Je viens de terminer l’ouvrage de Vassili Avenarius « Histoire extraordinaire d’un pompéien ressuscité » et je dois avouer avoir passé un excellent moment avec ce personnage fort singulier ramené à la vie grâce aux bons soins du Professeur Scaramouche, célèbre scientifique Italien. Le procédé narratif est ici également assez astucieux car il permet ainsi à un homme visiblement peu habitué au genre « fantastique », entendez par là pour l’époque des textes relevant de l’imaginaire, d’effectuer un voyage dans le temps à moindre frais et de ne pas se perdre dans des explications parfois assez compliquées. Comme je le précisais lors d’un précédent article, il y a plusieurs façon de voyager dans le temps et si la machine est le procédé le plus utilisé, l’option de faire venir à notre époque une créature des temps anciens (souvenez vous de « L’effrayante aventure » de Jules Lermina, réédité chez les Moutons Electriques) où un homme du passé (« 10 000 ans dans un bloc de glace » de Louis Boussenard éditions Flammarion 1888,« L’homme qui réveille les morts » de Rodolphe Bringer et Georges de La Fouchardiére Albin Michel 1918), est un procédé simple et assez pratique à utiliser. Dans le roman de Vassili Avenarius, nous découvrons la déconvenue de cet habitant de Pompéi qui dans les temps antiques se livra à une expérience de vie suspendue, sous la direction d’un puissant « Fakir ». Il était alors un jeune homme avec une brillant avenir devant lui, mais un chagrin d’amour lui fit choisir une tout autre destinée. Volontaire pour une léthargie qui ne devait durer que trente ans, les caprices d’un volcan en décidèrent autrement puisqu’ il se réveilla dix huit siècles plus tard, frais comme un gardon… ou presque. Sous les soins attentifs du professeur il fut donc « ressuscité » après sa découverte fortuite dans les ruines de l’ancienne cité romaine, et nous assistons au cour du roman, à une visite réjouissante et assez pittoresque d’une ville Italienne qui suscite de la part de cette jeune relique bien des étonnements. Mais le roman ne posséderait pas suffisamment de charme si la découverte de Saramouche, n’était contrariée par les agissements cupides et exaspérants d’un journaliste aux dents longues,Pilone Balanzoni, reporter en chef du « Feux d’artifice ». L’homme veut la primeur des informations et use de toutes les perfidies pour arriver à ses fins. Notre bon professeur doit alors jouer des coudes afin d’éviter ce trublion dont les agissements sont purement intéressés et servir de guide à notre vieux pompéien qui découvre avec stupéfaction un monde en pleine mutation. Ici point d’inventions extraordinaires pour le lecteur, ni de technologie futuriste et c’est en cela que réside l’astuce de l’auteur car pour ce revenant tout ce qui l’entoure est du domaine de « l’anticipation » et nous assistons au fil des pages à l’étalage des progrès sociaux et techniques de la part d’un savant au comble du bonheur, mais qui vont bouleverser durablement la vision du monde actuel de ce singulier personnage. L’auteur en profite pour nous livrer quelques passages assez cocasses avec dégustation de pâtes, bain de foule entouré d’admirateurs effrénés, visite d’une usine moderne, séance à l’opéra des plus mouvementée. Toutefois, malgré cette couche de vernis superficielle qui recouvre ce monde moderne, Marcus Junius trouve toute cette civilisation trop opprimante et en voyant ces « esclaves modernes » s’affairer devant leurs machines, il pense finalement que rien n’a vraiment évolué. Le roman est un support pour l’auteur pour critiquer ce monde moderne qui s’affaire et va trop vite, un monde peuplé d’escrocs et de profiteurs.
Réalisant alors une sorte de pèlerinage, ils décident de se rendre sur les vestiges de son ancienne ville et contempler les restes de son ancienne vie. Certains objets vont semer un trouble profond en lui et c’est avec une grande nostalgie qu’il va ainsi reconnaître des objets ayant appartenu à sa demeure, ses amis… Mais lorsqu’il va reconnaître, enfermé sous un globe de verre, le visage de sa bien aimée Lutécia, dont il ne reste que cette partie du corps, son émoi est à son comble. Ne pouvant plus tenir, étranger dans ce monde si terrible, il préfère en finir une bonne fois pour toute en se jetant dans le Vésuve. Plusieurs siècles après, le volcan a donc repris cette vie qui lui avait échappée, le cours du temps peut alors reprendre sa marche normale. Une histoire d’amour à travers les siècles, touchante et originale et prouvant une fois de plus comme que les sentiments peuvent vous rendre certes plus fort mais aussi réduire à néant une extraordinaire destinée : un seul être vous manque et tout est dépeuplé !
Une réédition vraiment intéressante avec une préface de Viktoriya et Patrice Lajoye fort instructive, mais nous n’en attendions pas moins de la part des ces deux passionnés de littérature Russe dont nous pouvons apprécier toute la mesure sur leur magnifique blog « Russkaya Fantastika ».
Ce court roman fut à l’origine publié dans « La nouvelle revue » en 1898 en trois volets et n’attendait qu’un audacieux amateur de vieilles publications pour en faire profiter les petits veinards que nous sommes. Nous espérons voir à nouveau ce genre de rééditions dans un futur relativement proche et pour cela il nous faut encourager ce genre d’initiative et donc acheter massivement ce genre d’ouvrages.
« Histoire extraordinaire d’un Pompéien ressuscité » De Vassili Avenarius. Traduit du Russe par A.Challandes (1898). Présenté et annoté par Viktoriya et Patrice Lajoye
Pour le commander :
« La république des savants » De Arno Schmidt. Editions Julliard 1964
« Si la « Commission » a jugé bon d’accorder l’imprimatur à cet ouvrage, c’est principalement en raison des matériaux dont il permet enfin la « vulgarisation », si j’ose dire. Depuis qu’Audubon a publié en 1982 ses Esquisses sur les hominides (en s’entourant de quelles précautions, les spécialistes s’en souviennent ! Alors qu’il n’y avait pas de législation restrictive Inter- world, et qu’il aurait pu dire ce qu’il voulait) depuis lors, donc, nous ignorons pratiquement tout des mutations biologiques survenues dans l’Europe atomisée d’une part, et dans le corridor américain, de l’autre; d’autant plus qu’il semble qu’une appréciable stabilisation se soit produite dans le domaine de l’hexapodie.
En ce qui concerne plus précisément la République des Savants, la description qui en est donnée dans la seconde partie de ce livre fera comprendre au lecteur le moins averti que l’on ne nous donne à son sujet que des informations « choisies », à la radio comme à la télévision. Ce que l’on nous présente depuis trente ans comme un « Parnasse flottant », un « Helicon de la Mer des Sargasses », ne semble déjà plus tout à fait aussi idyllique à certains, surtout depuis la lettre ouverte de l’Algérien Abd el Fadl, Prix Nobel de la Paix, qui ne ménageait pas certaines instances. Malgré sa forme tendancieuse et son ton frivole, cette relation apporte quelques nouvelles pièces au dossier.
Je prie le lecteur de ne pas sous-estimer les difficultés qu’a représentées la traduction de l’américain dans une langue morte. Depuis la catastrophe atomique qui a si prématurément anéanti
sa patrie, l’allemand n’a pu s’adapter à l’évolution technique et sociale du monde; par conséquent, certains engins, appareils, procédés, même certaines intentions ou tours de pensée, n’ont pu être rendus que par des périphrases.
Ne parlons pas de la description très libre et inutilement circonstanciée, pour employer un euphémisme, des « sexual inter-courses » de l’auteur; Dieu merci, la langue allemande n’a plus pu forger d’expressions qui soient à la fois assez courantes et assez fortes pour rendre jusque dans leurs ultimes conséquences des procédés tels que celui de l’« urtication ». On a tenté de suppléer à ces lacunes par des notes en bas de page.
En ce qui concerne l’aversion, transparente à chaque ligne, que l’auteur, bien qu’il soit d’origine allemande, nourrit à l’égard de tout ce qui est allemand, ainsi que sa mentalité, disons excentrique, pour être indulgent, je ne puis qu’affirmer que je me suis astreint à tout traduire avec la même conscience professionnelle.
L’original de la République des Savants se trouve au département des manuscrits de la bibliothèque municipale de Douglas/Kalamazoo; les huit microfilms qui en ont été tirés sont répartis entre les divers lieux fixés par décision internationale. La traduction allemande a été faite d’après l’exemplaire N° 5 (Valparaiso). »
Chubut Argentine le 24/12/2008
Étrange roman que nous livre ici Arno Schmidt, une histoire dont le procédé narratif risque d’en dérouter plus d’un, d’ailleurs le traducteur s’en excuse dans la préface . Après avoir été sur Vénus, le peuple Allemand semble être dans le futur, condamné à disparaître et sa langue devenir complètement morte. Car finalement le pire s’est produit, un malade a encore appuyé sur le bouton avec les conséquences désastreuses que cela comporte. Mais au bout du compte et une fois de plus, l’humanité est comme la mauvaise herbe, elle s’adapte et repousse quoiqu’il arrive. Les faits : Nous sommes en 2009. La vieille Europe a succombé sous les bombes atomiques. Elle avait eu auparavant la sagesse de mettre à l’abri sur une » île à hélices » ses savants, penseurs et artistes les plus notoires. Wimmer, un journaliste américain, est autorisé à visiter l’île. Mais il doit au préalable traverser une autre réserve, une zone dévastée par les radiations atomiques, où prolifèrent des êtres monstrueux, et isolée du monde par une gigantesque muraille. Grâce à une ravissante centauresse, Wimmer parvient jusqu’à la République des Savants. Il partagera les 50 heures qui lui sont allouées entre la zone neutre, la zone américaine et la zone russe… ce qui nous vaut une cruelle galerie de portraits : vieilles gloires stériles, fonctionnaires de la culture réglementant la « création collective », agents secrets rivalisant de perfidie. Horrifié par les pratiques des uns et des autres (« métempsychose » des Russes, hibernation des Américains), Wimmer regagne avec soulagement le monde menacé et médiocre du commun des mortels.
« Les Allemands sur vénus » de André Mas. Paris Editions de « La revue des indépendants ». Vers 1910.
Préface de l’auteur ( En matière de justificatif)
« Car le progrès de l’Homme sera toujours limité, s’il n’a pas d’autre horizon que son étroit horizon terrestre, et on peut supposer qu’un moment viendra où le seul progrès qui restera à faire sera un progrès astronomique. » (Dr Ch. Richet).
« Quand le lent refroidissement du soleil aura rendu cette terre inhabitable, il se peut que la vie aille se continuer sur la planète sœur. Aurons- nous à la conquérir ? Obscure, prodigieuse est la vision que j’évoque… » (H. G. Wells).
Les bases scientifiques de ce roman sont extraites de : « Vers les autres Mondes », une des premières tentatives de résolution du problème le plus haut après celui de la mort. Existe-t-il ailleurs d’autres humanités ? Pouvons-nous les connaître ? Le discours du Professeur Hauchet est tout entier la reproduction de mon article paru dans L’avion du 15 janvier 1913 .
D’aucuns me taxeront d’antipatriotisme. Mais cette étude est objective. J’ai travaillé d’après nature. Léo Stahl n’est pas un mythe, non plus que ses paroles. Nous pensons toujours à la « vieille » Allemagne ; mais l’Empire à juste l’âge d’un homme adulte ; en plein orgueil de jeunesse, il trouve que sa part, en ce monde, n’est pas assez grande. Et la confiance de l’Allemand en lui- même est formidable, servie par une systématisation et une persévérance proverbiale. « C’est à l’Empire du Monde qu’aspire le génie allemand » a dit une bouche impériale. Or, le Monde s’étend selon notre pouvoir, notre vouloir. C’est le monde d’Auguste, borné par L’Angleterre, la Baltique et le Sahara, ou l’infini sans bornes. Et l’empire d’un autre monde lui coûterait mille fois moins d’or et de sang qu’une lieue de Champagne!
Nous, Français, sachons un peu oublier nos luttes intestines. C’est en montrant comment les autres croient en leur patrie, quels destins ils lui promettent, que nous apprendrons à chérir la nôtre.
Le résumé
Heinrich Von Reinhardt successeur du comte Zeppelin,Otto Rosenwald et le Docteur Hauchet, tous de brillants et réputés scientifiques doublés d’aventuriers des airs décident d’un commun accord d’échapper à l’attraction terrestre et de mettre au point un moyen qui leur permettra de voyage vers une autre planète. Pour cela ils conçoivent un ingénieux moyen de propulsion, basé sur un système de réacteur. Mais si cette technique va leur permettre de se mouvoir avec aisance dans l’espace, ils craignent qu’elle soit insuffisante à leur faire quitter les effets de notre bonne vieille gravité. Il vont donc utiliser un moyen qui devrait régler ce léger petit problème : La fronde de Mas et Drouet. Reste à définir maintenant leur objectif. La lune est écartée, bon pour des voyages fantaisistes. Mars trop petite avec une atmosphère diminuée et des mers sans étendues. Jupiter trop grosse et trop toxique. Ne reste que Vénus. Ah ! Vénus….Elle égale certainement la terre avec des Himalaya neigeux, des Amazones débordants, des plateaux titanesques. La vie y doit pulluler, fourmillante. Messieurs le choix est arrêté, ce sera donc Vénus !
Cet en Afrique que la fronde est construite, dans « La cité des étoiles » une ville qui est le reflet du génie humain avec ses structures gigantesques où dans les airs, fourmillent une théorie « d’aérac » ; ces aéroplanes aux coques ramassées et volant à 300 km/h, capables avec leur ailes à surface variable de voler plus haut que le condor.
Le jour du départ arrive, les téméraires explorateurs de l’espace s’installent dans la cabine capitonnée du « Sirius ». La roue commence sa rotation infernale et sous la clameur de millions de voix Germaniques et la tonitruance des canons de toute une armada venue là pour l’occasion, le projectile est propulsé dans l’espace. Le voyage se passe sans problème majeur, si ce n’est les quelques inconvénients liés à l’apesanteur, vites oubliés car notre équipe en prévision d’un voyage long et ennuyeux, avait emmagasiné une bonne quantité de mets délicieux, quelques bonnes bouteilles et d’un assortiment de succulents cigares.
Vénus est enfin en ligne de mire, et les phases techniques de l’approche du vaisseau seront épargnées au lecteur curieux et de plonger directement au sein de l’action. Il faut tout de même savoir que le « Sirius » se posa non pas sur la terre ferme, mais sur un immense océan dont la planète est recouverte. Pas de panique, l’astronef possède ce merveilleux principe que l’on appelle flottaison et il ne reste plus qu’à sortir deux énormes hélices afin de l’utiliser comme bateau. Par chance également, l’air y est respirable, quoique moins dense, mais on ne va pas faire la fine bouche. Les hommes débarquent enfin sur la terre ferme, il y fait une chaleur suffocante. Mais une autre surprise, de taille, ne va pas tarder à faire son apparition. Une énorme créature, massive et pesante. Pas de gueule mais une sorte de triangle blanchâtre, que les explorateurs nommeront « Tridens Ferox ». Fort heureusement elle ne résistera pas à du bon vieux plomb terrien. Ce monde est peuplé de monstres tout aussi redoutables, il leur faudra faire montre d’une grande vigilance. Ces animaux ont une morphologie et un organisme assez inédit et de plus la viande se révèle fort goûteuse.
Dès le lendemain, ils montent une « Aérac » qu’ils avaient embarqué dans le Sirius, et se lancent dans une reconnaissance aérienne de ce nouvel univers :
« Une grandeur farouche, des monts titaniques en une chaîne étoilée fermant notre vue, au loin. Des vallées immenses s’emplissaient du mugissement des cascades. Le soleil de flamme avait fondu les glaciers, mais son éclat incendiait des chaînes monstrueuses érigées sur des plateaux autour de nous, anciens volcans sans doute. ET ce chaos de granit, de laves, d’air obscurci, de ravins, s’étendait, lieue par lieue, multiplié, immense, terrible »
Ce nouveau monde est peuplé de créatures démesurées et farouches, ainsi à l’approche d’un marécage nauséabond peuvent-ils observer des libellules géantes aux ailes irisées, des blattes gigantesques, des sangsues monstrueuses, des poissons hideux….toute une faune inédite et malfaisante évoluant dans une végétation hostile, telles ces gigantesques plantes aux mâchoires d’acier essayant de gober l’Aérac comme un vulgaire moustique. Un univers extraordinaire qui leur réserve bien des surprises, où les éléments se comportent de façon imprévue et mystérieuse, comme l’eau de ce lac où Otto décide de se baigner. Fort heureusement ses compagnons l’en dissuaderont et l’instant d’après celui-ci se transforma en une immense glacière.
Le lendemain les signes avant coureur d’une catastrophe imminente se font sentir. Les animaux affolés courent éperdument dans la même direction : Un tremblement de terre, une raz de marée ? Une masse compacte s’avance au loin et alors la surprise de nos explorateurs est complète, édifiante…
« Ce qui s’avançait en rangs serrés ne se classait dans nulle catégorie comme créatures. Hautes de cinq à six pieds, la peau lisse et nue, large bouche de batraciens, mains gauches, massives, énormes ; mais une saillie frontale relevait la face et les yeux étaient petits, clairs et vifs.
« Ils étaient des milliers, et beaucoup, grotesquement, portaient divers objets dans leurs mains ; d’autres couraient çà et là. Un ordre planait sur eux.
« L’Inattendu entrait dans notre jeu. Si la planète produisait par multitudes des êtres robustes et disciplinés notre existence même devenait un problème plein de dangers.
« Ils approchaient toujours et les plantes multiples s’aplanissaient sous leurs masses. Le soleil flambait sur notre projectile sans paraître les émouvoir. Et la troupe atteignit le fleuve, lourde, massive, formidable. Des structures épaisses se hâtèrent vers nous.
« Dans leur cerveau rudimentaire, ils nous concevaient sans doute comme un rocher plus régulier que les autres ; ils passèrent, minute après minute, se tassant sur le bord de la rivière.
Puis toute la masse se précipita dans l’eau, d’un élan unanime. Leurs corps, soudain agiles, acquirent une vigueur neuve, insoupçonnée et le troupeau monstrueux atteignit l’autre rive, l’escalada, continua sa route. Un mugissement sonore ébranla l’air.
« Quand ils eurent disparu, nous sortîmes et nous avançâmes vers la rivière. Un étang allongeait ses eaux brillantes. Elles se troublèrent soudain et des formes se dressèrent. Une bande de monstres ! Des traînards !
« Nous hésitâmes une seconde. Nous pouvions, en un instant, en exterminer une douzaine, mais cela ramènerait la horde furieuse. L’assaut unanime contre le Sirius épuiserait nos munitions ; et si d’autres troupes erraient sur la planète, innombrables et vigilantes, c’était la guerre !
« Mais les êtres ne parurent pas hostiles. Ils s’avancèrent gauchement. Des yeux d’or luisaient dans la chair humide, tandis que leurs mains épaisses battaient l’air. Ensuite ils s’assirent sur leurs talons palmés et commencèrent à mugir ainsi que des taureaux. Puis ils se turent et un seul continua.
« Alors Hauchet répondit, mugissant comme lui. La scène était aussi comique qu’angoissante. Soudain notre ami, continuant ses cris et ses gestes, recula vers le Sirius. »
Ce premier contact avec une race « intelligente » est pour les scientifiques les prémices d’une rencontre avec la future race dominante de la planète. Hauchet les nommera « Bathacantropes » :
« Messieurs, dit Hauchet, nous avons contemplé l’Homme futur de la planète, celui qui eût donné un maître à Vénus si notre humanité n’avait pas rêvé mon Rêve ! Si les batraciens ont perdu leurs chances sur notre Terre, c’est à cause de leur faible taille. Mais les marais, ici, leur permettent de grandir. Leur race a pullulé dans les régions tempérées aussi bien qu’équatoriales et les grands reptiles d’autrefois aussi bien que les Pseudosaures leur ont rendu le service de les forcer à s’associer. Par ailleurs ils ne sont pas bornés, comme le poisson, au milieu homogène des eaux. Ils peuvent el doivent connaître le rivage, le versant des collines et l’orée du bois autant que la vase molle de la lagune. Vous avez vu leurs dents ? Nul doute pour moi. A la griffe et à la mâchoire ils opposent le poison. Ils le puisent peut-être dans les vases putrides. Sont-ils vivipares, ovipares ou asexués ? Nous le saurons. En tout cas, ils sont carnivores. Cela leur permet de concurrencer victorieusement les Rhinoformes autant que les Tridens et de les éliminer l’un après l’autre, l’herbivore disparu, adieu le Carnivore. »
Poursuivant leur périple, il vont au final découvrir un endroit idyllique, une vallée en bordure de mer, protégée par d’immenses montagnes. C’est dans ce lieu dont se dégage une paix et une sérénité exceptionnelle qu’ils vont établir leur colonie. Dés lors ils vont définir les fondements d’une nouvelle ère sous le signe puissant de la science et du génie humain. Les premiers colons ne tardent pas à arriver dans cette nouvelle Eldorado, prémices d’une conquête unique en son genre qui se veut durable, productive et innovante.
Sur terre alors on entame un découpage des nombreuses « terres du ciel », l’Allemagne met en chantier la construction de croiseurs interplanétaires avec des machines adaptées à l’atmosphère vénusienne. L’Italie en regard des travaux effectués par Schiaparelli réclame la zone équatoriale de Mars, et la Russie se vit accorder la lune. Les Etats-Unis purent récupérer les astéroïdes entre Mars et Jupiter. La suisse alors une grande nation opta pour Eros, le Japon Jupiter et les Grecs Mercure. La France enfin annexa quelques terres Martiennes et put ouvrir un observatoire sur Vénus et sur la lune et créa derechef le « Ministère des relations planétaires ».
Une autre expédition, dix ans plus tard, atteignit Mars, et la perfection de la T. S. F. en ces temps écoulés était déjà suffisante pour permettre une communication constante à travers le gouffre de l’espace.
Sur Vénus, l’Homme étendait sa race, parmi une nature puissante et terrible, tour à tour hostile et favorable. C’est le refuge futur quand mourrait notre Terre, dans des millénaires démesurément loin encore, hors le manteau fluide des mers et des vents.
Les croisières interplanétaires vers Vénus, Mars, la Lune devinrent chose rapide, courante, facile à partir du milieu du xxe siècle. Une humanité ambitieuse, énergique et dure au travail eut devant elle la tâche immense et joyeuse de trois mondes à équiper suivant ses besoins et ses désirs à elle. Et elle ne trouva ennemie nulle autre Humanité, car sur Vénus elle n’existait pas encore, sur la Lune elle n’existait plus et sur Mars elle finissait.
Une brillante conquête de l’espace qui fut chantée par le poète Mayer et qui enflamma les générations qui précédèrent l’ère du contrôle de Vénus. Un hymne à l’ambition sans limite de l’Allemagne et de son orgueil immense :
« Nous sommes de la race du fils du dieu du marteau
E nous avons la volonté de conquérir l’empire de étoiles
Et de devenir le peuple des seigneurs de l’infini »
Tout est dit…..
Aux Anglais la mer,aux Français la terre,aux Allemands le royaume des cieux…
Ce roman, un des trois que nous connaissons de l’auteur à appartenir au genre qui nous intéresse, est une superbe tentative d’extrapolation sur une future conquête de l’espace et des problèmes liés à sa mise en œuvre. Dans son article dans l’excellent blog « Les peuples du soleil » Philippe Ethuin met en exergue certains point faisant toute l’originalité du roman et notamment les difficultés que vont rencontrer nos « spationautes » : ivresse de l’altitude, troubles causés par l’apesanteur, évacuation des déchets……Par contre rien d’innovent en ce qui concerne les communications car tous les messages sont adressés par une sorte de télégraphe amélioré.
La conquête de l’espace fut de longue date une préoccupation majeure des écrivains de l’imaginaire et si un bon nombre d’entre eux se consacrèrent à l’exploration de la Lune et de Mars, très peu eurent suffisamment d’inspiration pour organiser une telle expédition sur Vénus. Mais lorsque je parle d’expédition, je veux surtout dire une véritable colonisation qui va aboutir à la fameuse conférence de Washington et au découpage de l’espace par une humanité qui commence à se sentir un peu trop à l’étroit. Ce qu’il y a de curieux dans ce petit texte, c’est la glorification de l’Allemagne qui non seulement participe d’une manière intensive à ce gigantesque projet, mais en ressort la grande gagnante avec une annexion quasi-totale de la planète Vénus. Ce roman qui fut écrit peu avant la première guerre mondiale serait-il les marques de la part d’André Mas d’une preuve de respect, voir de fascination pour un pays dont la puissance économique et militaire semblait vouloir tout raser sur son passage ? En tout cas un fort relent de propagande nationaliste des plus surprenant (voir la préface de l’auteur qui argumente ses choix)
Il faudra se reporter sur un autre texte beaucoup plus ancien, pour retrouver un tel plaisir de lecture. Dans son « Voyage à Vénus » (Michel Levy Frères, libraire éditeur.1865) Achille Eyraud en grand innovateur va expédier son équipage sur Vénus à bord d’une fusée à réaction s’il vous plait, et ce …en 1865 ! La population Vénusienne est déjà au faite de sa technologie, ce qui va nous permettre de découvrir bien des innovations et notamment l’utilisation de l’énergie solaire. Quelques années plus tard Sylvain Deglantine dans son « Les terriens dans Vénus, vers les mondes stellaires »( Editions Flammarion 1907) nous concoctera un Pittoresque voyage sur Vénus à bord d’un ballon,«La comète »! Découverte d’une civilisation moralement et techniquement parfaite, proche de la notre. L’auteur ne fait qu’un transfert de civilisation, manquera totalement d’originalité et là ou le roman de Eyraud faisait preuve d’une certaine inventivité, celui de Deglantine peine à sortir de la veine «aventure populaire » dans lequel il s’est enlisé. Malheureusement la préface de Camille Flammarion ne sauve pas ce roman qui reste plaisant par endroit mais risque de lasser le lecteur peu habitué à ce genre de littérature. Enfin pour compléter ce petit tour d’horizon, signalons également l’ouvrage de Denis Parazols « Rêve à Vénus, anticipation sociale » ( édité a compte d’auteur à Marseille en 1935 )où le héros de cette aventure, échoué sur une île déserte voit un fragment de son refuge propulsé dans l’espace, pour se retrouver sur la plantée Vénus. Il sera recueilli par deux charmantes créatures qui lui feront faire le tour du propriétaire. Véritable catalogue de tout se que pouvait nous proposer les utopies de cette époque ( religion, alimentation, libération des moeurs, transport), le roman nous propose par le biais d’un voyage sur une autre planète le modèle d’une société idéale. Comme dans pas mal d’ouvrages de cette époque, la science permet de détecter les êtres anormaux avant la naissance et donc de les éliminer: race pure oblige.Mais comme pour cautionner un tic de beaucoup d’auteur d’alors, le héros va se réveiller transpirant dans son lit…tout n’était qu’un rêve!
André Mas toutefois,va préférer l’option d’une Vénus encore jeune et peuplée de créatures en passe d’évolution, les fameux «Bathacantropes », produit d’une évolution des grands batraciens. Il est assez amusant de les comparer à des sortes de « profonds » si chers à la galerie des créatures improbables de H.P.Lovecraft. Ici le monde à conquérir est vierge, ne va pas présenter de grosses difficultés à apprivoiser, si ce ne sont les caprices d’une nature par endroit relativement hostile mais que le génie humain parviendra bien à maîtriser. Certains passages décrits par l’auteur sont tout simplement extraordinaires, nous offrant une vison d’une planète avec ses propres constituants et composée d’une flore et d’une faune pour le moins exotique Il est rare pour l’époque de rencontrer cette option de la planète encore « vierge ». Bien souvent nous avons affaire à une réplique de la terre, bien souvent en mieux et ayant atteint une stade d’évolution que nous envions nous, pauvres terriens attardés, ou alors arrivée à son déclin et avertissant les intrépides explorateurs du danger de la science et de son utilisation à des fins destructrices.
Au début du roman il est également fait état d’une « cité de l’espace » et la description qui nous est donnée par l’auteur reste assez minimaliste mais dégage tout de même une force titanesque, une structure colossale et technologique, témoin de la science triomphante des hommes…mais principalement de l’Allemagne !
L’histoire est ici vécue et décrite,comme une véritable expédition dans des terres vierges et exotiques, une retranscription conjecturale de ce que les romans d’aventures et de voyages pouvaient nous donner à l’époque dans les publications populaires ou les revues spécialisées dans les contrées éloignées et sauvages.
Relativement court, 88 pages une constante chez cet auteur, à lui seul le dernier chapitre « La conférence de Washington et le partage de l’espace » est un régal où le lecteur amusé suit le découpage de notre système solaire et de la déconvenue de certains pays comme les Etats-Unis et l’Angleterre qui ne récupèrent que les miettes de ce que l’Allemagne aura l’obligeance de lui accorder. Selon les sources de Bdfi un extrait de ce chapitre fut publié dans le périodique Le Pionnier n°9 daté de septembre 1922.
J’espère que le volume consacré à André Mas sortira très prochainement chez « Rivière Blanche » permettant enfin aux lecteurs d’avoir la chance d’accéder à ces deux romans introuvables et d’un intérêt certain.
De André Mas, nous ne savons que peu de choses. Cet auteur est surtout réputé pour avoir imaginé avec Drouet la fameuse « fronde géante » permettant de catapulter un astronef hors de l’attraction terrestre, fronde que l’on retrouvera dans le roman de Graffigny « Voyage de cinq Américains dans les planètes » :
« Mas et Drouet utilisèrent une roue de 80 mètres de diamètre amenée à une vitesse de rotation de 65 tours par seconde. Ce qui donne une vitesse tangentielle de 16000 mètres par seconde. A ce moment, il suffisait de lâcher un projectile qui irait droit dans l’espace. Les chercheurs avaient même calculé la puissance du moteur nécessaire: 200 chevaux (env. 150 kW, à comparer au 110 000 000 kW que développait Saturne 5 !). Un tel projet faisait l’impasse sur la résistance de l’atmosphère, qui aurait empêché tout départ de la cabine. Mais bien avant, la construction de la roue aurait donné des cauchemars au meilleur des ingénieurs mécanicien, la force centrifuge disloquant le bel ouvrage avant que la vitesse requise ne soit atteinte. D’autre part, en supposant ces difficultés résolues, cela ne changeait rien pour les passagers, qui seraient morts de toute façon, écrasés par la force centrifuge. »
En fin d’ouvrage il est possible de trouver un document assez intéressant où l’auteur nous présente une « esquisse bibliographique » avec les romans faisant état d’un voyage et d’une exploration d’une autre planète. Il consacre également une partie plus « scientifique » avec des ouvrages bénéficiant d’un crédit plus « respectable ». Ne figure ici que la partie « Littérature de l’imaginaire » se révélant être un indicateur non négligeable de la situation des « voyages vers les autres planètes » de cette époque. Probablement le tout premier essai du genre.
Il est ici reproduit tel quel
Esquisse de Bibliographie
- Latin. Cicéron : « De natura deorum » (voyage en esprit).
- Grec. Lucien : « Voyage dans la Lune». (Une tempête).
- Allemand. Kircher : « Le voyage extatique». (Assistance d’un ange).
- Kepler : «Somnium ». (Voyage en esprit).
- Suédois. Swedenborg : « Voyage aux terres célestes» (Voyage en esprit).
- Italien. Dante :« Divine Comédie». (Voyage en esprit).
- Français. P. Daniel : « Voyage au monde de Descartes».(Voyage en esprit).
- Cyrano de Bergerac : « Histoire comique des Etats et. Empires de la Lune et du Soleil » (Aimantation. Fusées. Dilatation des fluides par la chaleur).
- Jules Verne : « De la Terre à la Lune ». (Canon gigantesque).« Autour de la Lune »(Id.)« Hector Servadac » (Collision d’une comète).
- Voltaire : « ». (Connaissance des lois de l’univers).
- Boitard : « Voyage dans les planètes». (Assistance d’un esprit).
- Sylvain d’Eglantine: « Les Terriens dans Vénus». (Force magnétique).
- A. Galopin : « Le Docteur Omégar». (Cavorite, mot commun pour les substances impénétrables à la gravitation).
- De Graffigny-Le Faure : « Aventures d’un savant russe »(Bombardement atomique. Comète. Canon géant). Id. : « Les Robinsons lunaires » . (Hypothèse d’une atmosphère terrestre très étendue).
- G, Le Rouge : « Le Prisonnier de la planète Mars ». (Lévitation). « La guerre des Vampires » (Mars à laTerre. (Eruption volcanique sur Mars).
- La Hire : « Le Mystère des XV ». (Radioplanes).
- G. Laurie : « Selène C° Ltd ». (Augmentation de la force attractive de la Terre amenant la Lune à notre proximité).« Les naufragés de L’espace ».
- Lectures pour tous (1912) : « Au XXe siècle». (Radioplanes).
- Blanqui :« L’Eternité par les astres ». (La nature se répète. La Terre est multipliée dans le temps et l’espace des millions d’exemplaires).
- Anglais. George Griffith : « Histoires d’autres mondes ».(Force antigravitationnelle).
- Astor : « Un voyage en d’autres mondes » (Ici.)
- Edgar Poe, auteur d’ « Eurêka » : Poème cosmogonique. (Origine et fin des mondes. Dieu). « Hans Pfaal ». (Gaz plus léger que l’hydrogène et atmosphère très étendue).
- H.G Wells : « La guerre des Mondes ». (Canon géant des Martiens),« Les premiers hommes dans la Lune ».(Cavorite).« L’œuf de cristal ». (Communication entre deux cristaux semblables et intervision.
- Roy Norton : « Les flottes évanouies ». (Cavorite).
- Mortimer Collins : « Le Roi » . (Incarnation).
- Du Maurier : « La Martienne ». (Incarnation).
Bibliographie de l’auteur
- « Les Allemands sur Vénus » de André Mas. Edition de la revue des indépendants. Vers 1910. Réédition éditions Apex, 2004,tirage limité à 250 exemplaires.
- « Dyrmea, monde de vierges »de André Mas. Editions Sansot R. Chiberre, 1923. Réédition Apex, 2004 tirage limité à 250 exemplaires.
- « Sous leur double soleil des dryméennes chantent » de André Mas.Librairie Attinger, Editions La Pensée Latine, 1922
Il est assez curieux que cet auteur n’apparaisse pas sur le rayon SF de Delmas et Julian. Mais il faut avouer que ces ouvrages sont extrêmement rares, et trouver l’ensemble de son oeuvre relève du miracle. Fort heureusement deux de ses textes majeurs furent réédités avec cependant un petit bémol : les tirages atteignent maintenant des prix prohibitifs sur le marché et sont presque aussi chers que les originaux !
Voyages à Vénus Bibliographie sélective.
- « Voyage à Vénus » de Achille Eyraud Michel Lévy Frères éditeur.1865.
- « Voyage sur la terre d’un habitant de Vénus », par Jules Rouquette. Montpellier : imprimerie de Grollier et fils, 1880
- « Les terriens dans Vénus, vers les mondes stellaires » de Sylvain Deglantine. Editions Flammarion 1907. Il existe également une couverture illustrée du même ouvrage.
- « Les Allemands sur Vénus » Edition de la revue des indépendants.
- « Réve à Vénus, anticipation sociale » de Denis Parazols. Chez L’auteur. Imprimé à Marseille 1935. Illustré par Llano,Florez et Ixigrec
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« L’avion personnel du milliardaire américain, Warren Horace Donovan, un magnat de la finance, un « cerveau » puissant, s’écrase en montagne, dans un coin désolé de l’Arizona.
Donovan est perdu. Le médecin, Patrick Cory, ne se fait aucun scrupule de lui voler son cerveau pour poursuivre ses étranges recherches sur la culture des tissus après la mort.
Mais Cory, dans son enthousiasme, néglige la puissance mentale de Donovan. Privée de son support corporel, elle s’accroît prodigieusement, paralysant Ja volonté de l’expérirnentateur dont elle fait son instrument.
Cory, devenu l’exécuteur des plans inachevés de la vie d’un autre, se trouve entraîné dans une aventure effrayante et fascinante. »
Ce Scénario, digne des films « d’épouvante » des années cinquante fut écrit par la plume inspirée d’un auteur qui compte à son palmarès une bonne quantité de films de science-fiction et de fantastique. Curt Siodmak est en effet connu en France pour au moins deux autres ouvrages relevant de notre domaine :
- « La mémoire du mort » (Editions Gallimard « Série noire » N° 1296) où un scientifique Est-allemand en passant à l’ouest va être grièvement blessé. Avant qu’il ne meure un savant tente la délicate opération de faire passer la mémoire de l’agonisant dans le cerveau de l’un de ses assistants.
- « La ville du ciel » (Editions Albin Michel « Super- Fiction » N° 11.1976) où un satellite artificiel tournant autour de la terre et qui devait être un centre de recherches, devient en réalité un lieu de plaisir pour gens fortunés. Un prototype avait été réalisé, mais celui-ci connaîtra un plus funeste destin, puisqu’il va servir de satellite prison. Une révolte va éclater…
« Le cerveau du nabab » fut traduit dans la mythique collection « Série blême » aux éditions Gallimard, recherché non seulement pour la qualité de ses textes où se croisent M.Davis, D.Goodis,W.Irish, mais aussi pour la rareté de ses jaquettes qui,pour d’obscures raisons , étaient systématiquement jetées ou presque par leur propriétaire. Avec un total de vingt deux titres entre 1949 et 1951, le roman de Siodmak fut un des rares à avoir ainsi traité d’un sujet plus proche de la science-fiction que du polar brut. Il faut pourtant se souvenir que Siodmak réalisa quelques films de SF dont un « Monstre Magnétique » (« The magnétic monster ») en 1953 dont les fans de films de genre se souviennent encore et produisit également quelques scénarios comme « Frankenstein rencontre le loup garou » (« Frankenstein Meets the wolf man ») de Roy Wiliam Neill en 1942, « Vaudou » ( « I walked with a zombi »)de Jacques Tourneur en 1943 et « La bête au cinq doigts »(« The beast with five fingers ») en 1946, superbe film de Robert Florey adapté de la nouvelle éponyme de Willaim F.Harvey ( Editions Seghers « Les fenêtres de la nuit »1983 pour l’édition Française) et dont je vous recommande chaudement la lecture.
Véritable touche à tout Curt Siodmak, reste assez représentatif de cette science –fiction de la moitié du XXéme siècle, où le progrès était synonyme de malheur et de destruction, une science au service d’hommes peu scrupuleux qui n’hésitaient pas à basculer du « coté obscur de la force » afin d’assouvir leur soif de pouvoir et de conquête. Le cerveau fut dans toute cette littérature, trituré, décortiqué, raccommodé,substitué, augmenté de volume…à croire qu’une sorte d’acharnement fut de mise à l’encontre de ce noble organe qui n’en finit pas de nous confondre et de nous étonner, mais qui par contre nous offre quelques exemples d’un genre quelque peu…échevelé!
Bibliographie du « Cerveau du nabab »
- Editions Gallimard « Série blême » N° 5.1949.
- Le livre de poche N°2710.1970.
- Editions Gallimard « Série noire » N°1027.1992
Filmographie du « Cerveau du Nabab »
- « The lady and the monster » de George Sherman.1944. Avec Erich Von Stroheim.
- « Donovan’s Brain » de Felix E.Feist. 1953.
- « Donovan’s brain » Episode N° 24 de la saison 7 de la série télévisée « Studio one ». Réalisé par Paul Nickell en 1955
- « The Brain » (« Vengeance » pour le titre Français) de Freddie Francis. 1962.
Le docteur Claudian, un illustre savant, continuateur de Curie, a accepté du gouvernement américain de rechercher par un fond sous-marin de 4.000 mètres de profondeur, un chargement d’or vierge qui a coulé trois ans auparavant. C’est pour cela qu’a été construit le Fulgur, sur des données inconnues de la science. C’est un milliardaire américain, Joë Kens, qui a fait les frais des expériences à la suite- desquelles le Fulgur a été construit. Il est capable d’évoluer sans moteur mécanique et de descendre sous l’eau à n’importe quelle profondeur. Au docteur Claudian se sont joints son neveu Marcel Beyllier, qui est journaliste, le capitaine de Maraval, l’ingénieur Paul Focas, le chef mécanicien Dartell et l’Américain Joë Kens. Le Fulgur est relié par un câble à deux navires, le Goliath et le Velox. Soudain, au moment où le docteur Claudian procède à des expériences sous-marines, une éruption volcanique bouleverse la mer. Les deux vaisseaux disparaissent engloutis et le Fulgur avec une rapidité vertigineuse disparaît dans l’abîme. Le sous-marin est tombé dans une excavation sous-marine dans laquelle l’air pénètre. Le Goliath a lui aussi subi le même sort, mais n’est plus qu’une épave que les passagers du Fulgur croisent dans les profondeurs. Les prisonniers de l’abîme vont dorénavant vivre une existence étrange. Tour à tour se révèlent à leurs yeux une flore et une faune inconnues, animaux géants et singuliers contre lesquels ils ont à livrer de redoutables combats. Le Fulgur évolue dans un canal souterrain, une sorte de tunnel creusé dans le roc, qui se continue par une sorte de petit lac dont le docteur Claudian avec quelques-uns de ses amis tente l’exploration en barque. Le couloir souterrain fait soudain un crochet brusque. Il n’y a plus d’eau. C’est la terre au fond des mers avec des débris, cheval mort, rats, harnais, qui évoquent les vestiges d’une terrible catastrophe en surface. Parla suite, le Fulgur s’est engagé dans le tunnel dont le passage a été élargi à l’aide de la dynamite et débouche dans le lac reconnu la veille par le docteur Claudian. Tout le monde à bord se prépare à prendre un repos bien gagné. Marcet Beyllier seul est de quart. Tout à coup un bruit sinistre fait sursauter le jeune homme.
Une masse énorme bondit du lac et vient frapper le Fulgur, Marcel étourdi par le choc disparaît dans les flots. C’est un animal étrange et monstrueux qui s’est lancé sur le Fulgur. On le repoussa à l’aide d’une décharge électro-magnétique ; pendant ce temps, Marcel qui est habile nageur, arrive à regagner le sous-marin. On livre contre le monstre un combat acharné et on finit par le capturer.
Il y a dix jours à présent que les prisonniers de l’abîme mènent leur étrange existence. Au, commencement de la dixième journée au fil de cette navigation souterraine, Marcel toujours lui ,qui est de quart lance ce cri de joie : Voici de la terre ! Une excroissance solide se dresse dans l’eau et s’élève à deux mètres environ de la surface liquide, à une cinquantaine de mètres plus loin, une ‘île est immergée dans l’eau douce. On décide de l’explorer. Où la nappe liquide va-t-elle se perdre ? Au bout de quelques centaines de mètres une muraille énorme se dresse, interceptant toute communication. Plus loin encore, elle se reforme en cercle. Le gouffre doit donner sur la terre. On fait sauter la muraille et, au moment de l’explosion, Marcel aperçoit dans une vague énorme un corps humain, c’est une petite fille qui respire encore péniblement. On la ranime et elle raconte une histoire incohérente où elle parle souvent de son père. Tandis que le Docteur soigne l’enfant, Marcel, de Maraval et Prosper vont explorer les environs. Le canal s’élargit brusquement : une terre apparaît. Les trois explorateurs rencontrent deux hommes, un blanc et un noir. L’homme blanc s’évanouit, on le transporte dans son habitation, à quelques pas de là. De Maraval reconnaît en lui un ancien camarade de collège. Il le ranime et aussitôt l’Européen qui se nomme Georges Derlinières lui demande des nouvelles de sa petite fille qui n’est autre que l’enfant trouvée par les voyageurs du Fulgur. Ce sont les rescapés d’une terrible catastrophe naturelle qui se sont ainsi retrouvés dans les entrailles de la terre après l’engloutissement de leur maison. Au cour de cette terrible nuit ou certaines régions de l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud « Velox » connurent des bouleversement formidable causé par de nombreuses secousses sismiques : Le hasard fait souvent bien les choses !
En surface, après 32 jours de recherches acharnées, on reçoit un message des passagers du « Fulgur ». Une flottille se met à l’œuvre pour découvrir les survivants. C’est une formidable armada qui se lance à la rescousse des survivants,avec plongeurs bathyscaphes…. Après une nouvelle exploration de ces terres sous-marines, les naufragés seront récupérés sains et saufs. De retour sur les terres de surface cette foi-ci, les hommes ayant organisés cette incroyable expédition comptent bien réitérer leurs exploits mais cette fois-ci en organisant une visite guidée, aménagée comme un parce d’attraction :
« Ils ont fait faire devis et plans pour installer ascenseurs et lumière électrique avec plateaux fixes aux stations, pour y placer des bars : le tout dans les puits d’ascension. Avec un flegme extraordinaire, ils ont chargé un grand compositeur de recruter un orchestre pour donner des concerts dans la ville préhistorique. Ils parlent même d’y installer un casino ! ! ! A l’île engloutie il y aurait un restaurant ! De là, à l’aide de passerelles fixes, munies de trottoirs roulants, on arriverait à la grotte où, aujourd’hui, s’éteint lentement le rayonnement du fameux Fulgur
Celui-ci serait regréé à neuf et prendrait des passagers pour excursionner dans la mer sous- marine.
Seulement, leur objecte Marcel avec un sérieux énorme, il faudra faire de l’élevage de bêtes antédiluviennes, ou en tous cas en inventer ; car si la nôtre est la seule qui restait dans cette grande lagune des sous-sols de la terre, les visiteurs n’auraient pas les sensations auxquelles notre programme leur donne droit.
Et le comble, c’est que Joë et Farragull ne se démontent pas sous son ironie et qu’ils ont convié leurs amis, amateurs d’émotions fortes, à venir chasser ! !… le monstre antédiluvien.
Joë Kens leur affirme avec un aplomb extraordinaire — même pour un Yankee qui n’est pourtant pas né à Marseille — que la bête qu’a tuée le Fulgur, c’était une femelle qui allaitait ses petits.
Donc, conclut-il, il en reste… et nous en ferons ! oui, nous en ferons de l’élevage pour avoir toujours du gibier pas banal sous la main »
Malheureusement, dame nature en a décidée autrement et, alors que les travaux d’emménagement avaient déjà commencés, une formidable irruption volcanique détruisit la totalité du chantier et les puits d’accès dans les entrailles de la terre ne dégagent plus désormais que des vapeurs toxiques et méphitiques. Fort heureusement il leur a été possible de récupérer les preuves de leur formidable aventure Mais que cela ne tienne, de toute manière le Docteur Claudian est de nouveau penché sur sa table à dessin et qui sait ce que le scientifique nous prépare pour l’avenir de l’humanité
Bibliographie
- « Le Fulgur » Publication en épisode dans la revue « Le Globe Trotter » du Jeudi 21 Mars 1907, N° 268 au Jeudi 15 Aout 1907 ; N° 289. Illustré par Clérice.
– « Le Fulgur » Librairie E.Flammarion.Grand in 8° cartonné polychrome. Illustré par Marin Baldo. Probablement publié en 1910.
– « Le Fulgur » Editions La Découvrance. 2008.
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Les publications d’avant guerre fourmillent de textes fantastiques, curieux avec parfois des atmosphères assez étranges. Sans être vraiment conjecturale, cette « Lumière qui tue » n’en témoigne pas moins des rencontres assez insolites qu’il est possible de faire lors de certaines traversées. Le doute subsiste quant à la nature exacte de cette étrange affection qui frappe cet infortuné voyageur et la preuve que, si certains auteurs s’évertuèrent à « raccommoder » d’autres prirent un malin plaisir à en faire quelque chose de peu ragoûtant. Une nouvelle digne de Jean Ray et de ses étranges contes du Fulmar !
« La lumière qui tue » de Marius-Ary-Leblond. Paru dans la revue « Le Globe Trotter » du Jeudi 5 Décembre 1907
Notre navire l’avait pris à Diégo-Suarez. C’était un de ces types grognons qui boulonnent tout seuls,en sorte qu’on se dispense de les aborder. Il avait, paraît-il, tiré deux années de brousse dans le Nord et il avait l’air aussi incommode qu’un sanglier,
A peine fut-il monté à bord, il ne restait pas en place, il trottait partout, se campait, les mains dans les poches du pantalon, devant la cuisine ou devant le parc à bestiaux, grimpait au gaillard d’avant, se penchait attentivement sur la cage de la machine, les épaules bombées, le front préoccupé, l’air de prendre des notes en dedans, tout à fait une tête d’inspecteur du gouvernement.
Il était mon voisin de table aux secondes, mais je n’avais non plus l’envie de nouer conversation. Je n’étais pas gai, car ce n’est pas une bagatelle que de se séparer de sa femme pour la première fois ; encore si je l’avais quittée en bon état ! Mais outre le chagrin de mon départ, elle souffrait de la fièvre.
Enfin, je ne sais comment cela s’accrocha, mais entre deux plats, nous vînmes à échanger quelques mots. Ce n’était nullement le sauvage que je croyais et il ne demandait qu’à rompre la consigne du silence.
La première chose que je sus, c’est qu’il était marié, qu’il était père de deux enfants et qu’il allait rejoindre sa petite famille en France après deux ans de solitude à Madagascar. Il avait une façon de dire : « Ma toute jeune femme, mes deux beaux mioches », qui n’était vraiment pas ordinaire. Dieu sait que je n’étais pas gai, puisque je venais de quitter ma femme, mais cela me donnait tout de même envie de rire. C’est sa voix qui était baroque et il dodelinait de la tête avec conviction.
Il était plus que hargneux là-dessus, il était bilieux, il ne pouvait pardonner au médecin d’avoir, pour son compte, avalé tant de quinine. Elle lui avait empoisonné d’amertume le caractère qu’il se rappelait avoir eu très doux, elle l’avait rendu sourd. Il était aussi très impatienté par son bredouillement, très mécontent de ses yeux qui ne regardaient pas comme il aurait voulu, et il avait des tics plein les sourcils et sur le nez. A chaque instant il reniflait comme un chien d’une race bizarre.
Dans la mer Rouge.
Nous étions bons amis quand nous entrâmes dans la mer Rouge, C’était la mauvaise saison : une chaleur de 36° à l’ombre. La mer était verte comme de l’alcool à brûler et elle bouillait au passage de notre navire, bien qu’elle fut tout autour immobile et lourde. Le bateau ne tanguait ni ne roulait, long et aplati sur l’eau par le poids du ciel, A chaque coup de piston, on sentait la mer aussi bourrée de chaleur que la chaudiére. Et nous respirions un air raréfié qui semblait la vapeur même rejetée de la cale par la grande Cheminée
Je ne sais comment il s’y prenait : lui n’avait pas l’air de souffrir du tout.
Mais alors, puisqu’il n’avait pas peur du soleil, je ne comprenais pas que, chaque jour, après le déjeuner, quand moi-même je restais sur le pont, il allât se réfugier, presque en cachette, dans sa cabine. Il me dit bien qu’il avait pris dans son poste l’habitude déprimante de faire la sieste toutes les après-midi, mais comme il revenait toujours de l’entrepont le front plus barré de rides, les tempes pâlies, la figure boursouflée et que ses idées étaient enveloppées de plus de fumée, je gardais la conviction qu’il allait fumer de l’opium.
Alors je tachais de le retenir près de moi sur le pont en lui parlant des enfants, d’éducation puisque je suis professeur, de ses enfants à lui ; mais il était entêté comme un Malgache et, comme on n’a pas trop d’énergie pour soi-même par de telles chaleurs, je ne dis plus grand’chose pour l’éloigner de la cabine.
Nous étions à notre deuxième jour de mer Rouge. L’après-midi, à trois heures, il revint près de moi, tout à fait bizarre. Il s’assit, regarda, sans causer, couler l’eau violette. Ses yeux de cormoran qui plongeaient droit dans le fond des vagues, verdissaient extraordinairement. Son front fuyant suait une petite sueur presque verte et il y passait la main fréquemment de ce geste maniaque qu’ont les fiévreux. On eut dit que son lorgnon faisait loupe sur ses prunelles et y convergeait en petits faisceaux dorés la terrible lumière verte de la mer. Ses pommettes étaient brillantes de sang et les mâchoires restaient contractées comme après des cauchemars de fièvre. Ses épaules, surtout, étaient très basses. Il était replié lourdement sur lui-même comme un corps mort dans l’eau et on sentait qu’il s’enfonçait….. Je me décidai à l’interroger, soupçonnant l’opium.
L’Idée fixe
« Je ne sais pas si j’ai bien fait de dormir, répondit-il d’une voix blême et comme mal réveillée. Cependant je n’ai jamais si bien roupillé. Mais je ne sais pas, il y a quelque chose qui m’a agacé pendant que je dormais. C’était une espèce de sale idée fixe qui m’aurait gratté non pas le dedans, mais le dessus de la tête…
C’est de l’imagination, fis-je pour le secouer.
Il leva la tête, rogue, presque en colère :
De l’imagination ! Ah ouah! , Dans le sommeil j’ai dû sûrement taper sur mon front parce que cela était d’abord à droite,puis ça a glissé à gauche, et je voulais l’écraser entre mes doigts, mais c’était beaucoup trop léger pour que je l’attrape, et aussitôt que ça s’était posé, ça rentrait. » Sa bouche essaya de rire un instant, et il reprit avec peine comme poussé à parler malgré lui, « une espèce de mouche ronde mais dont le ventre ne pesait pas et qui avait une trompe. Tenez, ce n’est pas tout ça, le mot, c’est à l’emporte-pièce, à l’emporte-pièce !
Et vous n’avez pas essayé au de voir s’il n’y avait pas par hasard une bête ?
Si, j’ai cherché la bête, dit-il à voix sournoise. A mon réveil, je crus brusquement que je la tenais. Il y avait quelque chose qui brillait sur la cloison comme si ça venait de s’envoler à un de mes mouvements. Mais je me suis pris alors pour un idiot : c’était un petit anneau de soleil qui venait du sabord et qui tremblait sur la cloison de ma couchette comme un reflet d’eau, » II passa une main inquiète sur son front : « Après tout, c’est peut-être une petite bague de soleil qui aurait inquiété mon sommeil. Je ne sais pas ce que j’ai, mais je suis ombrageux, très ombrageux. Vous ne pouvez pas comprendre ça, vous qui êtes un professeur et qui n’avez pas sur la tête vingt-quatre mois de brousse. »
Il se tut à nouveau, guettant avec maussaderie partout où des rais de soleil glissaient sur le pont, entre l’ombre des tentes, avec un besoin de courir sur les taches de lumière pour les écraser du pied comme des insectes. Il était surtout fasciné par un liseré de lumière qui, mince et long comme un petit serpent, rampait sur une tringle du bastingage, montant et descendant légèrement au roulis insensible du navire. Il n’avait l’air devoir qu’à quelques pas devant lui, et il louchait péniblement comme pour regarder d’en dessous dans son front. J’étais fatigué de m’occuper de lui. Mais, malgré tout, mes yeux revenaient à chaque minute sur le pont. Tout le navire blanc, était éclatant comme de la chaux ; une plage de sable : seule passait et repassait en noir la robe d’un prêtre qui revenait de Tamatave.
Le reste de l’après-midi je le perdis de vu ; il devait être à regarder une manœuvre avec un air entendu de mécanicien; ayant toujours la peur d’être volé, il retournait dans la cabine boucler sa valise et arranger ses effets comme si on était à la veille de débarquer a Marseille. Mais le soir au dîner, je ne le trouvai pas à sa place. Lui seul manquait à table car, par la mer d’huile qu’il y avait, tout le monde, même les dames, ne craignait plus de venir manger. J’en avisai le garçon qui alla cogner h sa cabine.
La fin
Il arriva au bout de quelques minutes. Ah ! Le pauvre type, qu’est-ce qui avait bien pu lui arriver ? Il était en chemise de nuit, les mollets, les pieds nus. Ses yeux sortaient de sa tête ainsi que des yeux de poulpe, dilatés, comme s’il voulait reconnaître quelqu’un. La face était torturée de grimaces et le visage avait positivement l’air de souffrir effroyablement de ses propres expressions comme s’il se voyait dans un miroir. Une rougeur de homard cuisait ses joues bouffies. Il tâtonna, tournoya et se mit à danser comme un derviche maboule, jouant à prendre au vol un de ses pieds dans ses mains. Comme il y avait des miroirs de part et d’autre, de la salle à manger on voyait de tous côtés cet homme, mi-nu, avec son lorgnon en or, qui sautait et gambadait dans un grand pagne blanc de Malgache, Depuis, j’ai appris qu’il sévissait a Madagascar une étrange maladie qui se manifestait par des accès de danse. Et il chantait. Cet honnête père de famille qui n’avait jamais dit un juron chantait, avec une voix geignarde d’enfant, des airs obscènes de villages sakalaves, des chants complets dont il n’avait jamais dû songer à retenir une bribe d’air ou de paroles.
Le commissaire de bord, le médecin vinrent : cela fit un branle-bas du diable, et on l’emmena à l’infirmerie,accès pernicieux.
J’ai demandé à y être près de lui, mais, naturellement, cela ne me fut pas permis.
Je suis resté dehors toute la nuit ; la chaleur d’ailleurs interdisait le sommeil dans la cabine : pour avoir un peu d’air, il aurait fallu être couché dans « une voile comme dans un , à la dernière vergue.
Je ne quittai pas les abords de l’infirmerie.
La chaleur étouffait tout : on n’entendait que les coups de pistons qui haletaient comme le pouls dans la fièvre. La mer râlait faiblement de chaleur. Une odeur de bile montait des écumes phosphorescentes. On avait le cœur en sueur et on manquait de force pour s’éponger le visage avec un mouchoir. Les petites étoiles du nord, éparpillées dans le ciel de charbon, étaient redoutables comme des mouches venimeuses. Des tas de gens dormaient sur le pont, ramassés en cargaison de houille. Le malheur avait frappé tout près de moi : et je n’étais pas plus courageux qu’il ne fallait jusque là.
Le lendemain, à midi, c’était fait. Le médecin nous conta que la langue était très vite devenue pâteuse : presque plus de mots articulés, des grognements. Il prenait tout le temps son front entre ses mains et remettait sur son nez le lorgnon qu’il n’avait plus, il enfonçait aussi le doigt dans sa tête, entre les deux yeux.
La cervelle avait fondu comme de la cire. Et il avait agonisé, le visage inondé de larmes qui suintaient sans tarir, rafraîchissant jusqu’à la glace la température de la peau.
L’imaginaire ancien et le merveilleux scientifique, ne furent pas seulement l’apanage de la France et il existe de part le monde de nombreux pays où des auteurs écrivirent textes et nouvelles relevant de la conjecture. Toute cette production, fut complètement « étouffée » par la surabondance de la littérature anglo-saxonne, et connu de fait un funeste destin. Oubliée de tous, si ce n’est par une poigne d’irréductibles, toute cette production serait de nos jours condamnée à une disparition totale, si un groupe de passionnés ne s’efforçait de les sortir vaille que vaille,d’un silence bien injustifié.
Lorsque Lauric Guillaud avec la complicité de l’éditeur Michel Houdiard réédita en 2009 le passionnant « L’étrange manuscrit trouvé dans un cylindre en cuivre » de James De Mille (publié pour la première fois en 1888) ce fut la chance d’avoir enfin accès à un texte rare et majeur concernant les civilisations disparues. Peut-être les prémisses d’une changement de politique concernant la réédition de textes inaccessibles ? Nous le savons tous, la France est relativement avare de ce genre de publications et les lecteurs ne peuvent accueillir ce genre d’initiative, qu’avec une joie immense. Car nous sommes non seulement des lecteurs, mais en même temps des « historiens » du genre et avoir ainsi accès à un maximum de romans et nouvelles, nous permet de mieux appréhender la genèse et l’origine d’une littérature beaucoup, plus vaste et complexe qu’il n’y parait.
Nous saluons de fait ces deux rééditions inespérées qui viennent enrichir notre bibliothèque, deux volumes qui nous prouvent s’il en est besoin, de toute la richesse de notre domaine.
D’une part un recueil de nouvelles d’un écrivain Allemand, Carl Grunet « Au royaume de nulle part » avec pas moins de seize nouvelles toutes inédites et publiées pour la première fois entre 1905 et 1908 et de l’autre, un court roman d’une écrivain Russe, Vassili Avenarius et d’un fort curieux « Histoire extraordinaire d’un Pompéien ressuscité ».
Philippe Guilbert Fonde en 2007, les éditions Nilsane et souhaite je cite : « faire découvrir au public francophone des œuvres marquantes d’anticipation et de science-fiction en langue allemande des XIXe et XXe siècles ». Une excellente initiative, car elle va nous permettre de nous ouvrir les portes d’un pays dont les textes anciens sont relativement rares en France pour ne pas dire inexistants. Il est déjà possible sur son site, d’avoir accès à des nouvelles inédites comme celle de Kurd Lasswitz « La bibliothèque universelle » (1904) qui inspira Jorge Luis Borges pour sa « Bibliothèque de Babel ».En outre il vous sera possible également de commander un roman de 1930 « Utopolis » de Werner Illing, qualifié par Philippe Guilbert de « l’un des meilleurs romans d’anticipation technique et sociale de la République de Weimar ». D’autres romans sont en prévision et nous ne pouvons que souhaiter une longue vie à cet auto-éditeur qui nous donne ainsi la chance d’accéder à des titres inconnus.
De leurs cotés, Viktorya et Patrice Lajoye, que les amateurs du genre connaissent déjà pour leur excellent travail sur le site « Russkaya Fantastika », nous proposent un texte également inconnu pour le « commun des mortels », puisque les fouineurs acharnés auront peut-être la chance de le posséder dans sa rare édition Française et pour cause, car paru dans « La nouvelle Revue » en 1898 en trois parties. Nous admirons l’implication de Patrice Lajoye dans les littératures Russes et son magnifique travail sur quelques merveilleuses anthologies du genre et nous ne pouvons, une fois de plus, que saluer cette louable et formidable initiative en rééditant ainsi des textes rares et introuvables.
Mais il ne faudrait pas que de telles bonnes volontés s’émoussent et même si je devin que c’est avant tout la passion et l’amour pour ce genre de littérature qui les motive, acheter leurs ouvrages , c’est aussi faire preuve non seulement de bon sens en faisant l’acquisition de quelques perles rares, mais c’est aussi de permettre une certaine reconnaissance pour tous ses passionnés du genre qui oeuvrent dans l’ombre pour le réhabilitation de textes oubliés mais également pour notre immense curiosité conjecturale. Alors les amis, vous savez ce qu’il vous reste à faire.
Je me permets de reproduire les notes des éditeurs afin de vous présenter les ouvrages de la façon la plus simple et concise.
« Au royaume de nulle part » de Carl Grunert. Nouvelles d’anticipation (1905-1908). Editions Nilsane. 2012 Collection « Arche de Noé ». Disponible à la boutique « Lulu.com »
Le radium peut-il influer sur le cours du temps ? Certaines histoires d’amour requièrent-elles une modification de la composition de l’atmosphère? Les extraterrestres sont-ils déjà parmi nous ? Peut-on s’égarer dans les méandres de l’Histoire ? Qu’est-il advenu de la machine à explorer le temps de H. G. Wells ?
La lecture de Jules Verne permet-elle d’aborder sereinement un naufrage en ballon ?
La tête d’un être humain peut-elle survivre sans son corps ? La médecine martienne pourrait-elle sauver l’humanité ?
Tels sont quelques-uns des thèmes abordés par l’auteur de ces nouvelles du début du XXe siècle.
Ce volume rassemble dix-sept nouvelles d’anticipation de l’écrivain allemand Carl Grunert(1865-1918) parues dans trois recueils successifs : « Les Hommes de demain » (1905), « Des ennemis dans l’univers ? » (1907) et « L’espion de Mars » (1908)
Les textes d’anticipation de Cari Grunert sont proposés pour la première fois en traduction française et accompagnés d’un appareil de notes, d’une postface, de la liste des oeuvres de l’auteur et de repères bibliographiques. Un index nominum permet également de s’orienter dans les différents textes présentés.
« L’Histoire extraordinaire d’un Pompéien ressuscité » de Vassili Avenarius. Auto-édité. Disponible à la boutique « Lulu.com »
Auteur totalement inconnu de nos jours en France, Vassili Avenarius k (1839-1923) fut particulièrement célèbre à la fin du XIXe siècle et du XXe pour ses contes pour enfant.
Isolé au sein de son oeuvre, « L’Histoire extraordinaire d’un Pompéien ressuscité » est un récit de science-fiction avant l’heure, qui voit le retour à la vie d’un habitant momifié de Pompéi, un retour qui a pour cadre une Italie moderne, avec ses savants misanthropes, ses ouvriers presque esclaves, ses journalistes filous et ses Anglais voleurs. Avénarius livre au travers de ce récit non pas une satire, mais une critique du monde moderne, de sa frénésie, de son absence de morale quand tout est tourné vers l’argent roi. Un récit injustement oublié qu’il nous fallait ressusciter…
Egalement destiné à sombrer dans l’anonymat ce court roman en deux parties rédigé par un certain John Flanders, connut un destin assez extraordinaire. Publié pour la première fois dans les années 36 dans de petites brochures destinées à la jeunesse sous le nom de « Presto Films », ces textes souvent assez courts ne s’embarrassaient pas d’intrigues longues et tortueuses. Le but était d’aller au plus vite et de pénétrer directement au plus profond de l’action afin d’éviter ennuie et lassitude. John Flanders / Jean Ray était passé maître dans ce genre d’exercices et la somme considérable de nouvelles qui parsèment sa vie littéraire est la preuve d’une activité phénoménale dont il savait très bien gérer le flux. Beaucoup disaient à l’époque qu’il y avait un John Flanders plus fantastique et un Jean Ray plus Science-fiction (ou l’inverse…) et je crois qu’en regard de son œuvre il est impossible de savoir qui a publié quoi. Cette production colossale est avant tout le fait d’un seul homme, d’une pensée et d’une inspiration unique.
Dans l’énorme production que constitue les « Presto-Films » il y eut une quantité assez importante de textes relevant de l’aventure et les deux récits publiés par John Flanders, constituants une seule et unique histoire, font un petit peu office de « perles rares » en raison de sa thématique et de son originalité. En effet loin de verser une fois de plus dans le mythe de l’Atlantide, l’auteur va préférer se tourner vers la non moins énigmatique Thulé. Jean Ray avait toujours le don de se saisir d’une thématique et de la retravailler à sa façon. Prenons pour exemple une autre publication des « Presto-films » portant le titre de « L’énigme Mexicaine » et de voir de quelle manière on retrouve Yucca , une antique divinité, prendre la forme d’une gigantesque pieuvre et ce en plein Mexique…Les adorateurs de Cthulhu apprécieront ! Toute la production de l’auteur Gantois est ainsi parsemée de textes de science fiction qui montre à quel point il était impliqué dans le domaine de l’imaginaire, n’hésitant pas à faire preuve bien souvent d’une certaine audace. Pour vous en convaincre lisez, « La ruelle ténébreuse » ou « Le Psautier de Mayence » (Dans le volume « La croisière des ombres » éditions de Belgique 1932, éditions Néo N° 106, 1984) ou les nouvelles parues dans le recueil « La griffe du diable » : « L’automate », « Le mystère de l’île Creyratt », « Une île dans le ciel » (Collection Atlanta 1966). Univers parallèles, entités monstrueuses d’origines extra-terrestres, mondes inconnus et civilisations disparues ( « Le secret des Sargasses » un autre roman tout aussi passionnant), autant de thématiques dont vont s’enrichir les écrits de ce merveilleux conteur dans des ambiances le plus souvent pleines de mystère et d’épouvante.
Les deux fascicules évoqués plus haut n’échappent pas à cette règle et je vais donc vous en faire un rapide résumé :
« Au large des Cornouailles les élèves de l’école Sittard de Falmouth, en excursion dans les parages, découvrent un manuscrit étrange où il est question d’un monde perdu. L’entrée en serait dans une île inhabitée des Hébrides.Un jeune professeur Robert Falcone et un élève de l’école Eddy Curland tentent l’aventure, lis descendent au- fond d’un lac intérieur de l’île et, en effet, pénètrent dans un monde des plus énigmatiques.Mais ils n’y découvrent aucune trace de vie, si ce n’est qu’ils entendent un cri désespéré appelant au secours.Par d’immenses hublots ils ont vue sur une partie féerique de ce monde, où pourtant ils n’ont qu’un accès partiel.A la fin ils ont la certitude décevante qu’un homme est gardé prisonnier sur cette terre mystérieuse, par des sortes de machines.C’est à ce moment que le professeur Falcone disparaît et que Curland se barricade dans un singulier petit bureau.Une rumeur insolite éclate, des coups précipités retentissent à l’extérieur de la porte close…Ceci arrive à la connaissance du public par le journal tenu au jour le jour par les deux disparus, journal que l’on retrouve au Groenland,
Où se trouvent les deux jeunes audacieux ? On parle de mondes disparus depuis longtemps, entre autres de l’Atlantide, le fameux continent qui serait englouti depuis des millénaires, sous les flots de l’Atlantique.
Dans la seconde partie, le professeur Chutterbuck et le jeune Kay Westlock, embarquent pour l’île Jan Maeyen se trouvant en plein Océan Arctique. Jan est un riche héritier qui finance l’expédition. Ami de Eddy Curland, son désir est de le retrouver quoi qu’il en coute. Une occasion en outre pour le scientifique de vérifier une théorie un peu hasardeuse sur l’histoire de Saint Brandaan. C’est en compagnie d’un habitué de l’île, le capitaine Petersen, qu’ils entreprennent leur fantastique exploration. Ce qu’ils vont découvrir dépasse l’entendement : Une gigantesque sphère, peuplée d’étranges créatures bardées d’une carapace métallique. Sur cette immense objet une multitude de hublots qui sont autant de fenêtres ouvertes sur un monde extraordinaire. La chose la plus incroyable, c’est que nos aventuriers vont faire la connaissance de Sir Gaspard Warton Haggard, le grand père de Kay, disparu mystérieusement il y a quelques années. C’est son petit fils qui, tout comme Falcon et Curland découvrirent son manuscrit envoyé comme une bouteille à la mer suscitant ainsi leur curiosité. Il va ainsi leur faire d’étranges révélations. La sphère fut découverte à l’origine par Saint Brandaan qui était venu sur ces terres arides, évangéliser et construire une église. Ce « véhicule » existait bien avantson arrivée et pour cause, elle set le produit de la technologie du monde de Thulé. L’engin est ainsi programmé, de façon mystérieuse, pour aller des Hébrides, à l’île Maeyen et le Groenland. A l’intérieur, de gigantesques compartiments contenant tout le savoir de cette civilisation extraordinaire. Hélas les ouvertures des salles sont bloquées à jamais par un mécanisme que nul homme sur terre, ne peut déchiffrer. Cette antique savoir d’un monde que l’on croyait appartenir à l’Atlantide, conservera donc éternellement son secret et les hommes de Thulé que le grand père de Kay suspecte d’être enfermé dans les carapaces de métal, vont disparaître à jamais dans la sphère gigantesque qui va s’embraser à la fin du roman suite à une éruption volcanique.
Rapide et efficace, abordant une thématique assez intéressante, ce court roman souffre pourtant de ce type de production, à savoir un manque de développement concernant l’intrigue. Ce n’était à l’époque pas l’objectif de cette collection et il faut avouer tout de même que ce sacré John Flanders ne va pas s’en tirer trop mal, et nous offrir un texte assez intrigant. Ce manque de développement sera, quelques années, plus tard comblé par un ami et grand admirateur de l’auteur. Jacques Van Herp, signant ici sous le pseudonyme de Michel Jansen, va reprendre l’intrique du roman en lui donnant plus de consistance avec un plus large développement. Cette « La porte sous les eaux » publiée aux éditons Spes collection « Jamboree » 1960 est sans nul doute une réussite, un de ces romans d’aventure extraordinaire prenant et captivant que Pierre Versins salua en ces termes dans la revue Fiction N° 81 du mois d’Août 1960
« Jean Ray est un peu notre Lovecraft. Un Lovecraft qui aurait eu la chance d’être reconnu de son vivant. « La ruelle ténébreuse », « Malpertuis », « Le Grand Nocturne » ne sont pas des œuvres inférieures aux grands contes lovecraftiens. Et de même que pour Lovecraft, on peut disputer à perte de vue la question de savoir s’il s’agit de fantastique ou de science- fiction.
Mais il y a aussi un Jean Ray peu connu ,et non moins estimable,celui qui signait John Flanders, pour les jeunes, de petites merveilles d’imagination scientifique ou fantastique aux Editions d’Averbode, des brochures d’une trentaine de pages. Outre celui qui ne signa pas une bonne cinquantaine de fascicules, les plus fascinantes des aventures de c Harry Dickson ». A cette veine quasi ignorée appartiennent « Aux tréfonds du mystère » et « Le formidable secret du pôle », parus fin 1936.
Il a fallu Jacques Van Herp et son érudition prodigieuse pour exhumer ces deux étonnants petits textes et, redevenu pour un temps le Michel Jansen des « Raiders de l’espace», en faire le remarquable roman qu’est « La Porte sous les eaux ». Dire qu’il s’agit là d’une élucidation para-scientifique de la vieille légende de « La Navigation de Saint Brandan » guidera déjà les initiés. La civilisation perdue de Thulé y revit, avec des secrets scientifiques d’une originalité peu commune en science-fiction, et cela suffirait à assurer à ce livre un succès mérité, non seulement auprès du public ordinaire de la collection «Jamboree» mais encore auprès des lecteurs adultes. Mais il y a de plus ce souffle inimitable qui anime l’œuvre tout entière, cette sombre atmosphère qui se dégage du récit et envoûte le lecteur pour ne pas le quitter de sitôt, le volume refermé. Et là, Michel Jansen a réussi ce tour de force d’écrire du Jean Ray authentique sans perdre pour autant sa personnalité. A tel point qu’on peut défier le lecteur qui n’a pas sous les yeux les deux fascicules originaux de faire le départ entre ce qui vient de- Jean Ray et ce qu’a ajouté Van Herp. En fait, les chapitres écrits directement par Van Herp (et il en a fallu pour atteindre les 180 pages du volume) sont très exactement ceux que l’œuvre originelle nécessitait. Enfin, dernier compliment non négligeable, la science utilisée ici sous forme d’extrapolation est sans faille.
Une telle collaboration mérite d’être poursuivie, il y .a encore des John Flanders inconnus et outre cela, les esprits de Jean Ray et de Jacques Van Herp sont assez voisins pour qu’ils puissent nous donner des œuvres originales encore plus achevés »
Le roman connu en France plusieurs éditions :
- « Aux tréfonds du mystère » John Flanders . Presto Film N° 103. 6 Septembre 1936.
- « Le Formidable secret du pôle ». John Flanders . Presto Film N° 112. 8 Novembre 1936.
Ces deux fascicules introuvables seront réédités presque 30 ans plus tard, formant un court roman sous le titre « Le formidable secret du pôle ». IL sera constitué de deux parties :
- « Au tréfonds du mystère ».
- « Le royaume perdu » (l’intitulé de la seconde partie change de l’original).
Dans le volume « Le carrousel des Maléfices » Editions Gérard &Cie. Bibliothèque Marabout N° 197.1964.
Réédité sous cette forme dans l’anthologie « Atlantides , les îles englouties » sous la direction de Patrick Guillaud. Editions Omnibus 1995. Reprise des deux titres utilisés pour la première édition dans les « Presto-films » ) Pages 1169 à 1204
Ces deux fascicules furent l’objet d’une nouvelle version revue et considérablement augmentée sous la plume de Jacques Van Herp/ Michel Jansen. Deux éditions :
- « La porte sous les eaux » Par John Flanders et Michel Jansen. Editions Spes, collection « Jamboree-Ainé ».1960.Illustration de M.Raffray. Divisé également en deux parties :
- « Les hublots fantastiques ».
- « Le formidable secret du pôle »
- Dans le volume « Le secret des Sargasses ». Union Générale D’éditions, collection 10/18.1975. Pages 148 à 317. Comprenant également les mêmes chapitres que l’édition précédente.
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L’anticipation ancienne est un domaine où certaines éditions sont relativement rares et difficilement accessibles. Certains ouvrages possèdent en outre, et plus particulièrement les cartonnages, de nombreuses illustrations méritant toute l’attention de l’amateur passionné. En raison de la confidentialité de ces petits trésors, il me paraissait normal que, de temps en temps, « Sur l’autre face du monde, vous propose un petit florilège de quelques volumes qui font la fierté de nos bibliothèques.
Aujourd’hui, c’est le roman de Jean de la Hire « Le trésor dans l’abîme » qui sera à l’honneur. Un Grand in 4° cartonné polychrome paru chez Boivin et Cie en 1907 et magnifiquement illustré par L.Lalau
Dans cet ouvrage, un ingénieur du nom de Korrides invente un bathyscaphe capable de plonger pour l’époque à des profondeurs incroyables. L’appareil va ainsi lui permettre la découverte d’une faune sous marine extraordinaire. La construction de cette sphère fut à l’origine réalisée en vu de découvrir un navire ayant coulé au fond des océans « Le Lincoln ». Le principe de propulsion révolutionnaire est basé sur une substance aux propriétés phénoménales : « L’héliose ».Cette « Héliose » est à l’origine, un composant contenu dans un aérolithe trouvé par le savant lors d’une promenade en foret. Ces particules ont la propriété d’être soumise à l’attraction du soleil et ces dernières sont donc attirées irrémédiablement vers l’astre de feu. Rien ne peut empêcher cette mystérieuse attraction, ni l’acier, ni la roche et c’est en étudiant les propriétés de ce « minéral » que Korrides met à jour une faille à son redoutable pouvoir. Il peut en effet être retenu et contenu dans un réceptacle en bois. L’ingénieur venait ainsi de trouver un formidable moyen de propulsion qu’il va adapter à sa sphère sous-marine. Le roman est une formidable épopée aquatique avec découverte d’une flore et d’un faune extraordinaire.
Extrait :
« Nous allons construire une sphère métallique où six hommes pourront très aisément tenir debout et se mouvoir. Cette sphère ne sera pas absolument ronde, car nous tronquerons un de ses pôles. A ce pôle inférieur, nous ménagerons une chambre cylindrique de 3m50 de hauteur, dont je vous expliquerai bientôt la destination. La sphère elle-même aura 6 mètres de diamètre en largeur et 4 mètres de diamètre en hauteur, les 2 mètres manquant étant occupés par une partie de la chambre cylindrique. Vous verrez plus tard comment sera aménagé l’intérieur de la sphère et quels appareils y prendront place. Qu’il me suffise de vous en faire la description extérieure. La portion supérieure de la sphère, formant calotte demi-sphérique, sera revêtue d’une couche d’héliose-caoutchouc, dont l’épaisseur et la densité sont calculées d’après le poids de la sphère chargée de ses appareils et de six hommes au maximum. Ce revêtement d’héliose sera lui-même recouvert de panneaux de bois de cyprès concentriques; un jeu d’appareils à déclanchement, commandé par un transmetteur électrique, actionnera ces panneaux et les fera s’emboîter les uns dans les autres. Examinez cette figure.
Ce disant, Korridès exposa aux regards des auditeurs une grande feuille de bristol fort, sur laquelle était nettement tracé le dessin ci-dessous » :
« Grâce à l’Héliose, la Sphère est douée d’un mouvement ascensionnel et d’un mouvement de descente. Il fallait, pour qu’elle fût apte à toutes recherches, lui donner la faculté des déplacements horizontaux. Pour cela, nous l’avons armée de quatre hélices. Deux petites, qui sortent de deux points opposés de la chambre cylindrique, sont les hélices propulsive et aspirante sous-marines. Elles nous permettront, quand la Sphère sera, tenue en suspension dans les eaux par le double effet de l’attraction et de la pesanteur, de naviguer dans tous les sens. D’autre part, de la Sphère elle-même sortent deux hélices plus grandes, qui sont les hélices propulsive et aspirante aériennes; grâce à celles-là, nous pourrons, étant en suspension ou descendant ou montant dans les airs, nous déplacer horizontalement. Car vous devinez que l’attraction solaire doit, par le jeu raisonné et minutieusement calculé des panneaux de bois, se combiner avec la force propulsive et aspirante des hélices, de manière à laisser à la Sphère la plus complète liberté de mouvements en tous sens dans le rayon de l’espace éclairé par le soleil. Une inclinaison considérable à droite et à gauche peut être donnée aux arbres des hélices, qui sont ainsi, et en plus, de véritables gouvernails… enfin le moteur qui imprime aux hélices leur mouvement de rotation est un moteur électrique nouvellement inventé. Il est installé, avec une batterie d’accumulateurs d’une incalculable puissance, dans .a partie inférieure de la chambre cylindrique. J’ajoute que lorsque la Sphère plonge ou remonte dans l’Océan en ligne perpendiculaire, les hélices sont rabattues contre la coque, où elles s’adaptent parfaitement à des concavités ménagées à cet effet. Et maintenant, commencez-vous à comprendre mes projets?… »
Ce texte passionnant marquant durablement les débuts de l’anticipation chez Jean de la Hire, connu plusieurs éditions :
- « Le trésor dans l’abîme » de Jean de la Hire. Cartonnage polychrome avec illustrations de M.Lalau. Editons Boivin &Cie.1907.
- « Le trésor dans l’abîme » de Jean de la Hire. Editons Boivin &Cie « Roman de la jeunesse ». 1925. Existe sous deux présentations, format relié et format broché. Texte abrégé, reprise de certaines illustrations de M.Lalau. Couvertures couleurs.
- « Le trésor dans l’abîme » de Jean de la Hire. Editions Rouff « Grande collection nationale » N°209. Vers 1930.
- « Le trésor dans l’abîme » de Jean de la Hire. Editions Tallandier « Grandes aventures, Voyages excentriques » 2éme Série N°7. 1936. Couverture de Maurice Toussaint.
- « Le trésor dans l’abîme » de Jean de la Hire. Editions Tallandier. 1936. Couverture muette
- « Le trésor dans l’abîme » de Jean de la Hire. Cartonné, illustré, éditions Dupuis.1942
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« Le gratte ciel des hommes heureux » de Lucien Corosi. Editions Fasquelle 1949
Henderson Building était le plus énorme gratte-ciel de rapport que l’effort humain n’eût jamais construit depuis la création du monde. Cent quatre-vingt-sept étages sortaient du sol, tandis que soixante-douze y entraient. La différence entre les étages souterrains et les étages en surface étaient d’ailleurs à peu près nulle, les quatre cinquièmes de l’immeuble étant éclairés à la fameuse lumière Alfa, reconnue meilleure pour la vue, par les savants de la fin du siècle, que le vieux soleil capricieux.
La construction du building avait duré sept ans, onze trusts avaient fourni les capitaux (soit plusieurs milliards de dollars) dont non moins de dix-sept et demi pour cent, avaient été consacrés à une publicité monstre pour la location des appartements. Mais huit jours après la fin des travaux, plus une pièce n’était libre.
Le building comprenait soixante et onze cinémas, treize théâtres et music-halls, quarante-sept dancings, d’innombrables cafés, restaurants, salons de coiffure, banques, maisons d’éditions, entreprises de pompes funèbres, pistes de patinage et piscines, plusieurs hôtels, deux commissariats de police, quatre casernes de pompiers, et bien d’autres institutions utiles et inutiles.
Trois journaux, dont deux quotidiens, diffusaient les nouvelles locales, et une dizaine de sociétés s’étaient immédiatement formées pour protéger les arts, les mœurs, les lettres et les animaux. Trois bureaux de postes, cent soixante-deux boîtes à lettres et une armée de facteurs se chargeaient de transmettre d’un étage à l’autre et de porte à porte la correspondance des habitants. Un nouveau centre radiophonique « Henderson Building » avait été créé. Les plus grands artistes américains chantaient chaque soir devant son micro. Enfin, les 114.000 habitants du gratte- ciel recensés en 1964 élurent cette année-là leur première reine de beauté.
C’est dans cette immeuble ville que vient de voir le jour Berkeley Smith Junior, fils de Berkeley Smith Senior, un puissant et riche négociant en thé. L’enfant va passer toute sa vie dans cette tour qui bénéficie de tout le confort et de toutes les infrastructures que le monde moderne peut proposer. Une « ville » où chacun prône la jouissance de la vie et d’en profiter au maximum. Dans les couloirs/rues des hauts parleur diffusent en permanence des messages où le ton est mis sur le fait qu’il faut vivre et jouir des bienfaits de la vie car après lorsque viendra la mort il sera trop tard. Il faut donc consommer, s’amuser et les nombreux étages de cette Babel moderne ne compte plus les maisons de plaisir et autres lieux de perdition.
Ce concept d’immeuble ville fut à l’origine développé par une sorte de religieux Hindou Hou Aranan qui lança l’idée de la « cité unique ».Il affirme que toutes les guerres sont dues aux distances, à l’immense superficie de la terre, que toutes les merveilles de la vitesse ne réussiraient pas à vaincre. « Le véritable démon, esprit de perdition de l’homme, est le lointain » va-t-il écrire dans un étonnant manifeste « La cité heureuse »qui allait bientôt devenir le nouvel évangile de millions d’adeptes. Alors que tout le monde se concerte pour savoir quelle ville sera l’élue et que d’un commun accord les puissants de ce monde choisissent New York, le prophète est pourtant considéré comme fou, jugé dangereux et sera donc emprisonné. Mais il n’y restera pas longtemps car tous s’accordent à penser qu’il est la clef d’un nouveau mode de vie. Le Henderson Building commence alors à prendre de l’altitude et de la profondeur et une population d’émigrés de plus en plus croissante afflue aux portes de la cité heureuse. C’est dans se contexte que le jeune Berkeley junior va grandir. Son père est très autoritaire et regarde d’un œil mauvais les rêves de son fils dont l’ambition est de voyager, aller « dehors » explorer des terres vierges et inconnues. Malgré l’interdiction de son père, il va se marier à une jeune fille d’origine simple à qui il promet une vie meilleure, loin de cette tour de malheur.
Hélas les années se succèdent et ses promesses de voyages, d’évasion et de liberté s’émoussent avec le temps. Son travail l’absorbe complètement et fini par se laisser aller dans la douce quiétude du ventre protecteur de la cité de verre. Les relations avec sa femme commencent à se dégrader, il tombe amoureux d’une autre jeune fille. Peut-être considère t-il cela comme une seconde chance et promet cette fois de s’enfuir avec elle de cette prison dorée. Sa première femme à des soupçons il lui faut songer à divorcer et c’est le jour où il se décide à entamer les formalités que le drame se produit. Une banale glissade qui lui immobilise la jambe. Rien de grave en apparence mais la douleur est insoutenable. Il profite de ce temps de repos forcé pour tenter une petite escapade à l’extérieur de son douillet univers. Mais à peine fait-il quelques pas au dehors qu’un malaise indéfinissable s’empare de lui : Crise de panique !
Peu habitué au bruit de la foule et l’agitation qui règne dans le monde de la rue, le pauvre homme nous fait une bouffée d’angoisse. Il se croit alors condamné à ne plus pouvoir sortir, rester à tout jamais une prisonnier volontaire….Mais ce repos providentiel ne fait que renforcer son désir d’escapade. Il veut se ressaisir et dévore avec avidité de nombreux ouvrages sur des récits de voyage, sur la vie de grands explorateurs. Cette soif de voyager à travers le monde ne cesse de l’obséder. Les médecins vont vite ralentir cette frénésie et lui conseille du repos encore et toujours, sa blessure doit guérir. Mais plus le temps passe et plus le mal gagne du terrain. On lui promet toujours un rétablissement prochain alors que la douleur remonte de plus en plus et gagne à présent les deux membres inférieurs. Tout semble se liguer contre son désir de s’échapper, il éprouve une haine de plus en plus grandissante pour cette immense tour qui d’ailleurs commence à faire tache dans le monde. Un nombre croissant de bâtiments gigantesques s’érige dans les autres pays et une population de plus en plus nombreuse afflue vers cette promesse d’une vie meilleure.
Berkeley Smith Junior brandit alors le poing de la révolte et commence à faire campagne contre cette folie architecturale. Il contacte un journaliste, Harold Klaxon, et par son intermédiaire va publier une critique acerbe un brûlot contre la démence des hommes et cette nouvelle religion créée autour de cet illuminé de Hou Aranan. De part le monde il va ainsi rallier des individus à sa cause alors que son état continue de dégrader. Son désir de sortir est tel qu’il va déclarer avoir falsifier durant toute sa vie, les comptes de sa société et ce afin d’être jugé en dehors du bâtiment et pouvoir ainsi se promener dans la rue. Mais si l’enquête révèle effectivement une gigantesque fraude, il ne sait pas qu’un tribunal vient d’être inauguré à quelques étages au dessus de lui.
La maladie vient d’atteindre ses membres supérieurs et son désir de guérison, sous les encouragements trompeurs de ses médecins, le pousse à accepter l’intervention d’un illustre savant, le professeur Hydrotempus. Celui-ci lui fait croire qu’en pratiquant une toute nouvelle technique de « résurrection par la greffe d’un corps vivant dans un corps déjà refroidi » son problème sera réglé. L’opération va réussir mais son état reste toujours identique. Le docteur félon a en fait utilisé sa naïveté pour tester sa technique sur un être vivant et consentant. Bafoué, floué, il organise alors un plan d’évasion avec la complicité de son ami journaliste qui lui parle de nombreux pays qui voudront accueillir avec honneur un homme ayant le courage de s’opposer à un système que beaucoup réprouve.
L’opération va presque réussir mais notre malade se laisse enfumer une dernière fois par un nouveau charlatan. Il prend la décision de rester. Bien évidemment il va vite se rendre à l’évidence : il n’est plus que le cobaye d’une société qui ne veut plus de lui.
Alors il va commettre un crime en étranglant sa maîtresse. Ainsi pense t-il je serai condamné à la peine capitale et l’on me conduira à l’extérieur rejoindre le lieu de mon exécution. Peine perdue, une chaise électrique vient d’être installé dans le bâtiment, suprême touche finale d’un monde qui désormais peu vivre en parfaite autonomie. Il va crier, supplier, rien n’y fait, jamais il ne verra cette cinquième avenue qu’il désirait contempler pour la première et dernière fois. « Au moins se dit-il avant de mourir, mon cadavre traversera New York et parviendra là ou je n’ai ou aller vivant »
La paix régnait de nouveau dans la cité heureuse où vivait pourtant quatre-vingt peuple différents parlant cent dix langues et pratiquant deux cent soixante trois religions. La loi punissait de détention perpétuelle le port ou le stockage de toute arme, gaz, rayon ou autre engin ou instrument, qu’on appelait autrefois « meurtrier ». Un appareil surnommé « L’oeil magique » placé à l’intérieur de la statue de Hou Araman, projetait jour et nuit à travers toute la ville ses rayons cosmiques « Y 13 » décelant le moindre pistolet, la moindre cartouche matraque ou le plus petit tube de gaz…Ah ! On était fier d’habiter dans « La ville des villes » pendant que les hauts parleurs continuaient à diffuser :
« Profite de chaque nuit, de chaque heure, de chaque minute ! Personne ne sait s’il verra le lendemain….Achetez ! Mangez ! Faites des cadeaux ! Vous n’emporterez pas votre argent dans la tombe ! »
En 2164, un rapport de l’académie des sciences sociales, constata qu’un simple ouvrier de la cité heureuse était 14,5 plus satisfait et jouissait d’un standing 18 fois supérieur à celui d’un millionnaire européen du XX éme siècle. En 2201 l’Henderson building est devenu une gigantesque cité unique où se côtoient toutes les races de la terre. Alors le bonheur est-il de mise sur la terre ? Un jour pourtant,un membre de l’opposition à cette nouvelle dictature faisant croire au bonheur parfait, découvre dans une malle une vieille collection du « Daily Mail » avec un article d’un obscur journalite, Harry Klaxon. Celui-ci narre les déboires d’un certain Berkeley Smith junior. Cet énigmatique personnage n’eut de cesse durant toute son existence douloureuse de réclamer le droit de s’évader de cet immeuble, de New York, des Etats-Unis…..Cette découverte fut une révélation pour cette génération assoiffée d’idéal et à la recherche de « Grands ancêtres ».
Pour montrer l’estime que la jeunesse du début de ce XXIII éme siècle éprouvait pour cet héroïque précurseur des droits de l’âme humaine, l’association secrète décida de porter désormais le nom de « B.S.J.D », disciples de Berkeley Smith Junior. Et lorsque tous les membres de cette organisation seront arrêtés d’une seule voix tous solidaires, face à l’oppresseur, affirmeront cette nouvelles identité et cette quête vers le bonheur à jamais envolé :
« Monsieur le préfet, vous pouvez nous emprisonner, ou même nous renvoyer à la chaise électrique comme vos prédécesseurs l’ont fait avec notre maître, le grand Berkley smith junior. Ce sera peine perdue. Nous vaincrons. « Votre » New York est déjà condamné à périr. Le monde, les forets, les ruisseaux renaîtront. Et c’est à nous que l’avenir appartient ! »
Voilà comment naissent les légendes…..
Toujours plus haut !
Ce roman écrit par un illustre inconnu est assez extraordinaire car, non content de traiter d’une manière assez singulière et « humoristique » de la dystopie, il le fait non pas en choisissant un pays ou une ville entière, mais un building qui, au fil des siècles va devenir une seule et unique entité, abritant dans son ventre avide rien de moins que toute la population du globe. J’avais déjà abordé la thématique de la ville sur les pages de ce blog avec le post sur « Un monde sur le monde » de Perrin et Lanos et réalisé un article pour le catalogue de l’exposition « Futur Antérieur » organisé par la galerie du jour Agnés B et intitulé « La ville dans l’anticipation ancienne ». Je n’avais pas évoqué ce roman si particulier pour des raisons de place mais il est indéniable que, tant par l’originalité de sa thématique et surtout du fait qu’il est un des rares ouvrages à traiter de cette thématique sous cet angle là, ce « Le gratte ciel des hommes heureux » mérite toute notre attention. Sous des airs faussement parfaits, cette ville est en réalité une véritable prison distillant au goutte à goutte son venin par l’intermédiaire de ces hauts parleur qui, du soir au matin, conditionnent la population en leur faisant miroiter un avenir radieux. Ils sont les acteurs ( où pensent l’être) d’un idéal architectural qui, au fil des pages prend la forme d’un cauchemar urbain, qui n’a d’autre but que d’asservir l’homme et de le rendre dépendant d’un système trop bien huilé. Cette obsession du travail et de la consommation à outrance se retrouvera dans bien d’autres ouvrages, trouvant une véritable catharsis dans des textes comme «La Kallocaïne » de Karin Boye ou « Nous autres » de Eugène Zamiatine. Un autre roman dont je viens de parcourir le contenu avec avidité est celui de Barillet Lagargousse « La guerre finale » (Berger-Levrault 1885) où « Canonensdadt » véritable pays transformé en ville gigantesque, œuvre pour le bien de ses ouvriers,et son chef suprême est le type même de l’individu qui sous des airs de bienfaiteur, cache une âme de dictateur. Un autre roman tout aussi extraordinaire est celui de Christopher Priest dont l’entame marqua toute une génération de lecteur : « J’avais atteint l’âge de mille kilomètres ». Il s’agit bien évidemment du « Monde inverti » nous décrivant une gigantesque ville obligée de se mouvoir sur un système de rail et qui ne peut que se déplacer vers l’avant (le futur)en démontant au fur et à mesure de son avancée les mêmes rails se trouvant à l’arrière( le passé). Jusqu’au jour où un obstacle infranchissable se présente à eux. Bel exemple d’une société vivant dans un univers clos représenté par la ville et régissant absolument tout dans ce microcosme en dehors du temps.
Pour en revenir au roman de Lucien Corosi, une fois le livre fermé, je ne pu m’empêcher de repenser à un autre roman tout aussi similaire et dont la ressemblance dans les grandes lignes est assez troublante. Jugez plutôt :
« La planète Terre en l’an 2381 : la population humaine compte désormais plus de 75 milliards d’individus, entassés dans de gigantesques immeubles de plusieurs milliers d’étages. Dans ces monades, véritables villes verticales entièrement autosuffisantes, tout est recyclé, rien ne manque. Seule la nourriture vient de l’extérieur. Ainsi, l’humanité a trouvé le bonheur. Des bas étages surpeuplés et pauvres aux étages supérieurs réservés aux dirigeants, tous ne vivent que dans un but : croître et se multiplier. Plus de tabous, plus de vie privée, plus d’intimité. Chacun appartient à tout le monde. La jalousie et le manque n’existent plus. Contentez-vous d’être heureux. La monade travaille pour vous et maîtrise tout. Quand à ceux qui n’acceptent pas le système, les anomos, ils seront eux aussi recyclés. Pour le bien-être du plus grand nombre »
Les amateurs du genre reconnaîtront sans problème l’histoire du roman de Robert Silverberg , « Les nomades urbaines », publié pour la première fois en 1970 sous forme de plusieurs nouvelles constituant une œuvre complète et cohérente.. Même thématique avec une problématique similaire basée sur l’enfermement de l’individu dans un lieu clos et idéalisé. Une gigantesque prison dorée renfermant de nombreux problèmes sociétaux liés à la promiscuité, que les héros veulent fuir coûte que coûte afin de retrouver leurs identité et leurs liberté. Une vingtaine d’années sépare ces deux romans aux similitudes troublantes, deux textes qui, malgré le ton un peu plus humoristique du premier, renferment toutes les angoisses et les problèmes d’une société qui se voulant parfaite se force à trouver le moyens de contenir l’espèce humaine alors qu’elle ne rêve que d’espace et de liberté. Reprenant probablement le concept de Le Corbusier ayant œuvré pour l’urbanisme et le design, Corosi à réutilisé le concept de « l’unité d’habitation » concept sur lequel l’architecte a commencé à travailler dans les années 1920 et qui donna suite à quelques belles réalisations. Mais Silverberg et Corosi en rédigeant leur œuvres respectives, prirent rapidement conscience des dérives qu’un tel idéal architectural pouvaient entraîner et d’une hypothétique utopie des villes bienheureuse, l’aventure s’est rapidement transformée en dystopie d’une ville du futur. Original et inventif à plus d’un titre « Le gratte ciel des hommes heureux » est une œuvre qui méritait de sortir de l’anonymat injuste dans lequel il fut plongé pendant trop longtemps, une de ces œuvres qui prouve une fois de plus de toute la vigueur d’un genre qui nous réserve encore de belles surprises à venir.