En cette fin du 19éme siècle, Robida maître incontesté des airs accorda une place prépondérante aux répercutions que pourraient avoir les aéronefs dans une société future. Des ouvrages comme « Le XXéme siècle », « La vie électrique », « La guerre au XXéme siècle » sont de véritables florilèges de toutes ces curieuses machines qui un jour, envahiront notre quotidien. En véritable visionnaire il sera parfaitement conscient de la place déterminante du transport aérien et nous abreuvera de véhicules aussi pittoresques que pratiques. Mais l’artiste fut également, dans une moindre mesure, un adepte de la locomotion terrestre et si quelques tapis roulants facilitent le déplacement des piétons dans les villes de demain, la voiture y est également promise à un bel avenir. En illustrant dés le N° 1 de Janvier 1895 de « La monde moderne » l’article de Octave Uzanne « La locomotion future » dans le cadre d’un chapitre consacré aux « Perspectives d’avenir », il affirmait déjà une certaine vision objective de l’essor de l’automobile dans un proche avenir. Le transport terrestre, tout comme les majestueux aéroplanes, serait le moyen de locomotion de l’homme moderne. Thématique que nous retrouverons dans l’article du Marquis de Dion « L’automobile reine du monde » dans la revue « Je sais tout » N°14 du 15 Mars 1906, superbement illustré par Henri Lanos. L’auteur nous y fait l’apologie de la voiture et de son avenir des plus prometteur avec un paragraphe intitulé « Un vision fantasmagorique de Paris en 1930 » et un autre tout aussi explicite « L’automobile et la guerre future »
Deux ans plus tard, après un amusant « L’aviation en 1950 », Robida, dont l’imagination était sans cesse dans une fébrile activité, imagina cette « L’automobile en 1950 ». En nous décrivant un monde qui va vite, trop vite, à l’image du ciel complètement envahi par des nuées de curieux volatiles, les routes et les chemins deviennent également une jungle urbaine. Dans le fracas des moteurs à explosion, du gazouillis des véhicules électriques ( se révélant en cela un écologiste avant l’heure) et de ces transporteurs routiers de plus en plus gros et envahissant, il anticipait le cauchemar qui est à présent le notre, conscient à l’aube de la révolution mécanique, de l’enfer des villes livrées à ces monstres métalliques.
Une nouvelle des plus amusante où l’auteur fait preuve une fois de plus d’une inventivité des plus jouissives, concernant la désignation de cette cohorte de drôles de machines.
Cette nouvelle paru dans les « Annales politiques et littéraire » N° 1331 du 27 Décembre 1908 et fut réédité par les éditions Apex collection « Périodica » N° 10, Octobre 1995.
« L’automobile en 1950 »
Quelle belle journée de soleil, ce premier samedi de juin 1950! L’orage de la veille avait nettoyé l’atmosphère, les Grandes centrales Je captation de l’énergie atmosphérique avant soutiré toute l’électricité de la région nord-ouest, économie pour la production de force, on allait être au beau fixe pour une quinzaine. Et j’étais fort satisfait de m’octroyer quelques» jours de vacances, près de Bayeux, avec mon ami B…, pour oublier un peu migraines, surexcitation nerveuse, maux d’estomac et autres petits inconvénients de la vie intensive que nous menons.
Le boulevard était houleux. Plus de mouvement que les autres jours, naturellement, en raison du samedi. Malgré la bonne organisation de la circulation, les croisements facilités, les dérivations en étages aux carrefours, les passages souterrains et les refuges élevés pour véhicules stationnant, la chaussée trépidait et se trouvait trop étroite, bien que fortement élargie aux dépens des trottoirs presque inutiles, puisqu’il n’y a pour ainsi dire plus de ces insupportables piétons qui encombraient les rues de jadis.
En auto avec mon ami, nous filions au milieu de la cohue des véhicules : autos de livraisons des commerçants, pittoresques de forme, en raison de l’habitude prise, comme réclame, d’arranger la voiture dans la forme d’un objet quelconque symbolisant le genre d’industrie ou de commerce, auto-camions plus lourds, élégants auto-cabs, limousines familiales, auto-fiacres, tricycles électriques’, autobus légers et coquets, auto-coupés, autocars divers. Tout cela roulait en deux files, sans désordre, ma foi, sans ces infernales obstructions aux carrefours qu’on a tant maudites autrefois, et presque sans que l’agent-disque, en tricar, posté sur la chaussée tous les vingt-cinq, mètres, eût trop souvent l’occasion de lever son bâton blanc à détonateur pour rappeler quelque wattinan à l’ordre.
Et les gens d’autrefois prétendaient que l’automobilisme était un sport! fit mon ami; un sport il y a cinquante ans, comme l’aviation, du temps des conquistadors de la route et de l’atmosphère; mais, aujourd’hui, ce n’est que l’utilisation pratique des forces nouvelles.
Nous passions devant les ascenseurs de la station aérienne du boulevard Haussmann. Que de inonde! A mi-hauteur, les uns prenaient les tubes électriques banlieusards pour Rouen, Tours ou Compiègne, les autres montaient jusqu’à l’embarcadère des aéronefs de Bretagne, de Normandie, des Vosges ou du Midi.
Attention! fis-je, tâchons de ne rien recevoir sur la tête. Il y a tant de gens distraits qui peuvent laisser échapper une malle ou un simple parapluie.
Allons donc, des gens distraits dans la société actuelle! Il n’y en a plus : tous écrasés avant d’atteindre l’âge de quinze ans! Des rêveurs, des poètes? Les derniers supprimés vers 1910 ou 1912 par les écrabouillobus d’alors, dans la crise d’éclatement des grandes villes congestionnées… Mais, rassurez-vous, on fait des vers tout de même… Pas de préoccupations! Mon fils et ma fille vont rentrer du lycée dans leur petit auto habituel : l’auto-puce, comme on dit, l’une de Sévigné-Pontoise, l’autre de Condorcet-1′Isie-Adam… Ils prendront l’aéronef de huit heures trente-cinq et seront à la villa vers dix heures…
Nous roulions depuis longtemps en pleine campagne sur la route caoutchoutée, derrière bien d’autres qui s’en allaient gagner la maison des champs, plus ou moins loin du Paris des affaires. On voyait déjà des arbres. Nous croisions des auto-cars de maraîchers apportant, de très loin parfois, leurs légumes aux Haltes, des autos de déménagement portant des meubles de maisons de campagne, un long auto-car à cinquante places emmenant à Caudebec une Société de pêcheurs à la ligne, d’autres autocars plus longs encore, transportant des écoles de Paris pour trois jours à passer dans, les bois, et combien de limousines chargées de
familles de petits commerçants, père, mère, enfants, gendres, brus, cousins, cousines, etc. Je vois encore une petite voiturette portant un monsieur et une darne déjà en costume de pêche à la crevette avec leurs filets en travers sur le capot…
Plus loin, un vrai train : douze auto-camions chargés de sacs de farine; puis, nous traversons un retour de marché franc, de gros fermiers dans leurs petits autos, des camion? d’épiciers et de marchands de beurre, quelques vaches sur un auto-fardier, Puis, installés sur un côté de route, près d’une charmante rivière, des amateurs de camping, cinq ou six auto-roulottes ou house-cars, qui font leur tour de France en dédaignant les hôtels. Tableau charmant : les cuisines fument, les dames en robes claires- mettent la table sur des tréteaux, des enfants jouent… Et, demain, tout ce monde campera à deux cents kilomètres, dans quelque autre joli site…
Enfin, la nuit vient, nous arrivons. Le tube de Cherbourg passe en viaduc; nous entendons ronfler des trains électriques à l’intérieur. En haut, quelques dirigeables fendent l’air et vont s’éparpiller dans les stations sur la côte; la mer brille en avant. Voici des bois, une ligne de falaises, des phares qui s’allument, et voici la villa qui va nous abriter pour quelques jours…
Albert Robida
Ce qui est amusant c’est qu’à l’époque étaient aussi publiés des articles vantant un avenir vélocipédique!
Voir à ce sujet le passionnant « La fin du cheval » de Pierre Giffard illustré par….Robida!