Lorsqu’en 2017, les Moutons Électriques publièrent leur premier roman graphique « Tout au milieu du monde » avec le trio de choc qu’est Melchior Ascaride, Julien Bétan et Mathieu Rivero, nous avions déjà là l’amorce d’une catégorie de livre qui allait marquer durablement ma vie de lecteur en publiant le tout premier livre graphique de la collection. Deux années plus tard, les trois complices récidivent en réalisant « Ce qui vient de la nuit » , ouvrage dont je n’ai pas eu le temps de faire l’éloge, mais qui venait asseoir le talent de ces jeunes artistes avec cette histoire de Fantasy baignée de magie de malédiction et de terreurs ancestrales. En priorisant le jaune, Melchior Ascaride est parvenu à appesantir encore plus l’atmosphère étrange de ce texte sombre et sans concession, comme une brume lactescente qui progressivement semble vouloir sortir d’entre les pages, vous agripper de ces doigts glacés et fantomatiques pour vous attirer dans cette campagne bretonne du temps jadis, pétrie de légendes et de haut fait d’armes. Une fois de plus, texte et images sont en parfaite corrélation et l’on sent dans la technique utilisée par l’artiste un tournant déterminant comme pour vouloir encore plus imprégner le lecteur de toute la magie de l’histoire.
Fidèle au vieil adage « jamais deux sans trois » l’éditeur vient de renouveler l’expérience avec le tout aussi percutant « Désolation » écrit cette fois par une figure emblématique de la Fantasy, Jean-Philippe Jaworski et dont le texte vient coller comme une ombre au magnifique travail pictural d’un Melchior Ascaride plus inspiré que jamais. Tout d’abord, ce qui frappe l’esprit du lecteur que je suis, avide de belles couvertures, c’est le travail effectué une fois de plus pour cette édition et de la typographie du titre qui vient parfaitement se marier avec les circonvolutions de cette créature mythologique que l’on pourrait aisément confondre avec un vers à l’aspect redoutable. Ensuite, ce que j’ai aimé dans ce court roman, c’est le choix de l’auteur de commencer cette aventure de manière aussi abrupte qu’elle se termine. Une sorte de tranche de vie dans des temps reculés et/ou imaginaires, pétri lui aussi d’histoires terrifiantes traversé par la fureur du métal qui s’entrechoque et de l’odeur du sang versé. Certes comment ne pas penser à l’univers de Tolkien père fondateur de toutes ces terres de magie et de mystère, mais si Jean-Philippe Jaworski excelle à nous rappeler l’univers du maître, son talent parvient largement à prendre le large et nous livrer son univers qu’il est capable de construire en quelques pages et le peupler de figures inoubliables pour qui le tranchant d’un épée et plus éloquent que bien des discours. Il nous plonge ainsi dans une quête extraordinaire, une course contre la montre obligeant un puissant seigneur et toute sa horde bardée de fer et lourdement chargée de victuailles de porter secours à un fief voisin assiégé de toute part et risquant de plier l’échine face à un impitoyable ennemi. Pour cela, une seule issue possible s’il veut arriver à temps, passer à travers une montagne maudite, abritant selon les légendes un redoutable dragon et résister aux attaques de hordes de Gobelins commandés par un chef à la sanglante réputation : Le dévoreur !
Aidé de son fidèle Radswin le diseur de loi, Hjalmberich accompagné de 20 guerriers nains et de trente gnomes, vont traverser le massif du Kluferfell et braver la terrible région du Wyrmdale et il faudra bien plus que le savoir de maître Skirfir « Brûle-gueule » l’artificier de la troupe pour mener à terme une expédition qui va découvrir un secret bien plus incroyable que celui de l’existence d’un dragon !
Ce qui fait le charme incroyable de cette odyssée, c’est son coté quelque peu décalé en marge d’une Fantasy certes très codifiée avec les grandes figures classiques du genre, mais en y insufflant cette touche personnelle où le tragique des situations se mélange avec bonheur au comique de certains personnages. Ainsi Skirfir cité plus haut, spécialiste en explosifs et Littyllytig le contremaître des gnomes, sont les deux personnages qui régulièrement vont interagir dans les moments clef de l’aventure en y injectant la quantité suffisante espièglerie , de malice et d’humour afin de créer un tout homogène et particulièrement savoureux. Une expédition, sans cesse accompagnée par le bruit des armes et la fureur de la bataille, car « Griffus », « viandars », « panses de fer » et autres « Konomor » le konungr des Uruk Maug , ne cessent de harceler cette troupe hétéroclite aussi peu nombreuse que déterminée.
Pour un peu j’aurai presque l’envie de vous présenter ce volume une corne remplie d’un alcool fort et à brailler des chansons paillardes!
Ainsi donc, pour ce troisième roman graphique Melchior Ascaride articule toute son œuvre sur des tons oranges et noirs et nous propose une fois de plus un travail qui vient éveiller nos rétines et accroître de manière déterminante cette sensation éprouvée au fil de la lecture, comme si le lecteur, sous le joug d’une magie ancestrale, pouvait se retrouver en parfaite symbiose avec les aventures qu’il est en train de lire. Toutes les pages sont baignées de cette atmosphère unique où texte et images œuvrent dans une symbiose parfaite pour le plaisir du lecteur et si nombres de ses dessins me poussent bien après la lecture du livre à revenir dessus pour le seul plaisir des yeux, je ne peux qu’éprouver un profond respect pour la parfaite cohésion entre le texte, l’image et la mise en pages qui d’une manière spectaculaire trouve sa substantifique moelle entre la page 104 et 115 lors de la traversée de la cité sous la montagne : quand le dessin se fait langage on comprend mieux alors pourquoi il est un art qui ne connaît aucune frontière !
Au final nous voilà donc en présence d’une pièce majeure chez cet éditeur en ce qui concerne le roman graphique et du rouge roman initiatique en passant par le jaune des vieilles malédiction, nous voici dans l’orange du fracas des batailles où les deux talents vont jouer de talent et d’originalité afin de nous plonger dans une épopée inoubliable, une descente aux enfers où la verve de l’écrivain n’aura d’égale que la sublime inspiration de l’artiste qui l’accompagne.
Sans nul doute un très gros coup de cœur et je ne pourrai trop que de conseiller aux lecteurs amateurs de beaux objets, de belles histoires et d’une plongée dans un art graphique d’une grand originalité, d’acquérir cette trilogie qui je l’espère est annonciatrice d’autres ouvrages d’une telle qualité et d’une telle intensité,
Bien que cela n’enlève rien à la qualité du travail réalisé, pour quand un ouvrage relié dans le même esprit, mais avec cette fois-ci des plages entières et non coupées par le milieu de manière à dévoiler de manière plus percutante le travail de l’artiste ?
« Désolation » Roman graphique paru aux Moutons Électriques, collection « La bibliothèque dessinée » texte de Jean-Philippe Jaworsky , dessins de Melchior Ascaride. 2020.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.