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« En 1965″ : Albert Robida Un Auteur désabusé par le Progrès?

Posté le 11 juin 2012

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A la lecture de ce texte de présentation du roman de Albert Robida « En 1965 » et paru dans la revue « Les annales » N°1896 (26 Octobre 1919) au N° 1909 (18 Janvier 1920), le lecteur habitué à ce pétillant personnage ne peut être que fortement étonné de l’image qu’il nous donne. Lui, l’homme des inventions aussi extraordinaires qu’extravagantes, nous révèle l’aspect d’un personnage relativement classique, un « monsieur tout le monde » ce qui finalement en soi n’a rien d’exceptionnel si ce n’était cette formidable aversion qu’il semble éprouver à l’encontre de la vie moderne et de son cortége d’inventions certes révolutionnaires, mais bruyantes et encombrantes. « J’abhorre  la vie moderne avoue t-il » et ressent même une sorte de terreur lorsqu’il se met à imaginer la vie au XXéme siècle, ce qui semble assez paradoxal en regard de son importante production dans le domaine conjectural. Il semblerait que l’écriture dans le cas présent est un exutoire, uniquement là pour coucher sur papier ses angoisses et ses hantises les plus tenaces comme pour vouloir les exorciser et surtout comme pour vouloir jeter à la face du monde : « Regardez ce qui vous attend, une vie faite d’agitation, de stress et de surmenage ». En fait sous le trait de la dérision et de la caricature il dénonce le rouleau compresseur du modernisme, cette course effrénée et aveugle vers un progrès des plus envahissant auquel finalement il ne croit guère qui, telle une énorme machine monstrueuse, engloutira de ses appétits insatiable, une humanité si fragile et tellement naïve.

Car plus qu’un anticipateur et un visionnaire, l’œuvre imaginaire de Robida est surtout présente pour son rôle de mise en garde, d’avertissement. Avec le verbe haut, la truculence de ses écrits et le délire permanent de toutes les planches qu’il a illustré avec un génie incomparable, se profile l’œuvre d’un homme inquiet, conscient des dangers du progrès et de la science. Sous couvert de fariboles conjecturales il dénonce ainsi toute la stupidité des hommes et la façon dont il peuvent se laisser séduire aussi facilement aux charmes de la fée électricité et de ses nombreuses tactiques de séduction. L’avenir est une chimère qui ne se conclura que par la destruction de l’homme par l’homme. Lui qui a inventé tant de machines roulantes, flottantes et volantes, il se révèle être un piéton invétéré, un irascible marcheur et arpenteur des routes de France qui ne voudrait pour rien au monde échanger sa paire de chaussure contre un billet en partance pour le ciel, la lune ou les étoiles.

Un facette des plus étonnante, un doux rêveur, mais dont les songes sont finalement à la lecture de cet article, de véritables cauchemars que l’artiste, par le biais de son art prodigieux,évacue tant bien que mal, pour le plus grand plaisir des boulimiques de l’imaginaire que nous sommes. Finalement, le lecteur est un grand égoïste ne se souciant guerre des états d’âmes de l’écrivain à partir du moment où son seul plaisir personnel trouve une forme d’apaisement.

 

 « Mr Robida et le nouveau roman des Annales  ». Par Furetiéres

 

 Mr Robida est aujourd’hui un vieillard, un vieillard vigoureux et aimable,

Des yeux bienveillants et ridés, une mèche blanche, hirsute et soyeuse, plantée sur le front, et, surtout, la modestie affable qui s’allie avec la simplicité naturelle, lui compo­sent une physionomie attrayante : celle de

quelque vieux savant doux et appliqué, plein à une érudi­tion toujours en éveil et d’une étourderie charmante dans la vie extérieure et dont le regard naïf est animé par la curiosité ardente propre au spécialiste amoureux de sa science.

 

Comment ! C’est à l’écrivain-dessinateur qui, dans un livre célèbre, a tracé, il y a près de quarante ans, le ta­bleau de la vie mécanique et industrielle dont nous voyons l’aube aujourd’hui, dont l’ima­gination précise avait prévu l’avion, les chemins de fer souterrains, la guerre chimi­que…, le vote des femmes…, et tant d’autres choses éton­nantes !

Je croyais trouver un esprit pratique, heureux d’assister a la vérification de ses hypo­thèses, et j’ai devant moi un artiste rêveur.

Ma surprise ne fait qu’augmenter dès les pre­miers mots que prononce M. Robida.

J’abhorre, me dit-il, la vie trépidante qu’on subit aujourd’hui; j’en ai toujours eu la han­tise. Et c’est dans une sorte d intuition funeste que j’ai écrit en 1882, le « XXe Siècle ». Je pré­voyais et je craignais cette course forcenée des hommes, cette existence où tout est hâtif, pres­sant subordonné à la rapidité. Toujours plus vite ! C’est le mot d’ordre ! Je déplore, vous pouvez le croire, d’assister à ce spectacle. Je maudis les camions haletants qui passent sous mes fenêtres et font trembler les vitres ; je re­doute, au point de ne m’y aventurer que contraint, les carrefours de Paris tour­billonnant d’autos mugissants, de tram­ways, d autobus monstrueux ; c’est avec angoisse que je parcours les tubes sou­terrains dans lesquels on lance les wa­gons électriques chargés de chair humaine en paquets. Cette vitesse perpétuelle et artificielle m’accable, m’étourdit, me brouille le cerveau. Je suis un lent et un calme. Je n’ai guère voyagé dans ma vie qu’à pied. Peu de temps encore avant la guerre, vous auriez pu me rencontrer avec mon baluchon sur les routes ; j’ai parcouru ainsi une partie de l’Autriche, de l’Allemagne de l’Italie et presque toute France, et ce furent là les meilleurs moments de ma vie. J’aime mon art parce qu’il s’allie avec la fantaisie, parce que je peux y prendre mon temps, m’arrêter où il me plait, quand je veux, par un croquis, fixer une vision heureuse. Cela, c’est l’existence saine et normale, et l’on apprend mieux et plus vite ainsi qu’en avalant des kilomètres poussiéreux dans un engin désa­gréable.

- Quoi ! Monsieur Robida vous détestez l’automobile ! Au moins, avez-vous eu la tentation de monter en avion, en aviette, pour em­ployer le terme précurseur dont vous avez bap­tisé les machines volantes dans votre roman ?

— Dieu m’en préserve !

Et M. Robida poursuit de sa voix hésitante, son discours aimable, surprenant. Il est assis dans son fauteuil, derrière sa table, une vieille table aux bords luisants par le frottement des man­ches et qu’il a achetée,me dit-il, en arrivant à Paris, il y a plus d’un demi-siècle. Combien de pierres lithographiques a-t~elle portées ? Une encore est là qui montre le talent de M. Robida plus aisé et vigoureux que jamais. Deux fenê­tres d’angle qui donnent sur l’avenue de Neuilly éclairent gaiement le bureau chargé de

vieux souvenirs et dans lequel M. Robida semble bien chez lui.

Il ouvre pour moi sa mémoire, me conte ses études de jeunesse à Compiègne,sa venue dans la capitale; comment c’est grâce à Dumas père, « croqué » un jour par lui, qu’il a placé sont premier dessin dans un journal humoristique. Puis sa collaboration variée à toutes les revues, son existence éparse en Europe. Son cerveau en est tellement farci de ces souvenirs, il en a une collection si nombreuse, qu’il saute, en parlant, des tranches entières.

 - Ah ! J’oubliais, me dit- iL. Pendant dix ans, j ai des­siné à Ia Caricature

Mais quand je reviens à l’objet de mon enquête et que je lui demande par quelle inspiration extraordinaire il a prévu certaines applica­tions de la science que nous avons vu réaliser pendant la guerre, telles que les gaz asphyxiants, les chars de com­bat et autres choses, il paraît surpris.

-Il m’est difficile de vous répondre  dit-il. j ai réfléchi, tout simplement, j’ai écrit et dessiné en m amusant

Et moi qui viens de relire Le « XXe Siècle » avec un intérêt captivant en y trouvant mille détails d’une vérité déconcer­tante, quand on songe à la date où ils ont été pensés, sur les transformations sociales les développements économiques et les moyens industriels, j admire M. Robida, prophète aimable et paradoxal

-Pourtant, ce n est pas sans plaisir, ajoute- t-il, que j ai repris la plume pour écrire un nou­veau roman d’imagination destiné aux Annales. C’est un jeu de l’esprit séduisant que de prévoir les applications de la science. Vous verrez, dans « Les Annales » les idées qui me sont venues sur la houille rouge, l’alimentation synthétique, l’habi­tation sous-marine et sur d’autres choses. Maïs, voyez-vous, je n’envie pas ceux qui vivront en 1965. Ils seront pris dans les engrenages de la société, mécanisés au point que je me demande où ils trouveront le temps et le moyen de savourer les joies qui nous étaient offertes autrefois : celle de flâner dans les rues, au bord de l’eau ou dans les bois, celle du silence, du calme et de la solitude. Ils ne les auront pas connues, ces joies, et ils ne sauront pas les regretter; mais pour moi, qui sais, je les plains.

 

Je quitte Mr Robida sur ces paroles désabusées et je le laisse penché sur sa table reprenant son travail avec une philosophie apaisée et bienveillante. Car si M. Robida a des regrets il n’a pas d’amertume.

 

 

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