En tant que passionné des territoires de l’imaginaire depuis de nombreuses années, il m’a été possible au cours de mes longues et parfois périlleuses recherches de trouver bien des curiosités et parfois même des choses assez rares.
Je me rappelle très bien, il y a de cela plusieurs années, qu’un ami Belge m’avait proposé deux choses peu courantes et pour lesquelles il me fallait faire un choix : soit l’intégrale de la collection de SF aux éditions de la Lucarne, soit le volume en édition originale de La guerre des mondes, tirage limité à 500 exemplaires, signé par l’artiste et l’éditeur et surtout avec les magnifiques illustrations d’Henrique ‘Alvin Corrêa ! Le choix ne fut pas bien difficile et j’ai donc opté pour le Wells, choix que je ne regrette pas car depuis je ne l’ai vu passer que deux fois , mais à des prix astronomiques. Pour tout vous dire je croix l’avoir payé à l’époque l’équivalent de 150 euros, ce qui représente une somme mais assez faible en regard de la rareté de l’objet.
Mais vous savez que dans tout archiviste, il y a un lecteur certes, mais également un collectionneur qui sommeille et au fil des années, j’ai développé cette appétence pour les ouvrages un peu rares et ces fameux petits fascicules assez fragiles aux éditions de la lucarne, furent pour moi un objet de convoitise tout en sachant qu’ils seront probablement aussi rares que le Wells et surtout à des prix records.
Je ne me faisais aucune illusion quant à la découverte de cette collection, lorsqu’un jour, par le plus pur des hasards, il m’a été possible de les récupérer ,sauvés de justesse après la disparition d’un ami collectionneur.
Si je vous parle ainsi de cette petite histoire c’est que cette série trouve substance à l’achat tout récemment d’une brochure publiée par mon ami Olivier Raynaud intitulé Outré et Macabre ! (quel titre intrigant)et fidèle à une conduite éditoriale que cet auteur , essayiste, scénariste, critique…. vient de se fixer , publie de petits fascicules aux couleurs chatoyante et dont le but est la réédition de textes anglo-saxon assez rares et surtout introuvables en France. Pour ne citer que la plus sympathique de ces collections, il y a tout d’abord Wendigo forte de six beaux volumes avec pas moins d’une bonne cinquantaine de nouvelles, Vintage Fiction et pas moins de cinq volumes composés d’une heureux mélange de nouvelles de SF classiques de fantastiques et de polar et enfin cette nouvelle collection débutée avec Kraken un fascicule de mystère et d’aventure ,l’occasion pour l’auteur de revenir sur un sujet qui le tient à cœur , la cryptozoologie et enfin Outré et Macabre un fascicule de mauvais genre…..et franchement j’adore ce terme associé à la littérature un peu en marge. Dans un mot de la rédaction, l’auteur explique le choix du sous titre et je trouve qu’il ne pouvait pas être mieux approprié,
Mais revenons au sujet de cet article pour vous préciser donc que ce fascicule est riche de cette longue nouvelle de A.Hyatt.Verrill intitulée The voice from the inner world lors de sa parution en décembre 1926 dans la célèbre revue Amazing Stories et qui curieusement fut rééditée dans son intégralité dans le N° 6 de la collection Anticipations en 1945 aux éditions de la lucarne sous le titre Le monde intérieur. Nous sommes loin de la beauté de la couverture d’origine de Frank.R.Raul mais il faut avouer que la couverture Belge a de quoi intriguer elle qu’elle a dû susciter pas mal de curiosité chez nos jeunes lecteurs de l’époque. Il est à préciser, comme le fait remarquer Olivier, que cette nouvelle avait été écrite suite à un concours où l’écrivain devait imaginer une histoire uniquement d’après la couverture. Même si Hyatt Verrill ne fut pas victorieux, il faut avouer que pour la production moyenne de l’époque, l’idée de manquait pas d’originalité ni d’un coté un peu terrifiant.
En substance, c’est l’histoire d’un amateur radio qui intercepte un message d’un homme dont le bateau à été littéralement enlevé dans les airs pour être conduit dans un endroit isolé de notre globe, où vivent des créatures extra-terrestres. Celles-ci, majoritairement féminine et d’une taille avoisinant les 3 mètres, vivent d’en un environnement de gaz toxiques ce qui explique le sorte d’excroissance qui leur couvrent la tête et les épaules, sorte de filtre naturel , un peu comme le couvre chef d’un indien. Le seul rescapé échappe de justesse au massacre de son équipage et relève le caractère cannibale de ces créatures qui procèdent à ces rapts de navires pour remplir leur garde manger et constituer, avec tout l’acier volé, une flotte pareille à cet étrange appareil de forme sphérique utilisé pour leurs abductions. Grâce à un navire militaire ayant subit un sort identique, il parvient à envoyer un ultime message à la terre dans lequel il révèle le point faible de ces créatures et conjure celui qui captera cet appel au secours de tout organiser afin de détruire ces abominations. La dernière phrase en dira long sur le sort qu’il lui a été réservé et nul doute qu’il ne finisse à son tour dans le garde manger.
L’autre nouvelle , bien plus courte de G.A.Wells L’abominable homme des glaces publié en mars 1923 dans le tout premier numéro de la célèbre revue Weird Tales sous le titre The ghoul and the corpse ( c’est la partie Macabre du titre de la collection) nous raconte comment un trappeur au fin fond de l’Alaska, alors qu’il était à la recherche d’un filon d’or, mit à jour , coincé dans la glace, une créature entre l’homme et l’animal et comment, suite au dégel de celle-ci , il passa une nuit d’épouvante à lutter contre cette chose réveillée de la nuit des temps. Seul témoignage de sa mésaventure, un poignard fait en ivoire , appartenant à son adversaire et récupéré après avoir fait disparaître son corps. Une nouvelle fantastique comme on en trouvera par la suite plein les pages de ce type de magazine mais qui garde toute sa fraîcheur et son aspect terrifiant.
Au final et comme vous pouvez le constater, une petite brochure tenant ses promesses tant pour l’originalité du contenu avec son ambiance très rétro et savoureusement Pulp’s que pour la rareté des textes. Espérons que Olivier nous fera encore le plaisir d’un tel petit cadeau dans une prochaine publication du même style et le mot cadeau est utilisé ici à bon escient car, si l’on regarde la chouette couverture, le contenu, très jouissif pour une amateur passionné et que l’on ne débourse que 6 euros, alors là les amis, il n’y a qu’une seul mot à dire : foncez, vous ne trouverez pas meilleur rapport qualité prix !
Pour terminer et afin d’être le plus exhaustif possible, signalons que ce Monde de intérieur fut l’objet d’une réédition en juillet 1987 à l’imprimerie du hérisson à Montréal pour le compte de L’académie de l’espace collection dirigée par Francis Valery. Il s’agit d’un fac-similé de l’édition de La Lucarne et tiré à 50 exemplaires.
Outré et Macabre un fascicule de Mauvais Genre: Collection dirigée par Olivier Raynaud. Nouvelles révisée et/ou traduite par Olivier Raynaud, couverture de Franck R.Paul
J’avais déjà eu un très gros coup de cœur pour le premier tome de L’agence Lovecraft en terminant par cette note de regret qu’il nous fallait attendre le suivant pour enfin connaître la suite de aventures de nos héros. Me voilà donc comblé puisque j’ai eu la chance de recevoir le volume avec une belle dédicace de l’auteur et la satisfaction de poursuivre cette incroyable et palpitante aventure.
Comme pour Le mal par le mal, cette Déesse de la mort vient tenir ses promesses au-delà de nos attentes et nous apporter une nouvelle fois son lot de surprises et de batailles titanesques, Pourrait-il en être autrement lorsque l’on se frotte aux grands anciens ? Au fil des pages, les différents protagonistes se révèlent de plus en plus, en déployant les extraordinaires pouvoirs dont ils sont dotés, ce qui n’est pour donner quelques petits atouts à cette agence qui doit lutter pour la survie de l’humanité en s’interposant à l’avènement du grand Cthulhu en personne et de ses sombres rejetons.
Mais avant de rencontrer la plus puissante des créatures du mythe, il va leur falloir affronter celles et ceux qui préparent ce jour funeste et ce n’est pas sans mal qu’ils vont affronter une des adoratrices la plus redoutable et la plus puissante Miss Moriarty, accompagnée du frère de Ryan, Jonathan qui depuis la bataille du rocher du diable à Insmouth, s’est révélé un serviteur dévoué et prêt à rompre le puissant lien familial.
Ce volume 2 nous révèle entre autre, comment grâce à l’intervention de Sergueï et son pouvoir de se déplacer dans l’espace temps pour prendre possession d’un hôte hors du commun, il va réussir à pénétrer dans la fabuleuse bibliothèque des Yithiens et découvrir comment réchapper au terrible Dagon. Pour celles et ceux qui suivent avec intérêt cette nouvelle saga de Jean-Luc, vous allez donc découvrir comment l’équipe du Nautilus va faire pour échapper aux griffes et mâchoires de cette abomination aquatique. Mais chers amis, vous n’êtes pas au bout de vos surprise car ce volume , axé sur la récupération d’une mystérieuse tablette pouvant se révéler capitale dans l’issu de cette bataille à l’échelle cosmique, n’est que l’amorce d’événements incroyables que seul un écrivain aussi fin connaisseur du mythe peut ainsi maîtriser.
De l’affrontement avec les redoutables Mi-go dans le British muséum au combat final sur le plateau de Leng avec le chaos rampant, l’action va être menée tambour battant où nos héros vont en découdre avec le Kronolose formé d’une effroyable assemblage de séquences de temps volées à leurs malheureuses victimes. N’oublions pas au passage les formidables inventions qui jalonnent le récit et outre le Nautilus que nous avons déjà croisé dans le premier volume, le nouvel appareil mue à l ’énergie éthérique et commandé par un certain Robur, L’albatros, ne manquera pas de vous étonner avec ses prouesses aériennes hors normes et qui se révélera déterminant pour le combat final : il flotte dans tout cela une agréable odeur de Savanture les amis ! Mais la personnalité des différents protagonistes ne sera pas pour autant abandonnée au profit de l’action, ainsi la mystérieuse Kali, une humanoïde aux performances surprenantes va découvrir ce qui est arrivé à son père et connaître enfin pourquoi son enfance a pris ainsi un tournant aussi tragique quant à son géniteur les amis, je vous en laisse la surprise….Tout dans ce roman de 256 pages fleure bon l’amour et la passion d’un écrivain ,toujours aussi sympathique ,toujours aussi inspiré et fécond.
En résumé chers lecteurs , un volume encore mené tambour battant et l’addiction que j’ai eu à lire ce volume bourré d’action et de péripéties, n’a d’égale que ce réel plaisir à partager la fantastique aventure de nos héros. Il est donc indispensable de posséder dans sa bibliothèque Lovecraftienne, ces deux premiers tomes d’une saga qui au-delà de l’amour et du respect pour l’auteur de providence, vient rajouter une pierre à l’édifice du genre par son originalité et sa modernité. Mention spéciale pour l’éditeur qui nous offre une beau petit écrin avec de superbes illustrations et une typographie qui colle pile poil avec le récit : un must du genre !
« Agence Lovecraft: Déesse de la mort Tome 2 » de Jean-Luc Marcastel. Gulf Stream Editeur. 2022.
« Pourtant homme sublime, un jour tu seras beau et tu présenteras le miroir à ta propre beauté.
Alors ton âme frémira de désirs divins. Il y aura de l’adoration dans ta vanité. Car ceci est le secret de l’âme :
Quand le héros a abandonné l’âme, c’est alors seulement que s’approche d’elle en rêve…..le Super Héros ! »
Les origines
Il est des mythes qui peuvent au fil des décennies s’essouffler et de bûcher devenir simple brasero pour s’éteindre complètement et disparaître ainsi dans la nuit des temps oublié des dieux et des hommes. Car pour entretenir une légende et lui permettre de vivre, seul le souvenir compte et de la transmission qui doit s’effectuer au fil des générations, c’est la mémoire qui va permettre au mythe de durer : Tous les pays qui n’ont plus de légendes seront condamnés à mourir de froid !
C’est ce qui faillit arriver à nos super-héros français, cette lente déliquescence pour devenir une vague idée dans l’histoire de notre pays et nous étions à deux doigts de perdre complètement la trace de cette surhumanité s’il n’y avait pas eu un événement d’une portée considérable pour nous rappeler que la France a connu une période faste où l’imagination au service des romanciers fut mise à l’honneur pour créer probablement le concept le plus incroyable de l’histoire de notre littérature : le super-héros !
Dans ce terreau formidable qu’est la vieille SF , a germé depuis ses origines, tout un monde peuplé d’êtres extraordinaires aux pouvoirs parfois surprenants. Humains hors du commun, sorte de héros de l’ombre qui à l’inverse du savant fou agiront de façon totalement désintéressée pour retourner dans l’anonymat le plus complet. Leurs caractéristiques seront presque toujours les mêmes, jeunes, athlétiques et faisant preuve d’un courage et d’une témérité exemplaire.
Si toutefois leur spécificité provient d’une force physique au-dessus de la normale, les pouvoirs dont ils seront parfois les détenteurs, proviennent dans la majorité des cas de la magie, du spiritisme ou du savoir accidentellement retrouvé de quelques brahmanes Hindous. Ce concept de super héros , qui ne prend tout son sens que dans la bande dessinée Américaine, avait pourtant entamé ses premiers balbutiements dans les fascicules populaires, dont la prolifération fut relativement conséquente dans le premier quart du XXème siècle. Mais l’accouchement sera difficile, car le concept n’est pas une des priorités de nos écrivains de l’époque qui choisiront, et cela peut se comprendre culturellement, un autre type de héros.
La genèse du justicier remonte à l’époque où de nombreux écrivains comme Féval, Alexandre Dumas, Xavier de Montepin, Eugène Sue, Frédéric Soulié, Zévaco….créèrent un concept littéraire tout à fait innovant qui avait l’art de rassembler des genres aussi variés que le roman de mœurs, le roman sentimental, social, exotique. Mais ce qui le caractérisait le plus, c’était son côté sensationnel, qui foisonne de situations imprévues, de rebondissements incroyables, souvent baignés dans des contrées exotiques et mystérieuses.
Curieusement, ce qui fascinait le plus le lecteur, et qui le fascine toujours autant, c’est la galerie de types louches, de malfrats, de confréries diaboliques, de génies du mal que l’on peut rencontrer dans ce genre d’ouvrages. Les exemples dans ce domaine sont légion et si l’on fait l’inventaire des trognes patibulaires, il faut reconnaître que nos romanciers firent pencher la balance plutôt du mauvais côté.
Afin que l’équilibre soit parfait, car de nature, l’homme doit être bon , il était nécessaire d’y inclure l’autre face du côté obscur , un personnage à qui tout le monde pourrait s’identifier, un sauveur qui n’hésitera pas à défendre la veuve et l’orphelin et mettre sa vie en danger pour sauver les valeurs fondamentales de l’humanité : Le héros !
Il faut dire que ce dernier ne manque pas de panache, aristocrate, reporter ou jeune sportif le jour, dès que tombe la nuit il revêt une tout autre apparence. Affublé d’un simple loup sur le visage ou d’une inquiétante cagoule, d’un chapeau à large bord ou d’une immense cape noire doublée à l’intérieur d’un rouge des plus vif, il sillonne la ville, investit d’une mission vengeresse des plus impitoyable. Souvent aidé par de petits gadgets, résultats des progrès scientifiques de son époque, il est rare que ce singulier personnage soit doté de pouvoirs surhumains. Les moyens qu’il utilisera pour arriver à ses fins, seront toujours à l’échelle humaine et ne dépassent que rarement le cadre de sa simple force physique ou de son agilité. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, il existe quelques exceptions.
Dans notre domaine de recherche, la majorité des cas où nous avons affaire à un surhomme bien souvent celui-ci sera le résultat de recherches interdites qui ne vont, non pas créer un super héros , mais un être complètement dépassé par des pouvoirs qu’il utilisera essentiellement pour faire le mal. Produit d’expériences douteuses, il terminera son existence de façon lamentable, détruit par son propre créateur ou par une humanité qui n’est peut-être pas encore prête à assumer une telle évolution.
Le super-héros sera dans la littérature d’imagination scientifique souvent un simple justicier, un détective aux pouvoirs d’investigations exceptionnels, ou un savant génial dont les inventions seront mises au service d’une justice visant à contrecarrer les agissements de quelques sociétés secrètes ou autres génies du mal. Pour voir naître ce super héros au super pouvoir il fallait une vision toute neuve du héros et du justicier.
Notre littérature était trop dépendante d’une certaine tradition et d’un courant populaire, certes très inspiré, mais tributaire des contraintes d’une tradition romanesque bien en place. Pas ou peu de récurrences, à l’image du thème du Savant fou .Ce thème fort peu abordé sous l’aspect que nous lui connaissons actuellement, ne sera traité que de façon très dispersée, dans une littérature pourtant fort généreuse en ce qui concerne les inventions extraordinaires, les surhommes, les voyages dans l’espace, les invasions extra-terrestres, j’en passe et des meilleures.
La littérature dite de genre d’avant-guerre ne semblait pas très généreuse en ce qui concerne les « gentils » alors qu’à l’opposé, comme je le signalais précédemment, elle avait un faible pour camper des figures maléfiques et tournées vers le mal. Zigomar de Léon Sazie, Les vampires de Meirs et Feuillade, Fantômas de Souvestre et Allain, Férocias et Fatala de Marcel Allain, Démonax de Robert Lortac, Fantax le héros BD de Pierre Mouchotte, Mme Atomos de André Caroff, L’ombre Jaune de Henri Vernes autant de méchants qui participent à la consécration d’un genre qui continue encore de nos jours à rassembler de farouches partisans.
Pourtant, à bien y regarder, quelques auteurs se consacrérent au genre, de façon discrète tout en établissant les bases, parfois à peine ébauchées, de ce super justicier aux pouvoirs formidables. Hélas, si de nos jours ces derniers sont définitivement plongés dans l’oubli le plus total, ce n’est pas faute de leurs exploits hors du commun, mais en grande partie en raison de l’extrême fragilité du papier où furent racontés leurs exploits, de la grande rareté à trouver actuellement la plupart de ces éditions et de leur disparité dans une production fort généreuse sans qu’il y ait eu une réelle concertation entre les auteurs. Autant de bonnes raisons pour que ces héros de l’ombre soient tombés dans l’oubli le plus total, victimes une fois de plus du dédain de nos éditeurs.
Finalement, si nous faisons un petit inventaire de ces super-héros à l’état embryonnaire, la liste peut être très longue ou très courte en fonction du sens que nous accordons à sa définition. Il me plaît à imager le destin splendide qu’aurait pu être cette foule de personnages aussi mystérieux que redoutables, s’il y avait eu un catalyseur pour réunir sous un même bannière d’aussi charismatiques personnages : Jean de la Hire et son Nyctalope, Paul Féval fils et Félifax , Maurice Renard et son Homme truqué Jacques Spitz et L’homme élastique , le Rour de Souvestre et Allain, le Sâr Dubnotal et surtout Fascinax , à mon sens le plus emblématique. Ce personnage, est à lui tout seul non seulement une énigme littéraire, car on ignore avec certitude son auteur, mais il reste à mon avis le personnage type du super-héros, du justicier vengeur aux pouvoirs formidables. Toute cette littérature avait en elle le germe d’un potentiel formidable qui hélas il mourut à l’aube de la Seconde Guerre mondiale et c’est à ce moment qu’il nous faut parler de la Brigade chimérique .
Pour mieux comprendre cette incroyable histoire, il est nécessaire de faire un autre voyage dans le temps plus court celui-ci, et de réaliser qu’en fait, la brigade chimérique fut au départ un canular littéraire bien construit et entretenu . Je dois avouer en avoir été la victime plutôt enthousiaste, car dans toute légende, il est une part de vérité que nous voulons percevoir ou de mensonge que nous nous refusons d’accepter. Notre fonction , en tant que lecteur de l’imaginaire, n’est-il pas de vouloir croire pour que justement perdurent les légendes ? Il y a plus de 10 ans donc, lors de la parution du premier volume de la brigade chimérique Mécanoide Curie et La dernière mission du passe-muraille , je fus intrigué par le second de couverture avec un titre en gras La fin des super-héros européen et précédé d’une note explicative Ils sont nés sur les champs de bataille de 14-18 ; dans le souffle des gaz et des armes à rayon X . Il n’en fallait pas plus pour attiser ma curiosité ! Sensible à cette notion de super-héros à la française , avec au fond de moi le souvenir de cet échec cuisant qu’ils connurent en cette première moitié du XXème siècle, je voulais savoir et surtout croire ! Forte de 6 volumes répartis en 12 chapitres, comment résister à des titres aussi accrocheurs que La chambre ardente , L’homme cassé , Le club des hypermondes ou Le grand nocturne .
Nous voilà donc embarqué dans une vaste fresque historique, d’une dystopie super-héroïque où la France enfanta un grand nombre de protecteurs aux super-pouvoirs issus d’une littérature de genre au potentiel insoupçonné. Comme ils existaient et qu’il fallait un catalyseur pour les placer sous une même et unique bannière, quoi de plus simple que de créer cette manière d’interrupteur pour faire la lumière sur ce fait divers imaginé par un auteur fictif : Georges Spad ! C’est ici que l’intégrale des 6 tomes parue en 2012 nous donne des indices supplémentaires avec ce fameux canular littéraire cité plus haut et intitulé L’homme chimérique : Suite à un accident dans les tranchées, alors qu’il faisait des recherches sur la transfusion sanguine, Jean Brun de Séverac est victime d’une violente explosion. Si l’on ne retrouve pas son corps, car passé à l’état d’homme évaporé, loin de disparaître complètement, il se divise en quatre parties distinctes, créant des entités aux pouvoirs extraordinaires.
Fort de ce scénario, plutôt galvanisant et des suites fictives rares et introuvables éparpillées dans diverses publications populaires, Serge Lehman décida d’utiliser ce concept pour en faire le pilier de sa future histoire. En effet, pourquoi ne pas se servir de cette trame pour en faire les bases d’un univers relatant l’existence de super-héros français et de rassembler toute cette masse éparpillée dans la littérature dite du Merveilleux-scientifique et d’en faire un univers bien distinct ? En quelque sorte une fiction incluse dans une autre fiction ! Ainsi naquit la brigade chimérique.
Chargé de la protection de la nation, cette unité d’élite ne fut plus qu’une rumeur jusqu’au jour où l’institut Curie , centre de l’hyper-science et forte d’une réserve de citoyens aux pouvoirs exceptionnels, se voit abriter dans ces locaux le fameux Séverac plongé depuis de nombreuses années dans un profond coma. L’institut découvre le moyen de le dissocier et de le recomposer à volonté. Telles les nombreuses figures inventées par les dessinateurs américains, nous voici en présence d’un simple humain pouvant à volonté transformer son apparence pour devenir justicier.
Ce fort volume, généreux de 278 pages nous livre ainsi la lutte de la brigade chimérique contre l’obscur Mabuse , la redoutable armée de Gog et de la phalange pendant que Nous autres et ses mécanoïdes attendent, patiemment de quel côté la balance va pencher pour choisir son camp , dans cette Europe dont l’embrasement imminent risque d’opposer les plus redoutables mutants que l’humanité ait générée.
Appuyée par un dessin d’une grande pureté conférant à l’histoire un coté addictif qui à aucun moment ne faiblit ni ne lasse le lecteur, baigné par des couleurs qui impactent la rétine de façon durable pour nous livrer de temps à autre des pleines pages d’une beauté éclatante, on se laisse alors porter dans ce maelström où des forces titanesques se rassemblent pour réécrire le début d’un conflit mondial inévitable et où le scénario manipule avec habileté et brio, une vérité historique qui oscille en permanence sur le fil ténu des hypermondes. Certaines planches aux tons pastel comme autant de flash-back indispensables à la bonne compréhension des origines de certains personnages, sont esthétiquement bluffantes. Bourré de références à toute cette littérature de genre que le scénario nous livre avec toute la nostalgie et le respect qui s’impose sans jamais tomber dans une forme de discours obscur risquant de noyer le lecteur peu habitué à ces personnages d’un autre temps, le véritable tour de force réside dans cette limpidité du fil narratif qui, entre héros d’un autre temps et prémisse d’une nouvelle race de surhommes, joue habilement avec les codes du genre pour nous livrer cette magnifique chronique d’une mort annoncée. La fin d’une période d’un genre mort-né, précipitée par l’approche d’une guerre terrible sonnant le glas du super-héros français condamné à un oubli presque total.
Impossible ici de vous révéler certaines subtilités scénaristiques pour ne pas dénaturer le plaisir d’une future lecture, mais je peux vous assurer que certaines trouvailles sont tout simplement extraordinaires et donnent un véritable sens à cette création non seulement d’une grande originalité, mais qui devait absolument voir le jour afin de donner une véritable ossature à un genre n’ayant pas réussi à l’époque à prendre corps.
L’univers s’étoffe.
Avant de passer à ce nouveau pavé, il est est indispensable de faire le point sur les univers parallèles qui se tissent autour de l’univers de la brigade, publiés entre la parution de ces deux opus, et pouvant parfaitement s’intégrer dans le cycle. En effet, il sera possible au lecteur curieux de se plonger également dans le volume L’homme truqué (1 volume 2013) et la trilogie L’œil de la nuit. (3 volumes 2015-2016)
En reprenant les personnages de Maurice Renard et de Jean de la Hire, , Serge Lehmann et Gess contribuent avec ces albums , à une suite logique et attendue des terribles événements dont Jean Lebris fut la malheureuse victime et de la jeunesse du Nyctalope avant de sombrer dans cette déchéance dont il sera victime dans la brigade chimérique. Les dessins y sont toujours d’un réalisme surprenant, les couleurs bien nuancées, nous nous retrouvons face à un Gess au style plus abouti et plus que jamais fidèle à l’esprit de l’univers. Cette idée de prolonger ainsi leurs incroyables aventures est tout à fait justifiée, non seulement pour donner plus de corps et étoffer ainsi l’univers de la Superscience et continuer l’édification des origines des supers héros Français, mais permet surtout de développer certaines idées et hypothèses à peine esquissées par Maurice Renard dans L’homme truqué. Si l’œil de la nuit , pour des raisons de droits, ne reprend pas l’identité du Nyctalope, le scénariste gardera la trame de certaines de ces aventures lors de la parution en roman préférant toutefois écrire une histoire entièrement inédite pour le dernier volume.
Sorte de Cyclope rétro avec son curieux appareillage de vision, donnant une dimension fort spectaculaire à cet homme truqué , cette idée de changer l’appareillage de vision est assez bien trouvé, lui permettant de se détacher du commun des mortels, de l’identifier plus facilement et surtout de le distinguer d’un autre personnage de L’hypermonde , le Nyctalope. Affublé lui aussi d’une vision nocturne hors du commun, gardien bienveillant d’un Paris sous la menace perpétuelle d’événements étranges, il sait que cet homme peut se révéler un allié utile dont il faudra désormais accepter les extraordinaires propriétés.
De fait, l’univers que nous proposent les deux co-auteurs est un savant mélange, de celui si riche et si complexe du merveilleux scientifique où des éléments épars de cette littérature vont se croiser dans une logique sans faille et faisant appel à des références qui ne pourront que séduire l’amateur du genre avec des éléments propres à cet univers. L’intervention à la fin du volume de L’homme truqué par la fameuse Brigade chimérique est un puissant rappel mis en place lors de la création de cette unité d’un genre spécial.
Pour les puristes et celles et ceux qui veulent approfondir encore plus leurs connaissances sur la brigade chimérique, je vous recommande également de vous plonger dans l’univers du jeu et plus particulièrement sur son encyclopédie. Forte de plus de 250 pages, il vous fournira bien des éléments sur l’hyperscience , le tout agrémenté de magnifiques dessins provenant de la série de BD.
Renaissance
Un mythe peut-il survivre au temps et à la mémoire des hommes ? Il y a-t-il encore une place pour cet opéra de papier au langage désuet qui, face à cette explosion de figures héroïques qui envahissent les kiosques et les écrans, peut avoir une bien triste figure ? Le pari était osé, l’exploit presque inaccessible, mais pourtant fort de la science des hypermondes, nos Savanturiers de l’impossible viennent d’insuffler une nouvelle vie à nos héros de l’ombre afin de donner un lustre encore plus resplendissant à cette patine du temps qui ne semble avoir aucune prise sur ces figures de légende. Dois-je vous dire que nous attendions tous cette renaissance et si les années n’ont pas amoindris tout l’intérêt que nous leur portons, le fort beau volume paru il y a peu frappé aux armoiries du bras ailé est certainement l’objet que nous attendions avec une impatience non feinte.
Contrairement à l’édition précédente, celui-ci est publié chez Delcourt qui marque déjà le coup en nous livrant un magnifique ouvrage avec un dos toilé comme jadis en 2012 chez l’Atalante, mais là où ce nouvel éditeur fait encore mieux, c’est en incluant le livre dans un magnifique écrin sous l’aspect d’une jaquette aux airs de tapisserie! En effet, une fois dépliée, il sera possible, pour le lecteur expert, d’y retrouver une multitude d’allusions à la première série, mais également de forts belles références au merveilleux-scientifique : Félifax , L’affiche du protecteur de Paris, Palmyre dans Baal , Le messager de la planète de José Moselli, L’oeuf de verre de Jean de Quirielle, Mars va vous parler illustré par Robida dans Le journal des voyages , un tableau de Henri Lanos Destruction de la terre par le choc d’une comète pour la revue Je sais tout…… je voulais pour l’occasion remercier Stéphane de Canevas et Serge Lehman d’avoir fait allusion à cet artiste hors pair à la fin de l’ouvrage dans la rubrique Métadonnées . Je suis très ému par l’histoire racontée au sujet de cette inclusion sur la couverture de l’ouvrage et, indirectement, de m’avoir associé à cette référence inespérée. Des références donc, il y en a plein et c’est déjà un plaisir que de se remémorer au travers de ce dessin géant les palpitantes aventures passées et….. à venir !
C’est sur ce point précis qu’il faut saluer l’immense travail du scénariste et de l’illustrateur. En effet, comment remettre au goût du jour les héros de l’ancienne Europe tout en essayant de rallier à sa cause un nouveau public et surtout dynamiser un genre de manière à lui insuffler une toute nouvelle dimension ?
Paris est sous la menace de deux terribles invasions, l’une provenant des sous-sols avec la venue du roi des rats et de sa légion de créatures mutantes et l’autre de l’espace sous la forme d’une redoutable entité cosmique, Chob, un avaleur de monde. Le fil conducteur de l’histoire est Charles Dezniak dit Dex à la tête d’une organisation qui, à l’instar des Américains sous le nom de Facteur X, étudie certaines aberrations provenant de mondes parallèles et/ou occultes. La section française, elle, s’attache aux souvenirs des mondes perdus, les hypermondes, rayés de la mémoire collective lors de la Seconde Guerre mondiale. Chargé par le gouvernement français d’endiguer cette menace, notre chercheur, aidé de précieux collaborateurs, va partir à la recherche de super-héros oubliés depuis des décennies afin de s’opposer à ces forces destructrices. Le lecteur va donc rencontrer , l’homme truqué, modifié pour la circonstance, car un héros de chair est lui aussi voué à la dégradation de la matière, Félifax , le fameux homme-tigre de Paul Féval soumis également à quelques modifications génétiques, la descendante de Palmyre, redoutable sorcière héroïne des premières aventures de la brigade chimérique et surtout Jean Brun de Séverac , l’homme quadripartité, de retour ici pour servir comme jadis de catalyseur aux nouvelles forces en présence.
Cette ultime renaissance nous livre une incroyable histoire qui vient bien se raccorder sur la série précédente avec cette particularité que cela peut se lire de manière indépendante. Outre le fait qu’elle prolonge et bonifie de manière substantielle un univers absolument génial, ce nouvel opus possède la particularité de s’accorder parfaitement aux demandes d’un tout nouveau public. L’œil averti et le passionné, découvriront une fois encore bien des références sur cet univers qui nous passionne tant, avec cette dimension de super-héros moderne et qui probablement trouvera ses adeptes dans un public plus jeune, habitué aux comics américain. D’ailleurs, l’album n’est pas avare de références modernes qui fusionnent parfaitement avec cet aspect plus rétro et j’ai particulièrement apprécié la métamorphose de l’homme truqué dans cette version plus humanoïde. L’histoire de chaque super-héros de la première génération y est racontée de manière originale avec un raccord parfait avec les exigences d’un contexte plus actuel. Les pages fourmillent en effet d’allusions fort sympathiques sous forme d’affiches ou de livres fictifs et nul doute que les auteurs se sont amusés à inventer posters et couvertures relatant les exploits de nos super-héros. C’est avec grand plaisir que nous allons découvrir L’homme truqué ou Félifax à la tête de comics à grand tirage ou dans des éditions française d’avant-guerre tout aussi réelles, mais avec des modifications de circonstances à faire pâlir tout documentaliste qui se respecte. Grand coup de génie également que cette référence à Chob , entité cosmique issue de ce grand classique d’Yves Dermèze qui au final est un des rares écrivains à avoir fait la transition entre la fin du merveilleux-scientifique et la SF moderne.
Outre l’aspect titanesque de ce dieu souvent rencontré dans les comics américains, nous avons la preuve supplémentaire que nos écrivains étaient capables d’oser une telle dimension cosmique et mis ici à l’honneur dans ce final d’apocalypse digne des meilleures séries américaines. Je n’ai pas la prétention de les connaître comme certains peuvent le revendiquer, mais cette ultime renaissance est la preuve que nous avons là tout un monde qui fourmille de références avec un potentiel incroyable et que les auteurs, dans un long travail de réflexion et de concertation, nous ont offert l’aboutissement d’une univers incroyablement riche et possédant une matière première qui faillit nous passer entre les doigts.
Que Serge Lehman me pardonne cet abus de langage et cet enthousiasme qui peut paraître excessif, mais connaissant tout cet amour que je possède pour le Merveilleux-Scientifique, je trouve que ce concept de brigade chimérique fut un sacré coup de poker, mais surtout un sacré coup de génie, car elle est au final la synthèse de tout un univers éparpillé aux quatre coins d’une littérature de genre mal définie et pendant longtemps mal répertoriée. Dans cette masse volumineuse, elle pouvait sembler anecdotique et insignifiante, mais réunie sous un même et unique étendard, se révèle à la fois forte, inventive…..unique!
Dans ces deux volumes, riche d’une partie Métadonnées qui sont autant d’éléments précieux pour le profane comme pour l’érudit sur certaines références, scénariste et artistes ont couchés par l’image, outil de communication de nos jours incontournable, le substrat de cet univers mal connu, pendant longtemps peu exploré, mais qui se révèle une fois encore d’une richesse inouïe. Une masse imposante riche de 500 pages et plus avec les autres albums se rattachant à la série, où les artistes y ont mis toutes leurs tripes dans un maelström d’images souvent à la beauté surréaliste où les couleurs s’entrechoquent de manière sublime pour nous révéler un univers qui oscille de manière constante entre merveilleux- scientifique et comics. Je ne cesse de passer en revue certaines planches qui pendant longtemps, dans mes rêves les plus fous, ont titillé mon imagination en me disant que peut-être, un jour, un artiste assez fou serait dans la capacité de retranscrire par le dessin ces univers de l’hypermonde. Si les dessins de Gess ne cessent d’imprimer ma rétine d’images d’une beauté d’un monde crépusculaire et incroyablement fidèles à cette littérature , ceux de Stéphane de Canevas trouvent quand à eux la fréquence parfaite avec ces nouveaux univers , ce passage de relais entre deux mondes incroyablement complexes et beaux et nul doute que cette ultime renaissance vient de trouver grâce à ce dessin inspiré , une toute nouvelle dimension à la brigade chimérique. Le dessin/photo de la couverture rigide , d’une grand beauté, est en cela très évocateur avec la représentation d’une brigade aux formes inquiétantes car baignée dans une ambiance crépusculaire , sorte de cliché fantôme qui oscille entre réalité et fiction, mais qui pourtant se veut rassurante par la présence de ces créatures super-héroïques qui veilleront sur l’humanité, tant que subsistera en nous ce besoin de croire et d’imaginer.
Lire ces deux beaux volumes, c’est la certitude de pénétrer dans un monde ne possédant nulle autre équivalence et de vous imprégner d’univers insoupçonnés qu’il était indispensable de révéler enfin au public sous une forme universelle. La toute dernière planche de l’album en cela, porte en elle tous les espoirs de cette nouvelle génération, une fenêtre ouverte entre le réel et l’imaginaire face à un jeune public, amusé, émerveillé….!
En souvenir des Hypermondes et des amis de la brigade chimérique , le club des Savanturiers reconnaissant!
« La brigade chimérique » c’est un peu comme ces films cultes qui me sont impossibles de ne pas voir au moins une fois par an, il existe comme un lien secret et vraiment très fort qui me rappelle combien nous sommes , nous adeptes du merveilleux-scientifique, redevable à cette incroyable série. Au delà de la BD , de son scénario d’une solidité à toute épreuve et de son graphisme addictif, il y un puissant réservoir à idée, une formidable machine à hypothèse, synthèse de plusieurs décennies de conjecture française où toute une poignée d’écrivains étaient si proche de concrétiser la création d’un genre innovant et pérenne. Je me rappelle d’avoir écrit pour une préface à un recueil de nouvelles « Dimension merveilleux-scientifique » :
« Lorsque la série de « La brigade chimérique » est arrivée sur le marché, nul doute que ce fut le signe d’une nouvelle ère et que le monde de la science-fiction française ne serait plus comme avant. Elle venait en effet de condenser, l’espace de six volumes, des décennies de cet imaginaire relégué au rang des oubliettes et créer par le biais de cette collection, « les Hypermondes », au relent de revanche toute justifiée, un juste retour des choses. Nous sommes tous les enfants de Régis Messac et grâce à son immense sagacité, nous connaissons actuellement un âge d’or du merveilleux scientifique, une renaissance d’un genre qui tel un bon vin vieilli en fût de chêne, à longuement mûri afin de nous livrer ce délicieux breuvage qu’une foule d’écrivains et de spécialistes nous verse avec tant de générosité. Si l’univers de « la brigade chimérique » forte de son Hyperscience, de la réhabilitation d’une foule de super-héros , d’auteurs talentueux, de « ces mondes inouïs, ces hypermondes, et leur flore et leur faune : les hyperêtres…. » , fut un déjà véritable électrochoc en soi, elle permit en outre l’apparition d’un univers à part entière, avec son propre jeu au titre éponyme. Un monde possédant sa propre histoire, riche d’une multitude de références à cet imaginaire ancien éparpillé dans ces milliers d’ouvrages, de revues, publications et autres magazines. Et si toute cette mémoire du passé retrouvait une nouvelle jeunesse par l’intermédiaire d’une prise conscience du futur ? Si de jeunes auteurs et artistes parvenaient à reconstituer cet immense canevas conjectural, riche d’une multitude de héros, de génies du mal, d’inventions extraordinaires, de contrées inexplorées pour en faire une merveilleuse tapisserie qu’il nous serait possible d’admirer dans sa globalité et de pouvoir en saisir l’immense potentiel ?»
Je ne me lasse pas de cette série, elle est le lien indispensable à une toute nouvelle génération de lecteur qui , n’ayant aucun crainte à parcourir les chemins tortueux mais toujours fascinants de notre littérature populaire , découvriront des univers insoupçonnés où le mythe du super héros moderne n’est pas le fruit d’une idéal étasunien, mais bien le produit aux reflets tricolores enfantés dans la douleur de certaines défaites, la violence de nos champs de batailles mais aussi toute la beauté d’une époque révolue ou science et imagination n’avaient presque pas de frontières. Une œuvre indispensable, un véritable dictionnaire par l’image de tout ce que le genre à enfanté de plus sublime, Le second volume, en cours de lecture , est tout aussi fascinant et révèle une fois encore tout le potentiel de rêves fragmentés d’auteurs des Hypermondes pour venir enfin s’agglomérer dans un courant puissant et incroyablement jouissif.
Photo hommage/souvenir très rapide de ce qui fut à l’origine d’une si belle création et de tout ce que la puissance de imaginaire peut engendrer comme mythe.
Une ultime photo, témoignage de mes recherches incessantes… Chère Christine, Cher Serge, la boucle serait-elle bouclée ? Si dans cet « Homme chimérique » dont il est possible d’avoir un résumé dans l’intégrale de « La brigade chimérique » et qui donna naissance à cette fameuse unité de super-héros d’avant-guerre, bien avant qu’il ne se conceptualise outre Atlantique, nous avons les germes de sa création avec ce texte inédit de cette mystérieuse Georges Spad. Un texte qui d’ailleurs ne faillit jamais être publié, Mabuse et ses séides vaillant à éviter les fuites, et grâce auquel nous avons le témoignage percutant de Renée Dunan qui affronta en d’autres temps les mutants ennemis, produits de l’hyperscience des forces de l’axe. Ce récit, presque un huit-clos, loin d’être étouffant, est un bel exercice de style où l’on sent que l’auteure a pris un grand plaisir à le rédiger. Cette mise à l’honneur de Théo Varlet face à toute l’âpreté de la guerre n’est pas avare de personnages attachants et relève presque du roman social, du terroir presque, avec cette part de mystère qui ne cesse d’aller grandissante pour surgir en fin de volume dans une catharsis d’action et d’un chapitre d’anthologie où nous sont révélés dans un tourbillon en provenance des Hypermondes l’apparence de bien singulières créatures, prémices d’une science maudite au service de l’ordre noir. Sur fond de « Der des Der » dans une ambiance humide et boueuse, il y flotte bien entendu une odeur de mort et de souffrance mais également comme un léger parfum de radium et le lecteur attentif à cette noble cause ne peut rester insensible à certaines des éléments qui y sont révélés. Ce petit ouvrage, riche d’un avant-propos qui lève le voile sur un mystère éditorial quoi que, vient de fait prendre place sur cette étagère consacrée à cette incroyable et énigmatique Brigade Chimérique et nul doute que, dans un prochain avenir, les lecteurs auront l’occasion de croiser de nouveau le chemin de ces super-héros d’un autre âge, d’une autre dimension…..avec les Hypermondes, sait-on jamais!
« Renée Dunan contre les mutants » de Georges Spas alias Christine Luce. Collection « Les saisons de l’étrange. Illustration de couverture Melchior Ascaride.125 pages.2021
En cette période de morosité ambiante, bloqué à domicile pour maladie, aujourd’hui, je viens de retrouver un peu d’espoir en ouvrant ma boite aux lettres et en y découvrant un gros paquet contenant cet objet tant attendu : « La brigade chimérique : Ultime renaissance »
Comme beaucoup de Savanturier, je suis un inconditionnel de cette saga qui est à mon avis la quintessence même du Merveilleux-Scientifique en BD pour ne pas dire LA référence moderne ultime pour un genre oublié, retrouvé et remis au goût du jour grâce à l’intervention de passionnés et de chercheurs, que je ne citerais pas ici mais qui n’auront aucun mal à se reconnaître. En cela, et sa magnifique préface pour « Les maîtres du vertige » est plus qu’un manifeste, c’est une véritable déclaration d’amour, nous savions que Serge était l’un des représentant du genre le plus impliqué, mais ce copieux volume de 260 pages vient ici finaliser cette boucle que nous espérons de l’infini et donner une nouvelle dimension à cette célèbre brigade qui depuis le mythique « Homme chimérique » a fait couler bien de l’encre !
Présenté dans un somptueux dos toilé sobre et élégant, recouvert d’une magnifique jaquette, cette double illustration nous plonge d’entrée de jeu dans une vision faisant à la fois appel au cycle précédent (pour l’illustration de couverture) et dans une toute nouvelle dimension avec sa magnifique jaquette. Celle-ci, véritable cabinet de curiosité pictural, nous plonge dans un univers où les références sont multiples et où le passionné que je suis, se complet à relever les références à telle ou telle œuvre, à tel ou tel auteur. Imaginez un peu, l’objet en lui-même est déjà un véritable délice, quand sera-t-il alors une fois sa lecture terminée…
Comme je suis un insupportable gamin avide de friandises, je n’ai pas pu m’empêcher de feuilleter la fin du volume, riche d’une très belle postface et d’une importante partie de « Métadonnées » et de constater une fois de plus à quel point le scénariste est un véritable passionné du genre en faisant mention de moults références mais surtout , et c’est ce qui m’a le plus touché, de mentionner un illustrateur qui me fascine depuis de nombreuses années et dont le travail magnifique est certainement le plus représentatif dans le domaine de l’imagerie du merveilleux-scientifique. Merci donc à Serge d’avoir fait référence à Henri Lanos dans ce magnifique album, je suis vraiment heureux et fier de le voir ainsi référencé dans ces pages, car cette saga de « La brigade chimérique » est pour moi cette capsule temporelle, témoin d’un genre qui au fil du temps ne cessera d’enchanter notre mémoire collective et qui résume au travers de ces pages multicolores et sombres à la fois, toute la mémoire d’un genre retranscris ici de la plus belle des manières. Nul tout que ces deux volumes seront une sorte de bible en images d’un courant littéraire le plus intrigant et le plus fascinant du XXe siècle.
Grace à la superbe idée du « mois de la Savanture » initié par les Moutons Electriques comprenant des titres aussi emblématiques que « Le prisonnier de la planète Mars » de Le Rouge et « La cité des ténèbres » de Léon Groc , nous voici donc comblé et heureux de pouvoir y joindre ce nouveau volume qui ne fait que renforcer cet incroyable travail de fond réalisé par tous les passionnés du genre.
En attendant la lecture très prochaine de cette perle de l’imaginaire, je voulais remercier Serge d’avoir pensé à moi, mais aussi toute l’équipe pour la réalisation de ce magnifique objet qui au final, me permet de commencer cette année sous les meilleurs auspices. Comme quoi, l’art et la culture restent encore plus fort que tout !
« La brigade Chimérique: Ultime Renaissance ». Edition Delcourt. 276 pages. Scenario de Serge Lehman, dessin de Stéphane De Caneva et mise en couleur de Lou
Sturkeyville, lieu géométrique de toutes les terreurs…..et dire que, pour un peu, nous passions à coté de cet auteur majeur du fantastique ! Merci donc à l’éditeur et au magnifique travail de traduction de Nathalie Duport Serval, pour ce recueil de 6 nouvelles, toutes plus admirables les unes que les autres qui varient entre horreur pure, science-fiction, fantastique et fortement saupoudrées de cette poésie que l’on retrouve dans les écrits de Sturgeon.
C’est une véritable bouffée nostalgique qui s’est emparée de moi à la lecture de cet ouvrage. Une écriture ciselée où l’auteur prend le temps du détail, s’arrête sur des éléments qui ne paraissent pas importants, mais qui au final nous permettent d’aller au plus profond de cette horreur à l’apparence si banale qui se cache dans cette petite ville. Un ambiance proche de celle de Lovecraft, oui, mais en mieux, car il y a cette dimension humaine qui vous fait vous attacher aux personnages et vivre cette angoisse de manière plus viscérale et cette terreur qui vous colle à la peau au fil des pages.
J’ai vraiment été transporté dans une autre dimension et les différentes thématiques qui parsèment cet ouvrage (possession, maison hanté, créatures de cauchemars, paradoxe temporel….) vont véritablement vous aspirer et vous projeter dans cette petite ville à l’apparence si anodine, mais qui révèle bien des secrets, de lourds secrets….
Les nouvelles sont accompagnées de de superbes illustrations N&B et donc,si vous ne le lisez pas, c’est qu’il n’y a plus rien à faire pour votre salut !
« Bienvenue à Sturkeyville » de Bob Leman ,Editions Librairie Scyllia, illustrations intérieures de Arnaud S.Maniak .Décembre 2019.
Lorsqu’il y a de cela plusieurs années, j’ai découvert l’univers de Jean Ray, je me suis tout de suite laissé guidé par son style inhabituel, sa plume de conteur né. Depuis, cette fidélité n’a jamais failli et lorsque je regarde, avec amour les étagères de ma bibliothèque que je lui consacre, je me dis que ce sont probablement les ouvrages que je garderai en priorité si un jour, j’avais à faire un choix. De cet auteur, grâce au travail acharné de certains passionnés, nous avons connaissance de plus en plus d’éléments sur sa vie et son œuvre, mais il reste tant de choses à découvrir encore ! Je me rappelle avoir lu avec avidité, il y a de nombreuses années, les fameux contes du Whisky et désiré, comme l’ensemble de toute sa production, acquérir toutes les éditions en langue française. Comme tout un chacun, j’ai commencé cette accumulation maladive par les éditions Marabout puis j’ai trouvé l’édition originale à La renaissance du livre, celle de l’Atalante, la librairie ds champs Élysée, chez Néo……..
Je collecte également tout ce qui peut concerner cet auteur et découvrir un titre, non pas de cet auteur, mais d’un écrivain qui désire lui rendre hommage, inutile de vous dire que je m’empresse de l’acquérir. Me voilà donc à passer commande chez un éditeur au nom prédestiné, Malpertuis, et dont la grande force est de nous livrer nombre de textes originaux, dont notamment des recueils de nouvelles et une fort belle série dont je suis grand fan Le club Diogéne.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la couverture de Nicollet pour ces les nouveaux contes du whisky est magnifique et représente déjà un argument d’achat. Déjà, le premier plat qu’il avait concocté pour les nouvelles éditions Oswald en 1985 était très classe. Un recueil de nouvelles hanté par la mort et la misère, les contes et les légendes, des histoires de vie et de mort où la frontière entre la réalité et les divagations de marins dont la bouche pâteuse d’avoir trop bu de cette boisson tant vénérée, est parfois difficile à évaluer : la frontière entre le réel et le fantasme est parfois extrêmement ténue. Je me rappelle de ces histoires hantées de terre et de mer où je me suis laissé emporté, fasciné par la verve de l’auteur captivé par autant d’imagination et de ce sens inné à donner le frisson à ses lecteurs. Mais ce sont aussi des histoires d’hommes, formés à la dure, à la peau burinée par les vents marins, aux mains calleuses d’avoir manœuvré tant de cordages, de voiles et de couteaux…. Un monde dur et sans pitié où les cœurs, parfois, se laissent deviner sous le cuir épais des corps éprouvés, dans cette brume délétère que dispensent ce breuvage ambré, qui délie les langues et ouvre les portes de l’imagination. Pour cette toute nouvelle « mouture » , vibrant hommage à ce personnage à l’imagination débordante, la démarche de Laurent Mantese ne peut que forcer le respect et s’embarquer ainsi à bord d’un porte-containers danois pour les eaux tumultueuses de l’atlantique nord afin d’y puiser l’inspiration nécessaire pour ce volume/hommage est également pour le lecteur une expérience unique. L’auteur, tout en restant dans un contexte moderne, est parvenu à insuffler au travers des 22 nouvelles qui composent cet ouvrage, non seulement cette part d’ombre et de mystère qui parcourt l’œuvre de Jean Ray, mais surtout cette touche subtile qui fait que bien que le lecteur soit plongé dans l’univers si particulier de l’auteur Gantois, le style conserve toutefois sa patte personnelle tout en restant fidèle à cette ambiance si particulière rencontrée dans ses œuvres les plus marquantes de son modèle.J’avais déjà exprimé tout le bien de Laurent Mantese à la lecture de son roman La mort de Paul Asseman et le lecteur pourtant boulimique que je suis, avait mis en attente Le comptoir des épouvantes et Le rapport Oberland. Inutile de vous dire qu’après cette nouvelle expérience extraordinaire à la lecture de Les nouveaux contes du whisky, je me suis précipité vers Le comptoir des épouvantes qui patientait bien sagement dans ma bibliothèque et quelle claque les amis ! Comment en effet rester insensible à des nouvelles aussi terrifiantes que L’abominable aventure de Mr Van Der Kamp ou Le démon de la passe d’Holzarte. Ce qu’il y a d’incroyable dans ce recueil de nouvelles, c’est ce mélange subtil entre le génie de Jean Ray et le talent de Claude Seignolle ! Laurent Mantese est sans nul doute le digne successeur de ces deux maîtres incontestés, une plume aussi inspirée que féconde qui jamais lors de la lecture de l’une de ses œuvres, laisse place à l’ennui.
Tout cela pour vous dire chers lecteurs et lectrices que si vous êtes amateurs d’histoires terrifiantes où se mélangent subtilement poésie et cette dramaturgie propre aux héros tourmentés par de terribles malédictions, si vous avez le désir de succomber à une écriture fluide et travaillée à la fois avec cette sensation que l’auteur se fait non seulement plaisir, mais vous fait plaisir et si enfin vous voulez lire de la littérature fantastique qui ne tombe pas dans les poncifs habituels, mais fait preuve d’une grande originalité, alors ce volume ou plutôt dirais-je ces volumes sont fait pour vous. Car voyez -vous, si vous ne succombez pas à la noirceur de Le manuscrit d’Absalom à la terrifiante Benjamin Neuville ou à la magnifique Douce petite sirène endormie, c’est que votre âme est perdue à tout jamais et qu’il ne vous restera plus qu’à lire cette littérature fantastique de masse dont on essaye de nous abreuver. Mais quelque part, si vous venez de lire ces lignes, c’est qu’il y a encore un espoir de vous sauver.
Laurent Mantese est assurément un auteur de grand talent, une grande figure du fantastique dont il nous faut absolument suivre les prochaines sorties.
« Les nouveaux contes du whisky » de laurent Mantese. Éditions Malpertuis collection « Absinthes, éthers,opium » Couverture de J.M.Nicollet. 2020
« Le comptoir des épouvantes » de Laurent Mantese .Éditions Malpertuis collection « Absinthes, éthers,opium » Couverture de Adrien Police. 2012
Lorsqu’en 2017, les Moutons Électriques publièrent leur premier roman graphique « Tout au milieu du monde » avec le trio de choc qu’est Melchior Ascaride, Julien Bétan et Mathieu Rivero, nous avions déjà là l’amorce d’une catégorie de livre qui allait marquer durablement ma vie de lecteur en publiant le tout premier livre graphique de la collection. Deux années plus tard, les trois complices récidivent en réalisant « Ce qui vient de la nuit » , ouvrage dont je n’ai pas eu le temps de faire l’éloge, mais qui venait asseoir le talent de ces jeunes artistes avec cette histoire de Fantasy baignée de magie de malédiction et de terreurs ancestrales. En priorisant le jaune, Melchior Ascaride est parvenu à appesantir encore plus l’atmosphère étrange de ce texte sombre et sans concession, comme une brume lactescente qui progressivement semble vouloir sortir d’entre les pages, vous agripper de ces doigts glacés et fantomatiques pour vous attirer dans cette campagne bretonne du temps jadis, pétrie de légendes et de haut fait d’armes. Une fois de plus, texte et images sont en parfaite corrélation et l’on sent dans la technique utilisée par l’artiste un tournant déterminant comme pour vouloir encore plus imprégner le lecteur de toute la magie de l’histoire.
Fidèle au vieil adage « jamais deux sans trois » l’éditeur vient de renouveler l’expérience avec le tout aussi percutant « Désolation » écrit cette fois par une figure emblématique de la Fantasy, Jean-Philippe Jaworski et dont le texte vient coller comme une ombre au magnifique travail pictural d’un Melchior Ascaride plus inspiré que jamais. Tout d’abord, ce qui frappe l’esprit du lecteur que je suis, avide de belles couvertures, c’est le travail effectué une fois de plus pour cette édition et de la typographie du titre qui vient parfaitement se marier avec les circonvolutions de cette créature mythologique que l’on pourrait aisément confondre avec un vers à l’aspect redoutable. Ensuite, ce que j’ai aimé dans ce court roman, c’est le choix de l’auteur de commencer cette aventure de manière aussi abrupte qu’elle se termine. Une sorte de tranche de vie dans des temps reculés et/ou imaginaires, pétri lui aussi d’histoires terrifiantes traversé par la fureur du métal qui s’entrechoque et de l’odeur du sang versé. Certes comment ne pas penser à l’univers de Tolkien père fondateur de toutes ces terres de magie et de mystère, mais si Jean-Philippe Jaworski excelle à nous rappeler l’univers du maître, son talent parvient largement à prendre le large et nous livrer son univers qu’il est capable de construire en quelques pages et le peupler de figures inoubliables pour qui le tranchant d’un épée et plus éloquent que bien des discours. Il nous plonge ainsi dans une quête extraordinaire, une course contre la montre obligeant un puissant seigneur et toute sa horde bardée de fer et lourdement chargée de victuailles de porter secours à un fief voisin assiégé de toute part et risquant de plier l’échine face à un impitoyable ennemi. Pour cela, une seule issue possible s’il veut arriver à temps, passer à travers une montagne maudite, abritant selon les légendes un redoutable dragon et résister aux attaques de hordes de Gobelins commandés par un chef à la sanglante réputation : Le dévoreur !
Aidé de son fidèle Radswin le diseur de loi, Hjalmberich accompagné de 20 guerriers nains et de trente gnomes, vont traverser le massif du Kluferfell et braver la terrible région du Wyrmdale et il faudra bien plus que le savoir de maître Skirfir « Brûle-gueule » l’artificier de la troupe pour mener à terme une expédition qui va découvrir un secret bien plus incroyable que celui de l’existence d’un dragon !
Ce qui fait le charme incroyable de cette odyssée, c’est son coté quelque peu décalé en marge d’une Fantasy certes très codifiée avec les grandes figures classiques du genre, mais en y insufflant cette touche personnelle où le tragique des situations se mélange avec bonheur au comique de certains personnages. Ainsi Skirfir cité plus haut, spécialiste en explosifs et Littyllytig le contremaître des gnomes, sont les deux personnages qui régulièrement vont interagir dans les moments clef de l’aventure en y injectant la quantité suffisante espièglerie , de malice et d’humour afin de créer un tout homogène et particulièrement savoureux. Une expédition, sans cesse accompagnée par le bruit des armes et la fureur de la bataille, car « Griffus », « viandars », « panses de fer » et autres « Konomor » le konungr des Uruk Maug , ne cessent de harceler cette troupe hétéroclite aussi peu nombreuse que déterminée.
Pour un peu j’aurai presque l’envie de vous présenter ce volume une corne remplie d’un alcool fort et à brailler des chansons paillardes!
Ainsi donc, pour ce troisième roman graphique Melchior Ascaride articule toute son œuvre sur des tons oranges et noirs et nous propose une fois de plus un travail qui vient éveiller nos rétines et accroître de manière déterminante cette sensation éprouvée au fil de la lecture, comme si le lecteur, sous le joug d’une magie ancestrale, pouvait se retrouver en parfaite symbiose avec les aventures qu’il est en train de lire. Toutes les pages sont baignées de cette atmosphère unique où texte et images œuvrent dans une symbiose parfaite pour le plaisir du lecteur et si nombres de ses dessins me poussent bien après la lecture du livre à revenir dessus pour le seul plaisir des yeux, je ne peux qu’éprouver un profond respect pour la parfaite cohésion entre le texte, l’image et la mise en pages qui d’une manière spectaculaire trouve sa substantifique moelle entre la page 104 et 115 lors de la traversée de la cité sous la montagne : quand le dessin se fait langage on comprend mieux alors pourquoi il est un art qui ne connaît aucune frontière !
Au final nous voilà donc en présence d’une pièce majeure chez cet éditeur en ce qui concerne le roman graphique et du rouge roman initiatique en passant par le jaune des vieilles malédiction, nous voici dans l’orange du fracas des batailles où les deux talents vont jouer de talent et d’originalité afin de nous plonger dans une épopée inoubliable, une descente aux enfers où la verve de l’écrivain n’aura d’égale que la sublime inspiration de l’artiste qui l’accompagne.
Sans nul doute un très gros coup de cœur et je ne pourrai trop que de conseiller aux lecteurs amateurs de beaux objets, de belles histoires et d’une plongée dans un art graphique d’une grand originalité, d’acquérir cette trilogie qui je l’espère est annonciatrice d’autres ouvrages d’une telle qualité et d’une telle intensité,
Bien que cela n’enlève rien à la qualité du travail réalisé, pour quand un ouvrage relié dans le même esprit, mais avec cette fois-ci des plages entières et non coupées par le milieu de manière à dévoiler de manière plus percutante le travail de l’artiste ?
« Désolation » Roman graphique paru aux Moutons Électriques, collection « La bibliothèque dessinée » texte de Jean-Philippe Jaworsky , dessins de Melchior Ascaride. 2020.
Sans être un grand spécialiste, je suis, à l’image des passionnés de littérature fantastique, amateur de ce nouveau genre appelé terreur cosmique et me délecte de temps à autre d’ouvrages écrits par toute une génération d’auteurs vouant un culte innommable au grand-maître de Providence. Depuis quelques années en effet, les éditeurs ne cessent de nous régaler de « pastiches » plus ou moins réussis s’affiliant au redoutable cycle de « Cthulhu » et ma bibliothèque peut ainsi se vanter de totaliser quelques dizaines d’ouvrages de formats variables arborant fièrement sur leurs couvertures d’indicibles visions qui, si elles ne vous rendent pas fous, suscitent une certaine admiration tant l’artiste s’est immergé dans l’univers cauchemardesque de H.P.Lovecraft. Pour exemple le dernier volume paru chez Bragelonne « Les montagnes Hallucinées » magnifiquement illustré par François Baranger. Ici point de roman « a la manière de…. » , la reprise d’un classique, mais revêtu d’un habit de circonstance qui force le respect : grand format sous couverture rigide avec un dessin en transparence et un lettrage couleur argent du plus bel effet, jaquette couleur, illustration à l’identique à chaque page voire en double page ! En bref, si vous me lisez et que cet ouvrage n’occupe pas une place d’honneur sur vos étagères, vous savez ce qu’il vous reste à faire ! Tout cela pour en venir au fait qu’actuellement ce n’est pas la réédition des œuvres de Lovecraft qui sont importantes, bien que nous attendons le super méga collector de la mort proposé par Mnemos en huit volumes , mais de la nouveauté originale de la part des continuateurs et surtout que l’éditeur nous propose une présentation sympathique et originale pouvant ainsi se démarquer des éditions « classiques » pour ne pas dire un peu trop conventionnelles. Chers amis, si vous êtes à la recherche d’un tel objet, j’ai ce qu’il vous faut et croyez moi, en matière de « Collector » je n’ai pas le coup de cœur facile.
J’ai découvert les éditions « Le miroir aux nouvelles » d’une façon assez tardive…..Honte à moi qui suis souvent à la recherche du modeste petit éditeur , proposant des produits originaux. C’est en furetant sur le net, comme tout bon Savanturier des temps modernes qui se respecte, que je tombe par hasard sur leur site : peu de livres, mais sacré bonsoir, tous attirants à souhait et vous donnant une envie folle de les avoir dans votre bibliothèque : formats peu conventionnels, illustrés, thèmes divers et variés ( polar, SF, fantastiques , curiosités littéraires…..) et tous écrits par la même personne…….Mystère ! Dans le lot, je repère un titre qui attire ma convoitise : « 47°9′ S 126°43′ W celui qui chuchotait dans les abysses ». Mon sang ne fait qu’un tour , d’autant plus que la couverture est terriblement sympathique puisque, outre quelques tentacules, on y aperçoit l’étrave d’un navire dont le nom frappé aux initiales de « HPL » ne pouvait que m’emporter à son bord sur des mers étranges et redoutables. Ni une ni deux, je commande l’objet et j’en profite pour en demander un second , nous sommes en période de Noël et je connais un poulpesque ami qui sera content de ce présent. Bien entendu, je pousse l’impertinence jusqu’à demander une dédicace !
Deux jours après, je reçois une gentil mail de l’auteure, Chrystel Duchamp, qui me dit combien elle est heureuse de cette commande et que, bien entendu les ouvrages seront dédicacés par ses soins, mais également par l’illustrateur Eric Barge : une première approche plus que prometteuse !
Moins d’une semaine plus tard, les ouvrages arrivent et quel bonheur, l’objet est de doute beauté : Grand format, couverture souple frappé d’une blason à tête tentaculaire, recouvert de son élégante jaquette aux dégradés de vert, à l’intérieur de superbes illustrations pleines pages en N&B, et à la toute fin de l’ouvrage la première page d’un journal fictif plié en quatre qui……Mais, n’anticipons pas !
L’histoire donc. Un journaliste est contacté par un mystérieux professeur, risée du monde scientifique, lui proposant de servir de biographe à une formidable expédition organisée dans la zone la plus isolé du pacifique, le point Nemo,c’est-à-dire le point de l’océan le plus éloigné de toute terre immergée. En effet, un son étrange en provenance de cette surface d’Océan se fait entendre depuis quelque temps et a défaut de lui trouver une explication la communauté scientifique le nomme « Bloop ». Mais le professeur Lewis Theobald Jr ne s’y trompe pas, il sait lui que l’origine de ce son provient d’une créature dont on veut feindre l’existence : le grand Cthulhu en personne ! Pendant des années il prépare avec soin le bateau et l’équipement de pointe nécessaire afin d’explorer les fonds marin. Le « HPL » est enfin prêt, commence alors pour notre journaliste un voyage aux enfers qui se terminera comme bien souvent lorsque l’on se frotte aux grands anciens par un placement dans un lieu où personne ne vous entendra hurler.
Raconté ainsi, vous me direz que l’histoire semble banale, téléphonée et sans surprise, mais c’est sans compter sur le talent narratif de l’auteure qui vient ici avec son style bien millimétré et diablement efficace nous apporter un plaisir de lecture que le vieil habitué des terres de l’imaginaire que je suis, aime à parcourir. En effet, Chrystel Duchamp prend le parti avec ce livre de s’adresser à un public ignorant tout de l’œuvre de Lovecraft, en parcourant sa novella,de références à son œuvre, tout en utilisant comme je le disais plus haut un style narratif pouvant charmer les plus aguerris. Il y a chez le héros de cette aventure, une mise en abîme incroyablement bien menée et de la rencontre avec le professeur et celle finale , avec Cthulhu en personne, une montée en puissance qui arrive à nous surprendre. D’ailleurs cette aversion de David Wayland pour la mer qui devient peu à peu obsessionnelle pour en devenir maladive, ne sont que les prémisses d’une horreur encore plus grande à venir. On retrouve les mêmes maux que dans les héros de Lovecraft, personnages septiques et/ou à la recherche de la vérité et qui finalement se trouvent coincés dans une spirale infernale, mais racontée d’une telle façon qu’au final, j’ai eu l’impression de redécouvrir tout ce qui fait le fondement de son cycle. Une approche certes plus moderne, mais avec un style plus léger, l’auteure va à l’essentiel et c’est justement ce qui fait la force du texte : on ne s’embarrasse pas de fioriture, on se laisse embarquer tête baissée, et ce, sans jamais le regretter.
Ce format entre la nouvelle et le court roman n’est pas un exercice facile mais nous avons ici la preuve formelle que même en utilisant un thème archiclassique, formaté et usé jusqu’à la trame, il est possible d’en faire quelque chose d’inhabituel , non seulement à lire mais agréable à regarder, avec un final assez original ou le fin mot de l’histoire nous est livré sous la forme d’une coupure de presse factice, intégrée comme preuve ultime, document plié en quatre et collé sur la dernière page, comme si toute cette histoire n’était qu’une mystification, le délire d’un fou et finalement remise en doute par plusieurs articles de presses et inséré intentionnellement dans ce récit témoignage, comme pour semer le doute dans la tête du lecteur.
Ce livre est beau, il est bien pensé, fabriqué avec amour et les illustrations d’Eric Barge, complice de l’auteure, viennent ici par la présence de ces dessin pleines pages N & B, asseoir encore plus ce statut d’objet culte , de ceux incontournables que tout amateur de sympathiques histoires et de beaux livres, se doivent d’avoir dans leurs bibliothèque,
En tout cas, le mien trône fièrement à côté de ceux de François Baranger et je voulais par ce petit article rendre hommage au travail de ces artistes de l’ombre qui œuvrent en toute simplicité pour le plus grand plaisir de leurs lecteurs. Une preuve de leur grande générosité et d’une foi inébranlable sur cette route pas toujours facile qu’ils ont choisis d »emprunter.
« 47°9′ S, 126° 43′ Celui qui chuchotait dans les abysses » Éditions « Le Miroir Aux Nouvelles » Texte de Chrystel Duchamp, illustrations de Eric Barge. 215 . Tirage Limité
Pour le commander c’est ici: https://www.lemiroirauxnouvelles.fr/