« L’Evangile Cannibale » de Fabien Clavel

Posté le 15 août 2018

l'évangile cannibale logo


Curieux roman que celui de Fabien Clavel, auteur dont j’avais fait un coup de cœur pour son magnifique ouvrage « Feuillet de cuivre » , nous révélant tout le talent d’un écrivain protéiforme à l’imaginaire riche et parfaitement structuré. Tout comme celle du vampire, la thématique du zombi à maintes fois était utilisée, usée jusqu’à l’os pour rester dans l’ambiance et ce qui m’a poussé à me rendre acquéreur de ce volume réédité par l’excellente collection de poche « Hélios », c’est avant tout la couverture et par voie de conséquence retourner le livre, lire le résumé et l’acheter immédiatement. Il y avait dans ces quelques lignes ligne ce fameux « je ne sais quoi » qui souvent fait la différence et surtout un sujet, certes classique dans la littérature de genre, mais surtout ce petit plus qui ne pouvait que valoriser encore plus le roman : le fait d’utiliser des retraités comme héros. L’exercice avait été traité avec brio dans le roman de Brice Tarvel « Le bal des iguanes » et quelque part, j’avais envie de me replonger dans cet univers encore plus décalé que celui des zombis : celui des vieux !
Pour avoir travaillé en leur compagnie en tant que soignant, c’est un univers que je connais bien et contrairement aux croyances populaires, je sais que c’est un monde particulier, où l’on est parfois loin de l’image du sage, bourré d’expérience, de patience et de bon sens…….. Non le vieux peut se révéler souvent acariâtre, obsessionnel, paranoïaque, sournois et con au possible ! Je le sais nous sommes tous condamnés à y passer ! Cet état de fait ne fait qu’accentuer l’ambiance du roman où Fabien Clavel use de beaucoup d’humour et de lucidité afin de nous présenter les personnages de la pension du mûrier où une poignée de locataires va vivre un road-movie post-apocalyptique au rythme lent de leurs fauteuils électriques face à des adversaires certes tout aussi lent qu’eux, mais vachement plus vénères.
Le roman est réalisé sous la forme d’un témoignage audio réalisé par le héros/narrateur constituant le périple de cette poignée de survivants, face à un monde complètement cannibalisé par les effets à retardement d’un traitement aux vertus soi-disant rajeunissantes, mais qui se révèle un véritable fléau pour l’humanité. C’est un témoignage fortement corrosif sur une société, pas si loin que cela de la nôtre, où il n’y a ni bon, ni méchant, seulement des êtres humains qui agissent d’un bord comme de l’autre pour assurer leur survie. En décidant de se cloîtrer sur tout un étage de leur maison de retraite, condamnant toutes les issus, cette communauté de vieux révoltés sous la houlette d’une grabataire aux soi-disant dons de voyance, va ressortir au bout de quarante jours,constater que le monde n’est plus ce qu’il était et livré à une population complètement zombifiée, qui au fil du récit va se révéler de plus en plus vindicative et…….. affamée ! Le groupe d’ancêtre traverse alors Paris au rythme lent de leurs fauteuils électriques sous les assauts permanents de créatures qui n’agissent que par un seul et unique désir : manger !

Fabien Clavel nous livre alors un roman d’une cruauté sans concession, parsemé d’un humour décapant sous les actions parfois complètement décalées de ces vieillards qui agissent souvent plus par égoïsme que par charité . C’est un roman sur la paranoïa d’un homme qui se proclame être le seul à sauver l’humanité et décider de repeupler la terre avec une nouvelle génération en usant de procédés qui font froid dans le dos. Cet évangile cannibale se révèle d’une grande lucidité face à la nature humaine qui, lors de situations extrêmes , se met à nu tout en faisant ressortir ses faiblesses, sa folie et son incroyable connerie et au final, on ne sait plus qui est qui , toute cette clique dépenaillée, les habits déchirés et salles, les couches pleines de matières organiques se fond dans le décor : des survivants, des mutants comme les autres !

Mais c’est également un roman amusant où l’auteur joue sur les travers de la personne âgée en les sublimant lors de passages savoureux qui mettent certes beaucoup de cynisme mais un peu de douceur dans ce monde de brute. Certains passages y sont tout simplement hallucinant comme la toute première rencontre du zombi dans le parc monceau ,le chapitre où les rescapés trouvent refuge dans le jardin du Luxembourg tentant en vain d’organiser une retraite confortable jusqu’au jour où ils seront contraint d’évacuer face à une marée putrescente et ce final d’apocalypse dans un champ de mars bombardé par des avions militaires qui tentent , en vain, de mettre fin à cette abomination grouillante……Le final est sans concession, à l’avenant du roman qui reste à mon avis un petit ovni du genre avec un parfait équilibre entre humour et horreur , deux « h » qui vont dominer tout au long de cet « évangile cannibale » , car voyez-vous même chez les personnes « civilisées » la faim justifie les moyens et avec ou sans dents l’homme peut se révéler bon, mais dans le sens culinaire du terme.

En résumé, un portrait au vitriol de notre société qui certes relègue nos vieux dans des mouroirs, mais finalement, valent-ils mieux que ceux qui les y mettent ?

Une belle réussite , un roman qui vient mettre un peu de fraîcheur dans une thématique qui commençait à prendre un sérieux coup de vieux !

En plus de la magnifique couverture de David Hartman, qui je ne sais pas pourquoi me rappelle furieusement certains dessins de Jean Solé, vous trouverez en fin de volume une interview de l’auteur où il s’exprime sur son choix, sa source d’inspiration et le lien qui existe entre certains des personnages du livre et l’ensemble de sa production. Un excellent moyen de découvrir un auteur particulièrement intéressant.

Extrait:

« On a toujours nos blouses blanches.Ridicules.Elles ressemblent plus à  rien.Des traînées sales de sueur.Les gribouillis noirs des goules.Et puis, moins glorieux, des traces de merde au cul, d’urine jaunâtre sur le devant.

Mais on est des survivants!

C’est nous les anges, les messagers.On vient apporter la bonne parole, ce nouvel évangile des morts, l’évangile cannibale.Le temps nous lavera de nos souillures.On reviendra immaculés, NOUS SERONS JUGES! »

 

« L’évangile cannibale » de Fabien Clavel éditions Mnémos collection « Hélios », couverture de David Hartman. Mars 2018. Parution originale en Janvier 2017 chez ActuSF.

l'évangile cannibale

l'évangile cannibale original

 

Il n'y a actuellement pas de commentaire pour cet article.

Laisser un commentaire