Cette petite « Fantaisie » de la plume féconde de Albert Robida fut publiée dans le N°1331 des Annales Politiques et Littéraires (27 Décembre 1908). On y retrouve toute la verve et l’imagination d’un écrivain/Illustrateur pour qui le plus lourd que l’air était un objet de fascination pour ne pas dire de vénération. Ainsi dans cette « Aviation en 1950 » en peu de lignes, Robida nous fait l’apologie de ces transports aériens aux noms si pittoresques et qui dans ses anticipations, noircissaient le ciel de France. Un hymne à l’imaginaire et à la démesure où vont se croiser « Aérobus », « Aéro-fléchettes », « Planocars », « Aérocalles », « Aéro-gondoles » et autres Aéronefs Transatlantique. Alors laissez vous porter par cette douce brise d’humour et de folie dans le ciel ô combien merveilleux de ce magnifique conteur d’histoire.
Cette courte nouvelle fut rééditée aux éditions « Apex» constituant le N°10 de la collection « Périodica » (Tiré à 250 exemplaires 1995)
Bientôt fera suite « L’automobile en 1950 » paru dans le même numéro.
L’aviation en 1950
Ouf! Enlevons lunettes et pelisses fourrées.
Sapristi! Voyons le Télé journal… Allô! Allô! Il y avait, aujourd’hui, interpellation à la Chambre. Le ministère des Voies et Communications aériennes et terriennes est visé… Question de caoutchoutage, le Midi réclame… Nous allons voir. Allô! allô!
…Vive discussion… Discours virulent de… Drinn, drinn, passons les discours… Ordre du jour de blâme… Par 1,246 voix contre 342….,ça y est, le ministère a dérapé!
En l’air, au bar aérien d’une station électrique, En bas, stationnent quelques autos rechargeant leurs accumulateurs. A mi-hauteur, sous les grands hangars, remises, des véhicules divers attendent: un petit dirigeable de location, deux aérobus, trois aéroplanes, une ballonnette.
Trois messieurs, deux dames et trois enfants de dix à quinze ans, achèvent de déjeuner. Il fait un temps superbe, le soleil brille. On cause de l’orage de la veille.
- Quatre accidents seulement, dont un assez grave…
- Il y a tant d’imprudents, des jeunes gens qui se lancent, par snobisme, avec des aéroplanes de course, ou d’autres, au contraire; faute d’argent, les pauvres diables, sur des appareils de quatre sous, sans solidité, des clous d’occasion!… Les parents, quelquefois, devraient mieux surveiller ces échappés de collège.
- Ah! mon cher, maintenant, dès le lycée, on fait de l’aéro ou du planotage, comme mon grand-père faisait du canotage… Ainsi, Gaston que voilà, s’il passe son bachot Fan prochain, je lui paie un petit aéro-fléchette de douze cents francs; il pourra s’offrir des petits voyages raisonnables… 11 sait conduire, d’ailleurs, et fait du dirigeable tous les dimanches. Il a son brevet d’aéro…
- Ça n’est pas si malin! fit le jeune Gaston.
- Oh non ! papa, firent en chœur les deux fillettes.
- Regardez donc le vieil aérocale vermoulu qui nous arrive par sud-sud-est… Quelle antiquité! Ça doit dater de 1930! On faisait solide, dans ce temps-là!
- Mais ça ne marche guère… Voyez, il croise l’aérobus de Saint-Malo; il a fallu un effort sur le moteur pour éviter d’accrocher…
- A propos, vous savez ce qui est arrivé, cette semaine-ci, en forêt de Fontainebleau, derrière Barbizon? Des filous qui ont fait coup double… Ils venaient de cambrioler une grande villa en forçant la porte de l’embarcadère supérieur, — les maîtres au théâtre à Paris, — lorsqu’en filant par-dessus la forêt, avec leur butin, leur dirigeable rencontre un aéro de touristes qui s’en allaient en Italie en voyage de noces. Harponnage, terreur! Le pauvre monsieur voulait résister; mais la jeune dame s’évanouit… Dévalisés à fond en deux minutes!
- Dame, les voleurs ont beau jeu avec l’aéro, malgré toute la surveillance…
- C’est comme pour la contrebande. Il a bien fallu supprimer les douanes…
- Vous savez si c’est merveilleux, l’aéro, pour découvrir dans les monuments des beautés inconnues aux curieux d’en bas! Eh bien! il y a des gens peu délicats qui abusent, ils déboulonnent des statues haut perchées. On a pincé, l’autre jour, un Anglais qui, sous prétexte d’admirer la cathédrale de Reims, emportait des souvenirs.
- Oh! ces collectionneurs!
- Chère madame, j’ai vu une chose bien drôle, il y a trois mois, en Egypte: des courses de planocars, aéroplanes et aéroflèches, avec, comme obstacles, les Pyramides à sauter l’une après l’autre… Je l’ai fait; mais j’ai failli attraper un Bédouin en descendant. Je l’ai évité par un bond de côté; mais mon hélice s’est cassée sur la tête du grand sphinx… Si les affaires sont bonnes, j’irai, en novembre, avec un aéronef d’agence, faire douze jours de chasse en Abyssinie… Lion, panthère…
- Oh! fait le jeune potache, avec admiration.
- Pourvu que, d’ici là, il n’y ait pas de guerre!… Partout, on augmente les flottes aériennes… On construit, on construit…
- Il faut bien! 11 peut nous tomber dessus, sans crier gare, quelque flottille asiatique. Malgré toutes nos croisières, c’est si facile! Un coup de vent, une série de brumes dans l’atmosphère, une anicroche aux rondes internationales avancées, et ils passent… C’est beau, l’aviation; mais il y a le revers de la médaille: l’insécurité générale!
- Moi, je compte aller jeudi à Londres.
- Avec votre aérocale?
- Oh! s’il s’agissait d’aller à New-York, j’irais par. l’aéronef transatlantique…
- Moi, je voyage peu! Ah! mon ami, une belle nuit, la sortie de l’Opéra par en haut, avec tous les aéros qui passent ou qui stationnent, les municipaux, Paris illuminé…, les toilettes, les stations aériennes diverses, la tour Saint-Jacques au loin, Nuage-Palace, l’Arc de Triomphe, les terrasses des restaurants, cela vaut les Alpes par en dessus, Venise en aéro-gondole…, Constantinople, tous les grands spectacles… C’est superbe!…
Albert Robida
Dans cette excellente revue consacrée à la vie et l’œuvre de Albert Robida toute l’équipe, dans un souci de rendre à César ce qui lui appartient, nous propose un travail des plus passionnant, qu’il s’agisse de son œuvre conjecturale, de sa participation à diverses revues, d’ouvrages sur les régions de France, livres pour la jeunesse etc………
Un auteur qui méritait une revue à part entière en regard de l’importance de son œuvre et de la production considérable qu’il réalisa dans le domaine de l’anticipation.
Dernièrement je lisais encore une petite étude sur les précurseurs Français et l’on citait allégrement les « inventions » de Mr Verne, alors que l’on passait sous silence les œuvres visionnaires non seulement de Robida, mais d’une foule d’autres écrivains au talent incontestable.
Est-il besoin de rappeler à notre bon souvenir une partie de son œuvre conjecturale qu’il illustra en outre avec un immense talent :
- « Les voyages extraordinaires de Saturnin Farandoul dans les 5 ou 6 parties du monde et dans tous les pays connus et même inconnus de Monsieur Jules Verne ».
Un pavé monumental de plus de 800 pages avec 450 illustrations couleurs, N&B. Dans ce roman on découvre bien avant l’œuvre de Burroughs et de son Tarzan que Saturnin Farandoul a été élevé par des singes et partira dés l’age de 11 ans retrouver la civilisation, conscient de sa différence.
Il deviendra rapidement un homme hors du commun, un être supérieur parmi les hommes tout en conservant un grand pouvoir sur les animaux.
De retour de manière fortuite chez les singes, il en fera par la suite une société instruite et constituera même sa propre armée.
Toute l’histoire sera par la suite une aventure délirante et haute en couleur dans laquelle Robida pastichera de manière très savoureuse les héros de Jules Verne et de ses « Voyages Extraordinaires ».
- « Jadis chez aujourd’hui » (1890) ou il est traité du thème du voyage temporel
- « L’horloge des siècles » (1902) ou suite à un cataclysme naturel, la terre se met a tourner a l’envers et ou le temps lui-même se déroule à l’envers.
- « La guerre infernale » (1908) ,30 fascicules, 900 pages d’une guerre future à l’échelle mondiale avec de magnifiques illustrations pleines pages en couleur, le sommet de l’anticipation militaire ou l’imagination de Robida et de Giffard est à son apogée.
- « L’ingénieur Von Satanas » (1919) son œuvre la plus sombre qui contraste avec sa production habituelle. Il s’agit d’un réquisitoire écrasant contre la guerre. Il faut dire que la première guerre mondiale est passée par là avec tout son cortége d’horreur.
- « Mystére-ville » roman réalisé à « quatre mains » avec William Cobb (pseudo de Jules Lermina) en 1905 et publié dans l’extraordinaire revue que fut « Sciences et Voyages » ici c’est la découverte en Inde d’un civilisation souterraine ayant développé une technologie basée sur le son, et les odeurs….
Je crois qu’en regard de toute sa production, qui fut avant tout l’œuvre d’un véritable visionnaire et doué d’un coup de crayon hors pair, Robida est sans contexte le chef de file de ce « merveilleux scientifique » appelé plus communément science-fiction et qui mérite certainement toute l’importance que lui accorde « Le Téléphonoscope ».
On accorde toujours une place de choix à l’œuvre de Jules Verne en tant que précurseur de la « science fiction ». Il a certes contribué à « démocratiser » un nouveau genre sous couvert d’œuvres pour la jeunesse (ou assimilée à l’époque en tant que telle) mais il avait une conception assez restrictive du progrès, ses romans ne sont pas vraiment des « anticipations » car ils restent toujours dans le cadre restreint de l’époque dans laquelle il vit. Robida s’est toujours affirmé comme un visionnaire, « anticipant » bon nombre de facteurs important de notre société tant sur les plans culturels que techniques ou moraux. Il resta pendant de nombreuses décennies dans l’ombre du maître Nantais et poursuit actuellement peu à peu une lente ascension vers une notoriété légitime.
Ce numéro 16 du « Le Téléphonoscope » consacré à une étude croisée entre les sources d’inspiration de Albert Robida et Jules Verne est un véritable bonheur car, outre la pertinence des différents articles traités avec érudition, la revue se « paye » le luxe de reproductions de dessins de Robida dans une qualité irréprochable sur un papier des plus agréable qui soit. Superbe iconographie, qualité éditoriale….que demander de plus afin de parfaire ses connaissances sur une Illustrateur/Auteur qui n’a pas encore fini de nous étonner.
Une revue certes très spécialisée mais dont il nous faudra suivre le parcours avec une grande attention
« Le Téléphonoscope » N°16 : « Jules Verne & Albert Robida »
- Editorial, par Jean-Claude Viche.
- « Robida voyageur dans le temps, Verne explorateur passionné de l’espace », par Dominique Lacaze.
- « Saturnin Farandoul », parodie de Jules Verne et source d’inspiration.
- « Où Hetzel et Verne s’inquiètent de la parution de Saturnin Farandoul ».
- « Albert Robida et les Verne, père et fils », par Daniel Compère.
- « La journée d’un journaliste américain », un copiage de Robida, par Jean-Claude Viche.
- « Quand Robida illustre Jules Verne ».
- « Un autre Jules Verne : Paris au XXe siècle », par Dominique Lacaze.
- « Verne et Robida dans l’aventure de l’automobile », par Jean-Claude Viche.
- « L’île à hélice, fiction ou réalité », par Philippe Burgaud.
Pour plus d’information : LIEN
Le Professeur Tornada dont nous avions évoqué les incroyables aventures sur une des pages de ce blog est l’archétype du savant fou génial et fantasque qui sur sept mémorables romans fit le bonheur des conjecturopathes que nous sommes. Toutefois un de ses exploits mérite plus particulièrement notre attention car, outre le fait d’être la première apparition de ce singulier personnage, il fut également illustré d’admirable façon par un artiste émérite qui parvint à donner à cette œuvre un souffle conjectural des plus réussi.
« Sur l’autre face du monde » vous propose donc l’intégrale des cinq illustrations réalisées spécialement pour cette « Invasion des macrobes » dont le ton à la fois grave et délirant, n’a pas fini de nous étonner.
André Devambez (Mai 1867, Septembre 1944 ) est le fils du graveur, imprimeur et éditeur Édouard Devambez, fondateur de la Maison Devambez à Paris.Il étudie avec le portraitiste et orientaliste Jean-Benjamin Constant.Dès son plus jeune âge, André Devambez travaille également avec son père
Neuf œuvres de lui sont présentées au musée d’Orsay à Paris, incluant son tableau le plus connu, « La Charge ». Cette scène de rue dramatique, peinte en 1902, montre la violente confrontation entre la police et les manifestants sur le boulevard Montmartre, vue d’en haut. Cette perspective plongeante se retrouve régulièrement dans l’œuvre de Devambez, tout comme les tableaux peints souvent sur bois en petit format, connus sous le nom de « tous-petits ».
En 1910, il est invité à réaliser des panneaux décoratifs pour la nouvelle ambassade de France à Vienne. Il choisit comme thème les inventions de son temps, peignant le métro, un omnibus, un avion, un aéroplane.
André Devambez produit par la suite un nombre considérable de dessins, gravures, écrit et illustre des livres pour enfants
Devambez réalisa aussi de nombreuses illustrations dans «Le Figaro illustré» , «Le Rire» , et «L’Illustration»
Mais il est surtout l’artiste qui réalisa dans le domaine qui nous intéresse de magnifiques compositions pour au moins deux ouvrages célèbres :
- « Les comdanés à mort » deClaude Farrère Dans son édition originale tiré à 800 exemplaires (300 sur Japon National et 500 sur Hollande Van Gelder) Editions Edouard-Joseph & L’illustration.1920. Six illustrations Hors texte de André Devambez.
- « Une invasion de Macrobes » de André Couvreur. Supplément à « L’illustration » en quatre livraisons le 6, 13, 20,27 Novembre 1909. Ces quatre revues firent l’objet d’une sortie en un seul volume publié la même année chez le même éditeur. Cinq illustrations Hors Texte de André Devambez.
Celui par qui le scandale arrive: Le Professeur Tornada en personne!
Aussi incroyable que cela puisse paraître, la vie est possible sur Vénus et après quelques explications assez fumeuses, l’auteur nous prouve qu’il y a de fortes probabilités pour que son stade d’évolution soit assez comparable à notre période Jurassique. Un équipage aussi saugrenu que hétéroclite s’organise et la construction d’une tout aussi improbable fusée débute sans plus tarder. Après de savants calculs, il faudra toutefois prévoir un moyen pour quitter les effets de l’attraction terrestre sans avoir à gaspiller du précieux carburant. Il sera donc décidé de décoller du fleuve Mississipi et de faire route vers le Mexique. Car voyez vous, l’appareil est un compromis entre la fusée et l’hydravion et pour lui permettre de sortir de notre atmosphère il lui sera nécessaire d’utiliser la force ascensionnelle d’un volcan et des gaz en pression qui s’en échappe. Leur choix se portera donc sur l’Orizaba.
Le jour du départ arrive et notre équipage constitué de scientifiques de différents horizons, embarque pour une formidable épopée. Seul Olive Escartefigues, célèbre pour sa tentative avortée d’un voyage dans la lune ne pourra être du voyage, remplacé au dernier moment par le narrateur de cette histoire. Auteur que nous ne remercierons jamais assez pour nous avoir rapporté un récit aussi…captivant, mais n’anticipons pas !
Une fois le voyage amorcé, je vous ferai grâce des péripéties d’un voyage des plus sensationnel où certaines tensions commencent à voir le jour, la planète convoitée est en vue et ce, après trois semaines d’une mortelle platitude. Ils ne leur restent plus qu’à trouver un endroit où amerrir, chose facile car voyez-vous sur Vénus l’eau y est abondante. Une fois posé avec toute la grâce de rigueur, l’équipage est dans l’angoisse : Va-t-on pouvoir respirer ? Bon je vous rassure, si l’auteur a dépensé des millions dans la construction d’une fusée, il ne va pas leur faire rebrousser chemin aussitôt arrivés. La porte s’ouvre et miracle, l’air est sain et vivifiant. D’ailleurs cette première sortie donnera lieu à une des remarques les plus pertinentes du narrateur dont l’environnement lui rappelle étrangement l’Indochine ! Impossible de lutter contre l’esprit colonialiste…
Ils découvrent ainsi une planète bien chaotique, soumise aux caprices de la nature, car semble t-il, en proie à de fréquentes secousses sismiques. Ils en feront d’ailleurs les frais lors de l’installation de leur tout premier camp de base. En effet le lac où ils avaient laissé leur appareil, fut complètement asséché en une nuit. Il leur fallut toute leur ingéniosité pour remettre ce dernier à flot (l’appareil pas le lac…. Quoique !).
Nous assisterons alors au périple de ces Robinsons Vénusien qui pendant six longues années (limite qu’ils se sont fixés) vont tenter de s’accommoder aux caprices d’une planète qu’il leur réserve bien des surprises : La découverte d’animaux gigantesques ! Il ne pouvait en être autrement dans ce genre de récit. Ils devront affronter alors à de multiples reprises, une race d’alligators géants aussi laids que redoutables et de curieux mastodontes qui ressemblent à de gigantesques crapauds et dont la particularité est de pouvoir hypnotiser leurs victimes. Un des membres de l’équipage en fera les frais, il sera dévoré après avoir succombé au charme envoûtant du terrible regard de la bête. Il leur faudra en outre changer plusieurs fois de campement, la proximité des océans étant trop dangereuse, ce qui leur permettra, comme le hasard fait bien les choses, de découvrir une gigantesque mine d’or. Découverte qui fera l’objet de nombreuses querelles qui se termineront par la mort de deux membres de l’équipage. La convoitise des hommes prenant le dessus sur la curiosité scientifique, ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur la quantité du précieux métal qu’ils pouvaient embarquer à bord de la fusée.
Dans cette ambiance de jungle tropicale, dont la monotonie est parfois entrecoupée de trémulations du sol Vénusien ou de l’apparition d’un animal insolite, le lecteur plongerait dans un ennui profond ou d’un endormissement salvateur si un beau matin, nos sympathiques explorateurs n’avaient découvert un village. Oui chers amis, un village qui plus est habité par des gens !
« Comme nos guides, tous étaient nus, couverts de poils ras sur tout le corps; ils avaient tous de longues chevelures et les adultes mâles, avaient de la barbe et des moustaches; la plante des pieds et la paume des mains étaient glabres comme les nôtres; leur toison n’était du reste pas uniforme, elle variait de ton suivant les parties du corps et elle variait aussi d’un sujet à un autre; dans l’ensemble, ils étaient de teinte générale fauve, mais on voyait des chevelures brunes, alors que d’autres étaient châtaines, il en était de même pour les barbes. »
Les « Makalas » car c’est bien d’eux dont il s’agit, est une peuplade pacifiste et leur profil humanoïde ne cesse d’interpeller la communauté scientifique de la délégation terrestre qui à grands renforts de « Oh ! » de « Ah ! » et de « Hum ! Hum ! » arrivent à la conclusion que cette tribu de « velus » doit provenir de la terre à une époque si reculée que même les hommes en ont oublié la trace. Leur langage sera assimilé en un rien de temps et cette facilité de communication va leur permettre de mettre à jour une ancienne bibliothèque dont le contenu ne manquera pas d’assouvir une légitime curiosité scientifique.
Entre cent dix et cent quinze mille ans régnait sur la terre une civilisation parvenue à un haut degré de technologie. Une époque où les savants de la terre avaient pu entrer en communication avec les habitants de la lune, qui avaient dû rapidement chercher refuge dans les profondeurs du satellite en raison de la raréfaction progressive de l’atmosphère. La lune était ainsi devenue une immense galerie étanche où de gigantesques compresseurs puisaient à l’extérieur un air raréfié, qu’ils amenaient à une densité convenable, avant de le projeter à l’intérieur : ceci expliquant cela, voilà pourquoi il n’y a plus d’atmosphère sur la lune !
Les sélénites avaient également de grandes réserves d’eau dans d’immenses lacs souterrains, mais progressivement la population décrue.
Un des manuscrits détaille aussi les tentatives avortées de communication avec la planète Mars qui vivait à cette époque un très grand bouleversement géologique. Pluton également envoya un signal de détresse aux terriens, un cataclysme sans précédent était également prévu dans les mois à venir. Les savants Plutonien demandèrent alors à leurs homologues de la terre ce qu’ils feraient en pareil cas :
« Foutre le camps » répondit un chercheur, humoriste à ses heures.
Tout va de travers dans notre système solaire et notre bonne vielle planète n’est pas en reste. Elle fut fréquemment « secouée » par un vent de révolte menaçant l’équilibre de la société et cela n’avait rien d’exceptionnel. En effet les philosophes avaient été amenés à constater que par la force même des choses, plus une civilisation se développait, plus elle se rapprochait d’une fin catastrophique. Mais un autre fléau, plus dévastateur était annoncé et cette terrible catastrophe sismique prévue par le corps scientifique et menaçant d’extermination l’humanité entière, était prise au sérieux. Il était urgent de procéder à une évacuation d’urgence. Une machine volante fut donc construite afin d’emporter sur Vénus une vingtaine de famille. Les élus n’eurent que le temps d’embarquer avant la catastrophe finale et dans l’espace voir la terre en feu avant qu’elle ne s’enveloppe de brumes épaisses la cachant définitivement.
A la lecture de cet incroyable récit, nos explorateurs regardent alors avec une infinie tendresse, ses homme femmes et enfants qui sont des lointains descendants de notre chère humanité.
La vie va reprendre son cour, désespérément monotone et fort heureusement le jour du départ approche. C’est le moment que choisira Louis Grivel (et oui notre auteur…surprise !) pour nous faire une petite crise d’existentialisme et partir pour une période de méditation intensive dans la savane Vénusienne. Il y rencontrera une forme d’illumination, mais surtout une créature des plus singulière avec laquelle je vais prendre la liberté de vous faire un petit descriptif…enfin c’est le narrateur qui va nous la décrire :
« Figurez-vous un corps cylindrique de locomotive, surmonté en son milieu, de son dôme à vapeur; aux lieux et places des roues, supposez trois paires de pattes énormes, une à chaque extrémité et une au milieu; imaginez à l’arrière, une queue de près de dix mètres de longueur se détachant du cylindre et allant en s’amincissant vers son extrémité, avec un diamètre moyen égal à celui du corps d un homme; maintenant voyez à l’avant, une tête sans yeux et sans oreilles, comportant une gueule largement fendue et surmontée d’un appendice nasal de cinq mètres de long environ, ayant l’allure d’une trompe d’éléphant, tout cela plutôt ébauché que fini, recouvert d’une peau rugueuse et tavelée, plissée, couverte de soies rares mais rudes et vous aurez une idée approximative du Gouma, dont le poids devait se rapprocher de celui de dix éléphants réunis
Mais, dis-je à mes compagnons, les yeux où sont-ils ? et les oreilles ? »
Incroyable non ? Une des toute dernières bizarreries que notre auteur aura la chance de voir avant de quitter Vénus. Ainsi vous ne serez pas allé sur Vénus pour rien et votre musée de curiosités cryptozoologiques va s’enrichir d’une nouvelle créature !
Après un départ des plus émouvant, l’appareil décolle, laissant derrière lui les représentants de notre antique civilisation. Le retour sur terre se fera d’une manière un peu abrupte et en lieu et place des acclamations et des félicitations attendues, les rescapés de cette extraordinaire aventure seront accueillis au son du canon. L’avion sera touché de plein fouet, Louis va se sentir tomber…et se réveiller non pas dans son lit douillet, fort heureusement ce n’était pas un rêve, mais dans un chambre d’hôpital. Ils ont été arraisonnés prés de Honolulu par un navire de la marine impériale Japonaise. Face à lui, un lieutenant Kamura incrédule qui lui explique qu’il est le seul survivant, l’appareil repose à une profondeur abyssale. Bien évidemment personne ne voudra porter crédit à son étrange voyage, ils sera rapatrié dans sa patrie d’origine, passera devant une commission de savants experts qui l’écouteront de la façon la plus conciliante qui soit.
Seul le célèbre Escartefigues serait en mesure de porter quelques crédits au récit de notre malheureux explorateur. Mais ce dernier l’écoute d’une manière polie et attentive, lui avoue même avoir passé un agréable moment à la narration de son récit mais ne semble pas plus convaincu. Le plus important lui dit-il, n’est-il pas d’être convaincu de son histoire et lui murmure « Tu es allé sur Vénus, comme moi sur la lune…. »
Tant d’incrédulité et d’ignorance incitèrent Louis Grivel à réaliser la chose la plus sensée qui soit et cette chose vous venez de la vivre tout comme moi, par le récit de cette conquête de Vénus tiré de ce rare ouvrage paru à Tunis en 1942 à l’imprimerie J.C.Bonici. Mais fiez vous au vieil adage d’un ami collectionneur : « Rareté est loin d’être un signe de qualité »
Disons le tout de suite, mais est-il besoin de le préciser, le roman est assez fastidieux, bavard, symptomatique d’une certaine production de cette période où les auteurs usaient ainsi de ce « transfert » d’exploration. Une époque où la majorité des terres inconnues ne l’étaient plus et qu’il fallait alors repousser les frontières au-delà d’un espace qui renfermait encore bien des mystères. En utilisant le schéma classique d’une planète comparable à notre ère préhistorique, l’auteur va effectuer un voyage dans l’espace mais également dans le temps en nous livrant une roman assez peu original, fort heureusement quelque peu sauvé par cette idée d’exode de nos lointains ancêtres et de leurs rapports avec les habitants des autres planètes si cher à Camille Flammarion. Qu’il est dommage que dans un roman invoquant Vénus déesse de l’amour et de la séduction, pas l’ombre d’une femme n’apparaisse. Portant les auteurs chérissaient ce concept d’idylle dans l’espace…..Je préfère pour ma part et loin,concernant la thématique du voyage sur Vénus, l’ouvrage de Achille Eyraud « Voyage à Vénus » (Michel Lévy Frères, libraires éditeurs.1865) fort malheureusement encore un peu plus difficile à trouver et qui est certainement une référence du genre avec son engin spatial, prototype de la fusée à réaction et de la découverte d’un monde répondant aux critères d’une société idéale organisé autour du progrès social et des découvertes technologiques. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir dans un prochain article.
Qui n’a pas rêvé étant gamin d’être un implacable pirate, de naviguer sur les eaux chaudes et clémentes des caraïbes, à la recherche de fabuleux trésors ? Personnellement, et comme beaucoup de jeunes aventuriers, j’ai effectué mes premières armes avec « L’île aux trésors » et je garde de cette lecture le doux souvenir d’une vie de flibuste trépidante et exaltante. Mais être un écumeur des mers est tout autre chose, car si avec nos yeux d’enfants nous nous laissâmes bercer par le doux tangage de ces fascinants navires, la réalité est bien loin de cette vision idyllique et idéalisée. C’est un petit peu à l’image du chevalier pour lequel nous nous forçons à croire qu’il personnifie la pureté de l’âme et la noblesse des sentiments. Une épée reste une épée et un pavillon frappé d’une tête de mort un symbole d’âpreté des cœurs et de sécheresse des sentiments
Laurent Whale dans son roman « Les pilleurs d’âmes » nous plonge dans une réalité des plus concrète en nous livrant, sur fond d’intrigue conjecturale, un récit flamboyant et haut en couleurs où le fracas des armes et l’odeur de la poudre sont des constantes incontournables. Pour faire simple, un homme venu du futur, chargé de réguler les paradoxes temporel et surtout certains recrutements intempestifs, se trouve aux prises avec un monde cruel et impitoyable. Sa mission est de repérer un « recruteur » venu également du futur, personnage dont la mission est de ramener dans son monde des êtres suffisamment vils et redoutables, capables d’assumer avec toute la bestialité qui les caractérise, certains corps armés de notre lointain avenir. A croire que la civilisation recouvre de son vernis tenace les réflexes primitifs qui sommeillent en nous. L’histoire est suffisamment riche en hommes barbares et sanguinaires pour qu’il soit ainsi possible de venir « faire son marché » et piocher les mauvaises graines qui pullulent dans le fertile terreau de l’humanité.
A bord d’un engin des plus singulier, avec qui il fait véritablement corps et pour qui il entretient une relation « fusionnelle » (une idées des plus passionnantes)Yoran le héros de cette histoire va prendre l’identité de Yoran Le Goff, en ces temps barbares cela passe mieux inaperçu, et se faire enrôler sur « La Providence » un des navires du terrible capitaine Jean-David Nau dit L’Olonnais. Un sacré lascar celui là, de la graine de brigand comme il s’en faisait à l’époque et dont le courage et la roublardise n’ont d’équivalent que sa férocité et son goût prononcé pour le massacre. Yoran quand à lui est un aventurier dans l’âme et se transfert d’identité n’est pas pour lui déplaire, bien au contraire, il voit dans cette mission une raison supplémentaire de parfaire son éducation « physique » dans un univers où la force musculaire est un atout majeur, un homme en fait qui aime à relever les défis. Sa délicate mission sera de repérer et de neutraliser le recruteur avant qu’il n’accomplisse sa redoutable besogne. Le seul problème c’est qu’il va lui être très difficile de repérer un individu qui, comme lui, vient de revêtir les attributs des ces terribles gibiers de potence.
Disons le tout de suite, le roman est le prétexte pour l’auteur de nous faire voyager avec ravissement à une époque où des individus sans foi ni loi, parcouraient les océans du globe non seulement à la recherche de quelques butins mais aussi afin d’assouvir leur soif de violence et de sang. Une époque des plus sanguinaires où la crasse et les tueries étaient de mise, où seul le sabre d’abordage tirait un trait final à toutes discussions. Il nous fait alors vivre un épisode mémorable de cette période, avec un sens de la description tout à fait incroyable et nous décrit certaines scènes de batailles avec un tel réalisme, que nous avons presque l’impression de sentir l’odeur de la sueur et de la poudre. Pour un peu je poursuivais la lecture avec une bouteille de rhum à mes cotés.
Il y a deux temps forts dans le roman, celui où les pirates livrent bataille à la flotte espagnole, un petit bijou de bataille maritime « à l’ancienne » et bien évidemment l’attaque du port de la Havane, qui reste une merveille de stratégie mais surtout un témoin de la sauvagerie humaine. Par ses admirables descriptions, il nous immerge complètement dans une époque barbare et hors du commun dont il est préférable d’en apprécier toutes les saveurs bien confortablement assis dans un fauteuil : Ils ne rigolaient pas beaucoup à l’époque !
Le récit est à ce point maîtrisé que, loin d’être une spécialiste de cette époque fascinante et implacable, j’ai parfois eu l’impression d’en être un des acteurs. Un monde régit par ses règles, ses codes, une époque que finalement le héros arrive à comprendre et presque à aimer en raison de cet état d’exaltation que parfois elle lui procure. Un travail bien documenté et qui vous donne envie de relire tous vos classiques car la France, c’est aussi le pays de la flibuste.
J’ai de plus vraiment éprouvé une certaine empathie avec les deux personnages principaux, car outre Yoran, l’aventure ne pouvait être parfaite sans l’adjonction de son double du passé, son frère d’arme. Ainsi Maximilien « Bras-de-fer » sera t-il le compagnon idéal et incontournable, celui sur qui l’on peut compter et qui ne vous laisse jamais tomber quoiqu’il arrive. Cet attachement pour ces deux héros provient sans aucun doute de cette aisance d’écriture où, dans un style parfait, limpide, parfois très visuel, l’auteur parvient à nous faire passer un maximum d’informations, sans alourdir la narration du récit. Il en découle des scènes captivantes et des passages jouissifs à souhait où la complicité parfaite des deux lascars est un atout supplémentaire au déroulement du récit.
Le final est à la fois simple mais diablement ingénieux et lorsque les informations se recoupent et que nous est dévoilé la clef de la mission, nous replongeons, formule ô combien adéquate, dans un univers conjectural qui trouve sa place la plus naturellement au monde et vient s’imbriquer dans un contexte temporel qui finalement trouve une place légitime. Les 237 pages du roman se laissent dévorer avec un plaisir évident et cela le m’étonnerait pas que Laurent Whale, Savanturiers dans l’âme et passionnant raconteur d’histoire, ait trouvé dans quelques fantastiques brocantes la clef lui permettant de voyager à bord d’une de ces magnifiques machines temporelles si bavarde mais si attachante et de venir nous faire profiter par un habile jeux d’écriture, après une virée au XVII eme siècle, d’une escapade aussi stimulante
Voilà un roman qui se laisse lire sans ennui, on le prend et on ne le lâche plus, c’est intelligent, captivant et nous donne cette douce et agréable impression de ne pas avoir fait un achat inutile.J’ai même eu par moment l’impression de lire une de ces scènes sanglantes et épique dont R.E.Howard avait l secret.Croyez moi, par les temps qui courent, c’est déjà une excellente chose. Un prix Rosny Ainé 2011 bien mérité !
Dernier petit coup de chapeau pour Eric Scala, l’illustrateur de cette magnifique couverture qui mélange avec perfection les deux thématiques du roman. Du bon boulot qui nous prouve que certains vaisseaux maritimes ou autres, peuvent voler.
« Aujourd’hui vivants, demain morts, que nous importe d’amasser ou de ménager, nous ne comptons que sur le jour que nous vivons et jamais sur celui que nous allons vivre ».
Alexandre-Olivier Exquemelin.
« Les pilleurs d’âmes » deLaurent Whale. Ad AStra éditions. Collection « Ad-ventures ».2010
« Le dernier jour, roman d’anticipation » de Alexandre Renaud. EDititons de La nef de Paris.1960
Note de l’éditeur:
Déjà connu par plusieurs ouvrages, dont « Sainte-Mère- Eglise » qui obtint un prix d’académie et fut le « Best Seller » des années 1945-1946, Alexandre Renaud nous offre un roman d’anticipation « Le dernier jour», qui se situe au soir de
notre millénaire et raconte la fin d’une période d’humanité « trop évoluée dans la science du mal ».
Un scientifique, pétri de la connaissance des anciens livres, dans un style toujours simple et clair, accessible à tous, brosse d’abord un magistral tableau de la civilisation humaine de cette époque. Les hommes travaillent de moins en moins, songent surtout au repos, aux plaisirs, aux loisirs. La machine est reine. Les idéologies s’affrontent dans l’envie, la jalousie, et l’obsession de la puissance.
Soudain des savants demi-fous et exaltés, impossibles à repérer et qui se proclament « le parti » déclenchent le cataclysme. Fusées, bombes, rayons de mort frappent les villes au hasard.
Cependant quelques hommes et quelques femmes réunis au hasard, disciplinés, bien commandés, réfugiés dans un abri anti-atomique, pourvus de téléradio et d’un périscope, assistent, à demi asphyxiés eux-mêmes et pleins d’horreur, à l’agonie de la Terre. Ils entendent toutes les grandes voix de l’Univers qui s’insultent d’abord, puis gémissent, puis implorent et s’éteignent une à une. Ils voient aussi l’armée de la matière et de la science, les chutes d’avions, les grandes nuées jaune et ocre qui envahissent le ciel.
Et soudain le silence se fait. La Terre est morte. Alors le groupe sortant de l’abri erre, comme jadis Adam, Noé, Loth, sur la Terre déserte et après de longues semaines d’angoisse arrive dans une sorte de paradis terrestre miraculeusement épargné par la tornade pour y recommencer une nouvelle période humaine.
«Le dernier jour», imprégné d’une haute philosophie, est aussi un récit d’aventure, de la plus plus grande et terrible aventure qui pourrait arriver à l’humanité.
« Hodomur l’homme de l’infini » de Ege Tilms. Edition de la revue mondiale.1934. 212 pages
Venu passer quelques jours de repos à Ostende, Lerte rencontre plusieurs de ses anciennes connaissances: Louis Demer, ancien sous-officier de son régiment et devenu à présent policier ainsi que Jacques Belons, vieil ami de l’université. Fait curieux, le policier est précisément chargé de surveiller Jacques et son épouse Jéromine, tous deux accusés d’activités suspectes. Le couple fortuné serait le chef d’une organisation internationale. Un soir, Lerte décide d’élucider l’affaire et se rend à une soirée où il rencontre son ami Jacques. Celui-ci a une attitude bizarre et porte au cou un étrange médaillon, et se met brusquement à hurler en regardant les étoiles: «Le signal, ils viennent».
Quelques jours plus tard, rappelé par ses affaires le narrateur de l’histoire rentre à Bruxelles profitant de l’automobile des Belons. Arrivé là, Jacques est victime d’un traumatisme crânien et, comme libéré d’une extraordinaire force, le blessé se met soudain à proclamer: «Voilà comment je suis revenu d’un autre monde».
Lors d’un périple dans sa région maternelle il découvre près d’un endroit connu de lui seul un étrange médaillon. Il le passe autour du cou, lorsqu’un formidable rugissement se fait entendre. Un vaisseau spatial de «construction harmonieuse» vient de se poser à quelques mètres de lui. Une porte s’ouvre, une force mentale lui ordonne de monter à bord. Une fois à l’intérieur, il sent l’appareil se soulever et par un hublot il voit la terre s’éloigner à une vitesse prodigieuse. Brusquement un homme apparaît, il s’agit de Hodomur, Capitaine de «L’ercor» et explorateur des mondes habités. Par malchance, Jacques se trouvait au mauvais endroit, au mauvais moment et afin «d’éliminer» un témoin gênant il ne restait plus qu’à le capturer et l’emmener sur sa planète.
Qu’il se rassure il n’est pas le seul, et d’autres «invités» se trouvent sur sa planète: Wise, 5ème satellite de Frey, mais n’anticipons pas ! Au cours du voyage, conversation philosophique et échange d’idées vont bon train mais une chose est certaine, les «Wisistes» nous sont, comme il se doit, bien supérieures dans le domaine social et technologique et plus particulièrement dans le domaine des sons. Tout semble idyllique sur cette planète, mais arrivés sur Wise, la réalité se fera vite jour.
En réalité, les Terriens sont parqués dans ce qu’ils appellent «le Camp de la Bonne Etoile» délimité par un champ de protection mentale infranchissable. Le but, satisfaire la curiosité des savants de la planète en pratiquant quelques mystérieuses mais horribles expériences sur le cerveau humain. Pour cela, tout les jours un Terrien (ils sont une cinquantaine) est appelé mentalement, quitte le champ de force et disparaît pendant plusieurs jours. A son retour, celui-ci, complètement amnésique, semble être entré dans une phase complète de prostration.
Arrive le jour fatidique où Lerte est désigné à son tour et chose incroyable, à l’inverse de ses infortunés compagnons, il se rappelle certains faits. Il revoit les savants, de puissantes machines, une formidable ville de verre parcourue par des engins volants et surtout une femme extraordinairement belle. Dans le camp c’est la consternation et les prisonniers le considèrent alors comme un individu suspect, un traître, lorsqu’un jour les hommes commencent à mourir mystérieusement les uns après les autres. La peur rôde, il faut agir. Un brave arrive bien à forcer la barrière invisible pour aller «au-delà», mais à son retour ses cheveux sont devenus blancs, avant de mourir il hurle dans son délire: «Le pentagone de feu… Les vierges de Mohêma… La flèche de lumière… Le secret de la ville de métal!»
La mort poursuit son effroyable moisson, Belons désespère, mais un matin Hodomur le contacte et lui annonce qu’il allait être le consul de Wise, chargé de mission. Confiant en son intelligence et ses connaissances, les Wisites vont le charger d’acquérir multiples objets pouvant intéresser leurs savants. Après un conditionnement spécial (afin d’effacer certains éléments de sa visite sur Wise) Jacques embarque sur l’Ercor. Ses amis jaloux et haineux lui tournent le dos: Pourquoi lui?
Le voyage de retour se poursuit, le vaisseau passera près d’une planète inconnue des Terriens comportant, fait incroyable, des statues comparables à celles de l’île de Pâques. Sur terre une vie de rêve et de prospérité commence alors, jusqu’au jour où Hodomur se présente à Belons, celui-ci est avec son épouse. L’explorateur n’a d’yeux que pour elle: C’est le coup de foudre, il veut en faire la nouvelle reine de sa planète. A partir de ce jour le couple arrive à échapper à l’emprise infernale de ce monstre, mais pour combien de temps encore?
Ainsi se termine le récit, Jean prenant conscience du danger et par amour secret pour Jéromine, tente de sauvegarder cette innocente personne. Mais en vain, celui-ci sera «conditionné» mentalement et écarté du domicile de ses amis. A son retour, la maison est vide. Ici prend fin le témoignage de Lerte qui est en réalité un manuscrit transmis à l’un de ses amis. Celui-ci pense que Jean, depuis introuvable, a été à son tour victime des extra-terrestres.
«Depuis, par les nuits étoilées et paisibles, devant l’immensité constellée un frisson nerveux nie parcourt. Malgré moi, je crois entendre, hallucinée et angoissée, portée par l’éther impalpable, une plainte lourde de souffrance venant des profondeurs inouïes des abîmes inconnus de l’infini, un cri poignant de détresse et de douleurs, inexplicables, poussée par les disparus du mois d’août et que seule mon âme pitoyable et sensible entend faiblement: Au secours!… Pitié!… Au secours!»
Le mot de la fin
Ce roman procure deux impressions: Une favorable pour le sujet même et plus particulièrement l’originalité du récit avec cette remarquable description des captifs sur cette mystérieuse planète. L’impression défavorable concerne certains gros défauts dont le récit souffre bien souvent, en effet certains éléments abordés, nous laissent malheureusement sur notre faim. Imaginons un meilleur développement des indices évoqués par l’un des captifs: La flèche de lumière, la ville de métal et le pentagone de feu… Et puis il y a les moyens d’investigations des « Wisites » sur le cerveau des Terriens! Il existe hélas un énorme vide, là où notre auteur se devait de laisser libre cour à son imagination. Seuls quelques éléments sont abordés donnant heureusement à l’ouvrage quelques passages mémorables. Citons pour exemple le développement de la théorie « Wisiste » sur les rapports hommes/femmes, la technologie basée sur les sons, l’immortalité, la sélection naturelle, le voyage dans l’espace….
Parfois même, grâce à l’intermédiaire de cet Hodomur, l’auteur nous expose ses théories plutôt radicales, concernant certaines nations:
«Les Américains dominer le monde? Vous plaisantez? Les Etats-Unis offrent une population mélangée au possible à des résidus de toutes les races. Vous n ‘y trouvez que des gens capables d’exploiter, mais non pas de comprendre. Imbus de leurs idées souvent fausses, ils se trouvent dans l’impossibilité de résoudre des problèmes d’où le bonheur général de l’humanité dépend».
Saluons pour terminer l’auteur qui dans une bonne partie du livre nous décrit la captivité des Terriens dans ce «camp de la mort» sans barbelés mais ô combien plus terrible. Il se dégage de cet ensemble une impression de malaise, une lucidité effroyable d’hommes à la merci d’une intelligence supérieure. Tel du bétail dans l’attente du bon vouloir de leur bourreau, la peur et la folie que peuvent générer une telle situation est ici raconté d’une manière angoissante. Certaines lignes arrivent à être terribles. Il suffit de se remémorer des ouvrages comme « La guerre des mouches » (Editons Gallimard 1938) de Jacques Spitz le tout aussi passionnant « Le sceptre volé aux hommes » (La renaissance du livre 1930)de H.J.Proumen, sans oublier « Apparition des surhommes » ( Editions J.Froissart 1950) de B.R.Brus, pour se remémorer le triste destin d’une race humaine agonisante aux pouvoirs d’une force les dépassant totalement.
« Hodomur » pourra plaire ou agacer, mais il reste toutefois quelques bon moments pour en faire une oeuvre intéressante. Parsemée de certains éléments novateurs et vraiment originaux, comme cette captivité aux confins des étoiles où l’être Humain impuissant n’est qu’un animal de laboratoire. Le roman se termine d’un façon tragique et la dernière phrase se révèle des plus angoissante, comme quoi, dans l’espace que faire même si l’on vous entend crier.
RETROFUTURISME / STEAMPUNK / ARCHEOMODERNISME EXPOSITION COLLECTIVE
L’intense fascination pour le futur dont témoignent certaines œuvres ou documents anciens trouve sa réciproque à l’heure actuelle dans l’attrait, non moins intense, que ces derniers exercent sur de nombreux artistes contemporains, notamment à travers la figure historique du modernisme. La manière dont on envisageait autrefois le futur et le regard rétrospectif que l’époque actuelle porte sur le passé – et plus particulièrement sur sa conception de la modernité et ses tentatives souvent naïves ou fantaisistes d’anticipation de l’avenir -, constituent les bases du questionnement à l’origine de l’exposition FUTUR ANTERIEUR
Articulée autour des trois axes convergents mais néanmoins autonomes que constituent le rétrofuturisme, le steampunk et l’archéo- modernisme, l’exposition a pour enjeu de faire dialoguer des productions culturelles issues du passé, qui tentaient à leur époque d’envisager ce que pourrait être le futur – c’est-à-dire approximativement notre postmodernité – avec des œuvres d’artistes actuels qui revisitent le passé et réactivent certaines visions du futur ou de la modernité générées essentiellement entre le dernier tiers du XIXe et la première moitié du XXe siècle.
FUTUR ANTERIEUR propose «une approche transversale» et se compose de différentes strates esthétiques et temporelles entremêlées : une sélection de travaux d’artistes contemporains associée à un ensemble d’œuvres et documents anciens – les uns remettant les autres en perspective et réciproquement -, à laquelle s’adjoindront une partie plus spécifiquement consacrée au cinéma, et une autre aux accessoires, dispositifs et artefacts divers développés par la communauté steampunk. Elle intègre également la première rétrospective française du magazine américain « Retrofuturism », sous la forme d’une installation, conçue par son créateur, l’artiste et éditeur Lloyd Dunn.
La dynamique de l’exposition prend appui sur ces allers-retours entre passé et futur, véritables voyages dans le temps de la création, qui s’actualisent dans notre présent évolutif à travers la mise en relation de productions culturelles d’époques différentes – mais caractérisées néanmoins par une sensibilité, une esthétique et des problématiques communes.
Du 24 mars au 26 mai 2012 – 44 rue quincampoix, Paris 4e extension de l’exposition au siège d’agnès b. du 4 avril au 4 mai 2012 15 et 17 rue dieu, Paris 10e – du lundi au vendredi de 10h à 20h.
Avec les oeuvres de:
DOVE ALLOUCHE & EVARISTE RICHER • JESSE D’ANGELO • HENRI ARMENGOL • CHARLES BARBANT • MR. AUDAX • EMILE BAYARD • ADRIEN BEAU • LEON BENETT • BOB BASSET • FRANCO BRAMBILLA • MATTHEW BUCHHOLZ • RAY CAESAR • MARC & ERIC CARO • BILL DOMONKOS LLOYD DUNN • CAMILLE FLAMMARION • LEON GIMPEL • DIDIER GRAFFET • MAURICE «REDSTAR» GRUNBAUM • LAURENT GRASSO HUGH FERRISS • HENRI LANOS • ELISE LECLERCQ • LAURENT MONTARON • SAM VAN OLFFEN • PLONK & REPLONK • HUGUES REIP FRANCK REZZAK • ALBERT ROBIDA • LUCIEN RUDAUX • RUPPERT & MULOT • MARKUS SCHINWALD • CHARLES BARBANT • SAMON TAKAHASHI • TEMPUS FACTORIS • KEITH THOMPSON • ETIENNE LEOPOLD TROUVELOT • XAVIER VEILHAN • JEAN-LUC VERNA
COMMISSAIRE DE L’EXPOSITION : JEAN-FRANÇOIS SANZ
Contacts
Presse fonds de dotation agnès b. et expositions annie maurette : 01 43 71 55 52 / 06 60 97 30 36 / annie.maurette@gmail.com
Galerie du jour agnès b. sébastien ruiz : 01 44 54 55 90 / sebastien.ruiz@agnesb.fr
44 rue quincampoix 75004 paris tél. 01 44 54 55 90 du mardi au samedi de 12h à 19h galeriedujour.com jour@agnesb.fr dans le cadre du fonds de dotation agnès b.
Exposition réalisée en partenariat avec le forum Steampunk.fr et la Maison d’ailleurs (musée de la science fiction, des utopies et des voyages extraordinaires, Yverdon-Les-Bains, Suisse).
Illustrations © Marjolaine Sirieix et Lucien Rudaux
- « L’éternel déluge » de Lauric Guillaud. Dans cet ouvrage où l’auteur nous retrace une histoire du mythe de l’Atlantide mais aussi de toutes ces civilisations fabuleuse qui disparurent lors de terribles cataclysme, il sera possible de retrouver de nombreuses références à des textes d’anticipations anciennes, avec en fin de volume une très intéressante « Bibliographie chronologique des mondes perdus Atlantidiens de langue Française ». Edition E-dite collection essai. 265 pages. 2001
- « Atlantide et autres civilisations perdues de A à Z » de Jean Pierre Deloux et Lauric Guillaud .Cet auteur que nous venons de voir précédemment ne pouvait s’arrêter en si bon chemin et fidèle à son amour pour les civilisations mystérieuses réalisa ce passionnant et volumineux ouvrage. Auteur d’une excellente anthologie « Atlantides, les îles englouties » (Editions Omnibus 1995) ou il sera possible de retrouver quelques textes classiques mais d’une qualité indéniable (« La fin d’Illa » de José Moselli, « Le visage dans l’abîme » de Abraham Merritt, « Aux tréfonds du mystère » de Jean Ray…) et d’une préface fort érudite sur le sujet, il participa également à la réalisation de deux ouvrages indispensables aux passionnés des détectives de l’étrange. Il s’agit des publications faites lors du colloque de Cerisy ( du 21 au 31 Juillet 1999) et qui furent publiées en deux volumes « Domaine Anglo-Saxon Tome 1 » et « Domaine francophone et expansions diverses Tome 2 » (Editions le Manuscrit). Cette « Atlantide » est donc une mine de renseignements, tant sur le plan cinématographique que graphique et littéraire, et les auteurs nous livrent ainsi sous forme de dictionnaire un inventaire du genre. Possédant une très belle iconographie et en dépit de quelques légers manques, cet ouvrage regorge de références pouvant s’avérer utile pour le curieux voulant approfondir ses recherches. Editions E-dite 302 pages .2001
- « L’histoire revisitée, Panorama de l’uchronie sous toutes ses formes » de Eric B.Henriet. Comme vous pouvez vous en douter cet ouvrage, unique en son genre va donc traiter des « utopies temporelles » sous toutes leurs formes (littérature, cinéma, télévision, Bandes dessinées, jeux, théâtre….) Un curieux voyage dans le temps dont le principe de base est « que se serait-il passé si…. ». Avec une érudition parfaite, l’auteur nous plonge dans un voyage vertigineux dans les possibilités infinies de l’histoire et de ses modifications si pour une raison ou une autre quelque chose ou quelqu’un en avait modifié son cour. On va donc y retrouver des thèmes classiques de notre domaine, des centaines de références, des ouvrages incontournables et parfaitement inconnus. Un panorama aussi exhaustif que possible, une bible pour l’amateur du genre comme pour les autres ,comprenant en outre un index bien complet et des plus appréciable, pour les amateurs inconditionnels de curiosités que nous sommes. « Editions Encrage » Collection « Interface N° 3. 415 pages.2004.
- « Les terres creuses, Bibliographie Géo Anthropologique commentée des mondes souterrains imaginaires et des récits spéléologiques conjecturaux» de Guy Costes & Joseph Altairac. Il faut reconnaître le travail également colossal de nos deux amis, amateurs invétérés de conjectures anciennes, qui pour l’occasion nous ont ouvert leurs prodigieuses bibliothèques et nous font partager leur immense savoir en la matière. Cet ouvrage également unique en son genre est d’une incroyable richesse et s’affirme d’ores et déjà comme une référence incontournable car au-delà de ce répertoire des ouvrages romanesques sur la terre creuse c’est une « plongée vertigineuse » non seulement dans les mondes souterrain mais également dans les nombreuses thématiques qui depuis les origines attisent l’imagination des écrivains. Bien souvent l’exploration des gouffres est sujet à la découverte d’anciennes civilisations, de mondes perdus, de peuplades terrestres ou extra terrestres, pour cela il faut inventer des machines, des explosifs,des inventions qui vont changer le cour de l’histoire ou le destin de l’humanité, etc.…La particularité dans la conjecture ancienne,est qu’elle ne reste pas figée dans un seul thème et bien souvent pour un sujet sur lequel s’articule toute l’histoire,c’est un véritable catalogue d’inventions qui s’offre à nous. Voilà pourquoi l’ouvrage sur « Les terres creuses » est une véritable « mine » de renseignements où le l’amateur du genre et ce, sur pratiquement 800 pages, trouvera sur une écriture serrée, 2211 références indispensables dans notre domaine. Chaque titre s’accompagne d’un petit résumé ou d’un passage de l’œuvre concernée avec date de parution et surtout, références d’éditions. De nombreuses illustrations agrémentent ce volume qui débute par une passionnante étude sur les terres creuses face à la science et qui se termine par une analyse de l’ouvrage de Paul Ronceray « La vengeance de l’abîme » que j’avais en son temps chroniqué dans le « Bulletin » et d’un tout aussi intéressant article de Serge Lehman « Par-delà le vortex ». Editions Encrage collection « Interface » N° 4 2006, 2006,799 pages.
Cette nouvelle provient de cet extraordinaire numéro du Crapouillot de Noël 1919 et intitulé « Le Crapouillot de l’an 3000 » Une véritable mine, renfermant de courtes nouvelles les plus savoureuse, comme en témoigne ce texte de André Warnod.
La découverte des ruines de Paris, fut pour nos illustres anticipateurs, une source d’inspiration souvent inventive et toujours des plus cocasse. Cette vision d’un Paris fantasmé, source des hypothèses les plus invraisemblables, trouve son apogée dans des textes aussi fameux que « Les ruines de Paris en 4875, documents officiels et inédits » (Léon Willen et Paul Daffis, 1875) dans un tirage confidentiel (voir mon article sur les pages de ce blog) de Alfred Louis Franklin,ou le tout aussi amusant « La Vénus d’Asniére où dans les ruines de Paris » de André Reuzé (Fayard 1924). Mais un inventaire détaillé nous avait été fourni par Marc Madouraud dans son « Paris capitale des ruines » (Bruxelles édition Recto-verso collection «idées…et autres » hors collection N°49, 1994). Petit tirage, hélas introuvable actuellement ou à un prix prohibitif. J’avais pour ma part fait une petite synthèse lors d’un article sur le texte de Octave Béliard « Une expédition polaire aux ruines de Paris ». Mais nous aurons l’occasion d’y revenir suite à un texte que j’ai effectué pour le catalogue de l’exposition collective « Futur Antérieur » se déroulant du 23 Mars au 26 Mai 2012 à la galerie Agnès b.
Dans le texte qui va suivre et qui vient ainsi rajouter une pièce supplémentaire à une dossier déjà fort lourd, contrairement aux autres textes il ne s’agit pas d’une « découverte » à proprement parlé puisque les fameuses ruines font partie intégrante du décor. Elles possèdent ainsi une certaine légitimité, sont admises comme monument historique jusqu’au jour où……Il est à noter que cette thématique des ruines de Paris se fondant dans le décor d’une société future, fut déjà utilisé dans le roman de A.Vilgensofer « La terre dans 100 000 ans, romans de mœurs » (H.Simonis-Empis éditeur 1893), l’ancienne capitale servant pour l’occasion de parc d’attraction….Vous en trouverez le compte rendu ICI.
Pour l’heure, bonne visite, mais attention, le souvenir de ces vénérables vestiges, risquent de modifier profondément votre perception de la vie.
Aux grands maux, les grands remèdes, et toute demi- mesure serait un crime. Il faut détruire les ruines de Paris, la santé morale de notre jeunesse est en jeu.
En avant les machines à pulvériser et les pilons à concasser ; le moment est venu d’anéantir le passé si nous ne voulons pas qu’il nous entraîne avec lui dans sa décomposition.
Mais il ne faut pas que les gens mal renseignés nous prennent pour des énergumènes et que les érudits nous accusent de pasticher le fameux manifeste lancé il y a plusieurs siècles par un Italien dont le nom n’a pas été conservé.
Le passé est respectable et tant que les ruines de Paris ont servi aux études de nos savants, nous avons été les premiers à demander qu’elles soient protégées; mais la situation n’est plus la même. Nous prisons à la juste valeur les récents travaux de nos archéologues. Nous admirons M. le Professeur Mac-Orlan d’avoir pu reconstituer le palais gigantesque – gigantesque pour l’époque cela va sans dire – qui s’élevait jadis, il y a quelque mille ans, dans la plaine parisienne. M. Mac Orlan a prouvé son génie en recomposant d’après la méthode de Guvier les moindres détails de ce colossal bâtiment, alors qu’il n’avait comme élément pouvant servir de point de départ, que deux piliers baptisés l’Obélisque et la Tour Eiffel, quelques colonnades (la Madeleine et le Palais-Bourbon) et enfin une porte dressée beaucoup plus loin et affectant la forme d’un Arc de Triomphe. Ce sont des travaux que nous honorons comme aussi le rapport de notre savant doyen Dorgelès démontrant que les quelques pierres accumulées au sommet de la Butte-Montmartre ont été mises là pour marquer la place où s’envola le premier aviateur français. Et comment ne pas applaudir à la publication de ce beau mémoire décrivant les ruines métalliques de ce monument appelé .en langage d’autrefois : Galeries et élevé au général de Lafayette qui commandait les troupes américaines quand elles débarquèrent en France vers 1919.
Mais ce n’est plus du passé qu’il s’agit aujourd’hui. C’est de l’avenir !
Voici les faits. Tout à coup, sans que personne n’en sût la cause, les jeunes gens et les jeunes filles se mirent à dépérir puis à mourir de langueur quand ils ne parvenaient pas à se tuer. Ce fut comme une épidémie morale. Les enfants des plus riches comme ceux des plus pauvres étaient atteints de ce mal mystérieux. Les médecins n’y comprenaient rien et les remèdes demeuraient sans effet. C’est alors que le docteur Francis abandonna ses travaux pour ce consacrer à l’épidémie nouvelle. Il parvint à nouer d’aimables relations avec un malade dont les premiers symptômes venaient à peine de se manifester. Il feignit de ressentir le même mal pour mieux capter sa confiance ; il y réussit. Grâce à ce subterfuge, il put suivre le progrès de la maladie et à en découvrir les causes.
Il accompagna son nouvel ami dans les ruines de Paris, car c’est là que le malade avait respiré les premiers miasmes de cette fièvre singulière. Sitôt arrivé dans ces ruines croulantes, dans cette cité morte et déserte où rien ne vient troubler le pesant silence, ce jeune homme fut transfiguré. Au lieu de marcher normalement, il s’en allait sans but, le nez au vent, humant les senteurs montant de la végétation sauvage qui croît sur les vieilles pierres. Il faisait des gestes insensés : il se penchait sur une fleur pour en respirer le parfum, il prenait sur ses doigts un insecte et l’admirait sous prétexte que ses élytres offraient un heureux assemblage de couleur», et puis il s’assit sur une colonne brisée et resta là sans rien dire, sans rien faire. Il éprouvait, paraît-il, un plaisir surprenant à laisser ses yeux errer le long de ces perspectives ruinées et se grisait(sic) des souvenirs d’autrefois. Il avait découvert une curieuse statuette représentant ce qu’on appelait dans ce temps- là une petite femme. Il récitait par cœur des fragments de textes anciens, et puis il finit par tracer de ses propres mains, sans machine à écrire, des lettres qui formaient des mots groupés en lignes inégales et il lisait ces mots avec enthousiasme !
Le docteur Francis entreprit ensuite une étude plus générale et c’est alors qu’il découvrit que ses malades aimaient à se réunir pour communier dans leur folie commune. Ils se lisaient leurs lignes inégales, ils se saluaient. Ils parlaient pour entendre le son de leur voix et renonçaient aux formules qui aujourd’hui économisent tant de temps. Ils parvenaient à cette chose monstrueuse : rester inactif, trouver du plaisir à ne rien faire et, selon leur expression, rêver et flâner. Ils marchaient sans but, voyaient sans regarder, entendaient sans écouter.
Le mal affecte aussi une forme plus dangereuse et cette fois ce sont nos bonnes mœurs qui sont en jeu. Il est difficile d’entrer dans les détails; essayons cependant de nous faire comprendre. Il paraît que ces malades, quand ils sont de sexe différent, subissent l’un pour l’autre une attirance singulière. Ils prononcent des phrases choisies où il est question de fleurs et d’oiseaux ; ils trouvent de l’agrément à se regarder, à rester des heures entières en se tenant la main. Ils éprouvent ce que le docteur Francis appelle d’un mot ancien : Amour. Il est impossible à une personne raisonnable d’imaginer les symptômes de ce mal inconnu aujourd’hui, mais il paraît que les transports en sont terribles et qu’ils ont causé dans l’antiquité d’affreux malheurs.
Ce n’est pas tout. Le snobisme s’est emparé de cette mode. Il est de bon ton d’aller aux ruines de Paris. La police y a découvert un établissement clandestin portant le nom de Tabagie. On y a trouvé quelques malheureux qui aspiraient, à l’aide d’un instrument appelé pipe, une fumée acre et nauséabonde produite par la combustion d’une plante qui pousse dans ses ruines.
Où s’arrêtera cette débauche,
Il faut agir et agir vite. La contagion devient chaque jour plus redoutable, En dernière heure nous apprenons que le docteur Francis, victime du devoir, vient de succomber à la maladie dont il voulait venir à bout. Il récite par cœur des pages d’un ancien ouvrage, Jésus la Caille, et tient des propos insensés. Qui nous débarrassera de ces ruines, foyer de cette peste nouvelle ? Qui détruira la source des discours et des gestes qu’elle inspire, indignes d’un pays scientifique comme le nôtre.
André Warnod