Publié en 2015 ce volume de Philippe Foerster, demeure pour moi mon préféré, et ce, à plus d’une raison . Tout d’abord le contexte conjectural : Un fragment de lune se détache de notre satellite et vient pile-poil se ficher sur la centrale nucléaire de Tchernobourg . En forme de croissant de lune, il confère non seulement au paysage environnant un air d’apocalypse, mais entraîne de part son impact de nombreuses fuites en provenance des cuves radioactives et une contamination de la population qui, bien que continuant à vivre comme si de rien n’était, n’en génère pas moins son lot de mutants aux caractéristiques assez inattendues. Ensuite, il y a ce dessin inimitable qui plonge à chaque fois le lecteur dans un univers cauchemardesque et si parfois le réel imprègne l’une de ses planches, c’est pour vous plonger de manière plus abrupte au cœur de quelques sombres demeures d’où vous ne ressortirez pas vivant.
C’est donc l’histoire, où plutôt les cinq histoires racontées par un singulier personnage qui s’est auto-proclamé prêtre et qui recueille les confessions d’étranges paroissiens pour qui mutation est synonyme de malédiction. Il faut dire qu’en présence de ce représentant du seigneur de pacotille, les langues se délient vite en raison de son don un peu exceptionnel. Pourvu de tentacules en lieu et place de ce qui lui tenait de jambes, chaque fois que l’un de ses appendices touche une personne, celle-ci se sent submergée par une irrépressible envie de raconter son histoire : une bien étrange manière de se confesser !
Nous voilà donc les témoins de ces cinq histoires dont les titres débutent toujours par celui qui…., cinq histoires où le rire se mêle à l’effroi et qu’il s’agisse du récit de cette limace qui se prenait pour un top-modèle, cet homme aux étranges mains d’araignées, de ce chasseur de spectres impitoyables, d’un enfant capable de générer des explosions à l’envie ou de celui possédant cet étrange pouvoir d’engloutir les ectoplasmes, toutes baignent dans un climat surréaliste, imprégnées del’univers si particulier de Philippe Foerster. Car l’homme est non seulement doué pour nous conter des histoires d’un macabre taillées dans du diamant, mais il nous délecte de son coup de crayon inimitable aux perspectives parfois vertigineuses en jouant habilement avec la bichromie histoire d’accentuer le coté glauque et spectral de certaines situations. Cet auteur est pour moi la quintessence même de toute cette littérature fantastique dont j’ai été nourri et tout particulièrement Jean Ray bien entendu, mais également Thomas Owen et Gérard Prévot en passant par Kafka et Topor. Tout un univers de personnages falots, parfois insignifiants, mais qui vont être confronté à un destin souvent abominable, comme si ce dernier, dans un excès d’acharnement voulait leur montrer qu’il peut y avoir des choses bien pires qu’une vie triste et insignifiante. L’univers de cet artiste, c’est une galerie de portraits incomparables, de Freaks aux sourires désabusés, entre la caricature et la sombre réalité qui nous entoure, le quotidien de ses petites gens qui un jour va basculer dans un fantastique pur et dur avec un humour souvent corrosif mais avec toujours un soupçon d’humanité . Il est parvenu à insuffler une dimension fantastique à notre vie quotidienne en donnant juste un petit coup d’épaule pour nous faire comprendre que, d’un claquement de doigt tout peu basculer et qu’au final l’imaginaire n’est qu’une question de point de vue.
Sans nul doute un album excellent qui ne devrait pas vous laisser indifférent tant par le texte que par l’image, j’y ai personnellement trouvé beaucoup de talent, de génie et de cette sensibilité qui lors du dernier dessin de la dernière histoire ne pourra pas vous laisser de ce marbre de la pierre tombale.
« Le confesseur sauvage » est un album à consommer sans modération et de toute urgence, car une chose est certaine, c’est que vous n’en sortirez pas indemne et qu’il exercera sur vous cet étrange pouvoir attractif de ces ovnis de l’imaginaire qui se font rares par les temps qui courent.
« Le confesseur sauvage » par Philippe Foerster. Éditions Glénat 2015.
Note de l’éditeur :
Les monstres aussi ont leurs états d’âme !
Dans la ville de Tchernobourg, suite à une catastrophe nucléaire, une partie de la population se retrouve transformée en d’effroyables mutants. Résultat : des limaces géantes, hommes-araignées et toutes autres sortes de monstruosités côtoient à présent les citoyens lambda. L’un de ces mutants, un poulpe empathique, remarque un fait étrange : lorsqu’il s’assoit près de quelqu’un, l’un de ses tentacules se met inéluctablement à venir tapoter amicalement l’épaule de son voisin qui se met aussitôt à se confesser. C’est ainsi que notre ami poulpe va s’improviser prêtre et venir à la rencontre des habitants de Tchernobourg recueillir des témoignages tous plus délirants les uns que les autres.
Il existe certains auteurs qui me font penser à cette catégorie de réalisateurs dont l’immense talent leur permet de créer des films culte et ce, quel que soit le genre abordé. Estelle Faye est un peu de la trempe de types comme Stanley Kubrick ou Robert Wise dont le génie leur permet de réaliser un chef-d’œuvre dans des domaines aussi variés que le western, le polar, le film de science-fiction, de guerre ou la comédie musicale. Lorsque l’amateur éclairé se penche sur la carrière de cette auteure, il lui sera possible de se rendre compte de la diversité des genres qu’elle aborde dans ses romans : Fantasy, Roman post-apocalyptique, roman historique, roman pour la jeunesse et dernièrement space opéra…..et tout cela avec le même talent, la même délicatesse d’écriture et surtout ce don inné pour raconter de belles et prenantes histoires afin de capturer le lecteur et de le tenir en haleine de la première à la dernière page.
Déjà lauréat de nombreux prix, son dernier roman « Les nuages de Magellan » vient de revoir le prix « Rosny aîné » pour cette petite merveille de space opéra et l’on se félicite que le jury ne soit pas passé à côté d’un texte écrit comme il se doit avec toute la maestria dont elle sait faire preuve. Dans ce roman , Estelle en restant fidèle aux bonnes recettes du genre , est parvenue à lui insuffler sa propre respiration en sachant doser efficacement ce qu’il fallait d’aventure, de mystère, de passion de sensibilité et de baston dans un monde en pleine mutation où la conquête de l’espace n’est plus que l’apanage des grandes compagnies à la solde d’un pouvoir dictatorial voulant imposer sa propre loi aux hommes qui ne demandent qu’à vivre librement et assouvir eux aussi leurs besoins d’explorer de nouveaux horizons , d’aller au-delà de ce que peut leur permettre une vision étriquée. C’est l’histoire d’une civilisation opprimée se raccrochant à de vieilles légendes d’un monde meilleur, de pirates de l’espace et de capitaines courageux. L’histoire d’un mythe, d’un légendaire vaisseau de pirate qui tente fièrement de se dresser contre le pouvoir en place et qui vient narguer les dirigeants d’un univers qui ne fonctionne pas comme il le devrait. Avec ce récit, Estelle revisite également nos bonnes vieilles histoires de pirates où jambes en bois et bandeau sur œil crevé sont remplacés par des jambes artificielles et des yeux bio ioniques. Vous allez y retrouver avec délectation l’histoire d’une belle héroïne, Dan chanteuse de jazz qui, la tête toujours dans les étoiles, va croiser le chemin de Liliam, véritable légende vivante et embarquer avec elle dans une incroyable histoire qui va les mener aux confins de la galaxie à la recherche de leur « Île au trésor » la mystérieuse Carabe , havre de paix où la richesse se matérialise sous la forme d’une liberté sans condition .
Le lecteur que je suis, nourri aux classiques du genre, va se délecter à la découverte de ces mondes mystérieux, peuplés d’étranges créatures et de personnages hauts en couleur qui vont croiser le chemin de nos deux héroïnes et participer à une aventure qui rapidement va se révéler exaltante mais terriblement dangereuse. « Les nuages de Magellan » c’est aussi le retour en force de véritables héroïnes, prenant leurs destinées en main, et prouvant avec beaucoup de panaches et de subtilité, qu’un bon roman du genre n’est pas uniquement bourré de testostérones. Un roman qui prône la tolérance et l’acceptation des différences non seulement des rapports entre humains mais aussi entre l’homme et de fait femme avec la machine.
J’aime toute cette délectable sensibilité dans l’écriture de l’auteure, elle a cette faculté de vous emporter de sa plume délicate mais virile à la fois, car ce n’est pas une main puissante mais molle qu’elle vous tend mais des doigts délicats et fermes. Il y a de l’inventivité dans les mondes qu’elle nous propose, des idées excellentes qui viennent titiller notre cervelle de lecteurs aguerris et nous procurer ce plaisir jubilatoire que recherche l’amateur du genre lorsqu’il ouvre un nouveau livre. Quelle belle idée que celle de ce capitaine lié à son vaisseau par un lien organique, un bras artificiel en l’occurrence, et lui permettant cette fusion parfaite que seule une amputation sera capable de rompre définitivement. Ce livre regorge idées, comme cette mystérieuse planète faite de sel et cette autre construite sur plusieurs niveaux….. alors embarquez à bord du « Carthagéne » , vous verrez que vous ne serez pas au bout de vos surprises ! Cet ouvrage est en effet une véritable porte ouverte vers des mondes étranges qui jadis peuplaient les étals des marchands mais qui peu à peu ont laissé place à une littérature insipide, formatée où l’aventure n’est plus que synonyme d’ennui mortel, à suivre les fades exploits de héros de plus en plus conventionnels. Il y a dans son style ce plaisir que nous éprouvions lorsque, à l’époque où le space-opéra était un genre divertissant et surtout plaisant à lire, nous prenions l’un de ces précieux volumes tout en sachant que, quoiqu’il se passe, nous allions nous évader, la tête dans les étoiles, pendant quelques heures de pur bonheur,
J’ai retrouvé dans ce texte ce même plaisir de lecture, je me suis laissé emporter par son aisance d’écriture et je me suis retrouvé le temps d’un clignement de paupière, tellement le texte est prenant, à cette époque où je découvrais avec ce plaisir mâtiné de ce petit frisson de l’aventure ces bons vieux romans de pirates et de trésors cachés, de princesses aux prises avec des super méchants de l’espace, de toute cette littérature qui a bercé notre enfance et qui quelques années après nous procure avec ce volume, des sensations identiques .
Voilà un univers qu’il ne reste plus qu’à exploiter, car il y a plein d’éléments qui nous laissent présager peut-être une suite à l’aventure et de toute façon en l’état, il est impossible à Estelle de nous laisser prisonnier d’un univers aussi riche et plein de promesses et de nous y abandonner sans nous donner la possibilité d’y vivre de nouvelles épopées. C’est le seul reproche que je peux avoir à l »encontre de cet ouvrage, c’est de nous avoir ouverts l’appétit sans nous avoir complètement rassasié. Mais c’est là un de mes défauts, une gourmandise insatiable qui me pousse, lorsque je suis accro à quelque chose, d’en vouloir encore toujours plus,
Mais en l’état, « Les nuages de Magellan » se suffit à lui-même, une incroyable et belle odyssée , pleine de sensibilité, d’inventivité et de toutes ses petites choses qui dans un travail d’écriture font que dès que vous lisez les premières lignes, vous savez que vous allez être prisonnier, pas par obligation, mais par choix délibéré car c’est vous-même qui avez fermé la porte et jeté la clef afin que personne ne puisse vous faire sortir , et ça, ce n’est pas donné à tout le monde !
Un superbe dernier roman à rajouter à un palmarès déjà d’une grande richesse.
« Les nuages de Magellan » de Estelle Faye éditions Scrineo, Couverture de Benjamin Carré