Cette nouvelle provient de cet extraordinaire numéro du Crapouillot de Noël 1919 et intitulé « Le Crapouillot de l’an 3000 » Une véritable mine, renfermant de courtes nouvelles les plus savoureuse, comme en témoigne ce texte de André Warnod.
La découverte des ruines de Paris, fut pour nos illustres anticipateurs, une source d’inspiration souvent inventive et toujours des plus cocasse. Cette vision d’un Paris fantasmé, source des hypothèses les plus invraisemblables, trouve son apogée dans des textes aussi fameux que « Les ruines de Paris en 4875, documents officiels et inédits » (Léon Willen et Paul Daffis, 1875) dans un tirage confidentiel (voir mon article sur les pages de ce blog) de Alfred Louis Franklin,ou le tout aussi amusant « La Vénus d’Asniére où dans les ruines de Paris » de André Reuzé (Fayard 1924). Mais un inventaire détaillé nous avait été fourni par Marc Madouraud dans son « Paris capitale des ruines » (Bruxelles édition Recto-verso collection «idées…et autres » hors collection N°49, 1994). Petit tirage, hélas introuvable actuellement ou à un prix prohibitif. J’avais pour ma part fait une petite synthèse lors d’un article sur le texte de Octave Béliard « Une expédition polaire aux ruines de Paris ». Mais nous aurons l’occasion d’y revenir suite à un texte que j’ai effectué pour le catalogue de l’exposition collective « Futur Antérieur » se déroulant du 23 Mars au 26 Mai 2012 à la galerie Agnès b.
Dans le texte qui va suivre et qui vient ainsi rajouter une pièce supplémentaire à une dossier déjà fort lourd, contrairement aux autres textes il ne s’agit pas d’une « découverte » à proprement parlé puisque les fameuses ruines font partie intégrante du décor. Elles possèdent ainsi une certaine légitimité, sont admises comme monument historique jusqu’au jour où……Il est à noter que cette thématique des ruines de Paris se fondant dans le décor d’une société future, fut déjà utilisé dans le roman de A.Vilgensofer « La terre dans 100 000 ans, romans de mœurs » (H.Simonis-Empis éditeur 1893), l’ancienne capitale servant pour l’occasion de parc d’attraction….Vous en trouverez le compte rendu ICI.
Pour l’heure, bonne visite, mais attention, le souvenir de ces vénérables vestiges, risquent de modifier profondément votre perception de la vie.
Aux grands maux, les grands remèdes, et toute demi- mesure serait un crime. Il faut détruire les ruines de Paris, la santé morale de notre jeunesse est en jeu.
En avant les machines à pulvériser et les pilons à concasser ; le moment est venu d’anéantir le passé si nous ne voulons pas qu’il nous entraîne avec lui dans sa décomposition.
Mais il ne faut pas que les gens mal renseignés nous prennent pour des énergumènes et que les érudits nous accusent de pasticher le fameux manifeste lancé il y a plusieurs siècles par un Italien dont le nom n’a pas été conservé.
Le passé est respectable et tant que les ruines de Paris ont servi aux études de nos savants, nous avons été les premiers à demander qu’elles soient protégées; mais la situation n’est plus la même. Nous prisons à la juste valeur les récents travaux de nos archéologues. Nous admirons M. le Professeur Mac-Orlan d’avoir pu reconstituer le palais gigantesque – gigantesque pour l’époque cela va sans dire – qui s’élevait jadis, il y a quelque mille ans, dans la plaine parisienne. M. Mac Orlan a prouvé son génie en recomposant d’après la méthode de Guvier les moindres détails de ce colossal bâtiment, alors qu’il n’avait comme élément pouvant servir de point de départ, que deux piliers baptisés l’Obélisque et la Tour Eiffel, quelques colonnades (la Madeleine et le Palais-Bourbon) et enfin une porte dressée beaucoup plus loin et affectant la forme d’un Arc de Triomphe. Ce sont des travaux que nous honorons comme aussi le rapport de notre savant doyen Dorgelès démontrant que les quelques pierres accumulées au sommet de la Butte-Montmartre ont été mises là pour marquer la place où s’envola le premier aviateur français. Et comment ne pas applaudir à la publication de ce beau mémoire décrivant les ruines métalliques de ce monument appelé .en langage d’autrefois : Galeries et élevé au général de Lafayette qui commandait les troupes américaines quand elles débarquèrent en France vers 1919.
Mais ce n’est plus du passé qu’il s’agit aujourd’hui. C’est de l’avenir !
Voici les faits. Tout à coup, sans que personne n’en sût la cause, les jeunes gens et les jeunes filles se mirent à dépérir puis à mourir de langueur quand ils ne parvenaient pas à se tuer. Ce fut comme une épidémie morale. Les enfants des plus riches comme ceux des plus pauvres étaient atteints de ce mal mystérieux. Les médecins n’y comprenaient rien et les remèdes demeuraient sans effet. C’est alors que le docteur Francis abandonna ses travaux pour ce consacrer à l’épidémie nouvelle. Il parvint à nouer d’aimables relations avec un malade dont les premiers symptômes venaient à peine de se manifester. Il feignit de ressentir le même mal pour mieux capter sa confiance ; il y réussit. Grâce à ce subterfuge, il put suivre le progrès de la maladie et à en découvrir les causes.
Il accompagna son nouvel ami dans les ruines de Paris, car c’est là que le malade avait respiré les premiers miasmes de cette fièvre singulière. Sitôt arrivé dans ces ruines croulantes, dans cette cité morte et déserte où rien ne vient troubler le pesant silence, ce jeune homme fut transfiguré. Au lieu de marcher normalement, il s’en allait sans but, le nez au vent, humant les senteurs montant de la végétation sauvage qui croît sur les vieilles pierres. Il faisait des gestes insensés : il se penchait sur une fleur pour en respirer le parfum, il prenait sur ses doigts un insecte et l’admirait sous prétexte que ses élytres offraient un heureux assemblage de couleur», et puis il s’assit sur une colonne brisée et resta là sans rien dire, sans rien faire. Il éprouvait, paraît-il, un plaisir surprenant à laisser ses yeux errer le long de ces perspectives ruinées et se grisait(sic) des souvenirs d’autrefois. Il avait découvert une curieuse statuette représentant ce qu’on appelait dans ce temps- là une petite femme. Il récitait par cœur des fragments de textes anciens, et puis il finit par tracer de ses propres mains, sans machine à écrire, des lettres qui formaient des mots groupés en lignes inégales et il lisait ces mots avec enthousiasme !
Le docteur Francis entreprit ensuite une étude plus générale et c’est alors qu’il découvrit que ses malades aimaient à se réunir pour communier dans leur folie commune. Ils se lisaient leurs lignes inégales, ils se saluaient. Ils parlaient pour entendre le son de leur voix et renonçaient aux formules qui aujourd’hui économisent tant de temps. Ils parvenaient à cette chose monstrueuse : rester inactif, trouver du plaisir à ne rien faire et, selon leur expression, rêver et flâner. Ils marchaient sans but, voyaient sans regarder, entendaient sans écouter.
Le mal affecte aussi une forme plus dangereuse et cette fois ce sont nos bonnes mœurs qui sont en jeu. Il est difficile d’entrer dans les détails; essayons cependant de nous faire comprendre. Il paraît que ces malades, quand ils sont de sexe différent, subissent l’un pour l’autre une attirance singulière. Ils prononcent des phrases choisies où il est question de fleurs et d’oiseaux ; ils trouvent de l’agrément à se regarder, à rester des heures entières en se tenant la main. Ils éprouvent ce que le docteur Francis appelle d’un mot ancien : Amour. Il est impossible à une personne raisonnable d’imaginer les symptômes de ce mal inconnu aujourd’hui, mais il paraît que les transports en sont terribles et qu’ils ont causé dans l’antiquité d’affreux malheurs.
Ce n’est pas tout. Le snobisme s’est emparé de cette mode. Il est de bon ton d’aller aux ruines de Paris. La police y a découvert un établissement clandestin portant le nom de Tabagie. On y a trouvé quelques malheureux qui aspiraient, à l’aide d’un instrument appelé pipe, une fumée acre et nauséabonde produite par la combustion d’une plante qui pousse dans ses ruines.
Où s’arrêtera cette débauche,
Il faut agir et agir vite. La contagion devient chaque jour plus redoutable, En dernière heure nous apprenons que le docteur Francis, victime du devoir, vient de succomber à la maladie dont il voulait venir à bout. Il récite par cœur des pages d’un ancien ouvrage, Jésus la Caille, et tient des propos insensés. Qui nous débarrassera de ces ruines, foyer de cette peste nouvelle ? Qui détruira la source des discours et des gestes qu’elle inspire, indignes d’un pays scientifique comme le nôtre.
André Warnod
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