Hasard des lectures , en classant les livres de ma bibliothèque, je tombe sur un ouvrage de la collection « Gore » le N°36 « Cauchemar à Staten Island » de Gilles Bergal , dont je parlais il y a peu dans la malle de l’étrange. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que je connaissais le Gilles Bergal écrivain de fantastique alors que je connaissais peu Gilbert Gallerne, plus auteur de polars . Honte à moi, il s’agit en fait de la même personne et comme j’apprécie énormément cet auteur dont je me rappelle l’anthologie parue chez Corps 9 « Créatures des ténèbres », je commande son dernier ouvrage « Sous terre personne ne vous entend crier » aux éditions French Pulp (qui ressortent entre autre « La compagnie des glaces » et la mythique série de Benoit Becker consacré au cycle « Frankenstein ») et me lance donc en simultané dans la lecture de ses deux romans.Deux signatures mais une même plume, avec toutefois 32 ans de décalage et en plus avec une thématique non pas similaire , mais une toile de fond identique puisque les deux romans abritent dans les entrailles de la terre (les égouts en l’occurrence) des sortes d’aberration de la nature, Mais les similitudes vont s’arrêter là (si l’on excepte le personnage principal, une commissaire de police n’ayant pas froid aux yeux) , les deux romans traitant d’une sujet assez éloigné, la survivance de monstruosités proche des profonds de Lovecraft pour le premier et d’un tueur en série pour le second , malgré une tare physique que le lecteur découvrira à la toute fin du roman . Ce qui m’a frappé lors de la lecture du « Gore », c’est la rapidité avec laquelle l’auteur vous place dans l’action, ici pas de fioriture, seuls les faits compte et il vous décrit avec une certaine habileté des personnages assez falots en apparence, mais dont la vie va basculer rapidement dans l’horreur la plus pure. L’ex inspecteur Coogan, marqué dans sa chair par la disparition d’un être aimé n’a plus rien à perdre, c’est un solitaire, un flic dont la carrière n’est pas exempte de belles réussites, mais il se retrouve seul face à une situation extraordinaire et son habileté va lui permettre de faire admettre l’impensable : l’existence de créatures mutantes avides de chair humaine. Dans cette ambiance de docks battus par une pluie incessante, il va provoquer cette horde de dégénérés, donnant lieu à un chapitre fort réussi où il se trouve acculé sur le toit d’un bâtiment, encerclé par les monstres, pour ensuite se conclure par un final d’apocalypse en affrontant avec une poignée de policiers mal préparés, l’antre de ces créatures qui vivent dans un labyrinthe de canalisation servant à évacuer les eaux usées. Un combat éprouvant où peu survivront et permettant de révéler l’incroyable vérité aux autorités sans pour autant prendre les mesures qui s’imposent.
Déjà avec ce roman, l’auteur nous révèle ses qualités , dans un roman qui certes trouve sa place dans une collection « Gore » mais qui à mon avis n’en est pas un pour autant ( avec une couverture assez hideuse et qui ne reflète pas l’esprit du livre) et je ne peux que féliciter les éditions « Rivière Blanche » d’avoir ressorti ce roman dans une collection se rapprochant plus du genre fantastique, car ce « Cauchemar à Staten Island », trouve plus sa filiation dans cette catégorie, lui donnant à mon avis , une meilleure chance de sortir un peu de l’oubli. À noter que ce fort volume contient en outre une autre aventure inédite De Coogan « « La nuit des hommes loups » , ainsi que l’intégralité du recueil de nouvelles cité plus haut « Créatures des ténèbres » .
A la lecture de ce roman fort sympathique, nous avions là, les prémices d’un auteur doué pour l’imaginaire avec une écriture fluide, baignée de cet univers propre à la littérature de genre avec ce sens de l’urgence dans la description de ses personnages : quelques lignes suffisent à les mettre en place, on sait à qui on a à faire, les caractéristiques des individus et du décor qui les entoure sont presque cinématographiques ! Une même qualité d’écriture que nous allons retrouver bien des années plus tard, avec cet excellent roman policier mâtiné de fantastique, un genre qui semble le revêtir comme une seconde peau. Dés les premières pages, le constat est flagrant, l’homme n’a rien perdu de son plaisir d’écrire et de nous présenter des personnages qui présentés par d’autres, perdraient tout leur attrait et leur charme. Gilbert Gallerne parvient à les rendre vivant et terriblement crédibles, avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs passions dévorantes, leurs faiblesses…….leur humanité ! Il se fait ici le porte-parole de ses quidams que l’on croise chaque jour dans la rue et pour lequel nous n’attachons pas d’importance, mais qui peuvent se révéler terriblement passionnant si l’on s’arrête un peu sur l’histoire de leur vie. Dans ce roman, des vies, on en croise plus d’une et il se fait ainsi le biographe de ces personnages insignifiants, mais dont le destin va faire qu’un jour, leurs routes vont se croiser et changer leur vie à tout jamais. Dans un style toujours aussi vif et saccadé, le roman se prend comme une rame de métro, tout va à toute vitesse, les stations s’enchaînent avec parfois quelques arrêts, mais uniquement pour mieux repartir, prendre de la vitesse, encore et encore afin d’arriver au terminus complètement dérouté par le bruit et les secousses !
Dans ces pages, on croise des flics scrupuleux, des flics obtus, une hiérarchie pas toujours efficace, de malheureuses victimes, de pauvres hères en mal d’identité et un tueur qui nous révulse et nous fascine. Dans cette enquête haletante, Jonzac , le héros, va se retrouver face à une terrible situation, rattrapé par son passé qu’il croyait loin derrière lui, mais qui vient lui exploser à la figure comme une bombe à retardement. En suivant, au plus profond de l’âme humaine et des profondeurs du métro parisien, le périple de cet homme qui va le conduire aux portes de l’enfer, l’auteur nous livre le portrait d’un héros de l’ombre qui se veut inébranlable de part sa fonction, mais qui risque de se retrouver déstabilisé face au terrible secret que « le meurtrier des catacombes » cache en lui. C’est une course contre la mort, une course contre la vie qui débute alors et dans une atmosphère oppressante, faite de souterrains putrides, de squats immondes et de débris humains rejetant une société qui lui ferme ses portes, le flic se retrouve alors face à ses propres fantômes, ses propres doutes et peut-être même ses regrets.
C’est également le roman de la nostalgie, de la fin d’une époque et l’annonce dans le texte du transfert du 36 vers les Batignolles et l’arrivée des « jeunes » qui portent certes un regard plein de respect vers leurs illustres pionniers faisant tout pour bousculer une police qui doit évoluer avec son temps, est le signe évident qu’une page vient de se tourner et que cette littérature de genre que nous aimions tant, avec ces grandes figures qui marquèrent toute une génération vont disparaître à tout jamais dans l’ombre des ruines de cet emblématique quai des orfèvres. Il est d’ailleurs surprenant et plaisant à la fois de voir combien l’auteur semble être dans un univers familier, un peu comme si lui-même, dans une autre vie peut-être, à fait partie de « la maison » .
Un roman policier donc, haletant et addictif, à la limite de ce genre crépusculaire qu’est le fantastique et qui nous laisse penser que Gilbert Gallerne est un véritable coureur de fond, que les années ne semblent pas altérer et dont le souffle puissant continue à stimuler l’imaginaire des lecteurs. Si je connais mieux sa part de ténèbres avec toute sa production fantastique qui trône en bonne place dans toutes les bonnes bibliothèques qui se respectent, je viens de découvrir son autre facette, celle d’un auteur profondément humain et dont l’œuvre reflète une personnalité attaché à des valeurs essentielles qui font que dans certaines situations il n’y a pas que des bons et des méchants, seulement des individus qui luttent pour leur survie et prêts à payer au prix fort leurs erreurs passées.
Si vous ouvrez « Sous terre personne ne vous entend crier » je pense qu’il se produira un phénomène assez curieux, il vous sera impossible de la lâcher et en ce qui me concerne, commencé dimanche après-midi un petit break pendant la nuit et terminé le lendemain matin ! Espérons que nous retrouverons Lionel Jonzac lors de prochaines aventures dans l’OCRVP « qui a entre autres pour mission d’élucider les veilles affaires non résolues » , un service qui s’annonce prometteur pour nous amateurs des « X Files » ,
Un grand chapeau pour terminer à cet éditeur « French Pulp » qui pour ce roman nous a fait les faveurs d’une fort belle couverture avec têtes de mort en relief et qui, lorsque l’on regarde son catalogue, nous régale d’aussi belles rééditions.
Alors il ne vous reste plus qu’à vous armer d’une puissante lampe torche, de bottes en caoutchouc et de vous enfoncer dans la moiteur et la noirceur des catacombes, à la découverte d’un univers insoupçonnable à la fois horrible mais terriblement passionnant.
« Sous terre personne ne vous entend crier » de Gilbert Gallerne. Éditions French Pulp, collection « Polar » . Juin 2018
Pour Commander l’ouvrage cliquez sur le lien ci-dessous:
http://frenchpulpeditions.fr/catalogue/polar/
Merci pour cette excellente critique.