N°1 de la revue « Lisez-moi Aventures » du 15 Mai 1948 en présentation du roman de Maurice Champagne « La cité des premiers hommes »
« Un nouveau voyage au Centre de la Terre, beaucoup plus imprévu, beaucoup plus réel que ne l’avait imaginé Jules Verne !…
Pourquoi n’existerait-il pas, ce monde souterrain, ce Monde avec ses êtres, ses animaux fabuleux, ses immensités continentales ?
C’est impossible, voyons l Le Feu central !
Mais si le Feu central était- une erreur monstrueuse dé savant, l’une de ces folles hypothèses, comparable à la coupole fixe cloutée d’étoiles que regardaient nos pères avant Copernic.
Racontez, racontes, nous jugerons.
Voici l histoire…
Pour le moment, là-bas, quelque part dans la savane australienne, deux cavaliers lancés à fond de train, enfoncent leurs éperons dans les flancs saignants de leur monture… Un drame de la brousse ! »
Dans la revue « Les feuillets bleus » paru dans son N° 302 du 6 Juillet 1935 un curieux roman inédit, jamais publié en volume et intitulé « La révolte des volcans » de Camille Audigier. Cet auteur fut déjà coupable d’un texte nous intéressant plus particulièrement « Les mystères de Vichy » (Editions Excelsior 1932), une histoire de lutte impitoyable entre un professeur et une civilisation souterraine composée d’un conglomérat de Kobolds et d’Atlantes renégats sous le commandement de Moukine, un dangereux Bolchévik aux ambitions plus que douteuses. Dans « La révolte des volcans », nous seront une de fois de plus aux prises à une civilisation intra-terrestre, descendants de Romains, qui possèdent une étrange substance capable de réveiller les volcans. Ce monde illuminé par un soleil central accueille l’arrivée de nos héros, annoncés par une prophétie, comme un signe funeste qui ne va que majorer la tension existant entre les deux peuples occupant le centre de la terre. Ces diverses tensions vont provoquer un guerre terrible dont l’issue fatale sera rien de moins que la destruction de notre planète. Raconté sous forme de journal, le récit n’a rien perdu de son efficacité et de son originalité. Ce texte fut réédité par les éditions « Apex » dans la collection « Périodica » en 1993 (tirage limité à 250 exemplaires)
Mais ces « Feuillets bleus » connurent au moins la publication de deux autres textes conjecturaux. « La contrée aux embûches » de Rosny Jeune N°226, Janvier 1934, roman d’aventure mâtiné de civilisation disparue (survivance d’un peuple Inca) et pour ma part, un autre texte plus passionnant toujours de J.H.Rosny Jeune :« L’énigme du redoutable ». Il s’agit ici d’une réédition puisque celui-ci paru à l’origine en 1930 aux éditions Crés dans la série « Aventures ». Il y est également question d’un peuple non pas souterrain, mais sous-marin, avec l’histoire d’une île bretonne ayant complètement été engloutie il y a plusieurs siècles mais qui, en se renversant constitua une véritable cloche où les descendants vivent depuis isolés en parfaite autonomie. Les « Douariens » sont des créatures ayant évoluées physiquement en raison de leur adaptation dans les fonds sous marins, une morphologie assez longiligne et un visage aux traits étirés. Ils y ont développé la culture intensive de champignons géants afin de subvenir à leurs besoins alimentaires, ainsi qu’un énergie inépuisable s’appuyant sur le radium. Une merveilleuse technologie que les héros de cette sympathique histoire vont découvrir avec ravissement. D’un naturel doux et pacifique et désirant se faire connaître des hommes un émissaire « Français » seront chargé de retourner en surface à bord d’une sphère construite par les savants Douariens et porter un message de paix au gouvernement Français. Visiblement cette civilisation des grands fonds préfère s’attirer les faveurs de notre beau pays plutôt que celles de l’Angleterre qui elle aussi revendique la découverte de cette extraordinaire société.
« L’énigme du redoutable » fut réédité en 1941 chez Albin Michel collection « Les belles aventures » avec de jolies illustrations d’un certain A.R. Rosny jeune sera également à l’honneur dans cette collection puisque en 1948 paraîtra « La contrée aux embûches ». Toujours dans la même collection, je vous recommande chaudement la lecture du roman de Yambo « Manuscrit trouvé dans une bouteille » dont vous trouverez un résumé sur les pages de ce blog
Illustrations Intérieures pour « L’énigme du redoutable » Editions Albin Michel
Les publications anciennes regorgent d’images insolites et d’inventions assez loufoques. Il n’était alors pas rare de voir quelques idées saugrenues prendre forme et ce, pour améliorer le confort de notre vie quotidienne. Tous les domaines étaient alors ainsi explorés et comme vous pouvez le constater sur cette image, la vie à la ferme ne fut pas oubliée.
« Nos pauvres ancêtres qui avaient des poulaillers, alors qu’il était si simple d’avoir une machine à poulets ! »
Plus que la fameuse machine à couver et à faire éclore les poussins, c’est surtout la façon dont on « gonfle » en premier plan les poules que je trouve assez insolite.
Dessin extrait de la revue « Je sais tout » du 15 Mars 1914 et réalisée par Hesketh Daubeny
Avec ce nouvel article signé du toujours prolifique Jean Cabanel et paru dans le numéro 131 de la revue « Le Tryptique », c’est à nouveau un vibrant hommage à ces écrivains de l’imaginaire, pères fondateurs du « merveilleux scientifique », qui vient ainsi d’être rendu. La particularité de ce journaliste à la plume acerbe et bien trempée, est d’avoir en l’occurrence rencontré Rosny Ainé de son vivant, d’avoir été un de ses contemporains et d’en parler avec je pense, la plus grande des objectivités. Si le critique met en doute les qualités de certains romans de Rosny Ainé, ce qui me parait assez légitime en raison de la grande production de l’auteur, il ne tari par contre pas d’éloges pour toute la partie « extraordinaire », en vantant des œuvres phares comme « Les Xipéhuz » ou « La mort de la terre ».
Cette mise en revue de la carrière de l’écrivain, met ainsi le doigt sur une partie difficile de sa vie où Rosny semblait avoir quelques difficultés financières car ne bénéficiant pas semble t-il, de toute la renommée nécessaire à alimenter la marmite. Une révélation incroyable lorsque l’on sait tout le génie littéraire et la grande hardiesse des thématiques utilisées par cet admirable écrivain. Visiblement, encore un de ceux qui ne furent pas reconnus de leur vivant et il n’était que justice de lui rendre ainsi hommage et de lui rendre, par l’article de Jean Cabanel et par cette mise en ligne, un hommage supplémentaire et de conseiller vivement la lecture de son œuvre conjecturale, à tous les lecteurs qui ne se seraient pas encore adonnés à la lecture de son œuvre inventive, poétique et bien souvent dramatiquement désespérée. L’homme n’est que de passage, n’est qu’une étape dans le tourbillon puissant et inexorable de la vie !
J.H.Rosny Ainé
Mort, J.H. Rosny aîné ? Mort ? Voilà qui est difficile à concevoir. Mort, celui qui a écrit le roman de la préhistoire et que son goût pour l’anticipation a conduit à décrire les derniers jours de la Terre ? Il semblait que ce mage, cette espèce de grand Tibétain voûté, cet Assuérus des faubourgs de l’Univers ne devait mourir qu’avec la matière même du monde dont sa substance était faite. Il avait depuis quelques années renoncé au prodige facile de sa barbe de houille et ce grand vieillard blanc semblait, non pas défier le Temps, mais être secrètement à sa mesure. Compère et compagnon. Les mondes pouvaient se défaire, les siècles pouvaient accumuler les cataclysmes, J. H. Rosny aîné se contentait de changer de couleur. On pouvait aussi bien imaginer un Rosny Vert comme un gazon anglais aux temps tragiques où, suivant l’image du poète, l’absence aurait «pris la place des choses».
Mort, J.H. Rosny ? Mort, vraiment ? Entre- nous, j’ai bien l’impression que cette sorte d’anticipation ne présage rien de bon pour notre planète. S’il a vraiment disparu celui qui était si visiblement en accord avec la Terre c’est que notre petit Univers n’en a plus pour bien longtemps. Qui nous dit, d’ailleurs, que ces énergies obscures qui favorisaient le règne minéral, artisan de l’anéantissement des hommes, des bêtes et des plantes, n’ont pas commencé leur oeuvre et que l’accumulation dans le monde entier des monstrueuses masses d’aciers et de ferrailles fiévreusement forgées et hâtivement rassemblées ne constituent pas à hâter la venue des fameux Ferro-magnétaux qui, parait-il, doivent présider à la mort de la Terre ? J.H. Rosny, connaissait bien leur pouvoir s’est sans doute sacrifié volontairement par voie d’euthanasie, et sa disparition doit être à plus d’un titre considérée comme le suprême avertissement.
Sous son aspect proprement humain il fut l’extraordinaire exemple d’un écrivain étoffé par ses dons et qui, ayant écrit plus de soixante volumes dont plusieurs auraient suffi à soi seul à faire la gloire d’un écrivain, n’a cependant pas tenu durant sa longue vie la place qui lui était promise. Soixante volumes. Des romans sociaux, des romans psychologiques, des études de moeurs, des romans préhistoriques, des romans d’aventures, des romans spirites, des études philosophiques, des contes et des nouvelles. Il a été tenté par tous les genres. Il a réussi dans tous. Tout le monde connaît au moins de nom, « Nell-Horn », « Marthe Baraquin », « Les Xipéhuz », « Le Bilatéral », « La Vague Rouge », « Vamireh », « La Guerre du Feu », « Le Félin Géant », « Daniel Valgraive », « La Mort de la Terre ». Or, à 84 ans, auteur de tant d’ouvrages, président de l’Académie Goncourt, J.H. Rosny aîné, meurt pauvre. Ces dernières années l’Etat, qui cependant n’en a guère l’habitude, s’était débrouillé pour lui faire une petite pension. On peut penser d’ailleurs que si, de même que les Goncourt, il eût possédé une certaine aisance, ou comme si Zola, il eût pu gagner de l’argent avec ses livres – n’est-il pas stupéfiant de voir que « les Xipéhuz » n’en sont aujourd’hui qu’à leur cinquième édition ? – son oeuvre eût gagné en qualité, car le souci du pain quotidien amène parfois les plus grands à ces besognes alimentaires qui finissent par gâcher le meilleur. Dans « Le Termite », roman de moeurs littéraires paru en 1890, où J. H. Rosny fait apparaître les hommes de l’école réaliste, le principal personnage, Servaise, s’écrie : «Ah ! Le livre qui me donnerait l’estime lettrée et le pain ensemble». Mais aussitôt après, fièrement, il ajoute : «Quelle blague ?… Le pain, c’est la prostitution !» Encore faut-il pouvoir être fier, et aussi ne pas trop vieillir. Laissons donc les livres médiocres, de J.H. Rosny. Dans cette production considérable, abandonnons le déchet. Le bonhomme juché sur 5 ou 6 livres est encore assez grand pour dépasser de cent, de mille coudées ces génies saisonniers qui hier encore poussaient comme champignon certaines nuits d’octobre chez des éditeurs à la page.
Lui a-t-il manqué à ce Rosny aîné pour s’assurer une gloire indiscutée ? Il y eu cependant un magnifique départ littéraire, avec « Nell-Horn », « Le Bilatéral », « Marc Fane ». Un départ comme celui dont bénéficia Paul Adam. Or, il est aussi difficile aujourd’hui de relire le « Mystère des Foules » ou « Les Lions que de relire « Le Bilatéral » ou « Marc Fane » alors que « Germinal », « La Bête Humaine », « Pot- Bouille » et tant d’autres livres de Zola se relisent sans peine. Et cela tient sans aucun doute à l’écriture.
Influencé à la fois par Concourt et par Zola au début de sa vie littéraire, Rosny aîné s’est laissé prendre au truc de l’écriture artiste et, dans son oeuvre violente et passionnée, on est souvent rebuté, fatigué par un style encombré, un vocabulaire démode qui pourrait figurer au Petit Glossaire de Plowert. Dans « Le Termite », qui est de 1890, Rosny se pose déjà la question. Il s’imagine sous le nom de Myron, jeune auteur des « Emeutiers » {Le Bilatéral) recevant les compliments de Foubreuse (Goncourt) : «J’ai lu vos Emeutiers, Myron, je suis de l’avis de Guadet (Daudet). C’est très fort. Mais vous exagérez la description et puis, ces termes… J’en arrive à ma demander si je n’ai pas abusé de l’écriture, si le talent suprême ne serait pas d’écrire très simplement des choses compliquées». Et le jeune disciple discute : «Pardon, cher maître… mais vraiment, vous y croyez à ce fameux simple ? N’admettez-vous plus (comme dans vos préfaces) qu’à de nouveaux ordres de sensations correspondent des torsions nouvelles de la forme, des attitudes de phrases, et que la langue qui exprime en somme des vies d’époque, qui est une sécrétion d’êtres organisés, se complique avec la complication même de ceux qui s’en servent pour transporter leur être au dehors.»
(Grand merci pour «les torsions nouvelles de la forme !») Et Myron-Rosny continue : «Cher maître… je vous défends contre vous-même lorsque je dis que, dans une vingtaine d’années, votre langue sera classique et qu’il y à toute une série de sensations propres à notre temps dont vous avez trouvé la forme rigoureuse, presque la seule forme possible». Or, la langue des Goncourt n’est pas plus classique en 1940 qu’elle ne l’était en 1910, terme fixé par le jeune Myron. On relit difficilement Manette Salomon, Charles Demailly et Renée Mauperin alors que la langue d’un Maupassant, d’un Flaubert et même d’un Zola qui n’a jamais subi le supplice de la torsion reste aujourd’hui ce qu’elle fut toujours : classique.
Mais écoutons encore l’impétueux Myron auquel le maître vient de répondre qu’il y a une limite et que certains termes scientifiques «tuent net l’impression» : «Termes de science ou d’architecture, physique ou peinture, qu’importe ! C’est le même procédé à travers les siècles… Enrichissement de l’art de tout ce que produit le temps… Elargir les éléments de beauté en les cherchant dans tous les domaines de l’activité humaine…»
Tout Rosny est là. Tumultueux et visionnaire, cet écrivain ne pouvait arriver à s’évanouir devant les japoneries des patrons, encore moins à s’intéresser aux moeurs et aux modes du XVIIlème siècle. Le grouillement des grandes cités humaines et bientôt le grouillement des mondes eux-mêmes, leur naissance et leur mort c’était cela son aliment. Et les mots allaient éclater au contact du sujet. La qualité d’un écrivain comme Rosny aîné c’est le sentiment de sa grandeur.
Alors que tous ses compagnons de l’école symboliste et naturaliste Zola excepté, avaient surtout la préoccupation de réduire leur champs de vision et d’humilier leur sujet, la tendance naturelle de Rosny est vraiment la magnificence. C’est un romantique et l’image poétique lui vient avant tout autre. Le contraste avec Huysmans est frappant. Voyez l’oncle de Marc Fane examiner une tranche de pain. «… des pertuis, des petites fossettes ovalaires, des abîmes irréguliers, un tunnel, une caverne en dôme, aux murailles d’ivoire, où parfois se profilait une stalactite capillaire. – C’est, dit l’oncle, tout le travail d’un monde, un système de cavités opéré par l’expansion vigoureuse du gaz intérieur… alors que la pâte était molle encore… une origine analogue à celle de notre croûte terrestre, en somme… Rêveur une minute devant la petite table carrée et blanche, l’expression de son regard était belle et paisible. Il déposa la tranche, prit le grand pain long, intéressé candidement. La croûte était vernie, quasi couleur de vieille paille, et sur cette attrayante surface, l’idée d’un monde se pouvait poursuivre. Vais âpres, ravins dominés de rocs, escalades de ponts frêles et les arêtes brunes d’un versant, descendant, remontant, étageant des chaînes de pics. De la lame large de son couteau, l’oncle coupa d’autres tranches, saisit une motte de beurre semblable, par le ton et la reluisance, aux pétarade d’une populage et il confectionna, pour chacun, le dessert, fosses, abîmes, cavernes disparurent sous l’onctueux condiment…»
Que nous voilà loin de l’imagination morose devant son potage et son omelette ! De même qu’un morceau de pain évoque l’image d’un monde en formation, un paysage parisien peut se transformer en univers fantastique et dans telle description apparaîtront à la fois les qualités et les défauts d’un naturalisme romantique trop soumis au verbe rare : «Dans la taciturnité des rues, ils rôdèrent comme en un ravin de montagne. Les moires ombreuses du sol arrivaient de l’assèchement de quelques pavés en relief, pâles comme des vertèbres de mégalosaures échoués là depuis les âges.. Les petites mares chaviraient ainsi que de colossales prunelles carnassières. Les falaises crayeuses des maisons s’évaporaient tristement dans la ténèbre firmamentaire. Parmi des tulles, surgissaient deux ou trois astérismes hydratés, aux lueurs rajeunies. Honoré levait les yeux, avec l’amour des luminosités nébulaires de certaines fenêtres d’où semblaient sourdre un chuchotement de béatitude, des voluptés de refuges effarés du sombre de telle façade, un noir de sépulcre de sommeils profonds, presque mortuaires…» Disons-le tout net, c’est un «style»insupportable et nous avons soif de simplicité. Mais cet exemple nous fait toucher du doigt la source de l’imagination d’un Rosny-aîné qui voit tout sous l’angle cosmogonique. Chez les humains il s’intéresse à ceux qui veulent détruire ou reconstruire le monde social. Une société n’est-elle pas faite de tâtonnements et d’évolutions obscures; n’a-t-elle pas besoin pour son développement de la fermentation des idées comme la terre elle- même a besoin de la fermentation de la matière ? Ainsi le réalisme d’un Rosny est toujours imprégné de rêves et souvent submergé par le rêve, la science chez lui, contrairement à Zola, est une passion poétique. Il l’a dit lui-même : «La science m’ouvre par myriades des défilés ou des pertuis dans l’univers; elle ne m’apparaît jamais morte ce sont les possibles de la science qui me saisissent et sont la pâture de mes chimères, comme les faits de l’histoire et de la vie quotidienne». En somme une tête philosophique et épique en même temps. Et c’est pourquoi le romancier de « Nell-Horn », ce chef d’oeuvre, qui est aussi l’auteur d’une théorie du pluralisme, soeur des «hypothèses» d’Henri Poincaré et des «hasards» d’Emile Borel, sachant les humains de notre temps vraiment trop veules, se réfugie voluptueusement dans les temps préhistoriques où l’iguanodon et le plésiosaure se traînaient dans les campagnes lavées par les mers, et dans les temps futurs où la disparition des eaux : mers, lacs et fleuves annonce cet âge purement minéral où ni l’homme ni la bête n’auront plus leur place.
Je ne sais si aucune oeuvre de littérature du merveilleux, que ce soit celle de Wells, celle de Maurice Renard ou celle de Gustave Le Rouge, est comparable à ces « Xipéhuz » qu’écrivit au début de sa vie littéraire, comme en se jouant, J.H. Rosny aîné. Poétiquement parlant, ce petit livre domine certainement tous ceux qui ont été écrits depuis. On est allé jusqu’à dire que l’auteur de « La Guerre des Mondes » s’était inspiré des « Xipéhuz » et du « Cataclysme ». Très loyalement J.H. Rosny a tenu à remettre les choses au point : «Je suis enclin à croire» a-t-il écrit «que Wells n’a lu aucune de mes oeuvres. La notoriété des « Xipéhuz » de « La légende sceptique », du « Cataclysme », etc… était négligeable à l’époque où il se mit à écrire. Et quand il aurait lu mes modestes livres, je nierais tout de même qu’il en eût subi l’influence : « La guerre des mondes » et « L’ile du Docteur Moreau » sont des oeuvres originales, qu’il faut admirer sans réserve. D’ailleurs, il y a une différence fondamentale entre Wells et moi dans la manière de construire des êtres inédits. Wells préfère des vivants qui offrent encore une grande analogie avec ceux que nous connaissons, tandis que j’imagine volontiers des créatures ou minérales, comme dans les « Xipéhuz », ou faites d’une autre matière que « Notre » matière, ou encore existant dans un monde régi par d’autres énergies que les nôtres : les Ferro-magnétaux, qui apparaissent épisodiquement dans « La mort de la terre », appartiennent à l’une de ces trois catégories».
Ce qu’il convient d’ajouter à cette mise au point c’est que, contrairement à Wells et à ceux qui se sont, comme Maurice Renard inspiré de son merveilleux scientifique, il n’y a pas, dans le merveilleux de J.H. Rosny, place pour l’humour. Les choses sont prises, ou semblent prises fort au sérieux et le secret de ce sérieux c’est qu’elles demeurent toujours sur le plan poétique. Au fantastique de « L’Homme Invisible », se mêle quelques côtés grotesques parce que le merveilleux tente de s’inscrire dans l’humain et dans le social. L’homme qui a réussi à devenir invisible ne l’est totalement que lorsqu’il est nu. Or, dans ce costume il attrape un rhume et sa toux révèle sa présence. Et s’il enfile un pantalon on voit ce vêtement marcher comme un homme. De même l’Ange de « La Merveilleuse Visite » semblera bossu parce qu’il aura beaucoup de mal à dissimiler ses ailes sous son veston. Le merveilleux scientifique de Wells comporte en lui-même une critique du merveilleux. Voyez quelle bonne farce, semble dire Wells en allant volontairement jusqu’à l’extrême logique de son invention. J. H. Rosny se soucie peu de la logique, et prudemment il écarte tout le bric à brac dont s’encombre le réalisme de Wells pour s’en tenir à la poésie. Wells pourrait être illustré par une sorte de Robida. Et voyez ce film si habilement tiré de « L’Homme Invisible ». C’est une bande comique.
Le meilleur de cette horrible histoire, le meilleur de ce conte philosophique y fait défaut malgré l’admirable trucage. Je défie bien quiconque de tirer un bon film des « Xipéhuz » ou de « La Mort de la Terre. Dans le premier récit il s’agit de la lutte que les hommes curent à mener dans l’origine des temps pour obtenir la suprématie terrestre contre une race d’êtres géométriques acharnés à détruire tous les êtres vivants indistinctement. Dans « La Mort de la Terre » nous voyons les derniers hommes parqués dans quelques oasis distants entre eux de milliers de kilomètres et victimes du manque d’eau, luttant pied à pied contre le désastre, mais finissant épuisés par céder la place aux ferro-magnétaux. Le minéral vaincu pendant des millions d’années par la plante et la bête prend ainsi une revanche définitive. Les ferro-magnétaux, de même que les Xipéhuz, sont d’ailleurs des êtres organises dont la composition simpliste n’admet qu’une substance : le fer, mais dont l’état magnétique est d’une complication et d’une instabilité continuelles. Le voisinage de ces êtres qui se meuvent avec lenteur tend à détruire le sang des humains en lui enlevant ses globules rouges qui, réduits à l’état d’hémoglobine pure, s’accumulent à la surface de l’épiderme et sont ensuite attirés vers les ferro- magnétaux qui les décomposent et «vraisemblablement» les assimilent. Mais la plus grande ennemie de l’homme c’est la sécheresse; l’eau au cours d’effroyables cataclysmes a disparu de l’écorce terrestre, les dernières sources se tarissent, s’obstruent et l’heure de la mort s’inscrit au niveau des grands réservoirs, eux-mêmes un jour renversés par une secousse sismique. Targ est le dernier homme sur la terre et il va mourir :
«Assis sur un bloc de porphyre, il demeura enseveli dans sa tristesse et dans son rêve. Il refaisait une fois encore, le grand voyage vers l’amont des temps, qui avait si ardemment exalté son âme… Et, d’abord, il revit la mer primitive, tiède encore, où la vie foisonnait, inconsciente et insensible. Puis vinrent les créatures aveugles et sourdes, extraordinaires d’énergie et d’une fécondité sans borne. La vision naquit, la divine lumière créa ses temples minuscules; les êtres nés du soleil connurent son existence. Et la terre ferme apparut. Les peuples de l’eau s’y répandirent, vagues, confus et taciturnes…. Puis la planète laissa prospérer l’homme : sont règne fut le plus féroce, le plus puissant et le dernier. Il fut le destructeur prodigieux de la vie. Les forêts moururent et leurs hôtes sans nombre, toute bête fut exterminée ou avilie. Il y eu un temps où les énergies subtiles et les minéraux obscurs semblèrent eux-mêmes esclaves; le vainqueur capta jusqu’à la force mystérieuse qui a assemblé les atomes… La nuit venait. Le firmament montra ses feux charmants qu’avaient connus les yeux de trillions d’hommes. Il ne restait que deux yeux pour les contempler !… Targ dénombra ceux qu’il avait préférés aux autres, puis il vit encore se lever l’astre ruineux, l’astre troué, argentin et légendaire, vers lequel il leva ses mains tristes… Il eut un dernier sanglot; la mort entra dans son coeur et, se refusant l’euthanasie, il sortit des ruines, il alla s’étendre dans l’oasis, parmi les ferro-magnétaux… Ensuite, humblement, quelques parcelles de la dernière vie humaine entrèrent dans la vie nouvelle».
Voilà, où je me trompe fort, de la véritable grandeur. Cet acharnement à «faire grand» devait être d’ailleurs scandaleusement entravé par le déplorable insuccès de librairie des oeuvres véritablement puissantes de cet écrivain. « Nell- Horn » lui avait je crois dans ces débuts rapporté deux cent cinquante francs. Sa noblesse, sa grandeur furent trop souvent étouffées par la copie, hideuse et dévorante viorgne et cependant les jours sombres de ses débuts qui se confondirent avec le crépuscule d’une gloire sans lecteurs le trouvèrent sans amertume. Dans ses souvenirs, il a écrit : «Je ne regrette pas d’avoir connu ces jours noirs; ils donnent à la vie une âpre poésie et une signification si intense que je me demande parfois si ceux qui subissent jamais la misère peuvent réellement connaître ce qu’il y a d’essentiel dans l’âme». Et il ajoute : «Comme un autre, j’ai connu l’illusion de la gloire et de la postérité. Pas longtemps. Non que je manquasse d’orgueil ni même de vanité : la nature m’a bien pourvu de ces dons naturels à l’homme de lettres. Seulement mon orgueil et ma vanité n’existent que devant les individus. Je suis modeste, même fort humble non seulement devant la nature, mais encore devant les ensembles sociaux». Voilà donc un sage et cet écrivain qui n’a jamais connu le découragement, n’a jamais envié ceux de ses confrères qui se trouvaient à l’abri du besoin.
Chez lui, une opiniâtreté extraordinaire l’a maintenu debout au milieu des désastres. Tel il m’est apparu quand il y a dix ans, je suis allé le voir rue de Rennes et qu’il me faisait le coup de la chaise tenue à bout de bras, tel il est toujours demeuré dans son métier d’homme de lettres. Son bras tremblait plus qu’il ne voulait le dire et la chaise n’était guère horizontale, mais il ne voulait pas s’avouer vaincu. J.H. Rosny l’acharné. Et les petites misères de la vie, la médiocre copie donnée de-ci de-là aux journaux, est-ce que cela comptait au prix de son rêve intérieur, au prix de cette vision du monde qui, pour n’être pas métaphysique, emplissait cependant son cerveau et faisait battre son coeur toujours aussi sensible à la chose vivante ! Ce coeur plus près d’ailleurs des bêtes que des hommes. Car ce n’est pas sans apparence de raison qu’Ernest Lajeunesse dans son si curieux livre de critique, Les Nuits, les Ennuis et les Ames de nos plus Notoires Contemporains, précurseur des pastiches de Reboux-Muller et Yves Gandon, a fait dialoguer J.H. Rosny avec un Mammouth venu lui rendre visite à Paris.
Visionnaire ! Mais il me semble que je le deviens.
Dans l’autre monde, Rosny aîné est reçu par Naoh, le fils du léopard, armé de son épieu flattant le poitrail étroit d’une hémione; les Mammouth font la haie d’honneur, dansant sur leurs pieds immenses et dressant leurs trompes velues semblable à des arbres-serpents; Aoûn à cheval sur le Félin géant salue son maître. Les «Anar» du Bilatéral donnant la main à la bienheureuse Nell- Horn et à sa ravissante fillette environnée de lumières, ont composé avec les Xipéhuz un joli compliment en espéranto.
J.H. Rosny aîné s’est avancé, une barbe de feu nouée à la ceinture, au bras de Targ le dernier homme dans un jaillissement d’écume. «Ami, s’est écrié J. H. Rosny aîné, je vous reconnais et vous allez m’être bien utile. Je viens me documenter sur l’Invisible et sur l’Au-Delà pour un grand roman post-historique que m’a commandé la maison Flammarion.»
Jean Cabanel
- Voir également mon article sur « La mort de la terre » de Rosny Ainé
- Voir également les deux autres articles consacrés à la revue le tryptique : « Gustave Le Rouge » & « Maurice Renard »
Faisant suite à la mise en ligne de textes parus dans la revue « Le Triptyque » voici donc un deuxième article, toujours de Jean Cabanel, et qui méritait vraiment une exhumation de façon à ce que les amateurs fidèles de ce blog, puissent profiter de cette plume critique si affûtée. Ah ! chers amis, voilà un texte qu’il m’eut été agréable d’avoir rédigé, tellement nous avons là le témoignage de cet immense amour d’un homme pour l’œuvre d’un grand écrivain. Il y a dans ces lignes toute l’admiration et toute la nostalgie pour un genre qui est en passe de devenir obsolète, car visiblement pas aux goûts de tout le monde. Un véritable cri d’amour que l’on sent sincère et profond, nous permettant ainsi de mesurer toute la portée et l’impact immense d’une œuvre sans faille. On sent, et Cabanel ne s’y est pas trompé, que nous avions en la personne de Maurice Renard, un auteur à l’imagination puissante, rigoureuse et surtout, surtout à l’image de Rosny Ainé, poétique ! Un auteur dont nous ne vanterons jamais assez les mérites à qui nous devons les plus belles pages de l’imaginaire scientifique et sans qui ce blog n’existerait pas. Maurice Renard, fut pour moi une des grandes révélations de la littérature Française, dont l’œuvre immense doit être redécouverte afin que ce « merveilleux scientifique » qui je le répète possède de profondes et puissantes racines dans notre patrimoine populaire culturel , soit enfin réhabilité et obtienne la place qu’il mérite. Un grand merci à Mr Cabanel, d’avoir su trouver les mots justes et forts pour ainsi mettre à l’honneur un si merveilleux et admirable écrivain. En passant ainsi en revue des titres aussi prestigieux que « Le Dr Lerne sous Dieu », « Le péril bleu »,« Les mains d’Orlac », « Le voyage immobile » ….c’est l’évocation de toute l’identité même de nos territoires de l’imaginaire auxquels se rajoutent cette note si subtile de démesure et de poésie qui firent le charme et l’originalité de ces littératures aux accents de provocations.
Lisez ce qui va suivre : Tout est dit !
Maurice Renard
Aux armes esprits agiles !
Voici que le roman du merveilleux scientifique va disparaître de notre littérature d’aujourd’hui. Maurice Renard renonce à donner une suite à cette admirable série de romans et de nouvelles où l’intelligence, l’esprit et le goût accompagnent sans défaillance dans ses vagabondages les plus téméraires une des plus belle imagination de ce temps.
On dit que ce genre est condamné par les éditeurs et par le public, quelle pitié ! Pour ma part je proteste contre cette sentence imbécile. Va-t-on laisser mourir ainsi cette fille mystérieuse de la science et de la poésie ont les parrains furent Hoffmann, Edgar Poe et Villiers de l’Isle Adam ?
Malgré l’exemple de J.H. Rosny-aîné et de Wells qui depuis longtemps ont mis la clef sous la porte de leur laboratoire, Maurice Renard avait tenu bon jusqu’ici. Il lâche aujourd’hui la rampe. Il paraît qu’on lui tape sur les doigts. Lisons ou relisons son oeuvre. Elle témoigne d’une déconcertante fantaisie et le souci de logique qui l’éclaire lui confère une terrible puissance. Grâce à Maurice Renard nous avons l’impression très nette que le mystère nous entoure. Il est là à la portée de notre main. Nous le voyons, il nous frôle et il est insaisissable. Il nous est expliqué et cependant il reste merveilleux. C’est que le talent de l’auteur est tel qu’il ne nous laisse ni le loisir, ni la force de trouver dans sa démonstration l’endroit précis où se niche l’invraisemblance.
Jeu délicieux où notre curiosité taquinée ou torturée reçoit toujours l’apaisement désiré, soit qu’elle se satisfasse d’une illusoire mais subtile explication scientifique, soit qu’elle accueille avec ravissement le prolongement poétique de savantes histoires merveilleuses.
Maurice Renard est avant tout un poète. Un récit comme celui de La « Cantatrice » où nous voyons une véritable sirène des mers prisonnière se traîner sur des béquilles pour chanter à Monte- Carlo la mélodie de l’Oiseau dans Siegfried est un conte digne d’oscar Wilde; de même « La Rumeur dans la Montagne » est un merveilleux récit, frais et troublant comme celui que Wells écrivit un jour au sujet d’un jardin mystérieux, un jour entrevu. Quant à la nouvelle intitulée « Le Balcon » elle s’apparente aux meilleurs Contes Cruels de Villiers de l’Isle Adam, et le récit du « Rendez-Vous », évoque la « Ligéia » d’Edgar Poe.
On ne saurait pour l’horreur comme pour le merveilleux, mieux choisir ses maîtres. Mais l’imagination de Maurice Renard est telle qu’étant tout à la fois Wilde, Poe, Wells et Villiers de l’Isle Adam, il sait encore demeurer lui-même.
Le jeu favori de Maurice Renard ainsi que le fait observer Georges Jamati, c’est de « démonter la machine humaine pour changer les rouages de place et voir comment l’instrument fonctionne ainsi modifié». On peut facilement imaginer l’effrayante cocasserie des résultats de pareilles expériences. J. H. Rosny-aîné, qui s’y connaît, classe l’auteur du « Péril Bleu » au premier rang des romanciers d’imagination. J’ajouterai que sa présence d’esprit ,car Maurice Renard est loin d’être un halluciné comme Hoffmann, donne à ses constructions mystérieuses un équilibre, une mesure et une logique qui en font des oeuvres très particulières et très originales. C’est un Latin et c’est un poète. A chaque instant dans ses singuliers récits qui sont réellement des invitations à la peur on rencontre de ces notations ou de ces allusions ravissantes qui sont comme un délicat signe de reconnaissance adressé aux artistes. Il semble dire : «Ne vous y trompez pas; voici qui je suis. Maintenant laissez moi faire…» C’est ainsi qu’en plein roman feuilleton de la plus délirante imagination, « Les Mains d’Orlac », au moment où les policiers éventrent un mannequin soupçonné d’avoir étranglé un peintre spirite, Maurice Renard se prend ainsi à rêver : « Mon inquiétude vagabondait dans les champs du souvenir. La fable et la réalité se partageaient mes sens, et, sans rien perdre de l’incroyable dissection, j’étais la proie d’un mirage mnémonique. Au balcon de mon rêve s’accoudait Galatée. L’androïde Hadaly traversait un jardin ou Coppélius errant agitait ses longs bras. Vaucanson les montrait tous deux à Maelzel. Puis loin, enlacés l’un à l’autre, la Vénus d’Ille et la statue du Commandeur cheminaient tendrement. Leurs pieds lourds ébranlaient le sol de ma mémoire et Pétrouchka me cornait aux oreilles son scherzo le plus fantasque ». Comment ne pas s’attendrir à ce rappel de personnages si rares ?
Ecoutons Maurice Renard décrire son champ d’observation. «Entre les épaisses ténèbres de l’inconnu et le bloc lumineux de notre savoir, il y a une zone extrêmement captivante qui est le domaine de l’hypothèse, contrée fort mince où sont dardés tous les efforts des savants et des philosophes. Cela fait une espèce de halo fantômal. C’est comme la frange de la science, le duvet de la certitude. Là, s’agitent les personnages du roman d’hypothèse, là sont allumées ces lumières qui, toutes artificielles qu’elles soient, font pour ainsi dire rayonner la connaissance sur l’ignorance et nous donner, sinon le pouvoir même, du moins l’illusion ravissante de comprendre un peu l’inexpliqué».
N’est-ce pas une belle atmosphère d’exaltation pour un romancier et pour un lecteur !
On nous priverait de cette nourriture !
Mais ce serait la revanche de Tribulat Bonhomet !
Maurice Renard est Champenois. Né par hasard à Chalons-sur-Marne il fut ramené à l’âge de deux ans dans cette ville de Reims berceau de ses ancêtres, magistrats ou marchands. Il vécut ainsi toute sa jeunesse à l’ombre de cette cathédrale aujourd’hui reconstituée comme un fossile solennel. Tout d’ailleurs est cérémonieux dans cette antique cité où tant de rois furent sacrés et dont les caves fameuses sont comme autant de formidables chapelles souterraines où se célèbre le mystère du vin blond. Marqué du signe de la fantaisie et de la turbulence, le petit champenois sut se défendre contre l’étouffement dont le menaçait toute ces importances. Il sut aimer librement cette ville qui est comme le piédestal d’une grande chose : la cathédrale et d’un grand homme : Colbert. Il a déjà rendu un hommage lyrique à cette Notre-Dame Royale qui fut la métropole nationale de la France, et il projette une Vie de Colbert. Il aura ainsi glorifié pieusement et magnifiquement la ville qu’il aime.
Il y demeure jusqu’à son adolescence et vient à Paris pour suivre les cours de l’Ecole Monge, institution aristocratique où la culture physique est en grand honneur, et où se trouvent en même temps que lui, sans qu’il les connaisse, Zamacoïs et Bernstein. Il est le premier en composition française et en gymnastique, mais il ne songe à ce moment qu’à une chose : aux vacances qu’il ira passer à Hermonville dans la région champenoise. Il pense avec tristesse que ses parents veulent faire de lui un magistrat. Il avait depuis longtemps fait un autre rêve : celui d’être écrivain. En secret il a déjà écrit des poèmes et des drames lyriques. Ses poèmes d’ailleurs ont un son tout particulier depuis qu’il a découvert Edgar Poe. Déjà il aimait «l’inexpliqué, le futur, le possible et d’abord la divine, exquise et prestigieuse hypothèse, qui, projetant sur toute nuit maint rayon fantaisiste attache parmi nous en costume nouveaux, la légende et la fable».
Hélas ! Il fait son droit, entre comme clerc amateur chez un avoué. Fait un stage d’avocat. Le rêve va-t-il finir ? Le père magistrat veut une robe d’avocat pour son fils qui ne songe qu’à celle de Merlin. Un rabat, de la peau de lapin, une toque ? Il voudrait des étoiles d’or, des planètes d’argent et un chapeau pointu. Le père s’obstine. Le poète tient bon. Voici le régiment. Maurice Renard dragon, passionné pour le cheval, songe un instant à choisir les armes plutôt que la toge. Mais il s’aperçoit vite que le métier militaire ne s’accorde guère avec la liberté. Il se laisse libérer et, surprise heureuse ! sa famille ne s’oppose plus à ce qu’il soit homme de lettres.
Homme de lettres il l’était déjà car il avait, tout en pâlissant sur le Planiol et le Tripier composé des poèmes et même fait jouer à l’Athénée St-Germain, par les élèves de l’acteur Céalis de l’Odéon une pièce en vers intitulée : « La Langouste, Boutade Pathologique en un Acte et Six Hallucinations ».
Le théâtre avait toujours été sa grande ambition, et dès 1898 avec des amis il avait organisé une scène d’ombres pour laquelle il composait des pièces. Ernest Lefèvre-Dévodé en écrivait la musique. André Philippe, actuellement archiviste du département des Vosges et Charles Montaland, aujourd’hui architecte de la vile d’Alger dessinaient les personnages et peignaient les décors. Ce théâtre d’ombres avait une technique très supérieure à celle du Chat-Noir, et utilisait des projecteurs multiples qui faisaient de ce spectacle un régal de choix. Je ne désespère pas d’ailleurs
d’assister un jour à une reprise de ces séances merveilleuses interrompues en 1913. La passion qu’a voué Maurice Renard au cinéma depuis la guerre ne peut que lui donner le désir de ressusciter pour un instant ces premiers films parlants.
Mais en 1905 lâchant soudain les poèmes et le théâtre il publie chez Pion, sous le pseudonyme de Vincent St-Vincent, son premier recueil de contes fantastiques : « Fantômes et Fantoches ». Il n’a à ce moment pas d’autres relations littéraires que François Coppée et Edmond Haraucourt. Sous son véritable nom il publie en 1908 au Mercure de France « Le Docteur Lerne, Sous-Dieu » qui est dédié à Wells. Ce livre merveilleusement hallucinant obtient un énorme succès. Il est bientôt suivi de deux autres volumes : « Le Voyage Immobile » recueil de nouvelles édité par le Mercure, et « Le Péril Bleu », magnifique roman d’hypothèse. Dès lors Maurice Renard a sa place marquée dans le monde des lettres. La qualité de son imagination, la valeur poétique de ses écrits lui attirent des amis et des admirateurs. Il fonde en 1911 «La Vie Française», revue des poètes et groupe autour de lui : Léo Larguier, René Fauchois, Jeannne Landre, Pierre Benoit, Charle Derenne, André Dumas et Aime Graffigne. Il collabore en même temps à d’autres revues et notamment à cet étonnant «Spectateur», dirigé par son neveu René Martin-Guelliot et qui comprenait dans son comité de direction : Vincent Muselli, Jean Paulhan et Guillaume de Tarde. Les préoccupations de ces «spectateurs» devaient d’ailleurs particulièrement séduire ce passionné de logique qu’est Maurice Renard. Il s’agissait d’étudier dans leurs applications à la vie quotidienne le jeu des opérations logiques de l’esprit. Il s’agissait de constituer une grammaire des idées et une jurisprudence des raisonnements. Curieuses recherches que tente actuellement de reprendre Jean Paulhan dans la «Nouvelle Revue Française» et sur laquelle nous reviendrons à loisir.
En 1913 Maurice Renard donne un nouveau recueil de contes : « Monsieur d’Outremort » et c’est la guerre. Merlin,métamorphosé en officier de cavalerie, selle son cheval le 2 août 1914. Il ne rentre dans son silencieux appartement de la rue de Tournon que le 6 janvier 1919. Il ne rapporte qu’un livre de cette chevauchée fantastique, cette « Notre- Dame Royale », qui, parue tout dernièrement, vient de recevoir le prix Thérouanne.
Jusqu’ici Maurice Renard, gentilhomme des lettres et enchanteur avait vécu pour écrire. En 1919 il s’agit d’écrire pour vivre. Il se met à la besogne. Il publie « Les Mains d’Orlac » (qui ont été filmées en Allemagne avec Conrad Weidt), « L’Homme Truqué », « Le Singe », « Lui ? » (Actuellement mis à l’écran par la maison Sofar), « L’Invitation à la Peur » et « Un Homme Chez les Microbes ». Il va bientôt faire paraître « Le Carnaval du Mystère » recueil de contes et de drames qui sera son testament de romancier fantastique. Il travaille en effet à un roman sentimental qui s’appellera « Parce que je vous Aime,. ! »
Fini le merveilleux, fini le mystérieux, fini tout ce beau jeu pour grandes personnes intelligentes ! Ne se trouvera-t-il pas un éditeur qui commandera quand même à Maurice Renard un nouveau « Voyage Immobile », un nouveau « Péril Bleu », un nouveau « Docteur Lerne » ?
En vérité, va-t-il falloir créer une ligue pour la défense et l’illustration du roman d’hypothèse.
Hélas, l’effort serait vain sans doute, car Maurice Renard qui a lui-même fondé un prix pour le meilleur roman du genre ne trouve pas le candidat.
Il ne nous reste plus qu’à relire Edgar Poe, Hoffmann, Villiers de l’Isle Adam, Wells, Rosny Ainé et Maurice Renard.
Et nous les relirons toujours avec un plaisir nouveau.
Jean Cabanel
La revue « Le Triptyque, Lettres- Arts- Sciences » est un mensuel dont la parution s’échelonne de 1927 à 1940. Tout comme cette autre revue au contenu passionnant « Aesculape » dont il nous faudra un jour faire l’inventaire complet, le « Triptyque » était réservé au corps médical ce qui explique l’abondance outrancière de moult pages publicitaires vantant les mérites de tel ou tel médicament . Ce sont les Laboratoire des Produits « Scientia » qui éditèrent cette élégante revue mensuelle et ce, aux Imprimeries Jules Simon.
Tout l’intérêt pour les amateurs de littérature que nous sommes et plus précisément de celle dérivant vers la conjecture, est qu’elle fut assez généreuse en ce qui concerne notre domaine puisque plusieurs numéros furent consacrés à des auteurs, connus des passionnés et dont la réputation n’est plus à faire. Ces articles furent signés par Jean Cabanel, critique littéraire, qui visiblement connaissait son affaire, pour preuve ceux dont vous allez avoir la reproduction sur quelques billets de ce blog. Ces derniers sont intéressants sur bien des points car ils mettent en exergue non seulement les qualités, mais également les défauts des auteurs, dont il nous cite quelques anecdotes qui ne sont pas pour nous déplaire. Témoignages supplémentaires s’il en faut, du talent de noms aussi vénérés que Alexandre Arnoux (N°64),Maurice Leblanc (N°126), Cami (N°69) , Pierre Very (N°76),Maurice Renard (N°24) ou J.H.Ronsny Ainé (N°131)…
A tout seigneur tout honneur nous allons donc commencer par notre cher Gustave Le Rouge dont Cabanel nous dresse un tableau fort plaisant, à l’image de ce fascinant personnage que nous aimons tous pour ce goût si prononcé de l’aventure et de l’imaginaire scientifique. Cet article fut publié dans le numéro 15
Gustave Le Rouge
- «Alors petit, ton grand oncle au large des côtes de la Bretagne fut pris un jour par des pirates Espagnols, devint cuisinier de ces messieurs et, quelques mois plus tard, fut débarqué sur le territoire de la République Dominicaine. Il s’évade, franchit la frontière, est accueilli par les Français, et en peu de temps devient un personnage considérable, archimillionnaire, propriétaire de plantations et de quatre cent nègres. Mais, nom d’un tonnerre ! Il était dit que tout cela devait mal finir. Ce sacré Toussaint Louverture fomente une révolution et ton grand oncle est scié un beau matin, entre deux planches d’acajou…»
Le petit Gustave Le Rouge écoute son oncle, capitaine au long cours, raconter cette charmante histoire de famille. Ils sont tous deux sur un beau bateau dont les voiles se gonflent au vent de la mer. On est loin de la rade de Cherbourg, encore plus loin du collège où l’apprenti marin fait ses études. On ne voit que la mer et le ciel.
Encore une histoire mon oncle !
Suffit. Je vais plutôt te chanter ure chanson. Ecoute, fiston, et tâche de te fourrer cela dans le caberlot :
II était une frégate, Larguez le ris !
Qui s’app’lait la Danaé…
Ah ! La belle existence ! Comment aimer autre chose que la mer, les marins, les aventures les naufrages, les nègres et les îles désertes ? D’ailleurs, dans ce sinistre collège de Cherbourg, on joue déjà un peu au pirate. Les petits camarades sont, pour la plupart, de jolis chenapans renvoyés de toutes les autres institutions. Il y a des Corses, des Flamands, des Alsaciens, des Roumains, des Argentins, et quand tout cela se mutine il faut appeler un piquet d’infanterie de marine pour rétablir un ordre provisoire.
Cette atmosphère de ponton chauffe terriblement les tempes du petit Le Rouge, mais un événement va brusquement faire naître en lui une agitation d’une toute autre nature.
Un matin, c’est en février 1883, les élèves de rhétorique du collège de Cherbourg voient arriver leur nouveau professeur de lettres. C’est un nommé Jules Tellier, un tout jeune homme qui n’a pas vingt ans mais qui arbore une extraordinaire cravate. S’adressant à sa classe d’une voix douce et désenchantée, il commence par faire cette étrange déclaration : «Mes amis, je ne, viens pas ici pour vous raser avec le bachot, mais pour essayer de vous donner l’amour des lettres…» Et aussitôt il se met à réciter du Victor Hugo. C’est un ravissement général. Les cancres se découvrent en très peu de temps un goût prononcé pour la littérature. Quant à Tellier, magnifique, il prête de l’argent aux plus pauvres pour leur permettre d’acheter des livres de vers.
La contagion gagne les autres classes et Gustave Le Rouge décide que lui aussi il sera poète. Son père qui aurait voulu se consacrer à la peinture et qui, pour vivre, est obligé d’être artisan de village lui conseille de faire son droit. Pourvu de son diplôme de bachelier, l’amoureux des lettres s’installe à Caen, s’inscrit à la Faculté, coiffe un béret de velours et fonde sans plus tarder la «Revue Septentrionale» en compagnie de Léon Masseron (poète de génie parti depuis en Océanie). C’est très rapidement la misère. Notre jeune étudiant est quelques temps secrétaire du Cirque Priami, mais, comme il tente de s’enfuir avec une écuyère, il perd sa place. Privé de logement, il trouve une asile dans une villa assez louche des faubourgs de Caen où il campe la nuit avec deux amis et, certains soirs, particulièrement pénible, trois affamés descendirent dans le jardin cueillir tous les bourgeons de rosier, pour s’en faire une salade. Malgré cette alimentation peu reconstituante, Gustave Le Rouge trouve le moyen de décrocher sa licence. Mais la belle avance î Va-t-il être obligé de devenir clerc d’huissier à Valognes ou à Caen ? Il appelle à son secours une parente puissante qui réussit à le faire entrer dans les bureaux de la compagnie P.L.M. Il reste là six mois à garder des dossiers, mais il s’échappe souvent pour retrouver au café Verlaine dont il est devenu l’ami. Il fait en même temps la connaissance de Villiers de l’Isle Adam et de Léon Bloy. Quelle joie de bavarder avec de tels bonshommes ! Mais quel empoisonnement d’être obligé d’aller à un bureau. Il plaque l’administration et reste un an sans domicile, avant pour lit le sopha ou le fauteuil prêté par les camarades. Les poèmes qu’il fait paraître dans «la Plume», «le Procope» et dans la «Revue d’un Passant» sont trop peu payés pour lui permettre de vivre et Verlaine le tire quelque temps d’affaire en le faisant entrer pour «mistouflite aiguë» à Broussais, dans le service du Dr. Chauffard où lui- même se trouve en traitement.
Sorti de l’hôpital, le problème de l’existence recommence. Gustave Le Rouge fabrique quelques thèses de médecine, est un instant Directeur de «La sauvegarde des Marques Françaises, Maritimes et Coloniales», publie un recueil de sonnets intitulé : Le Marchand de Nuage, prend part à une conspiration manquée contre le roi des Belges… Rien de tout cela n’est très lucratif.
Mais Gustave Le Rouge est célèbre dans Paris et Flammarion lui demande un ouvrage sur le Quartier Latin. Le livre a un succès étourdissant. Le père Guyot, de son côté, flairant dans ce jeune poète de grands dons de conteur lui demande d’écrire un livre d’aventure.
L’ancien élève du collège de Cherbourg sent brusquement refluer vers lui tous les rêves de son enfance. Il se met au travail. Mais comme Flammarion n’a pas été très généreux, il est obligé d’accepter une combinaison : il écrira le roman, un nommé Guitton paiera le loyer et signera le livre. Les bénéfices seront partagés également. C’est l’histoire de La Conspiration des Milliardaires, livre prophétique qui parait en 1897 et c’est l’histoire de tous les romans de cette époque.
Quelques années plus tard, on lui offre de partir en Tunisie pour diriger un journal. Il s’embarque, deux numéros paraissent et c’est la faillite. Notre directeur qui pour venir avait fait la traversée en première classe est obligé, pour le retour, de voyager en troisième avec les Bataillonnaires d’Afrique.
Se trouvant après la mort de son père en possession de quelques sous, il file à Jersey où il loue une villa pour écrire en paix un grand livre d’aventure : Le Mystérieux Docteur Cornélius.
Mais il est dit qu’il n’aura pas de chance en affaires. Ce roman que tout le monde s’arrache ne lui rapporte presque rien et il est obligé de se remettre à faire des bouquins pour un industriel de lettres. En 1905, on le retrouve à Beaune directeur de journal et en 1909, on le voit se présenter, sans succès, comme candidat radical-socialiste à Nevers.
Enfin, en 1914, il reçoit le Grand Prix de la Critique pour son très beau livre : Les Derniers Jours de Paul Verlaine. La même année, Pancier édite à 200 000 exemplaires Le Mystérieux Docteur Cornélius (soixante mille lignes!) Ce roman est en même temps traduit en Italien, en Espagnol et en Hollandais. Le Rouge place en outre quatre romans chez Nilson : Le Fantôme a-: la Danseuse, La Vengeance du Docteur Mohr, Le Masque de Linge et La Rue Hantée.
L’horizon semble devenir moins noir d’autant plus qu’on lui demande maintenant des scénarios de cinéma. Mais, justement, voici la guerre ! Gustave Le Rouge retombe dans le pétrin. Après la bataille de la Marne, il devient correspondant de guerre de L’Information, donne un feuilleton dans ce journal : Le Tapis Empoisonné, passe ensuite à «La Rive Gauche» comme reporter aux appointements de cent cinquante francs par mois, puis au «Petit Parisien» comme chef de la banlieue. Misérables besognes sur misérables besognes.
A la fin des hostilités, tout est à reprendre. Il commence à écrire des romans pour des éditeurs qui ne le payent pas et qui réalisent des fortunes de ses oeuvres.
A la fin des hostilités, tout est à reprendre. Il commence à écrire des romans pour des éditeurs qui ne le payent pas et qui réalisent des fortunes de ses oeuvres.
C’est heureusement un philosophe et, ce qui l’amuse le plus, c’est de penser que le public ou même certains confrères se le représentent comme un romancier roulant sur l’or en automobile.
Gustave Le Rouge habite, au cinquième étage d’un vieil immeuble du quartier des Batignolles, un tout petit appartement où s’entassent des livres, des paperasses, des cristaux de Bohême, des oiseaux empaillés, des moulages des fleurs monstrueuses construites avec des carapaces de homards. Doué d’une jeunesse et d’une fraîcheur d’âme étonnante, il vit là-haut, coiffé de son petit béret de velours, comme il vivait jadis au Quartier-Latin. Chaque matin, à l’heure où passe le rempailleur de chaises, il arrose soigneusement la mandragore qu’il cultive sur son balcon en chantant la chanson de son oncle
Il était une frégate
Larguez le ris ! (bis) Oui s’app’lait la Danaé...
Et s’installant à son bureau de travail, il commence à dicter à sa secrétaire bénévole un nouveau chapitre de son dernier roman, mettant ainsi en mouvement, sans effort, non seulement une étincelante imagination, mais tout l’appareil merveilleusement logique de son raisonnement. De temps à autre, il s’arrête de dicter, se lève de son fauteuil, roule une cigarette, fait quelques pas parmi ^es embûches de son cabinet, d’un geste furtif de la main se caresse la figure et revient à sa place Le récit reprend dramatique à souhait et chargé du terrible mystère qui conduira haletant le lecteur jusqu’à la dernière ligne du dernier chapitre.
C’est heureusement un philosophe et, ce qui l’amuse le plus, c’est de penser que le public ou même certains confrères se le représentent comme un romancier roulant sur l’or en automobile.
Cet homme qui a huit millions de lecteurs (chiffres contrôlés) est d’une délicieuse timidité. Il s’excuse de tout. Il s’excuse de ne pas avoir de fauteuils, mais il vous avance d’immenses chaises capitonnées d’un cuir éblouissant où, sur fond d’or, des perroquets bleus respirent des pivoines rouges (car Gustave Le Rouge a retrouvé, pour son usage particulier, le secret du cuir de Cordoue). Il s’excuse de n’avoir pas une salle à manger plus grande pour recevoir les amis; mais, quand il reçoit, les convives sont traités comme des princes du sang.
Car c’est un cuisinier d’un raffinement inouï. Vous le savez, vous : Vincent Muselli, Henri Casanova, Frédéric Lefèvre, Jean Texcier, Jean Louyriac, qui avez goûté à sa magistrale cuisine. Auteur de La Vieille France à table, il nous fera un jour, dans le palais que nous choisirons, son fameux Paon à la Royale, mais en attendant, nous gardons le souvenir de la glorieuse soirée où Gustave Le Rouge nous fit les honneurs d’un Homard à la Douglas. La véritable cuisine d’Hoffmann ! Un litre de gin qui flambait dans l’immense casserole de cuivre où rougeoyaient les crustacés. Armé d’un trident, revêtu d’un tablier de sommelier semblable à la chasuble du diable et coiffé d’un haut de forme au poil dru, l’auteur du Mystérieux Docteur Cornélius, retournait les damnés. Texcier en chandail multicolore, faisait doucement chauffer les truffes en fredonnant « Ukulele Lady ».
Quand Madame Le Rouge apparut portant le plat triomphal, les convives aussitôt entonnèrent en l’honneur du cuisinier qui, Dieu me pardonne ! Cherchait encore à s’excuser, la célèbre chanson :
Passant par Paris, et vidant bouteilles
Un de nos amis me dit à l’oreille…
Des bouteilles, nous en vidâmes, ce soir-là, un nombre respectable, mais pas assez pour éteindre ce feu à la fois tendre et tenace qui brûlait en nous…
Nous buvions en l’honneur du cuisinier, mais nous buvions surtout à la gloire de Gustave Le Rouge, romancier, dramaturge, poète, critique, essayiste, dernier des encyclopédiste (suivant le mot de Du Plessys), car voici qu’on chuchote partout que l’auteur du Naufragé de l’Espace et du Mystérieux Docteur Cornélius devrait avoir chez nous la célébrité d’un Wells et que certaines pages de son oeuvre immense sont dignes d’un Villiers de l’Isle Adam et d’un Edgar Poë. C’était l’avis de Léon Bloy et de du Plessys. C’est aujourd’hui l’opinion de Biaise Cendrars, de Jean Dorsenne, de la Taillède, de Vincent Muselli, de Roger Dévigne, de Frédéric Lefèvre, d’Henri Casanova, de bien d’autres encore. Et c’est peut-être aussi l’avis des éditeurs.
Gustave Le Rouge qui a dû parfois faire le négre dans sa chienne de vie, a bien failli lui aussi être scié, comme son grand oncle, entre deux planches d’acajou. Mais comme ces planches étaient celles de sa bibliothèque, il a été sauvé de la mort par les quelques deux cents bouquins qu’il a écrit et qu’il n’a pas toujours pu signer !
Ces deux cents volumes, il va les faire relier en peau de négrier.
Jean Cabanel
Publié en 1921 à la « Libraire des romans choisis » cette série en 22 fascicules, bénéficiera pour ses couvertures du talent de Gino Starace et de son fils Jean. Pour le néophyte, la carrière de cet illustrateur hors pair, trouvera son plein essor pour les couvertures des éditions Fayard avec entre autres les superbes planches de la série des Fantômas.
Afin de mieux présenter le personnage, reportons nous au titre du premier fascicule : « Qui est-ce ? » Déjà à la vision de la couverture nous avons le portrait assez théâtral d’un personnage avec chapeau et cape, au un visage charismatique d’où ce dégage une force et une volonté des plus formidable. Le personnage nous est présenté comme un homme « Doué d’un pouvoir mystérieux qui protège les faibles et démasque les fourbes »
Le héros, Georges Leiceister est un jeune médecin en poste à Mendoro aux Philippines. Il sera contacté afin de réaliser une autopsie sur un Yogi du nom de Nadir Kritchna, exécuté par électrocution pour un crime dont il n’est visiblement pas responsable. Mais le « cadavre » ressuscite et grâce à l’aide providentielle de Georges, il parvient à s’enfuir et se mettre hors de danger. Voyant en lui un homme bon et destiné à un avenir hors du commun, le yogi décide de lui transmettre une partie de ses formidables pouvoirs. Car dit-il je vois en vous un homme incapable de faire un mauvais usage de cette puissance mystérieuse. Il va ainsi le conduire dans un endroit des plus secret, une crypte extraordinaire où sont représentées les divinités les plus sacrées du panthéon indien. Un rite de passage sera de mise et véritablement « enfermé » dans les bas reliefs de la salle, il devra, armé du « poignard qui repousse les ombres », repousser les attaque des dieux à tête d’éléphant, de crocodile et de tigre. Il sortira vainqueur de l’affrontement, les créatures redeviendront pierre, la crypte une salle des plus banale, mais Leiceister lui sera devenu « Fascinax ».
Volonté d’hypnotisme, dont de voyance du passé et de l’avenir, vitalité exceptionnelle, tel sont les pouvoirs de cet être exceptionnel. Cependant, cette formidable puissance, il va très vite l’apprendre à ses dépends, devra servir à contrecarrer les pouvoirs d’une autre créature tout aussi puissante mais dont les pouvoirs seront au service du mal : Numa Pergyll !
C’est ainsi que va naître le premier super héros de la littérature d’imagination scientifique qui, tout au long de sa vingtaine d’aventure va se trouver aux prises de situations les plus invraisemblables et des êtres les plus redoutables :
- Un univers étrange peuplé de chats dirigé par la mystérieuse Lady Agnès Gray dans l’épisode N°3
- Momie et princesse égyptienne dans le N°4
- Utilisation d’un véhicule révolutionnaire « La Fascine », entre l’automobile et l’aéroplane…
- Une pierre précieuse maléfique dans le N°6
- « Croquignolle » un gigantesque polichinelle, dirigé par « la reine des sirènes » dans le N° 10, cette même « reine » que nous retrouverons dans le fascicule suivant où il est aussi question de radioactivité et d’électro magnétisme.
- N° 13 et nous sommes confrontés à de redoutables martiens mais tout cela ne s’avère être qu’une supercherie…dommage !
A partir de cette décevante treizième aventure, le style s’essouffle, le délire des premiers numéros laisse place à la banalité. La saga va ainsi prendre une autre tournure, beaucoup plus tournée vers le fantastique, mais un fantastique de « bazar », aux ficelles grossières, aux idées mal exploitées. Pourtant les titres des exemplaires étaient prometteurs et alléchant mais hélas on retombe vite dans une littérature qui contribua malheureusement à entretenir la mauvaise réputation du genre. Changement d’auteur, lassitude de l’écrivain ou directives de l’éditeur ? Difficile à dire d’autant plus que les couvertures semblent également changer et le travail méticuleux des premières livraisons, laisse également place à un travail bâclé, atypique et sans conviction.
Dans un article consacré à la série et rédigé par Claude Hermier ( Bulletin des amateurs d’anticipation ancienne et de littérature fantastique N°11 Novembre 1992), l’auteur évoque le nom de Gustave Le Rouge, alors que dans un précédent article (le premier réalisé sur le sujet) paru quand à lui dans le N°10 du « Chasseur d’illustrés » de mai 1969, Georges Fronval avançait ce lui de Marcel Allain….Le mystère reste entier mais il est clair que face et je cite Claude Hermier :
« Style alerte, coloré, effets de surprise, dosage judicieux d’ingrédients qui sont l’exotisme, les pouvoirs paranormaux, les objets maléfiques, l’anticipation, le fabuleux, les mondes étranges….Je trouve dans Fascinax, du moins dans les premiers récits, style du « Mystérieux Docteur Cornélius » : même démesure, même magie, même couleur, même ton et certains thèmes récurrents : Le royaume des chats, le Lunatic Asylum (ainsi le numéro 7 du « Dr Cornélius » ne porte-t-il pas le titre « Un drame au Lunatic Asylum » ?). L’émeraude, pierre maléfique s’il en fut apparaît chez Cornélius (fascicule 14 « Le buste aux yeux d’émeraudes »)
Je suis certain que si l’on y regarde de plus près, il serait probable de trouver d’autres similitudes. Un sacré gars le « Gustave » et sa production doit également se noyer dans un océan de pseudonymes et de textes anonymes.
Par la suite ce type de personnage ne se rencontrera quasiment plus, ce rôle sera plutôt attribué à d’autres personnages d’exception qui utiliseront une autre genre de pouvoirs afin de résoudre diverses enquêtes, à la limite du fantastique et du surnaturel pour certaines et d’autres pour affronter des génies du mal ou de redoutables bandes organisées.
En somme toute une page de tout notre patrimoine de la culture « populaire » dont nous nous devons d’être fier. Ébauche du super héros, prototype du vengeur masqué aux supers pouvoirs ? Quoiqu’il en soit nous avons dans ce personnage « fascinant » et énigmatique les premiers jalons du justicier impitoyable, cet homme au double visage, sur lequel pèse toute la folie et la méchanceté des hommes. Une figure emblématique, seulement vénérée par un petit groupe de passionnés, des nostalgiques du vieux papier qui savent fort heureusement qu’un jour viendra où ces figures légendaires ressortiront de l’ombre.
Liste des Fascicules :
- N°1 « Qui est-ce ? »
- N°2 « Le docteur aux yeux verts »
- N° 3 « La morte de Long Island »
- N° 4 « La momie sans pouce »
- N° 5 « La vapeur écarlate »
- N° 6 « La pierre fatale »
- N° 7 « L’avalanche vengeresse »
- N° 8 « Le saut de la mort »
- N° 9 « Au bord de l’abîme »
- N° 10 « Le jouet qui parle »
- N° 11 « Le sous marin volant »
- N° 12 « Le téléphone mystérieux »
- N° 13 « Un message de la planète Mars »
- N° 14 « Une caverne aux millions »
- N° 15 « L’escalier de feu »
- N° 16 « L’obus infernal »
- N° 17 « La cloche humaine »
- N° 18 « Le château du fantôme »
- N° 19 « La roche ensorcelée »
- N° 20 «Le pendu de l’Ile-aux-rats »
- N° 21 « L’auberge du diable »
- N° 22 « Les bijoux qui tuent »
Pour les passionnés du personnage, il est intéressant de savoir que Georges Leiceister fut de nouveau sollicité pour de nouvelles courtes aventures. En effet on retrouve notre héros dans l’excellente anthologie de Jean marc Lofficier « Les compagnons de l’ombre » (Six volumes à ce jour). Ainsi dans le volume cinq c’est Lovern Kindzierski qui le ressuscitera dans un affrontement des plus singulier avec….Irma Vep (« Les périls de Paris ») alors que dans le même volume Fascinax fera « équipe » avec Jules De Grandin pour affronter son ennemie de toujours : Numa Pergyll (« Cadavres exquis »). Ce même auteur, en grand passionné de littérature populaire Française avait déjà composé pour le volume quatre des « Compagnons » une incroyable nouvelle « Le gambit du traître » ou vont s’affronter : Flax, Belphégor, Fantômas Mabuse, Harry Dickson….Tout un programme !
Un remerciement tout particulier pour l’article de Claude Hermier cité précédemment et qui fut une source de précieux renseignements. Ce même article fut repris dans l’ouvrage paru aux éditions de« l’oeil du sphinx » et intitulé « L’archéologue du merveilleux » collection « les études du Dr Armitage » un supplément à D&M 1996
Pour avoir un aperçu complet du visuel de l’ensemble des fascicules c’est ici: Fascinax intégrale
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Dans un article fort pertinent sur l’incontournable Blog « ArchéoSF » notre ami Philippe Ethuin soulève l’épineux problème de la propriété de l’espace. En effet, les auteurs d’anticipations anciennes encombrent le ciel d’objets volants (avions, chalets, dirigeables….) tous plus hétéroclites les uns que les autres et l’on se retrouve ainsi confronté à un véritable ballet aérien des plus insolite. Car la vie dans le futur sera régulée par ce trafic aérien incessant où l’homme, lassé de sa condition de terrien préférera s’adonner aux joies des escapades aériennes et autres batifolages acrobatiques. Comme pour appuyer cette issue inexorable, des auteurs n’hésitèrent pas à nous donner de fait une vision hallucinante et merveilleuse, avec une humanité s’élevant au statut de ces nobles volatiles qui pendant longtemps furent contemplés avec une pointe de jalousie. Robida, pour citer le plus entreprenant, occupe le ciel de notre futur pays, avec une myriade de vaisseaux aérien petits et gros (« En 1965 », « Le XXéme siècle et la vie électrique ») Pierre Souvestre dans « Le hommes=oiseaux » anticipe notre avenir comme un peuple ne vivant que dans les airs au moyen de machines diverses, sans oublier probablement la référence dans ce domaine en matière d’innovation et de beauté graphique, celle proposée par l’illustrateur A.Guillaume dans un numéro spécial de l’assiette au beurre « A nous l’espace » du 14 Décembre 1901.De magnifiques planches en couleur dont certaines occupent quatre pages dépliantes, nous donnent un aperçu de la vie des citoyens dont toutes les actions de la vie quotidienne se passeront dans les airs. Rien n’est précisé, dans ce cas unique d’imagerie conjecturale, si le ciel appartient à l’un ou l’autre des protagonistes, mais une chose est certaine, c’est que pour veiller au grain et faire respecter la navigation aérienne, des agents de police volants sont ici pour régler la circulation aérienne et peut-être même, mais ceci est aussi du domaine de la conjecture, sont-ils là afin de bien surveiller le bon respect de la limite des parcelles d’un ciel qu’il est désormais difficile à maîtriser.
Un exemple du génie de l’illustrateur qui avec une pointe d’humour nous dévoile un aspect fort cocasse de ce ciel que l’on pensait pendant longtemps « Infranchissable ». En raison de la taille de l’illustration (dépliante sur quatre pages) il m’a été nécessaire de la scinder en deux parties, mais le plaisir reste tout aussi intact !
« L’assiette au beurre spécial A nous l’espace ! » 14 Décembre 1901.Illustré par A.Guillaume.
« Les encombrements : Malgré les remèdes tous plus ingénieux les uns que les autres que M Lépine s’efforce d’apporter aux inconvénients de la circulation, les encombrements sévissent encore dans les grands centres de la capitale »
Le plus lourd que l’air fut pendant longtemps l’objet de toutes les hypothèses et de toutes les attentions. Une époque où l’homme, lassé d’être un vulgaire piéton sur une terre devenue beaucoup trop encombrée, n’aura de cesse que de trouver de nouveaux moyens pour se déplacer plus vite et plus haut. Les romans conjecturaux anciens regorgent de ce ballet aérien de ballons dirigeables et de petites embarcations aériennes et l’on se souviendra des romans de Albert Robida, que nous avions déjà évoqué sur les pages de ce blog, inventions omniprésentes dans ses romans phares que sont « Le XXéme siècle » et « La vie électrique ». Nous nous souviendrons également avec une pointe de nostalgie (car hélas la réalité est tout autre) du magnifique numéro de l’assiette au beurre « A nous l’espace » qui imaginait un monde futur où chacun posséderait son propre moyen de locomotion aérien.
Dans cet article extrait du riche et passionnant N°1 de la revue « Je sais tout » (15 Février 1905) « Ce que je ferai et ce que l’on fera », numéro qui proposa pas moins de trois articles concernant notre domaine plus le début d’un roman fantastique, Alberto Santos-Dumont célèbre constructeur du tout premier dirigeable dans le sens d’un ballon qu’il sera possible de « Diriger » à sa guise, nous fait état de ses espoirs et de la grande confiance qu’il accordait au devenir de se moyen de transport. Même si l’avenir n’allait pas lui donner entièrement raison, il n’en reste pas moins un pionnier des plus intéressant, nous proposant une vision quelque peu idéaliste de ce que pourrait être le monde de demain.
Magnifiquement illustré, comme à son habitude, par le trait de génie de Henri Lanos, un autre pionnier mais de l’illustration conjecturale, pour l’audace de ses visions et pour son trait des plus inspiré qui n’a pas perdu une seule ride.
Le grand changement que nous verrons dans quelques années.
« Quand donc inaugurerons-nous l’ère des vaisseaux aériens? Ce grand changement se produira probablement très rapidement; des qu’un yacht aérien aura franchi le Pôle, des qu’un croiseur aérien aura accompli quelque action d’éclat pendant une guerre, nous verrons dans un laps de temps très court des centaines de ces bateaux de l’air planer au dessus de nos têtes. Ce sera le commencement du grand changement.
Des centaines d ingénieurs et de mécaniciens travailleront concurremment au perfectionnement de ces vaisseaux de l’air, se copieront, se compléteront l’un l’autre, organiseront des courses, exposeront a côte l’un de l’autre au Salon des Aéronefs. Il y aura des usines pour leur construction; et, d’année en année, les modèles deviendront plus pratiques, à raison même de l’expérience acquise par des milliers de gens compétents dans les concours et dans leurs expériences de tous les jours.
Au commencement, il en sera comme des automobiles, quand elles ne portaient pas encore de numéro, quand on n’exigeait pas de certificats des chauffeurs, et quand l’amateur sortant pour faire sa promenade en auto était toléré d une part comme une exception et d autre part comme un pionnier de l’industrie française.
On verra grandir de mois en mois le nombre de yachts aériens qui manœuvreront au-dessus de Paris; mais comme ils n’effrayeront pas les chevaux, qu’ils n’écraseront pas les piétons, qu’ils n’entraveront pas la circulation dans les rues, et qu’ils n’empesteront pas de leurs odeurs l’air de Paris, on se récriera beaucoup moins que I on ne pense.
Ah oui! Il y aura des plaintes. De temps en temps, un yacht aérien descendra par hasard ou même express dans la rue, et ce ne sera peut-être pas sans avarie pour la foule. De temps en temps, assez rarement, l’un d’eux s’abattra sur le sol, mais sa chute, pour être malheureuse, n’en sera pas nécessairement fatale.
On les discutera. Une partie de la population et de la presse se lèvera contre cette expansion de la navigation aérienne. D’autres la défendront, ne serait-ce que dans le seul intérêt de l’industrie française et de Paris, centre ou affluent toutes les nouveautés du monde; car les Parisiens seront encore prêts, comme ils l’ont toujours été, à faire des sacrifices plus grands que les autres villes pour conserver à leur capitale sa renommée de Ville-Lumiere, ville de plaisirs, de spectacles inédits et de sensations nouvelles !
Petit a petit même, les accidents en entravant la circulation des rues entraîneront certains changements dans la topographie de Paris.
Les propriétaires de yachts aériens demanderont des quais d atterrissement.
Ils diront : « Nous ne demanderons rien à la rue. Nous ne profiterons pas de vos avenues dont l’entretien est si coûteux. Donnez-nous simplement des emplacements pour atterrir et vous n’aurez plus d’ennuis de notre part. » C’est ainsi que seront concèdes les premiers atterrissements; ce seront de grandes places ouvertes comme le Champ de Mars, où il n’y aura ni plantations, ni bâtiments, ni colonnes, ni clôtures, et c’est la que le capitaine de vaisseau aérien dirigera son bateau en cas d’avaries ou quand il lui faudra atterrir.
Au commencement, ces quais d atterrissement seront probablement pris sur les places publiques déjà existantes ; mais la modification topographique aura commence. Petit a petit il faudra créer des atterrissements dans tous les quartiers de Paris; et quand on se mettra à en établir sur le toit des maisons, le second changement dans la topographie de Paris aura commencé.
Et nous qui lisons ces lignes, aurons-nous jamais l’occasion de monter en ascenseur jusqu’à des plates-formes spacieuses bâties dans l’air, pour attendre les vaisseaux aériens qui viendront nous prendre? Pourquoi pas? Et a côté des ballons, il y aura les machines volantes ou aéroplanes. Les ballons dirigeables allongés, même quand ils ne seraient ni plus lourds ni plus légers que l’air, sont faciles à remiser et s’enlèveront sans aucune difficulté des quais d’atterrissement établis à même le sol. Les aéroplanes, au contraire, auront un intérêt vital à atterrir et surtout à prendre leur vol sur des hauteurs.
Je n’ai rien à objecter contre les aéroplanes pourvus de moteurs; il y a même certaines formes de « plus lourds que l’air » que je considéré comme éventuellement possibles sinon probables. Et, si je me trouvais à la tète d’une grande station expérimentale de vaisseaux aériens, avec un matériel illimité et des ouvriers à ma disposition, je me mettrais aussitôt à fabriquer côte a côte une douzaine de types aériens différents, car j’ai toujours été et suis encore convaincu que seule l’expérience pratique sera notre vrai guide dans la conquête de l’air. Si dans mes propres expériences j’ai tenu jusqu’ici a des ballons allonges, c’est uniquement parce que je désirais naviguer de suite dans les airs, sans tarder davantage, et pour mon propre plaisir.
Peut-être y aurait-il des yachts aéroplanes à grandes ailes qui permettront à des moteurs puissants de les faire voler dans l’espace. On arrivera bien a établir la proportion à observer entre force motrice et surface; on découvrira les lois naturelles qui régissent les dimensions de tels aéroplanes, ou seuls, ou combinés avec des ballons. Et nous nous habituons si rapidement aux innovations que le jour où des omnibus aériens entreprendront le transport de touristes et de voyageurs d’affaires de Paris à Saint-Pétersbourg, vous et moi nous y prendrons place aussi naturellement que nos grands-pères ont pris place dans le premier chemin de fer.
C’est alors qu’à côté des quais d’atterrissement établis à même le sol et des haute plates-formes aménagées pour les petits bateaux aériens, la transformation topographique de Paris sera complétée par de nouvelles gares aériennes savamment organisées.
Elles ressembleront à des gares terminus de chemin de fer en tant qu’elles auront des salles d’attente, restaurants, bars, et stations de fiacres d’un côte, tandis que de l’autre il y aura des salles pour le trafic, les machines, les appareils à gaz, et toute une série de voies- ferrées parallèles. Ces voies auront leur utilité pour les petits chars et les locomotives qui serviront à la manœuvre des vaisseaux aériens attendant l’heure du départ, car sur le sol le yacht aérien est aussi maladroit que l’aigle!
L’aigle maladroit? L’autre jour au Jardin des Plantes, j en regardais un battre des ailes sur une branche dans sa cage. Comme sa maladresse devenait de plus en plus manifeste, j’ai félicité in petto son inventeur et constructeur de ce qu’il n’a pas eu pour le conseiller, quand il a commence ses premières «expériences » des mathématiciens en redingote et en chapeau haut de forme. Maladresse et poids lourd auraient fait condamner à l’avance les aigles tout comme leur maladresse et leur légèreté ont fait condamner les premiers ballons dirigeables !»
Alberto Santos-Dumont
Le ballon de voyage qui remplacera les chemins de fer
Dans quelques années une sortie de bal
Le Métropolitain de l’avenir: De merveilleux omnibus aériens!
Dans cette excellente revue consacrée à la vie et l’œuvre de Albert Robida toute l’équipe, dans un souci de rendre à César ce qui lui appartient, nous propose un travail des plus passionnant, qu’il s’agisse de son œuvre conjecturale, de sa participation à diverses revues, d’ouvrages sur les régions de France, livres pour la jeunesse etc………
Un auteur qui méritait une revue à part entière en regard de l’importance de son œuvre et de la production considérable qu’il réalisa dans le domaine de l’anticipation.
Dernièrement je lisais encore une petite étude sur les précurseurs Français et l’on citait allégrement les « inventions » de Mr Verne, alors que l’on passait sous silence les œuvres visionnaires non seulement de Robida, mais d’une foule d’autres écrivains au talent incontestable.
Est-il besoin de rappeler à notre bon souvenir une partie de son œuvre conjecturale qu’il illustra en outre avec un immense talent :
- « Les voyages extraordinaires de Saturnin Farandoul dans les 5 ou 6 parties du monde et dans tous les pays connus et même inconnus de Monsieur Jules Verne ».
Un pavé monumental de plus de 800 pages avec 450 illustrations couleurs, N&B. Dans ce roman on découvre bien avant l’œuvre de Burroughs et de son Tarzan que Saturnin Farandoul a été élevé par des singes et partira dés l’age de 11 ans retrouver la civilisation, conscient de sa différence.
Il deviendra rapidement un homme hors du commun, un être supérieur parmi les hommes tout en conservant un grand pouvoir sur les animaux.
De retour de manière fortuite chez les singes, il en fera par la suite une société instruite et constituera même sa propre armée.
Toute l’histoire sera par la suite une aventure délirante et haute en couleur dans laquelle Robida pastichera de manière très savoureuse les héros de Jules Verne et de ses « Voyages Extraordinaires ».
- « Jadis chez aujourd’hui » (1890) ou il est traité du thème du voyage temporel
- « L’horloge des siècles » (1902) ou suite à un cataclysme naturel, la terre se met a tourner a l’envers et ou le temps lui-même se déroule à l’envers.
- « La guerre infernale » (1908) ,30 fascicules, 900 pages d’une guerre future à l’échelle mondiale avec de magnifiques illustrations pleines pages en couleur, le sommet de l’anticipation militaire ou l’imagination de Robida et de Giffard est à son apogée.
- « L’ingénieur Von Satanas » (1919) son œuvre la plus sombre qui contraste avec sa production habituelle. Il s’agit d’un réquisitoire écrasant contre la guerre. Il faut dire que la première guerre mondiale est passée par là avec tout son cortége d’horreur.
- « Mystére-ville » roman réalisé à « quatre mains » avec William Cobb (pseudo de Jules Lermina) en 1905 et publié dans l’extraordinaire revue que fut « Sciences et Voyages » ici c’est la découverte en Inde d’un civilisation souterraine ayant développé une technologie basée sur le son, et les odeurs….
Je crois qu’en regard de toute sa production, qui fut avant tout l’œuvre d’un véritable visionnaire et doué d’un coup de crayon hors pair, Robida est sans contexte le chef de file de ce « merveilleux scientifique » appelé plus communément science-fiction et qui mérite certainement toute l’importance que lui accorde « Le Téléphonoscope ».
On accorde toujours une place de choix à l’œuvre de Jules Verne en tant que précurseur de la « science fiction ». Il a certes contribué à « démocratiser » un nouveau genre sous couvert d’œuvres pour la jeunesse (ou assimilée à l’époque en tant que telle) mais il avait une conception assez restrictive du progrès, ses romans ne sont pas vraiment des « anticipations » car ils restent toujours dans le cadre restreint de l’époque dans laquelle il vit. Robida s’est toujours affirmé comme un visionnaire, « anticipant » bon nombre de facteurs important de notre société tant sur les plans culturels que techniques ou moraux. Il resta pendant de nombreuses décennies dans l’ombre du maître Nantais et poursuit actuellement peu à peu une lente ascension vers une notoriété légitime.
Ce numéro 16 du « Le Téléphonoscope » consacré à une étude croisée entre les sources d’inspiration de Albert Robida et Jules Verne est un véritable bonheur car, outre la pertinence des différents articles traités avec érudition, la revue se « paye » le luxe de reproductions de dessins de Robida dans une qualité irréprochable sur un papier des plus agréable qui soit. Superbe iconographie, qualité éditoriale….que demander de plus afin de parfaire ses connaissances sur une Illustrateur/Auteur qui n’a pas encore fini de nous étonner.
Une revue certes très spécialisée mais dont il nous faudra suivre le parcours avec une grande attention
« Le Téléphonoscope » N°16 : « Jules Verne & Albert Robida »
- Editorial, par Jean-Claude Viche.
- « Robida voyageur dans le temps, Verne explorateur passionné de l’espace », par Dominique Lacaze.
- « Saturnin Farandoul », parodie de Jules Verne et source d’inspiration.
- « Où Hetzel et Verne s’inquiètent de la parution de Saturnin Farandoul ».
- « Albert Robida et les Verne, père et fils », par Daniel Compère.
- « La journée d’un journaliste américain », un copiage de Robida, par Jean-Claude Viche.
- « Quand Robida illustre Jules Verne ».
- « Un autre Jules Verne : Paris au XXe siècle », par Dominique Lacaze.
- « Verne et Robida dans l’aventure de l’automobile », par Jean-Claude Viche.
- « L’île à hélice, fiction ou réalité », par Philippe Burgaud.
Pour plus d’information : LIEN