La peur est l’une des émotions la plus forte de notre organisme au même titre que la joie et la tristesse. Sa fonction principale est de nous protéger en plaçant notre corps en état d’alerte et de vigilance afin de se prémunir d’un danger extérieur. Ses manifestations peuvent varier d’un individu à l’autre en effet pour certains, elle peut être un stimulateur, mais pour d’autres elle sera source de paralysie pouvant se révéler catastrophique. Mais la peur peut également être source de plaisir, vous savez, ce petit frisson qui vient descendre le long de votre échine et vous procurer cet agréable picotement lors d’une sensation forte. La peur peut « donner des ailes » , vous faire agir de manière surprenante où elle vous procurera le courage nécessaire à réaliser des actes que vous jugiez jusqu’alors irréalisable ou elle sera capable de vous faire commettre les actes de pire lâcheté !
Mais qu’est-ce qui provoque la peur ? Elle est présente depuis que l’homme possède cette lueur d’intelligence et surtout capable d’analyser un phénomène, mais je crois que ce qui terrifie le plus les bipèdes que nous sommes, c’est la peur de l’inconnu. Depuis des temps immémoriaux, l’homme s’est évertué à bâtir des légendes, construire des mythes, des territoires peuplés de créatures fantastiques et redoutées. Son imaginaire sans limite a construit la forteresse de ses propres peurs et son inconscient, baigné de ces histoires extraordinaires, est condamné à cette éternelle crainte de ce qu’il ne comprend pas, de ce qu’il ne peut voir ou pire encore ce qu’il se plaît à créer de toute pièce. Cette peur est étroitement liée à deux phénomènes que l’on retrouve dans toutes les cultures, qu’elle que soit l’époque, qu’elle que soit la religion ou la couleur de peau : les monstres et la peur du noir ! Les deux sont étroitement liés, car dans cette obscurité impénétrable, manteau de ténèbres dont se dégage tous les méphitiques remugles de notre cerveau primitif, le monstre reste tapi, attendant bien patiemment l’erreur fatidique qui nous fera mettre un pied dans cette zone de non-retour qu’est l’obscurité. Probablement par masochisme ou tout simplement pour ressentir ce petit courant qui électrise notre épiderme, des hommes, probablement des envoyés des ténèbres que l’on appelle écrivains, s’évertuent depuis des siècles à inventer des histoires où ils lâchent, diaboliques qu’ils sont, une horde de monstres assoiffés de sang sur les pauvres humains que nous sommes. C’est ainsi qu’ils vont se repaître de nos peurs et alimenter cette conscience populaire et faire que les monstres existent bel et bien et que les auteurs en sont les biographes attitrés. Riches de ce statut, ils viennent donc hanter nos demeures, nos caves et nos greniers, les placards de nos enfants, les malles de nos grands-mamans, s’affirmer dans les endroits les plus improbables, dans les campagnes et les mégapoles, dans des régions baignées par le soleil ou les recoins les plus obscurs de notre planète. Le monstre n’a pas de frontières, il règne partout où l’on croit à sa toute-puissance et l’écrivain n’est là que pour pérenniser ses hauts faits et instiller encore plus le doute dans la misérable cervelle du lecteur qui subrepticement, se fera le porte-parole de cette vile créature dont il nous est impossible pourtant de nous passer. Car le monstre alimente les histoires, perpétue les légendes, alimente l’imaginaire de cette créature si fragile mais tellement attachante.
Dans cette anthologie proposée par la merveilleuse équipe d’ImaJ’nère , vous avez l’occasion unique de tenir entre les mains un condensé de tout ce que l’on peut rencontrer en matière de monstres et si le titre ne laisse planer aucun doute en étant bien souvent « cachés » , c’est pour mieux vous effrayer, vous déstabiliser, vous faire douter. Vingt-trois nouvelles qui possèdent toutes un charme particulier en raison de la différence de sensibilité des auteurs qui vont venir aborder le sujet, mais aussi parce qu’elles nous montrent l’aspect protéiformes du monstre. Il ne s’agit pas simplement de cette créature hideuse qui se terre dans la noirceur de votre placard ou dans les recoins humides de votre cave, non, le monstre est en chacun de nous et bien souvent il pourra donc revêtir l’enveloppe d’un simple mortel à l’aspect pas forcément repoussant.
C’est dans cette optique que réside toute l’intelligence et la pertinence de cette anthologie et les auteurs vont y faire preuve d’une certaine malice, prendre parfois la thématique à contre-pied, y ajouter une dose d’humour, de méchanceté, de poésie et d’horreurs cosmiques …….mais toujours avec panache et talent !
Comme de coutume pour ce genre d’ouvrage, il y a des nouvelles qui sortent à mon goût plus du lot, mais c’est un avis personnel, qui n’engage que moi, interdépendant de ma propre sensibilité. Le plus important à retenir est l’extrême variété des monstres que vous allez y rencontrer et ce n’est pas ce qui manque avec le classique du monstre dans le placard : « Un si beau costume » (B .Greene) une terrifiante variation sur l’ami imaginaire, les vielles légendes racontées dans les tranchées : « Une si jolie chose » (Cédé) faisant appel aux veilles légendes , le monstre qui sommeille en nous : « « Regarde vers l’ouest » (L.Davoust), nouvelle la plus atypique de l’anthologie et « Bleu » (Julien Heylbroeck) et son étrange et fascinant tueur, « La spécialité de Charcoin » (C.Ravat), un régal dans tous les sens du terme, « East End November » (D.Verdier)ou comment revisiter l’histoire d’un certain Jack, « Mon pire ennemi » (A.Cuidet) où certains pouvoirs qui sommeillent en nous peuvent se révéler dévastateurs . Il nous arrive parfois d’être victime de notre propre curiosité avec la tragique et japonisante nouvelle « Mort dans l’œuf » (S.Chauderon), petit hommage à une nouvelle de Matheson avec la magnifique « Des choses au fond des yeux » (C.Rodmacq) , un peu d’humour avec la très drôle « Une histoire de loyer » (J.A.Reeves) et la tout aussi sympathique « Les morts ont toujours tort » ( R.Dambre) un fort plaisant nouvelle sur une variation du tueur à gages. Petite incursion dans la fantasy avec « Un monstre se cache la dedans » ( S.Sanahujas) , pour les nostalgiques de « Creepshow » et autres contes de la crypte (c’est-à-dire moi.) , nul doute que « Les elligrées » (M.Leroy-Rambaud) va ranimer d’agréables souvenirs, par contre, ne vous fiez pas à « Mon très cher Monsieur Lapin » (A.Calviac) dont le titre assez charmant va vous révéler l’aspect redoutable d’un mangeur de cauchemars. Les amateurs d’histoires de spiritismes « Old School » vont trouver leur compte dans « Mémento Mori » ( P.M.Soncarrieu). C’est une histoire d’amour et de SF que l’on retrouve dans l’ univers psychédélique et oppressant de « AIRE3 » (C.Luce) alors que « Le monde selon Minos » (T.Geha) nous parle d’un autre futur où les hommes sont monstrueusement modifiés, tout comme la nouvelle « Mais….Qu’avez vous fait gober à Solange » ( S&R.Mallet) certaines drogues peuvent générer certaines modifications assez….abominables. Le monstre peut également être généré par la magie vaudou comme en témoigne « Tanatot » (F.Carpentier). Pour la fin de cette anthologie, je vous réserve le plat de résistance puisque pas moins de quatre nouvelles vont graviter autour de Lovecraft et le mythe de Cthulhu…..à tout saigneur toute horreur !
« Le chant » du profond » (C.Leboulanger ) est une très belle variation du mythe avec comme fil conducteur un virtuose de la musique qui va payer à ses dépens un lourd tribu à la cause des profonds et se transformer en monstres, « La petite chose de Yuggoth » ( J.Verschueren) ou l’on va suivre de « l’intérieur » la naissance de ces horribles créatures et de la façon , peu orthodoxe, dont on peut s’en débarrasser, « La maison de cuir » (B.Tarvel) nous dévoile une fois encore l’immense talent conteur de l’auteur dans une histoire particulièrement horrible qui ne démériterait pas dans la défunte collection « Gore », du grand art ! Terminons avec la nouvelle la plus longue du recueil « Phenomenae » (J.H.Villacampa) ou l’auteur s’amuse allègrement des codes du mythe pour transposer sa propre réalité à celle du mythe( bourré de clins-d’oeil et de la mise en scène de personnages et de lieux faisant partie intégrante de sa vie) dans une enquête sur fond de jeu de rôle ou la statue de la liberté est utilisée à des fins originales et jamais rencontrées en littérature, excellent !
L’ensemble des nouvelles est entrecoupé de temps à autre par une « Brève » de Patrick Eris, de savoureuses (très) courtes nouvelles ou l’auteur nous expose sa propre expérience avec les monstres.
Si l’on rajoute à ce copieux album de presque 500 pages, la magnifique couverture couleur d’une Caza plus que jamais inspiré et d’une représentation en N&B d’un « monstre » pour chaque nouvelle, d’une préface de l’illustrateur, d’une postface de Jean-Hugues Villacampa, d’un dictionnaire des auteurs, il vous sera alors possible de prendre toute la mesure de cette anthologie qui se révèle indispensable à tout amateur qui se respecte.
Avec neuf anthologies au compteur, toutes plus passionnantes les unes que les autres, nul doute qu’Imaj’nère possède un bel avenir devant soi et que le résultat final pour chaque volume est à la hauteur de tout ce que l’amateur éclairé de l’imaginaire peut espérer: plaisir de lecture, plume affutée, imaginaire débridé!
Alors un grand bravo à toute l’équipe, aux auteurs et aux illustrateurs, de la bien belle ouvrage faisant honneur à nos bibliothèques et surtout ne perdez jamais de l’esprit que « Nous sommes tous des monstres », à vous de trouver qu’elle sera votre catégorie !
« Monstres Cachés » une anthologie ImaJ’nère. Couverture couleur et illustrations intérieures N&B de Philippe Caza. 2018
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