« L’alchimie de la Pierre » de Ekaterina Sedia

Posté le 20 avril 2017

l'alchimie de la pierre logo

S’il y a un thème qui fut de nombreuses fois abordé dans l’imaginaire ancien ou récent, c’est bien celui du rapport de la machine avec son identité. Depuis que le premier inventeur eut l’idée de donner un semblant de vie à une assemblage d’engrenages et de balanciers, son rêve le plus ardent fut celui de lui donner une conscience. Je vous invite pour un historique de cette thématique, à vous reporter sur les quelques articles rédigés pour mon site « Sur l’autre face du monde » et plus particulièrement « Le secret de ne jamais mourir » de Pasquier où je dresse une petite liste des ouvrages traitant de cette thématique. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est non seulement l’universalité du sujet, mais de constater à quel point les auteurs « modernes » restent attachés à cette problématique qui pousse à une profonde réflexion.
« Ai-je une âme, Père ? » , voilà une question méritant que l’on s’y arrête et si cette réflexion philosophique sur la condition de la créature ( organique ou mécanique) peinant à trouver sa place dans une société qui l’a créée est toute légitime, peu d’auteurs réussirent à aborder le sujet avec tout le discernement et la gravité qui s’imposait. Deux magnifiques exemples me viennent en tête, « L’automate de Nuremberg » de Thomas Day, ou nous retrouvons une thématique un peu similaire d’un automate affranchi par son maître et en quête d’une certaine « légitimité » de son existence en tant qu’être vivant et « La Vénus anatomique » le puissant roman de Xavier Mauméjean se posant une tout autre question sur les tous les champs du possible en matière de création et surtout des limites de la science. En effet, un problème se pose alors : comment devons nous considérer le produit de nos chimères ?
En ce sens, le roman de Ekaterina Sedia que les éditions du Bélial eurent le bon goût de nous faire connaitre au travers de son fascinant « L’alchimie de la pierre », est tout simplement vertigineux ( comme les deux précédents romans cités) car il se veut non seulement distrayant et inventif, mais il pousse jusqu’à ses derniers retranchements la problématique de la créature artificielle à la recherche de sa véritable identité. Dans ce monde décalé où elle évolue, sorte de moyen- age alternatif où existe de nombreuses guildes , deux se trouvent en rivalité constante : les alchimistes et les mécaniciens. L’une symbole d’un savoir ancestral, d’une passé certes obscur, mais pouvant apporter des solutions naturelles aux maux des populations, l’autre, tournée vers l’avenir, car capable de fabriquer des créatures artificielles mais construites non pas pour réfléchir, mais pour vaquer aux tâches ingrates du quotidien.
Mattie est l’une d’entre elles, elle fut créée jadis par Loharri, un célèbre mécanicien, mais qui possède une chose rare : une conscience ! De plus, c’est une affranchie, son maître lui a accordé sa liberté, ce qui lui a permis, point paradoxal, de se lancer dans l’apprentissage de l’alchimie. Toutefois, un lien tenace existe entre l’homme et sa créature, il lui procure lorsque celui-ci se détériore un visage de porcelaine, celui de Mattie est recouvert de rouages et d’engrenages, mais surtout, il possède la clef qui de temps à autre lui permet d’être remontée et donc de lui insuffler un délai supplémentaire de vie ! Ce double aspect d’ailleurs de visages « interchangeables » et de pouvoir de vie ou de mort sur le produit de sa création sont déjà dés éléments qui revêtent une importance intéressante, car appuyant de manière significative sur l’importance de l’identité/visage ( Mattie préfère un masque lisse dénué d’expression, recherchant en cela une certaine neutralité) et de l’impermanence de la vie.

Sur fond de révolution fomentée par un groupe d’opposant au régime en place, travailleurs exploités durement dans les mines de charbon et mécaniciens voulant faire table rase sur un passé révolu, Mattie découvre une autre singulière communauté, celle des gargouilles, créatures frappées d’une malédiction et dont l’automate est la seule à pouvoir trouver le chemin de leur libération. Non seulement, elle va tout faire pour récupérer cette fameuse clef afin d’acquérir une totale liberté ( Loharri joue avec elle avec un raffinement décadent, mais ô combien calculé) , essayer de comprendre et d’aider les monstres minéraux et trouver une réponse à sa principale interrogation : malgré mes différences, suis-je un être vivant à part entière ?
Sa quête va la mener dans une ville où plane bien des mystères, où rodent de bien curieuses créatures dont une qui sera pour elle d’une aide précieuse, la mémoire vivante de cette cité fantastique, Ilmarekh le fumeur d’âmes, celui qui les emprisonnent dans son corps lorsque leur enveloppe charnelle vient à disparaitre. Il y a aussi la belle Iolanda, la maitresse de Loharri qui lui promet de lui obtenir cette fameuse clef en échange de petits services, dont la création d’un singulier homoncule qui sera prêt à sacrifier sa vie au service de son créateur. Car ce qu’il y a d’étonnant dans ce roman aux multiples visages ( en cela celui interchangeable de Mattie est une métaphore sur l’identité et l’apparence) c’est de se retrouver à un moment donné sur plusieurs niveaux de la création où l’homme créé une machine qui créée un organisme vivant. Jusqu’au jour où Mattie rencontre Sébastien, un mécanicien rebelle et fugitif et dont la présence va la troubler jusqu’au plus profond de sa complexe mécanique et ressentir ce que nul automate n’avait perçu jusqu’à ce jour : l’amour !
Complot, manigances, ordres occultes, science archaïque et machines infernales…..Ce roman inventif et original est impossible à abandonner une fois que vous l’avez commencé. La complexité de son héroïne de métal et le trouble qui ne cesse de la traverser au sujet de son identité, en font un personnage attachant à tel point que vous finissez par oublier sa condition de machine et éprouver une réelle empathie pour ce personnage à la fois extrêmement fort, mais d’une grande fragilité et d’une touchante sensibilité. L’auteure est parvenue à créer un monde particulièrement fascinant traversé de fulgurance narrative d’une grande beauté et d’une extrême noirceur comme cette scène sensuelle entre Mattie et Sébastien ou celle apocalyptique de l’attentat lors du passage royal dans une artère de la capitale.
Après avoir délivrée les gargouilles de leur malédiction, il ne restera plus qu’à Mattie à trouver une liberté totale en se libérant une fois pour toutes de la servitude de son maître qui joue avec elle comme le ferait un enfant capricieux avec son plus beau jouet. Je vous invite à découvrir ce roman d’une grande poésie en lisant de toute urgence ce gros coup de cœur qui va se conclure dans un final apocalyptique par l’émergence d’un projet fou conçu par les mécaniciens projetant de conquérir la ville, mais aussi d’une grande beauté avec le destin de cette femme mécanique qui, tout au long de ce magnifique et trop court roman, ne cesse de nous fasciner et de nous émouvoir.
Certainement, un roman à acheter de toute urgence, foi de Savanturier, vous ne le regretterez pas et je pense que la traduction de Pierre-Paul Durastanti y est pour quelque chose.

Une fois n’est pas coutume, saluons le magnifique travail de couverture de Nicolas Fructus et de ses illustrations en noir & blanc

« L’alchimie de la Pierre » de Ekaterina Sedia, éditions du Bélial , couverture et illustrations intérieures de Nicolas Fructus, traduction de Pierre-Paul Durastanti.2017

l'alchimie de la pierre

Il n'y a actuellement pas de commentaire pour cet article.

Laisser un commentaire