posaient les auteurs de l’époque sur notre futur. Cependant nous regretterons une nouvelle fois que Chambon ne fasse exception à la règle en terminant son ouvrage par une explication des plus frustrante à savoir le sempiternel rêve fait par le narrateur. Décidément comme le précédent ouvrage utilisant ce procédé narratif ( « La revanche fantastique »), il semblerait que cet auteur voulant justifier une imagination un peu trop débordante et des hypothèses des plus farfelues, préfère ainsi la thèse du songe et ne pas assumer ses propos de visionnaire et d’anticipateur averti.
Dans cette charmante petite nouvelle toujours en provenance du « Crapouillot de l’an 3000 », l’auteur nous évoque un futur assez cauchemardesque, pour les amateurs de vieux papiers que nous sommes. En « anticipant » la disparition du support écrit au profit de cette sorte de « numérisation » avant l’heure il nous livre ainsi les prémices d’une mort annoncée pour des générations d’amateurs de ce bon vieux journal. Procédé tombant en désuétude et qui semble vivre à l’heure actuelle, comme pour faire écho à cette nouvelle, des moments bien difficiles.
Nous avions déjà évoqué la « disparition du papier » lors d’un post précédent qu’il vous suffira de lire en cliquant sur le lien.
Vieux Papiers
Regarde, grand-papa, ce que je te rapporte du grenier ?
Et mon garnement de petit-fils jette sur mon bureau un tas de paperasses poussiéreuses,
Mandel, lui dis-je avec sévérité, je t’ai défendu de fouiller dans les combles. Tu y salis tes effets,.
Mes yeux se posent sur le paquet crasseux et jauni exhumé par mon petit-fils. Où a-t-il bien pu dénicher cela ? Figurez-vous un amas de grandes feuilles doubles divisées en colonnes et couvertes de caractères d’imprimerie que coupent ça et là des titres. Les premières pages de ces feuilles portent des frontispices variés, de types divers. Je compulse, pris d’une curiosité émue devant ces vestiges d’un passé si lointain.
Qu’est-ce que c’est que ça, dis, hein, grand-papa ?
Les grands-pères ont des trésors d’indulgence pour les
curiosités de leurs -petits-enfants. J’oublie ma réprimande. Et puis, à tenir sous mes doigts ces papiers qui datent de plusieurs siècles, je me sens un peu troublé, comme » lorsqu’on touche des reliques. Mon esprit évoque soudain l’existence primitive de nos ancêtres.
- Mais dis, grand-papa, qu’est-ce que c’est que ça ? Répète Mandel impatient.
- Ce sont des journaux.
- Des journaux ?
- Oui, ce qui était la presse d’autrefois.
- Dis encore, hein, quelle presse d’autrefois ?
Allons, une fois de plus je n’esquiverai pas les questions embarrassantes, les explications détaillées !
La presse n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui, mon petit. Aujourd’hui, de minute en minute, les nouvelles mondiales arrivent à domicile par l’intermédiaire de l’Agence Internationale, et s’inscrivent, automatiquement sur le transparent lumineux que tu vois dans l’antichambre et qui fait partie de l’ameublement à l’instar des chaises et des tables! Les opinions, les commentaires des hommes politiques et des journalistes sur les questions du jour te sont fournis par eux-mêmes. A heures déterminées, tu n’as qu’à décrocher le récepteur de l’appareil téléphonique-presse pour entendre leur parole. Mais autrefois ,je te parle d’il y a mille ans ! , la presse était imprimée. C’était ce qu’on appelait les journaux. Il y en avait beaucoup et qui se disputaient les nouvelles , comme si une nouvelle pouvait être jamais monopolisée ! Tu as là sous les yeux les exemplaires de quelques-uns de ces journaux : le Journal, le Matin, l’écho de Paris, le Petit Parisien, le Petit Journal, etc….
Pourquoi ces noms-là, dis ?
C’est ainsi qu’ils se distinguaient les uns des autres. On les achetait tous les matins.
Tous les matins !
Cela te semble extraordinaire que des hommes aient pu attendre vingt-quatre heures, et même davantage, l’annonce des événements. Sache que certaines informations étrangères n’étaient connues qu’après deux ou trois jours de délai.
Deux et trois jours !
- Eh oui ! Nos ancêtres n’avaient su tirer de l’électricité que de médiocres avantages, et la dépêche, avant d’être mise imprimée sous les yeux du public, subissait dans les salles de rédaction et dans les ateliers de composition une multitude d’opérations qui semblent puériles aujourd’hui.
Mandel regardait avec vénération ces journaux.
- Vois la date de celui-ci : 1932, c’est l’époque où le fameux dictateur dont- tu portes le prénom fat presque roi de France et d’Allemagne.
Mon petit-fils s’éloigna, rêveur, presque inquiet de sa découverte qui lui révélait des âges extraordinaires. Ce soir-là, en compagnie de ces vieux papiers, je vécus dans le passé des heures amusantes à m’intéresser aux questions mesquines et incompréhensibles qui agitaient et passionnaient les hommes singuliers de cette époque.
André Charpentier.
Sur l’auteur
Il entre dans le journalisme à 19 ans. Il collabore au « Salut Public », à la « Presse Nouvelle » et à « l’Homme Libre » avant de devenir rédacteur du « Matin ». Il produit de nombreux feuilletons et contes pour divers journaux, revues et magazines. Auteur prolifique chez tous les éditeurs populaires, on lui doit chez Ferenczi un personnage pittoresque le policier français assisté de son chien Croûton. Avec ou sans chien, ces romans rondement menés demeurent fort distrayants.
Source : Métro police
Le cauchemar de l’archiviste » Une vision de Lanos
Contrairement aux apparences, où du moins en regard d’un titre qui pourrait tromper son monde, « La rouille mystérieuse » de Edgar Wallace n’est pas une de ces maladies qui s’attaquent au fer générant un fin du monde par effondrement de l’industrie métallurgique ou par effondrement tout court de toutes structures en fer, mais une rouille verte, s’attaquant aux céréales et plus particulièrement le blé.
Le Docteur Van Haerden un savant Allemand par appât du gain et rêvant de gloire et de puissance, développe (ici en l’occurrence réutilise un fléau naturel que l’on croyait éradiqué) en secret une terrible arme bactériologique dont le pouvoir est de rendre stérile pendant de nombreuses années tout champs de blés contaminé. Mais avant de devenir très riche, il lui faut quelques monnaies sonnantes et trébuchantes pour développer son funeste projet. Pour ce faire il va tenter d’épouser une riche héritière qui bien sur en aime un autre. D’ailleurs comment aimer un être aussi vil et repoussant. Fort heureusement le très Britannique Stanford Beale va, si je puis dire mais l’occasion était trop belle, mettre son grain de sel dans cette rocambolesque histoire et tenter de sortir la jeune femme éplorée de ce sale pétrin….
Mais le fourbe scientifique n’en a cure car il trouve ailleurs les capitaux dont il a besoin, en l’occurrence du coté du gouvernement Allemand qui depuis 14/18 rêve de prendre sa revanche. Van Haerden va donc projeter d’envoyer des hommes aux quatre coins du monde avec dans leurs valises la terrifiante bactérie.
Fort heureusement, le scélérat avait si bien codifié son diabolique plan, dont il était le seul et unique maître, qu’il ne put envoyer l’ordre final et définitif à ses nombreux agents qui n’attendaient plus que le mot magique. Il sera ainsi éliminé avant l’ordre fatal par deux agents, mettant un terme définitif à cet homme qui voulut affamer la terre.
Ce qu’il y a de curieux dans ce texte dont la teneur conjecturale est somme toute assez mince, c’est de constater qu’il inspira quelques années plus tard un de nos auteurs maison, Jean d’Agraives avec son « Virus 34 ». Le principe en est le même, mais cette fois le savant est Hongrois et va développer un virus qui s’attaque au froment. Il va rallier à sa cause une fois encore le caricatural fourbe Allemand. Son plan ne va pas aboutir, la preuve en est si vous avez comme moi, mangé un morceau de baguette pour votre petit déjeuner.
« La rouille mystérieuse » de Edgar Wallace. Editions Hachette.1936.
« Le virus 34 » de Jean D’Agraives. Editions Cosmopolite « Collection du lecteur. Jaquette illustrée par Brumier. 1930. Réédité chez Hachette en 1936.
L’histoire de l’anticipation ancienne est parsemée d’ouvrages où de nombreux auteurs se sont posé la question de l’immortalité où tout au moins de la prolongation de l’espérance de vie. Alors, à grand renfort de « Sérum de rajeunissement », « D’élixir de longue vie » et autres « machines à ressusciter » l’homme s’est toujours efforcé de trouver une parade à la brièveté de son existence et comme pour refuser sa condition de simple mortel condamné à la putréfaction de ses chairs, imagina même de substituer certains de ses organes à l’immortelle mécanique. Certains arrivèrent à trouver des solutions, précieux avantage qui ne fut toutefois attribué qu’à l’inventeur lui-même, exception faite de temps en temps pour de rares privilégies. En règle générale, comme en témoigne le texte de Roger Vombal « L’immortel » mis en ligne sur ce blog il y a quelques semaines, il n’est forcément profitable d’user d’un tel avantage. Il, faut dire qu’une terre peuplée d’immortels, risquerait d’engendrer quelques problèmes, dont une surpopulation excessive en serait la conséquence la plus immédiate. Certains savants furent assez conscients du bouleversement social que cela entraînerait, voir la longue nouvelle de Camille Debans « Le vainqueur de la mort », refusant d’accorder son précieux sérum afin d’éviter une surpopulation catastrophique. Alors que faire ? Contrôler les naissances, réserver ce privilège à une élite ? Oui mais laquelle ?
Roland Dorgelès dans cet article paru dans le « Crapouillot » de Noël 1919, dans une jouissif « spécial l’an 3000 » apporte une solution des plus inhabituelle et qui de nos jours,ferait frémir une morale trop bien pensante.
D’autres articles tout aussi réjouissants suivront dans les jours à venir.
Questions Sociales : A quel age faut-il tuer les vieillards ?
Le problème de la surpopulation de l’Europe devient chaque jour plus angoissant. L’Amérique, de son côté, malgré ses vastes territoires libres, commence à s’inquiéter. On dirait que le monde étouffe dans ses frontières trop étroites.
Certes, lorsque le docteur Warnod, en 2642, isola le bacille de la mort et parvint à le vaincre grâce à son merveilleux sérum, personne ne supposait que ce « sauveur du genre humain », ainsi qu’on l’appelait, en était en réalité le pire ennemi.
Les hommes devenus presque immortels, la terre a été bientôt trop petite pour les héberger tous et il fallut envisager la destruction des habitants en surnombre.
Or, toutes les lois votées à cet effet jusqu’à présent n’ont donné satisfaction à personne et n’ont pas abouti à grand- chose. Elles n’ont fait que semer des germes de révolution.
Le plus rationnel eut été de décréter la mise à mort des vieillards à un âge-limite fixé par décret. Mais les hommes d’Etat, tous âgés, ont craint pour leurs jours, et ont préféré prescrire la mise à mort des jeunes gens que la leur. C’est d’ailleurs ce qui motiva en partie le renversement du pouvoir réactionnaire des Soviets, le siècle dernier.
Depuis, vingt lois se sont succédées, toutes aussi burlesques, toutes inefficaces.
La dernière, qui nous régit encore, est celle du Sacrifice d’arrondissement. Le Journal officiel désigne tous les huit jours l’arrondissement condamné, et les habitants doivent se rendre à leur mairie avant midi pour y être électrocutés. Mais ce système est inique.
D’abord les politiciens et leurs amis échappent toujours, avertis à temps qu’il faut déménager. Enfin trop de dérogations ont été introduites au bénéfice des classes possédantes, si bien que le peuple seul est toujours sacrifié.
C’est pour remplacer cette loi impopulaire que les Etats Généraux ont demandé au Conseil des Philosophes d’étudier un nouveau projet. Nous croyons savoir que celui-ci réclamerait la mise à mort automatique des vieillards.
Une seule question demeure en suspens : à quel âge faudra-t-il les tuer? C’est ce que devra établir la prochain assemblée, et la discussion promet d’être orageuse, les membres du Groupe des Anciens ayant intérêt – un intérêt capital – à ce que cet âge soit le plus avancé possible. Cependant beaucoup d’entre eux semblent d’ores et déjà condamnés, notamment le doyen, M. Paul Vaillant-Couturier, descendant du fameux tribun du siècle de Picasso, qui siége à l’Assemblée depuis plus de trois cent soixante ans.
Il est à craindre, si le projet n’est pas voté, que des troubles sanglants ne se produisent. Nous assisterions alors à une hécatombe de vieillards sans précédent dans l’histoire.
Ajoutons que pour donner l’exemple, deux vieillards se sont pendus hier, aux acclamations de la foule, dans le square Mac-Orlan. Leurs corps ont été pétrifiés et seront exposés toute la journée au foyer du Cinopéra.
Ce texte, signalé par son auteur comme une fantaisie, est intéressant à plus d’un titre. Non seulement il aborde plusieurs thèmes des plus passionnants, mais il reprend en outre un sujet abordé avec tout autant de brio dans le roman désormais célèbre de Didier de Chousy « Ignis ».Publié en 1883 chez Berger- Levrault ( en pré original dans la revue « La science illustrée »), nous assistons dans ce dernier au percement d’une immense puits jusqu’au centre de la planète, afin d’exploiter la chaleur terrestre comme une source d’énergie intarissable et à la création d’une Utopie scientifique,Industria-City. C’est dans cette dernière que se produira la première révolte dans l’histoire de la littérature de science-fiction d’androïdes à vapeur : Les Atmophytes !
Déjà l’auteur sous couvert d’un divertissement des plus réussis, faisait passer un message sur les dangers de l’industrialisation à outrance et du remplacement de l’homme par la machine. Thème prépondérant dans l’anticipation ancienne où les auteurs furent bien souvent partagés sur le bien fondé d’une telle systématisation de la mécanique. Ce qu’il y a de passionnant dans la nouvelle de Emile Goudeau, c’est la dimension écologique de sa théorie. En effet la machine supplante l’homme, non pas au profit d’une domination totale et sans compromis, mais pour un retour à un age révolu, où la nature en reine absolue, reprend pleinement ses droits. L’être humain n’a que trop corrompu son environnement fragile et cet équilibre si délicat devenant source de destruction massive, décide de se révolter et de se rebeller face à la tyrannie de ce bipède arrogant et prétentieux. Car la menace n’est pas uniquement d’ordre humain, avec ce projet ambitieux mais antisocial du remplacement de l’homme par la machine, elle est également d’ordre écologique.
Une fois de plus c’est une dénonciation de la folie scientifique où le progrès est source de destruction, un raz de marée que la technologie ne peut plus contenir et conduira l’humanité à sa perte. Dans « La fin des robots » de Jean Painlevé, publié dans la revue « Vu » lors d’un spécial « Fin d’un civilisation » (1er mars 1933) et reproduit dans ces pages, nous assistions déjà à l’avènement de la machine qui, prenant le contrôle d’un monde entièrement mécanisé, terminera sa course effrénée par une apocalypse totale. Tout comme la longue nouvelle de G.de Pawlowski intitulée également « La révolte des machines » où elles vont également supplanter l’homme car prise d’une sorte de conscience mécanique suite à une curieuse maladie du fer. Dans ce texte, les conséquences seront moins funestes, mais l’auteur, par le biais de ce divertissement, mettait le doigt sur les préoccupations d’une époque où la machine risquait de mettre à mal la légitimité de l’honnête travailleur.
Emile Goudeau sur une longue nouvelle , soulève bien des problèmes et aborde des thématiques aussi passionnantes que la fin de notre civilisation, l’intelligence artificielle, l’écologie, la révolte sociale. Toutefois sa réflexion se fera plus profonde en dotant son robot d’une conscience, qui finalement conduira le monde à sa perte. Cette révolte des machines n’est pas le fait d’une marée de boites métalliques en folies, mais celui d’une seule et unique créature qui dans une ultime prise de conscience va générer une révolte générale, on pas des de tous les appareils mécaniques rencontrés dans les textes précédents mais par le réveil de la conscience végétale et minérale se trouvant en chaque chose :
« La révolte se terminait en un gigantesque suicide de l’acier ! »
Une bien belle phrase qui fera date dans le domaine assez restrictif de cette « révolte du fer », thématique peu rencontrée dans notre domaine.
Un fin des plus spectaculaire où l’instigateur de cette révolte, tel notre Gavroche national, terminera sa course dans un dernier baroud d’honneur, préférant se sacrifier pour une cause noble et juste, lui conférant en cela une conscience mécanique proche de l’humain, que n’avait certainement pas prévu son créateur.
Sur L’auteur
Emile Goudeau, né en 1849 et décédé en 1906, fut un personnage assez excentrique. Ecrivain et poète, il écrivit de nombreux ouvrages où il apparaît toujours comme un esprit frondeur et exubérant. Son père, sculpteur de talent, exécutait des monuments funéraires pour nourrir les siens. Après de bonnes études, Emile fut quelque temps professeur. Il quitta l’enseignement pour se retrouver à Paris comme attaché au ministère des finances. Il fonde le cercle littéraire et artistique du Quartier Latin, qui, sous le nom original de club des hydropathes, est une pépinière de poètes. Des hydropathes naît, en 1881, le Chat Noir, cabaret montmartrois notoire et dont le journal a pour rédacteur en chef Emile Goudeau. On buvait énormément alors, particulièrement l’absinthe verte, qui faisait des ravages. Goudeau payait ses collaborateurs en boisson, et ce salaire fut fatal au plus doué d’entre eux.
Parmi ces Hydropathes portés sur la « Fée verte », le jeune Aristide Briand a l’occasion d’entrevoir et peut-être de connaître des poètes comme Raoul Ponchon, Jean Moreas, Edmond Haraucourt l’auteur de « La Légende des sexes », Jean Richepin, Charles Cros, l’étrange compositeur et poète Maurice Rollinat, auteur des « Névroses », le chansonnier et dessinateur André Gill, des humoristes comme Alphonse Allais ou Xanrof, des polémistes comme Léon Bloy ou Laurent Tailhade, de futurs académiciens comme Maurice Donnay ou Paul Bourget, et même Sarah Bernhardt. Briand, peu porté sur la poésie, se contente d’observer et de vider des bocks en compagnie de ce singulier cénacle de buveurs d’absinthe.
Ceci explique alors certaines de ses facéties et ce potache invétéré connu pour ses tours et canulars, confia d’ailleurs son propre enterrement bidon à la maison Borniol dans « Le Chat noir » transformé pour l’occasion en chapelle ardente. Dans cet esprit montmartrois, Gérard de Nerval, promena en laisse un homard vivant. La Butte fut ainsi l’Eden de l’audace et de la plaisanterie.
Les réunions du club se tenaient deux fois par semaine Rue des Boulangers.
Une petite place porte aujourd’hui le nom d’Émile Goudeau dans le 18e arrondissement de Paris, sur la butte Montmartre juste en dessous de la place du tertre.
Reste ce conte paru dans la revue « Livre populaire » du 4 Septembre 1891, N°15 1891, une des rares incursions de l’auteur dans l’anticipation. Elle est probablement involontaire quand à son intention d’écrire une histoire « conjecturale » mais est assez symptomatique de l’esprit imaginatif et fantasque de l’auteur. Probablement un pur produit des redoutables effets de ce terrible et merveilleux breuvage qui fut le véritable « carburant » de toute une génération d’écrivains, de poètes et d’artistes au talent surréaliste.
« La Révolte Des Machines »
Le docteur Pastoureaux, aidé d’un vieil ouvrier fort habile, que l’on nommait Jean Bertrand, avait inventé une machine qui révolutionnait tout le monde savant. Cette machine était animée, presque pensante, presque voulante, et sensible : une manière d’animal en fer. Il est inutile d’entrer ici en des détails techniques trop complexes, qui rebuteraient. Qu’il suffise de savoir qu’avec une série de boites de platine, pénétré par de l’acide phosphorique, le savant avait trouvé le moyen de donner une sorte d’âme aux machines locomobiles ou fixes ; que cet être nouveau devait agir à la façon d’un taureau de métal, d’un éléphant d’acier.
Il faut ajouter que, si le savant de plus en plus s’enthousiasmait pour son oeuvre, le vieux Jean Bertrand, superstitieux en diable, s’était peu à peu effrayé d’apercevoir cette subite évocation d’intelligence dans une chose primitivement morte.
D’ailleurs, les camarades de l’usine, qui suivaient assidûment les réunions publiques s’insurgeaient tous contre les machines qui servent d’esclave au capitalisme et de tyran à l’ouvrier. On était à la veille de l’inauguration du chef d’oeuvre.
Pour la première fois, la machine avait été munie de tous ses organes et les sensations extérieures lui parvenaient distinctes ; elle comprenait que, malgré les entraves qui la retenaient encore, des membres solides s’adaptaient à son être jeune, et que bientôt elle pourrait traduire en mouvement au dehors ce qu’elle éprouvait au dedans. Or, voici ce qu’elle entendit :
- « Etais-tu hier à la réunion publique ? » disait une voix.
- « Je te crois, vieux », répondit un forgeron, sorte d’hercule aux bras musclés et nus.
Bizarrement éclairée par les becs de gaz de l’atelier, sa figure, noire de poussière, ne laissait voir dans la pénombre que le blanc de deux gros yeux, où la vivacité remplaçait l’intelligence.
- « Oui, j’y étais, j’ai même parlé contre les machines, contre ces monstres que nos bras fabriquent, et qui, un jour, donneront à l’infâme capital l’occasion, tant cherchée, de supprimer nos bras. C’est nous qui forgeons les armes avec lesquelles la société bourgeoise doit nous battre. Quand les repus, les pourris, les ramollis, auront un tas de mouvements faciles à mettre en branle comme ceux-ci, fit-il avec un geste circulaire, notre compte serait bientôt réglé.
Nous en vivons à cette heure, nous mangeons en procréant l’outillage de notre expulsion définitive du monde. Holà ! Pas besoin de faire des enfants, pour qu’ils soient des laquais à bourgeois ! »
En écoutant de toutes ses soupapes auditives cette diatribe, la machine intelligente, mais naïve encore, haletait de pitié. Elle se demandait s’il était bon qu’elle fût née pour rendre ainsi misérables ces braves travailleurs.
-« Ah ! Vociféra le forgeron, s’il ne tenait qu’à moi et à ceux de ma section, nous ferions sauter tout ça comme une omelette. Nos bras ensuite suffiraient bien, dit-il en se tapant sur les biceps, à remuer la terre pour y trouver du pain ; les bourgeois, avec leurs muscles de quatre sous, leur sang vicié et leur jambes molles, pourraient nous le payer cher le pain ; et, s’ils bronchaient, mille tonnerres ! ces deux poings pourraient leur en faire passer le goût. Mais je parle à des brutes qui ne comprennent pas haine. »
Et s’avançant vers la machine :
-« Si tous étaient comme moi, tu ne vivrais pas un quart d’heure. Sale bête, va ! »
Et son poing formidable s’abattit sur le flanc de cuivre, qui retentit d’un long gémissement quasi humain.
Jean Bertrand, qui assistait à cette scène, frémit d’attendrissement, se sentait coupable envers les frères, lui qui avait aidé le docteur à accomplir le chef d’oeuvre.
Puis, tous ils s’en allèrent, et la machine écoutait encore, de souvenir, dans le silence de la nuit. Elle était donc de trop sur la terre ! Ainsi, elle ruinait de pauvres manants au profit d’exploiteurs damnés ! Ah ! elle sentait désormais quel rôle d’oppression ceux qui l’avaient créée lui voulaient faire jouer ! Plutôt le suicide. Et, dans son âme machinale et enfantine, elle ruminait le projet magnifique d’étonner, au grand jour de son inauguration, le peuple des machines ignorantes, rétrogrades et cruelles, en leur donnant enfin un exemple de sublime abnégation. A demain !
Pendant ce temps, à la table du comte de Valrouge, le célèbre protecteur des chimistes, un savant terminait ainsi son toast au docteur Pastoureaux :
- « Oui, messieurs, la Science procurera à la souffrante Humanité le triomphe définitif.
Elle a déjà beaucoup fait : elle a dompté le temps et l’espace. Nos chemins de fer, nos télégraphes, nos téléphones, ont supprimé la distance. Si nous arrivons, comme le docteur Pastoureaux semble le prévoir, à démontrer que nous pouvons mettre de l’intelligence en nos machines, l’homme se sentira à jamais délivré des travaux serviles.
Plus de serfs, plus de prolétaires ! Tous deviendront bourgeois ! La machine esclave délivrera de l’esclavage nos frères d’en bas et leur donnera droit de cité parmi nous.
Plus d’infortunés mineurs obligés de descendre sous la terre au péril de leur vie, la machine infatigable et éternelle y descendra pour eux ; la machine pensante et agissante, non souffrante du labeur, bâtira, sous notre commandement, les ponts en fer et les palais héroïques ; c’est elle, la machine docile et bonne, qui retournera les sillons. Eh ! messieurs, il m’est permis, en présence de cette admirable découverte, de me faire un instant prophète. Un jour viendra où, toujours courant de ci de là, les machines se transporteront seules, comme des pigeons voyageurs du Progrès ; un jour peut- être, ayant reçu leur complémentaire éducation, elles apprendront à obéir sur un simple signe, de telle sorte que l’homme, assis, paisible et fort, au sein de la Famille, n’aura qu’à appuyer sur un signal électro-vitalique afin que la machine sème le blé, le récolte, l’emmagasine et en fasse du pain qu’elle apportera sur la table de Y Homme, devenu enfin Roi de la Nature. Dans cette épopée olympienne, les animaux, eux aussi, délivrés de leur part énorme de travaux, pourront applaudir de leurs quatre pieds (émotions et sourires) ; oui, messieurs, car ils deviendront nos amis, après avoir été nos souffre- douleur. Le boeuf devra toujours servir à fabriquer le potage (sourires), mais, du moins, il n’aura point souffert auparavant.
Je bois donc au docteur Pastoureaux, au libérateur de la matière organique, au sauveur du cerveau et de la chair sensible, au grand, au noble destructeur de la souffrance ! »
Le discours fut vivement applaudi. Seul, un savant jaloux jeta ce mot :
- « Cette machine aura-t-elle la fidélité du chien ? La docilité du cheval ? Ou même la passivité des machines actuelles ?
Je ne sais, répondit Pastoureaux, je ne sais ».
Et, subitement plongé dans une scientifique mélancolie, il ajouta :
- « Est-ce qu’un père se doit dire assuré de la gratitude filiale ? Cet être que j’ai mis au monde peut avoir de mauvais instincts, je ne saurais le nier. Je crois pourtant avoir développé en elle, lors de sa fabrication, une grande propension vers la tendresse, un esprit bon, ce qu’on appelle communément du coeur. Les parties affectives de ma machine, messieurs, m’ont coûté plusieurs mois de labeur : elle doit avoir beaucoup d’humanité, et, si j’ose le dire, de la meilleure fraternité.
Oui, reprit le savant jaloux, la pitié ignorante, la pitié populaire qui égare les hommes, la tendresse inintelligente qui fait commettre les lourdes fautes. Votre machine sentimentale s’égarera comme un enfant, j’en ai peur. Mieux vaut un adroit méchant que de maladroites bontés. »
On chuta l’interrupteur et Pastoureaux termina :
- « Qu’un bien ou qu’un mal sorte de tout ceci, je puis lever la tête : j’ai fait faire, je pense, un formidable pas à la science humaine. Les cinq doigts de notre main tiennent dorénavant l’art suprême de la création. »
Les bravos éclatèrent.
Le lendemain, on démusela la machine, et, docilement, elle vint seule se mettre en ligne devant une assemblée nombreuse, mais choisie.
Sur la plate-forme, s’installèrent le docteur et le vieux Jean Bertrand.
L’excellente musique de la Garde républicaine se fit entendre, et des cris de « Vive la science ! » éclatèrent. Puis, après avoir salué le Président de la République, les autorités, les délégations des Académies, les représentants étrangers et toutes les notabilités réunies sur la quai, le docteur Pastoureaux ordonna à Jean Bertrand de mettre en relation directe l’âme de la machine avec tous ses muscles de platine et d’acier.
Le mécanicien fit cela très simplement, en appuyant sur un levier brillant, grand comme un porte- plume.
Et tout à coup, sifflant, hennissant, tanguant, roulant, piaffant, en sa férocité de vie nouvelle et dans l’exubérance de sa puissance formidable, la machine s’enleva pour une furibonde course.
« Hip ! hip ! hip ! hurrah » ! Crièrent les assistants.
- « Va, machine du diable, va », cria Jean Bertrand, et, comme un fou, il appuya sur le levier vital.
Or, sans écouter le docteur, qui voulait modérer cette allure étonnante, Bertrand parlait à la machine :
- « Oui, machine du diable, va ! va ! si tu comprends! va ! pauvre esclave du capital, va ! vole, vole, vole! sauve les frères ! Sauve-nous ! ne nous rends pas plus malheureux encore qu’avant ! Moi ! moi, je suis vieux, je m’en moque ; mais les autres, les pauvres gars, aux joues creuses et aux jambes maigres, sauve-les, bonne machinette, sois gentille comme je te l’ai dit ce matin ! Si tu sais penser, comme ils l’assurent tous, montre-le ! Qu’est-ce que ça peut te faire de mourir, puisque tu n’en souffriras pas ? Moi, je veux bien périr avec toi, au profit des autres, et pourtant ça me fera du mal. Va, bonne machine, va ! »
Il était fou.
Le docteur voulut alors reprendre la direction de la bête de fer :
- « Doucement ! machine », cria-t-il.
Mais Jean Bertrand le repoussa avec rudesse.
- « N’écoute pas le sorcier ! Va, machine, va ! »
Et grisé d’air, il talonnait les flancs de cuivre du Monstre, qui, sifflant éperdument, enjambait de ses six roues l’espace démesuré.
Sauter de la plate-forme était impossible ! Le docteur se résigna et, tout rempli de son amour pour la science, il tira un carnet de sa poche, et, tranquille, se mit à prendre des notes, comme Pline au cap Misène.
A Nord-Ceinture, surexcitée, la machine s’emballa définitivement. Bondissant hors du talus, elle se mit à courir à travers la zone. La colère et la folie du monstre se traduisait en une stridence de sifflet, suraiguë, déchirante comme une plainte humaine, et rauque parfois comme un hurlement d’émeute. A cet appel répondirent bientôt les locomotives lointaines, les sifflets des usines et hauts-fourneaux. Les Choses se mettaient à comprendre.
Un concert féroce de révolte commença sous le ciel, et soudain, de toute la banlieue, les chaudières éclatèrent, les tuyaux se rompirent, les roues s’écartelèrent, les leviers se tordirent convulsivement, et, joyeusement, les arbres de couche volèrent en morceaux.
Toutes les mécaniques, comme mues par un mot d’ordre, se mettaient en grève de proche en proche. Et non plus seulement la vapeur ou l’électricité ; mais, à ce rauque appel, l’âme du Métal s’insurgeait, excitant l’âme de la Pierre, depuis si longtemps domptée, et l’âme obscure du Végétal, et la force de la Houille.
Les rails se dressaient d’eux-mêmes, les fils télégraphiques jonchaient inexplicablement le sol, les réservoirs à gaz envoyaient au diable leurs poutres énormes et leurs poids. Les canons éclataient sur les murailles et les murailles croulaient.
Bientôt, les charrues, les herses, les pioches, toutes les mécaniques, tournées jadis contre le sein de la terre dont elles étaient sorties, se couchaient maintenant sur le sol, refusant à jamais plus de servir homme.
Les haches respecteront arbre, et la faucille ne mordra plus le blé mûr.
Partout, sur le passage de la Locomotive vivante, l’âme du Bronze se réveillait enfin.
Les hommes fuyaient éperdus.
Bientôt tout ce territoire, surchargé de débris humains, ne fut plus qu’une plaine de gravats tordus et calcinés. Ninive avait pris la place de Paris.
La Machine, toujours infatigablement haletante, tourna brusquement sa course vers le nord. Sur son passage, à son cri strident, tout se détruisait soudainement comme si un souffle maudit, un cyclone de dévastation, un volcan effroyable, se fussent agités là.
Quand, de loin, les Vaisseaux empanachés de fumée entendirent le formidable signal, ils s’éventrèrent et disparurent dans P abîme.
La révolte se terminait en un gigantesque suicide de P Acier.
La Machine fantastique, époumonée maintenant, boitant des roues et produisant un horrible bruit de ferraille avec tous ses membres disjoints et son tuyau démoli, la Machine-Squelette, à laquelle se cramponnait instinctivement, terrifiés et anéantis, le rude ouvrier et le savant mièvre, la Machine, héroïquement folle, râlant un dernier sifflement de joie atroce, se cabra devant l’écume de l’Océan, et, dans un suprême effort, s’y plongea tout entière.
La terre, tout au loin, était couverte de ruines. Plus de digues ni de maisons ; les villes, chefs-d’oeuvre de la Mécanique, s’étaient aplaties en décombres. Plus rien ! Tout ce que la Machine avait élevé depuis des siècles était à jamais détruit : le Fer, l’Acier, le Cuivre, le Bois, et la Pierre, ayant conquis une volonté rebelle à l’Homme, s’étaient soustraits à sa main.
Les Animaux n’ayant plus ni frein, ni collier, ni chaîne, ni joug, ni cage, avaient repris le libre espace dont ils étaient depuis longtemps exilés ; les farouches Brutes, aux larges gueules et aux pattes armées de griffes, récupéraient du coup la royauté terrestre. Plus de fusils, plus de flèches à redouter, plus de frondes. L’Homme redevenait le faible d’entre les faibles.
Ah ! Il n’y avait certes plus alors de castes : ni savants, ni bourgeois, ni ouvriers, ni artistes, mais tous parias de la Nature, levant vers le ciel muet des yeux désespérés, pensant encore vaguement, quand P horrible Crainte et la Peur hideuse leur laissaient un instant de répit, et parfois, le soir, parlant du temps des Machines où ils étaient Rois…. Temps défunt ! Ils possédaient donc l’Egalité définitive dans l’anéantissement de tout.
Vivant de racines, d’herbes et d’avoines folles, ils fuyaient devant le troupeau immense des Fauves, qui, enfin, pouvaient à loisir manger de l’entrecôte ou du gigot humains.
Quelques hardis hercules essayèrent d’arracher des arbustes pour s’en faire des armes. Mais le Bâton lui même, se considérant comme Machine, se refusa à la main des audacieux.
Et l’homme, ancien monarque, regretta amèrement les Machines qui Pavaient fait dieu sur terre ; et il disparut à jamais devant les éléphants, les noctambules lions, les aurochs biscornus et les ours immenses.
Tel fut le récit que me fit l’autre soir un philosophe darwinien, partisan de l’aristocratie intellectuelle et de la hiérarchie. C’est un fou, peut-être un voyant !
Ce voyant ou ce fou doit avoir raison : ne faut-il pas une fin à tout, même à une nouvelle fantaisie.
Emile Goudeau
« Une femme dans la lune » de Théa Von Harbou. Editions Cosmopolites, « collection du lecteur » N°24.1929
Le professeur Manfred en compagnie de son élève Wolfgang Hélius, génial inventeur d’un aéronef à réaction, décident d’organiser une expédition sur la lune. Manfred est persuadé y trouver une quantité d’or non négligeable. Ils embarquent donc en compagnie de Jean Windegger et de sa fiancée Frida Velten (qui aime en secret Hélius) et un représentant d’un puissant groupe financier, Turner, qui exerce moult pression pour prendre sa place à bord. L’homme est aussi fourbe que cupide et sera le maillon « faible » de cette audacieuse aventure. Comme pour renouer avec une ancienne tradition des récits maritimes de cette époque, un passager clandestin, Gustave, se glisse telle une anguille à bord du merveilleux vaisseau stellaire.
Le voyage se déroule sans incident, seulement victime des quelques désagréments propres aux voyages dans l’espace, et terminent leur périple sur un astre bien conciliant puisque l’air y est respirable. Mais chose encore plus extraordinaire ils découvrent les vestiges d’une antique citée, aux murs gigantesques, aux tours titanesques ! Quelle race d’hommes ou de dieux connurent dans cette architecture cyclopéenne un aussi funeste destin ? En son sein, un immense cube en or massif soutenant une bien curieuse sphère de cristal.
Les esprits s’échauffent vite et Turner en bon scélérat attisé par un appât du gain hors norme, organise sa fuite, seul à bord de la fusée. Il compte ainsi regagner la terre en laissant mourir ses compagnons d’infortune et revenir à la tête d’une puissante expédition afin d’exploiter le précieux métal jaune. Fort heureusement notre petit clandestin, Gustave, alerte tout le monde et le fuyard sera abattu avant son départ. Seul problème, cette terrible lutte vient de détruire plus de la moitié de la réserve d’oxygène nécessaire pour le voyage, il faudra donc faire un choix douloureux. Tirer à la courte paille ? Rassurez vous, une fois de plus c’est l’amour qui va triompher et Hélius choisissant de se sacrifier pour la bonne cause, sera rejoint au tout dernier moment par Frida qui lui révélera ainsi toute sa flamme.
« Le désert de la lune retentit. Les montagnes retentirent. Le ciel retentit, et la nuit qui trônait au ciel. Tous en cœur redisaient en chœur, comme un psaume :
Le désert n’existe plus où est l’amour.
Les ténèbres n’existent plus, où est l’amour.
La mort n’existe plus, où est l’amour……. »
Ce roman fort agréable publié à l’origine en 1928 sous le titre « Frau Im Mond » sera repris sous forme de scénario et rédigé à quatre mains par Théa Von Harbou et de son mari Fritz Lang réalisateur du superbe et fort coûteux « Métropolis » . Le film sortira un an plus tard en 1929 et sera le dernier film muet du réalisateur.
Un version plus réduite sortira dans la revue « La petite illustration » sous le titre « La femme dans la lune » dans son N° 472 du 22 Mars1930.
Note de l’éditeur :
« Jules Verne et Wells, tels sont les noms qu’évoque le titre de ce volume; mais ce n’est pas sur les données scientifiques du voyage interplanétaire que s’étend Théa von Harbou dans son livre.
Ce sont les caractères de ceux qui participent à l’aventure, les compétitions formidables qui se créent autour du début de la conquête de la lune… qu’étudie avec une rare, très rare puissance d’évocation, l’auteur célèbre des Espions.
Un livre qui prend et qui retient, qui vous emballera comme le film prestigieux qu’on en a tiré. »
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Cette nouvelle édition du festival de Zone Franche à Bagneux fut une nouvelle fois une réussite et l’occasion pour le lecteur lambda que je suis, de faire de merveilleuses rencontres et de pouvoir discuter avec des auteurs de talents, ouverts et disponibles. Cela bien évidemment ne fut pas sans conséquences et de fait mon sac se trouva ainsi lesté de quelques précieux volumes dont les premières pages peuvent désormais se targuer de sympathiques petits dessins et de forts amicales dédicaces.
Cette journée fut aussi l’occasion de rencontrer une petite poignée de Savanturiers que je ne connaissais que de nom et si quelques esprits médisants affirment que les rencontres virtuelles n’apportent pas grand-chose, je dois avouer que dans mon cas toutes les personnes qu’il me fut possible de croiser lors de ce festival, sont des plus charmantes et confirme la nécessité un jour où l’autre de se retrouver en face de ces « amis » dont le verbe bien affûté est souvent le signe avant coureur de personnages les plus intéressants. Merci à Stéphane Errera d’avoir fait le déplacement, malgré un état de fatigue avancé, merci également à Thomas Bauduret pour sa gentillesse et Laurent Whale pour sa bonne humeur et son dynamisme, digne d’un Savanturier de la plus belle trempe. L’occasion en outre d’acquérir son « Les pilleurs d’âmes » (Prix Rosny Ainé en 2011) dont l’histoire me semble des plus passionnante, tout comme son auteur d’ailleurs…..
Le point de ralliement fut le stand du Carnoplaste avec un Robert Darvel fraîchement débarqué de la planète Mars ( les mages spirites eux ne sont jamais en grève) et une besace pleine de ces merveilleux fascicules qui enchantent nos longues soirées d’hiver et riche de deux nouveautés que les aficionados attendaient avec impatience : La dernière aventure de Green Tiburon du facétieux Julien Heylbroeck (une solide gaillard aussi drôle que talentueux qui ne sort jamais sans sa cagoule) «Opération déluge atomique » et le tout aussi délectable Nuz Sombrelieu « La nuit sinueuse » du truculent Brice Tarvel. Deux nouvelles aventures placées sous le signe du fantastique le plus débridé et dont les exploits de ses extraordinaires héros, sont mis en valeur par de somptueuses couvertures de Willy Favre pour le « Luchadore » et Emile Fitz pour notre détective cul-de-jatte. Aventures dont nous reparlerons très prochainement. Brice Tarvel qui nous gratifia également de la sortie de son troisième opus des aventures de Harry Dickson, volume dont il me fit l’immense honneur d’en effectuer la préface. Deux aventures des plus inventives avec une toute spéciale « Le gouffre des ombres » qui devrait combler d’aise les amateurs de nos amis à tentacules. L’ouvrage est paru chez notre éditeur préféré, « Malpertuis » et son catalogue vient de s’enrichir d’un autre auteur prometteur, Frédéric Marchadou qui avec son « Ange maudit » nous plonge dans l’univers mystérieux et décadent de cette fin du XIX eme siècle dans un bien lugubre manoir habité par une tout aussi étrange vieille femme et d’un enfant aux yeux d’épouvante. Une gentille dédicace et un dessin du talentueux Philippe Jozelon qui donne au livre, un cachet inquiétant supplémentaire. Le regard diabolique de l’enfant et les yeux hallucinés de cette vénérable personne, sont autant de promesses d’une lecture délicieusement envoûtante. Petit crochet également vers le stand des éditons « Céléphaïs » éditeur du recueil « Monstres » avec une couverture des plus réussie, qui nous prouve qu’une belle illustration est un argument de vente supplémentaire. L’artiste, Thomas Balard, est d’une grande gentillesse et prend le temps à chaque demande de vous faire un superbe petit dessin des plus original. Le responsable de cette petite maison d’édition qui fut la première à accorder une interview à notre ami Robert Darvel pour son « Carnoplaste » dans la revue « Black Manba », est un grand passionné et fin connaisseur de littérature fantastique et nos échanges furent passionnants et instructifs.
Une journée où je fis également une halte au stand du « Visage vert » avec son extraordinaire et unique revue, à celui de Philippe Ward et de sa toute foisonnante « Rivière Blanche ». J’en ai profité pour récupérer un exemplaire du dernier né de chez Baskerville « De Cayenne à la place Venbdôme » de M.F.Goron & E.Gautier, mais pas de dédicace….et pour cause ! L’occasion de maugréer un peu à l’encontre de tous ces éditeurs de talent. En effet comment faire pour soutenir de telles cadences de parutions ? Impossible de tout lire et de tout acheter. D’ailleurs tous les auteurs sont tellement sympa que l’on a envie de leur acheter leurs ouvrages ! Hélas, il nous faut faire parfois des choix bien douloureux. Ce fut également un plaisir de serre la main à Roland C.Wagner dont je viens de lire le poilant « Celui qui bave et qui glougloute » et de discuter avec notre très cher ami Jean Luc Rivéra dont les propos passionnés sont toujours un enchantement.
Une journée bien remplie,avec une invité de marque S. Baxter ( mais je suis un grand timide et je n’ai pas osé l’aborder) et il m’est impossible de mentionner toutes les personnes avec qui j’ai échangé quelques mots : « L’œil du sphinx » , « Mnemos », «Bragelonne », « Lokomodo »…….Un lieu de rencontre unique et indispensable pour tout amateur qui se respecte et pour moi, qui pendant de nombreuses années est resté un peu à l’écart de ce genre de manifestations, il me parait désormais impossible et inconcevable de ne pas participer à ces rencontres enrichissantes et ô combien stimulantes . Il y règne une ambiance à la fois érudite mais de parfaite décontraction où la bonne humeur et la jovialité sont de mise. Cette magnifique journée se clôtura par un repas des plus joyeux autour de quelques spécialités Mexicaine, histoire de faire honneur à notre Luchadore préféré, le tout accompagné de puissants pichets de Margarita qui, nous en sommes convaincus, feront date dans l’histoire du club des Savanturiers.
Une seule hâte, retrouver une fois encore cette amicale ambiance de convivialité que seule la qualité d’une telle manifestation est capable de créer, un regret, qu’il n’existe pas encore d’équivalent dans le Sud de la France.
Un grand bravo à toute l’équipe de Zone Franche, voilà le genre d’événements, avec le tout aussi réussi festival de l’imaginaire de Sèvres, qui permettent à la littérature de l’imaginaire d’affirmer son dynamisme et sa légitimité et revendiquer une place hautement mérité au sein d’une littérature souvent classique , ennuyeuse et par trop conventionnelle.
« L’île de l’épouvante » par André Gascogne. Editions du Chardon. Collection « L’incroyable ».1945.Couverture illustré par Reschnofsky
Quatre aventuriers qui n’ont décidemment pas froid aux yeux décident d’embarquer clandestinement sur le Yacht du professeur Godge qui aurait parait-il, découvert une île où le temps semble vouloir s’être arrêté. En effet il y serait encore possible de trouver des vestiges des temps préhistoriques. Mais une fois à bord les resquilleurs seront appréhendés et mis à fond de cale. Les ressorts de l’aventure étant ce qu’ils sont, ils vont réchapper à une mutinerie qui vient d’avoir la fâcheuse idée d’éclater à bord et cette joyeuse équipée n’aura que le temps de s’enfuir à bord d’un canot de sauvetage et de sauver par la même occasion le professeur et sa fille : pas rancuniers les journalistes !
Godge leur propose alors de se rendre sur sa mystérieuse île, mais les dieux de la mer en ont décidé autrement et voilà notre embarcation immobilisée dans la mer des sargasses. Un rocher salutaire va leur permettre de mettre pied à terre, lorsqu’un nouveau drame va épaissir encore plus la réputation de cette zone des plus redoutées par les marins : La disparition du professeur.
Après une fouille en règle de ce petit coin de terre, ils découvrent en haut d’un promontoire un curieux rocher ayant la fâcheuse tendance à pivoter sur son axe. A l’intérieur, un puit sans fond accessible par un vertigineux escalier. N’écoutant que leur courage ils empruntent alors ce tube de ténèbres et font la connaissance des horribles créatures figurant sur la couverture de l’ouvrage : Ce sont des Mohas, une variété de singes recouverts par des écailles. Leur laideur n’a d’équivalent que leur agressivité et il faudra que nos aventuriers fassent preuve d’un grand courage pour arracher le professeur des griffes de ces sinistres créatures. Il faut dire qu’un bon fusil, ça aide….
A peine remis de ses émotions il leur explique alors son étrange aventure, comment à la surface il fut emmené par une mystérieux inconnu sensible à la lumière du jour et parlant le Grec. L’homme lui parle d’un ancien cataclysme ayant contraint son « peuple » à se réfugier dans ces cavernes, un monde hostile et fantastique où la flore prend un aspect des plus singulier. Il leur est impossible de retourner à la surface car les terribles Morahs, empêchent toute échappatoire. Ils s’adaptèrent ainsi à ce nouveau milieu développant alors une grande sensibilité à la lumière.
Après avoir écouté d’une oreille attentive cet incroyable récit, ils vont ainsi continuer leur périple dans ce monde souterrain et après une nouvelle rencontre musclée avec les redoutables gorilles, trouveront leur salut dans la forteresse construite par les descendants des atlantes, car c’est bien d’eux dont il s’agit.
Tous pensent que ce haut lieu de l’histoire sera leur dernière demeure, ce qui n’est pas pour déplaire au professeur qui se plonge avec ravissement dans les textes Atlantes, mais trouvent finalement une échappatoire. Tous à l’exception du Godge, parviennent au puit de sortie et ce malgré les escarmouches répétées des viles créatures. A l’extérieur, le canot est toujours là, ils embarquent avec un pincement au cœur en se jurant qu’il reviendront un jour récupérer le malheureux scientifique. Dés leur retour ils devront supporter les quolibets d’un monde incrédule qui bien évidemment ne porte aucun crédit à cette singulière aventure. Mais ils jurent par tous les dieux qu’ils prouveront leur bonne foi et là, les journaux s’arracheront le récit de cette fantastique aventure.
Petit clin d’oeil à sa région d’origine, dans ce roman écrit par André Gascogne, pseudo de Paul Bérato mais plus connu par les aficionados sous son autre pseudonyme « Yves Derméze » nous avons affaire à un récit beaucoup plus destiné à un jeune public. Essentiellement intéressant pour sa thématique de monde souterrain, les personnages y sont caricaturaux et la trame conjecturale n’occupe que les tout derniers chapitres (qui n’en comptent que 12) du volume. La fin du texte laisse présager une suite qui, sauf avis contraire, n’existe pas et le titre annoncé sur le dos de couverture « le démon du néant » n’a aucun rapport avec cette histoire cavernicole. Il s’agit de l’histoire d’un savant fou, Nihil, qui dans sa cité de la destruction rêve de conquérir le monde. Il invente pour cela divers des « rayons » aussi destructeurs que terrifiants : Rayon qui congèle, qui atomise qui pulvérise…..A sa solde, le produit de ses expériences douteuses , les « Nihilo », des hommes privés de toute conscience grâce à son projecteur de volonté.
Paul Bérato est un peu à l’image de cet autre génial écrivain, Maurice Limat. Véritable forcené du travail et de l’écriture, il produisit un nombre incalculable d’œuvres dans des domaines aussi variés que la science fiction, le policier, la guerre, le roman d’aventure….une liste colossale dont certains ouvrages souffrent certainement d’une écriture trop rapide, dans un style parfois à l’emporte pièce, mais c’était un raconteur d’histoires et possède de ce fait cette qualité propre à cette catégorie rare d’individus : il arrive toujours à nous distraire.
Nous restons alors émerveillé face à des titres aussi magiques que « Sous la banquise en feu », « Le pays sans soleil », « Le maître de la soif », « Le messager du soleil », « Les naufragés de l’île bleue »…autant d’aventures qui sont une promesse de voyages extraordinaires dans les espaces vierges et mal cartographiés de l’imaginaire.
« L’île de l’épouvante » n’est certes pas une œuvre impérissable, mais elle participe activement à la thématique des terres creuses tout en enrichissant une liste déjà fort longue de la survivance de l’Atlantide.
Vous trouverez sur ce lien la liste des textes conjecturaux parus dans la « Collection de l’incroyable » et réalisée par mon ami Philippe Ethuin pour son blog ArchéoSF
Ce qu’il y a d’étonnant dans la littérature fantastique, c’est la faculté d’adaptation dont font preuve certains auteurs. Non contents de réutiliser un genre parfois usé jusqu’à la trame, il se le réapproprie, le refaçonne, pétrissant à pleine main cette substance si dense et généreuse qui alimenta toute une génération d’écrivains où se confond littérature et cinéma, au final pour sculpter une œuvre originale et passionnante. Nous avions déjà un magnifique exemple avec l’auteur Américain Gail Carriger ( Tofa Borregaard ) et son excellent personnage d’Alexia Tarabotti du « Protectorat de l’ombrelle » ( Deux volume parus chez « Orbit ») et le tout aussi extraordinaire « Les revenants de Whitechapel » du très Anglais Georges Mann ( Editions Eclipse) où nous assistons aux brillants débuts des « Enquêtes extraordinaires de Newbury & Hobbes » . En regard de la suprématie des auteurs anglo-saxons, la France allait-elle baisser les bras ? « By Jove » heu ! Je voulais dire « Sacrebleu » nous avons également notre fierté nationale et Stéphane Tamaillon avec sa série « Krine » vient ainsi ajouter une pierre supplémentaire à l’édifice respectable du fantastique à ambiance Victorienne.
En choisissant une fois de plus cette ville de Londres « Lieu géométrique de toutes les horreurs » comme mère nourricière d’un genre qui failli mourir étouffé par son sein par trop généreux, il faut avouer que le risque était grand et la gageure des plus acrobatique. Combien d’auteurs en effet se sont noyés dans les méandres d’une tamise aux eaux froides et mystérieuses, combien se sont égarés dans les lacis de ses ruelles où le Fog vous colle à la peau comme un manteau d’étoupe humide et glacé ? Car il ne suffit pas de se servir comme moteur principal, d’une ville généreuse en mines patibulaires et en forfaitures horribles, encore faut-il avoir le talent de lier tout cela et tel un cuisinier sorti de quelques cuisines infernales, nous concocter un met aux fragrances fantastiques et au goût profondément novateur. De fait, on peut dire que le résultat va au-delà de nos attentes et s’il vous prend l’envie, et je ne peux que vous encourager, d’ouvrir les portes de ce foisonnant univers, il est une choses dont je suis sûr c’est que vous ne le regretterez pas.
C’est l’histoire, pour reprendre l’expression de Stéphane Tamaillon, d’un « Dandy baroudeur », un homme intelligent et cultivé qui cache en lui un lourd secret. Doté de quelques pouvoirs surnaturels, il est l’archétype d’une nouvelle race du « détective des ténèbres », de ceux qui n’ont pas froid aux yeux, faisant marcher aussi bien une logique implacable que la célérité de ses deux poings noueux. Mais contrairement à ses homologues évoluant dans un monde rationnel et parfaitement « plausible », lui évolue dans un Londres alternatif, une époque imaginaire entre « chien et loup » qui s’efforce de sortir d’un obscurantisme Victorien pour laisser la place à une industrialisation naissante, faite de progrès et de technologie. C’est ainsi que nous nous retrouvons dans cet univers, dans un subtil mélange de roman fantastique « classique » avec son cortége de monstres et créatures légendaires et d’un steampunk des plus discret mais en parfaite adéquation avec le contexte du roman. Il vous sera ainsi possible d’y croiser bon nombre de « Locotube » et « d’autocab » dirigé par la dextérité toute mécanique de quelques automates dociles et consciencieux.
Tout ceci en fait ne sera prétexte qu’à construire un monde des plus complexe et faisant preuve d’une grande diversité de genres car dans cette aventure, les véritables adversaires de notre héros proviennent de la nuit des temps, de nos légendes les plus extraordinaires. Il se trouvera en effet aux prises avec de bien redoutables loups-garous et il lui arrivera de croiser la route de personnages aussi fameux que de bien peu fréquentables goules (mais en existe-t-il de fréquentables ?) : Le Docteur Jekyll et surtout Mister Hyde, le Baron de Frankenstein et son improbable créature, des sorciers, un léprechun, des gueules cassées et patibulaires, des êtres vils et repoussants….Toute une galerie de personnages que tout amateur ne connaît que trop bien, mais dont la légitimité au sein de cette aventure ne fait aucun doute.
Car voyez vous, Stéphane Tamaillon semble bien connaître le Londres de la misère de cette fin du XIX et à mon avis, son trait de génie réside en l’utilisation de ces bas fonds Victoriens, dont j’avais apprécié toute l’importance et la mesure dans l’étude de Kellow Chesney (« Les bas fonds Victoriens »Editions Robert Laffont), pour opérer un astucieux changement et en faire dans cette dimension alternative, le siége des « grouillants ». Cette minorité est un peu, comme à l’image des miséreux et de ses pauvres ères qui tentaient de survivre tant bien que mal dans la capitale Anglaise en cette fin de siècle, laissée pour compte, livrée à elle-même, ignorée de tous. Dans l’univers de Krine ce sont des créatures surnaturelles qui chassées et persécutées dans toute l’Europe, tentent de survivre dans un monde implacable et égoïste, qui n’a que faire de leurs misérables vies. Elles essayent de s’adapter, mais savent très bien que leur survie ne se fera que par un processus d’intégration lent et douloureux. Alors certains humains font commerce avec elles, on exploite parfois leurs merveilleuses facultés tout en leur faisant comprendre qu’elles n’ont pas vraiment leur place ici. Elles font alors comme font toutes les minorités, elles subissent en pliant la tête jusqu’au jour où…
Tout ceci baigne donc dans une ambiance qui fleure bon les hommages littéraires et cinématographiques et en bon connaisseur des genres abordés, l’auteur se fait non seulement plaisir, mais nous comble de ravissement à la lecture de ses nombreux clins-d’œil que parsèment le livre, et toujours utilisés judicieusement.
Il y a dans son style d’écriture quelque chose de très agréable, c’est limpide plaisant et malgré toute la complexité de cet univers dans lequel il nous entraîne, la lecture se poursuit allégrement, où chaque chapitre donne envie de lire le suivant. De son imagination toute référentielle, il se dégage une ambiance unique, et dans l’atmosphère crasseuse et humide des bas quartiers de la city, il parvient à nous tenir en haleine, qui devient pour l’occasion abondante et saccadée à force de croiser de telles abominables figures de carême. Une galerie de personnages haute en couleurs, aux trognes les plus carnavalesques. L’ombre des monstres de la Hammer semble se profiler sur les parois décrépites de quelques ruelles sordides et le souffle putrescent de quelques abominations vomis des nombreuses bouches d’égouts, nous rappellent à quel point cette fière cité peut être un lieu de mort et de désolation. Ce qui se trame au final de l’histoire est une véritable surprise et nous démontre toutes les horreurs qui se fomentent dans l’atmosphère électrique des laboratoires de la littérature fantastique
Les personnages, astucieusement détaillés en fin de volume, ont une certaine crédibilité car la grande force du roman, c’est de nous immerger totalement dans cet univers et d’assister en spectateur abasourdi, à des événements qui nous paraissent les plus naturels au monde. En tant que lecteur assidu, cet état de fait est d’une importance capitale à savoir nous transporter, nous faire vivre intensément l’histoire qui s’y déroule, réussir à nous faire oublier toute notion de réalité.
Je crois que l’on ne pouvait pas rendre meilleur hommage à toute une facette de cette littérature (et du cinéma par la même occasion) qui nous avait habituée à des œuvres répétitives et sans ambition. A une époque où les étals de libraires sont complètement envahis par les vampires de toutes sortes, qu’il est plaisant et je dois avouer rassurant (mais je suis un affreux égoïste) de constater qu’il existe encore et toujours des auteurs capables d’insuffler une nouvelle vigueur à un genre qui commençait en librairie à montrer quelques signes de décrépitudes car quasiment absent.
Avec Fabrice Bourland et Francis Thievicz je découvre avec plaisir qu’il existe un renouveau des « jeunes » auteurs qui parviennent, au fil de leurs plumes facondes et passionnantes, à donner un nouveau sens et une originalité sans commune mesure, à l’horizon de l’imaginaire Français.
Dans l’attente du second volume qui figure en bonne place sur ma pile interminable de romans à lire en priorités, je voudrais ici vous remercier de nous alimenter de tant choses délectables et d’assouvir avec une si grande générosité inventive nos petits plaisirs coupables.
L’ouvrage se termine par un fort plaisant appendice intitulé « Dans les coulisses de Krine » où il vous sera possible d’apprendre bien des choses sur cette nouvelle saga à l’avenir prometteur.
Une mention spéciale pour Benjamin Carré et ses magnifiques couvertures, car pour une fois ce qui se cache à l’intérieur est aussi bien que ce qui se voit à l’extérieur
Tome 1 : « Les enquêtes d’Hector Krine : Les voleurs de cercueils » de Stéphane Tamaillon. Editions Gründ Romans. 2010
Tome deux : « Les enquêtes d’Hector Krine : L’affaire Jonathan Harker » de Stéphane Tamaillon. Editions Gründ Romans. 2011.
Le site de l’auteur où il vous sera possible de récupérer de précieuses références: C’est Ici
Une nouvelle fournée de quatre ouvrages, dont un plus spécifiquement concernant une revue et qui reste encore actuellement un collection très recherchée car la première, depuis l’encyclopédie de Versins, à avoir effectué un immense travail de défrichage en exhumant un bon nombre d’oeuvre rares ou inconnues.
- « Science-Fiction, une histoire illustrée » de Dieter Wuckel.
Un ouvrage très intéressant car l’auteur remonte aux sources de la SF à travers des textes très ancien, en nous parlant des grands courants de l’humanité qui ont bouleversés les thématiques du genre : Utopies sociales, Révolution industrielle,les guerres. Des chapitres passionnants parcourent le volume ( « La révolution industrielle et ses répercussions sur la science-fiction », »Les magnétiseurs, les monstres et les automates », « l’épanouissement de la SF après la première guerre mondiale », « La science fiction Soviétique entre 1917 et 1956 »).L’auteur s’attarde également sur des auteurs Anglais, Allemands, Russes,sans distinction une approche mondiale et beaucoup plus globale du courant de la SF de la fin du 19éme au début du 20éme siècle. Nombreuses illustrations n&b mais surtout des portraits et des photos d’écrivains.« Editions Leipzig » 1988, 256 pages.
- « Bulletin des amateurs d’anticipation ancienne et de littérature fantastique ».
Avec plus de 16 ans d’existence et 38 numéros au compteur, voilà une revue que rêve de posséder tous les amateurs du genre. Dés son N°1 (Mai 1990) elle fut le « Bulletin de liaison des amateurs de SF ancienne, de littérature fantastique & autres textes conjecturaux » pour devenir à partir du N° 4 le « Bulletin des amateurs d’anticipation ancienne et de littérature fantastique » et ce jusqu’à son ultime N° 38 (Noël 2006). Une revue précieuse et « unique » (comme Weird Tales) car elle n’eut de cesse de répertorier une somme assez impressionnante de livres et de journaux, connus et inconnus, d’auteurs complètement oubliés de nos jours, de publier des nouvelles introuvables, d’imprimer de superbes illustrations et couvertures de livres, bref de traquer la conjecture ancienne sous toute ses formes. Sous la direction de Philippe Wadbled, avec la complicité de Marc Madouraud, nous ne remercierons jamais assez ces deux personnages emblématiques,pour cette formidable et généreuse entreprise.Un nombre assez conséquent de « collaborateurs » contribuèrent ainsi au fil des numéros à réaliser une somme assez conséquente d’informations dans le domaine. La coutume était de donner un résumé de l’œuvre analysée et d’en faire ou non, une petite analyse. Au cour des années et du flux de ses participants, il fut également possible de voir se dégager des thématiques, des recensements de collections, d’éditeurs et de revues diverses et variées. Un exemple unique dans notre domaine, un outil indispensable et rare car tiré à très peu d’exemplaires.
- « La fin du monde en S.F » .
Ce copieux volume rédigé par Pierre Caillens est en fait un répertoire des « Ecrivains de la fin du monde, de l’apocalypse à la bombe atomique. Divisé en plusieurs chapitres aux noms aussi évocateurs que « Cataclysme » « Fin atomique » « Robots et machines » « Extra-terrestres » etc.…l’auteur nous dresse un inventaire, des origines jusqu’en 1990 des différentes fins du monde en littérature conjecturale. Certes l’ouvrage n’est exhaustif, toutefois il passe en revue une bonne quantité d’ouvrages anciens avec, dans la majorité des cas, un petit résumé de l’histoire. Nous lui reprocherons toutefois un certain manque de repères bibliographiques concernant les oeuvres citées, ce qui est fort regrettable en regard du travail réalisé pour cette étude. La fin du volume est pourvue d’un index fort appréciable. Probablement très faible tirage (100 exemplaires ?).1990.
- « Quand nos grands-pères imaginaient l’an 2000 » de Guillemette Racine.
Une plongée en image des facultés visionnaires de nos aïeux. Un voyage de 158 pages avec de magnifiques reproductions concernant des thèmes aussi variés que la ville,l’éducation,les grandes catastrophes,les dérapages du progrès (J’adore ce chapitre). Un ouvrage indispensable ! « Editions Nathan » 1991